Par Jean-Marie Andres, Vice-président des AFC

Dans le fond la politique familiale tout le monde y est favorable… mais, dès que le débat s’engage, on ne tombe d’accord sur rien. Aussi, dès que le politique s’aventure sur ce terrain – souvenons-nous de la carte famille nombreuse, des Majorations de Durée d’Assurance (MDA), etc. – c’est la levée de bouclier… D’ici à ce que les politiques s’en lavent les mains et laissent aux négociations paritaires ou aux investisseurs internationaux, inquiets du niveau de l’endettement de la France, le soin de faire évoluer la politique familiale française, à chaud et privée des bases d’une évolution structurée… ce ne sera donc pas pour le meilleur…
Les AFC sont depuis toujours en première ligne en matière de politique familiale. Quelles leçons tirent-elles avec le temps, de la succession des gouvernements et des discussions ? Comment expliquer ces rendez-vous sans cesse manqués, entre les Français et les familles, entre les Français et eux-mêmes ? Existe-t-il des orientations de politique familiale, qui assurent enfin le rétablissement de ce pilier du « modèle social français » sur des bases solides, et qui lui garantissent ce qui fait la première qualité de toute politique de long terme, la stabilité, seule à même de rendre aux couples en France une confiance suffisante dans l’avenir ?
Pour essayer d’identifier les lignes de force d’une politique familiale enfin solidifiée, des études de cas, issus de l’actualité politique, permettent de tirer des enseignements structurants : « avantages » familiaux en matière de retraite, le quotient familial « niche fiscale », le financement des allocations familiales (TVA sociale), le salaire familial…

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Jean-Dominique Callies : Il me revient l’agréable mission de vous présenter monsieur Jean-Marie Andrès, et je dois vous dire que, bien que le connaissant depuis quelques années, j’ai peiné à rassembler les éléments biographiques, non qu’ils soient trop nombreux, ni qu’ils soient inexistants, mais tout simplement parce que Jean Marie est un homme discret et peu enclin à se laisser raconter, et c’est donc pour moi un grand honneur et un grand plaisir mais aussi une forme d’exercice imposé délicat que de vous présenter ce père de famille « dite nombreuse ».

En effet, cette qualification arrive dès lors que l’on ne peut mettre plus d’un enfant par genou. Or, en ce qui le concerne, cet ingénieur civil des Mines, né en Colombie en 1960 (et dont il a conservé la nationalité), est marié et l’heureux père d’une famille de 7 enfants.

Ce choix familial vient conforter celui d’être un acteur engagé dans le monde associatif, et plus particulièrement celui tourné vers la famille.

Que ce soit dans les responsabilités de membre du conseil de direction, d’une institution nommée « Eau Vive » étant alors en charge notamment des jeunes ménages,

Que depuis vingt ans en tant qu’adhérent des associations familiales catholiques dont il animera un temps la fédération des Hauts de Seine.

Au sein de ces Associations Familiales Catholiques, il participe au conseil d’administration de la confédération nationale dès 1996 ou 1997. A ce niveau, il prend part, aux grandes décisions d’orientation du mouvement, impulsant des actions en ligne avec une perception des grands enjeux familiaux contemporains et de ceux de demain, puisqu’il en devient, il y a dix ans, Vice Président.

Ce mouvement structuré qui regroupe plus de 350 associations est un des lieux les plus adaptés pour promouvoir des actions mettant en valeur la famille et à tout le moins défendre les intérêts des familles.
Ses responsabilités comprenant notamment la prise en charge des questions de société et de la politique familiale,

Enfin sur le plan professionnel, troisième pied de son engagement, Jean Marie fait partie de ces ingénieurs qui ont choisit de mettre leur compétence scientifique au service de la finance puis de la haute finance. Passant d’une expérience d’animation des Agences d’un groupe bancaire, à des responsabilités relevant de la sphère des dirigeants.

Puis, toujours dans ce secteur, mais en prenant le risque de créer sa propre entreprise de conseil dans les domaines de la stratégie et de l’organisation bancaire, et ce, dès la première moitié de la précédente décennie.
Devant les analyses que lui permettaient cette approche privilégiée de la finance, dès 2005 Jean Marie se focalise sur la réglementation financière internationale, domaine en plein essor, marqué par l’évolution des normes et dont l’actualité des cinq dernières années, souligne l’urgente et l’impérative nécessité.

Sans doute cette prise de conscience est-elle d’autant plus remarquable, que sa pertinence, d’hier (c’est-à-dire d’avant la crise), est mesurable aujourd’hui lorsque l’on observe l’ampleur des désastres que génèrent l’absence de réglementation ou le détournement de celles-ci.

Cette activité débordante, Jean Marie la maîtrise par un sens aigu des priorités et de l’efficacité de ses interventions alliées à une modestie tout à son honneur ; ceux qui ont la chance de travailler avec lui profitent d’une pensée claire, directe, et qui puise à une lecture pragmatique de la société, de ses attentes, de ses errements ; guidée par une boussole sûre que donne le magistère de l’Eglise,

Aussi, pour nous parler de la famille, que dis-je de la « politique familiale », cher Jean-Marie c’est désormais à toi, dans le cadre de notre cycle d’étude « la famille, un atout pour la société »

Jean-Marie Andrès : Vous me donnez la parole pour parler de finance internationale mais pas de la politique familiale. Mais sans doute que les sujets vont se recouper.

Même si nous aurons l’occasion ça et là d’évoquer ce thème qui est commun avec celui de la crise financière, qui est un peu celui du libéralisme, et qui en fait est une valeur qui pénètre pas mal de choses dans la société.

Tout d’abord, je voulais vous dire mon bonheur d’être avec vous.
Évidemment, je suis un peu discret parce que je suis un peu réaliste.

Comme tous les militants, on est choisi non pour sa compétence mais plutôt parce qu’on se pense un peu plus disponible que les autres.

Toute ma vie, en particulier militante, a été caractérisée par le fait que, à chaque fois que l’on demandait un volontaire, j’étais en général le seul.

D’ailleurs, si j’ai toujours été élu avec des scores de Sud-Américain, ce n’est pas du tout à cause de mes origines mais bien parce que, en France, quand on veut réussir, il suffit de s’intéresser au monde dans lequel on n’est pas rémunéré et alors en général la « carrière » se fait toute seule.

Donc je suis très intimidé mais très intéressé par cet échange parce que c’est vrai que ce contact avec vous à qui on me donne accès me donne l’opportunité de conforter ce que j’ai finis par forger et ce que l’on pourrait appeler une doctrine.

Mais comme cette doctrine est parfois un peu dérangeante, je suis très intéressé pour en discuter parce que vos têtes bien faites me seront bien utiles pour une matière qui est terriblement vivante, comme nous allons le voir.

Car ce que je vais vous raconter c’est vraiment, finalement, le résultat d’une dizaine d’années d’interaction à la fois avec des adhérents des AFC, avec des représentants d’autres mouvements familiaux et beaucoup avec des décideurs politiques comme on dit aujourd’hui.

Donc ce n’est pas une pensée ni d’économiste ni de sociologue mais véritablement en fait d’homme de terrain. En effet, comme beaucoup de responsables, finalement, j’aurais été facilement assez preneur d’une théorie de la politique familiale suffisamment simple qui permettrait une communication efficace et grâce à laquelle du coup les AFC auraient 3 millions d’adhérents, de familles adhérentes, et on serait peut-être même choisi pour être ministre de la famille, ou quelque rôle important.

Malheureusement je pense que, comme nous allons le voir, la politique familiale est en fait une politique tout en petites touches. C’est par ces petites touches qu’on en fera quelque chose de véritablement utile, je pense, même si, quoiqu’il en advienne, c’est une politique qui ne produit ses fruits que véritablement dans le long terme.

Donc le message de fond c’est qu’il faut se hâter avec lenteur en matière de politique familiale parce que la famille finalement c’est toujours quelque chose qui porte ses fruits dans le temps.

Comme vous l’avez vu dans le petit texte aguichant que l’on vous a envoyé, aujourd’hui la politique familiale est une chose intéressante parce que, depuis des années, c’est une espèce de rendez-vous raté entre les familles, les mouvements politiques, la politique familiale, les responsables politiques et l’opinion publique.

Que se passe-t-il ?

Il y a plusieurs séquences possibles.

Il y a une séquence qui est : on n’a pas beaucoup d’argent, il faut essayer d’en trouver. Et donc subrepticement on va passer un petit coup que j’appelle “un coup de canif”. Ça c’est le fait de tous les gouvernements : gauche, droite, milieu. Ce soir mon propos n’est pas de distribuer des bons points même si de temps en temps on pourrait en mettre quelques uns, et cela vous fera plaisir certainement. J’ai aussi des tendances politiques donc vous m’excuserez par avance quand elles se verront. Et ces “coups de canif”, c’est essentiellement le résultat plutôt de la mesquinerie comptable et de l’empressement aussi à régler vite un problème qui n’est pas si simple.
Cela se traduit en général d’ailleurs par une déroute. On bat fréquemment en retraite quand on est homme politique en matière de politique familiale. Jupé s’en souvient, il y a eu de grosses manifs les années passées ; l’obligation qui a été faite de retravailler sur les suppléments dits avantages familiaux pour les retraites complémentaires par une décision européenne, a causé aussi de gros soucis au gouvernement ; la carte famille nombreuse a également été source de scandales. Bref.

C’est vraiment la politique dont on n’aime pas s’occuper quand on est un homme politique. C’est certainement parce qu’aujourd’hui on n’a fondamentalement plus aucun repère en matière de politique familiale. C’est ce que je vais développer.

Quand je dis cela, je pense aux hommes politiques qui n’ont plus beaucoup de repères. Mais les mouvements familiaux, et je suis prêt à en débattre avec mon voisin de droite ( Jean-Paul Guitton, président de l’UDAF des Hauts de Seine) mais là je crains qu’il m’appuie, même les mouvements familiaux donc, n’ont plus de repères. Par exemple l’UNAF aujourd’hui se trouve dans une situation où elle se réfère essentiellement à son dernier accord de consensus, établi en 1989, ou quelque chose comme cela, donc vous voyez que ce n’est plus tout à fait frais, et son message politique est essentiellement crispé sur cet accord suivant lequel c’est l’enfant qui fait la famille et que les allocations familiales sont une aide ou une contribution de l’État à l’éducation des enfants et puis, pour le reste, cela se concrétise par « ne toucher à rien ».

Le problème c’est qu’il va bien falloir toucher à quelque chose parce qu’à force de voir des politiques qui battent en retraite et les mouvements familiaux qui ne savent pas dire grand-chose et des familialistes qui partent en guerre avec des idées un peu simplistes, et bien en réalité la politique familiale sera mise en coupe claire essentiellement par ses financiers – que je connais bien – que moi j’appelle “investisseurs” et pas “marchés”, et qui ont la fâcheuse tendance à demander qu’on rembourse les dettes contractées. Et qui pourrait leur en vouloir quand on est militant familial ?

Ils vont demander en fait que les budgets de la France et que sa compétitivité soient rapidement rétablis. Et le problème c’est que, quand on n’a pas réfléchi à une politique familiale, on peut s’attendre à ce que celle-ci soit mise en coupe claire et pas forcément le sens le plus utile du terme.
Pour étayer ce propos, je me proposais de faire quelques études de cas. On peut les traiter tous, ou on pourra n’en traiter qu’une partie, suivant le déroulement de la soirée.

Parmi ces cas, il y en a un que j’ai trouvé très intéressant parce qu’il s’est soldé par l’effondrement d’une des parties les plus significatives de la politique familiale. Il s’agissait de cette fameuse bataille dite des MDA, des suppléments familiaux, des avantages familiaux propres aux retraites complémentaires.

Et je dois dire que le souvenir que cela me laisse, c’est que l’effondrement d’une de ces pierres angulaires de la politique familiale, c’est déroulée dans une indifférence quasi totale. Peut-être d’ailleurs vous ne vous en souvenez pas.

Et pourquoi c’est un effondrement ? C’est que ce qu’on a appelé “les avantages familiaux” ce qui hérisse le poil des militants familiaux, consistait simplement à donner un peu plus de retraite en particulier à ceux qui, au moment de la retraite, avaient élevé pas mal d’enfants. Sachant qu’on est dans un régime par répartition, pendant des dizaines d’années cela n’avait posé de problème à personne, chacun se disant que finalement le fait d’avoir des enfants devait contribuer au régime par répartition. Et ce principe-là s’est effondré soudain à l’occasion de la fusion AGIRC-ARRCO parce qu’en fait la caisse des cadres était largement déficitaire. Et ça s’est passé comme ça, avec des syndicats sans point de mire et des chefs d’entreprises dont le principal objectif était de réduire les charges sociales.

Je ne développerai pas cette position apolitique en fait parce qu’on vient de la décrire suffisamment. Finalement, la logique réformatrice était une espèce d’égalitarisme. On a aligné les avantages des cadres sur ceux des non-cadres, principe n° 1. Ensuite on a mis la barre à un niveau qui permet l’équilibre des deux régimes fusionnés. Vous avez là la nouvelle politique familiale de retraite en France, une non-politique en réalité.
Je ne reviens pas là-dessus parce qu’il n’y a rien à en dire.

En revanche, ce qui est plus intéressant, c’est ce que les ou des militants familiaux ont pu en dire. En définitive, pour eux, il ne fallait rien changer.
Je vous renvoie à leurs communiqués de presse. Je pense qu’ils doivent les rédiger à l’avance et qu’ils les sortent au fur et à mesure que le sujet se présente.

En revanche, je m’intéresserai à une prise de position qui était, je trouve, plus intéressante parce que très ambitieuse. Du coup les militants familiaux, en particulier ceux de nos mouvements l’ont trouvée très avenante, qui était celle qui consistait à fonder la politique des suppléments à la retraite sur ce qu’on appelle en langage sérieux la justice distributive, c’est-à-dire en fonction de l’apport de chaque famille à ce régime de distribution.

Concrètement cela consistait à dire que grâce aux familles d’aujourd’hui, dans vingt ou trente ans il y aura des enfants pour payer leur retraite. Et donc en bonne justice, tout enfant élevé doit en conséquence procurer aux parents un droit à pension.
Donc vous voyez, énoncé comme cela, pour les associations familiales en particulier les AFC qui est un militant familial solide, c’est extrêmement avenant.

Le problème c’est que c’est évidemment diamétralement opposé à la position qui a été prise, parce que non seulement cela allait contre une suppression des avantages familiaux mais au contraire, cela allait vers une accentuation de ces avantages.

Évidemment, derrière ces positions, vous avez une très forte orientation nataliste. Pourtant alors que le sujet de la natalité est désormais politiquement correct, cette proposition a été peu écoutée. Pourquoi ? Parce que, comme je vous le disais cela n’intéressait pas grand monde, sauf les militants familiaux, en particulier catholiques qui y étaient eux très favorables. Mais le problème c’est que c’est une proposition qui est probablement tellement coûteuse qu’elle est absolument inadoptable.

La deuxième problématique qui est beaucoup plus importante, est le présupposé que les déséquilibres actuels, qui proviennent des modifications assez profondes de la natalité française découlent de l’existence de ce qu’on appelle un “aléa moral”.

L’“aléa moral”, c’est quoi ? C’est : « moi, je vis en couple, la vie est belle et je me dis que je vais en profiter parce que de toutes façons, Jean-Didier Lecaillon, Jean-Dominique Callies et Jean-Paul Guiton ont suffisamment d’enfants pour payer ma retraite. Donc en aucune façon il ne faut que je fournisse l’effort, et Dieu sait que l’effort est pénible, d’élever des enfants ».
Donc cet aléa moral c’est que je profite de quelque chose – ma retraite future – qui de toutes façons est payée par d’autres.

Du fait de cette proposition qui était faite et de son attractivité, auprès notamment de nos troupes, nous avons été conduits à nous poser la question : est-ce que cet aléa moral existe ?

Là, en creusant un peu, on s’est rendu compte qu’il existait peut-être mais qu’il était extrêmement ténu.

Car en réalité aujourd’hui, il n’y a pratiquement que 3% des couples qui n’ont pas d’enfant. Donc en fait cet aléa moral existe mais il est marginal.

En plus, quand on y regarde d’un peu plus près, la motivation de ces couples sans enfant, ceux qu’on appelle childfree par opposition à childless, – l’anglais a parfois plus de précision que le français – c’est-à-dire les couples qui ont réussi à se libérer de l’enfant par opposition aux couples qui malheureusement ne peuvent pas en avoir : ceux que les Américains appellent les JINK : Two Incomes No Kinds, j’ai deux salaires mais pas d’enfant, ce qui suggère cette orientation hédoniste et égoïste et bien en réalité donc seulement 3% pourraient relever de cet hédonisme et de cet égoïsme et en plus, leurs motivations sont assez diverses, assez complexes et surtout toujours plutôt malthusiennes ou désespérées que réellement égoïstes.

En effet, quand on voit la liste des motifs de ces couples pour esquiver la procréation, c’est plutôt le respect de la planète, vous savez bien que l’homme pollue donc pourquoi faire autant d’enfants ; le respect de la société, « mon fils ne sera pas à la hauteur donc je ne veux pas faire peser cette charge pour la société » ; le respect aussi de l’enfant : « je ne peux pas faire cela à un enfant, l’amener à la vie, c’est tellement pénible que… »

Je ne rentre pas dans le détail mais quand on constate cela, on voit bien que l’aléa moral est assez faible et c’est plutôt une espèce de témoignage de désespérance qu’il y a derrière ce refus de la procréation.

Quand on creuse l’existence de cet aléa moral : on retrouve aussi des études qui mettent en évidence que les femmes qui n’ont pas d’enfant, ont souvent des niveaux d’étude très élevés, ce qui pose le problème de leur travail professionnel mais on se rend compte aussi que ce sont en général des femmes sans religion.

Bref, on voit que la problématique de la procréation, d’avoir ou pas un enfant, de la relation à l’enfant dans la société c’est en fait moins une problématique de nature égoïste qu’une problématique sociétale au sens fort.

Donc, première conclusion intermédiaire, si l’on veut bâtir une politique familiale efficace et effectivement juste puisqu’en fait c’était bien le but de cette théorie que je vous présente, en réalité, le premier point d’attention est que la politique fournisse les incitations ou des messages tels que les attend la société.

Donc là nous voyons qu’une politique nataliste aujourd’hui doit en particulier s’arrêter sur cette problématique d’une société qui au sens strict n’a pas de sens, c’est-à-dire qu’elle ne sait pas où elle va. Et on ne peut pas demander aux gens d’avoir des enfants s’ils ne savent pas où ils vont. C’est assez banal.

La faiblesse de cet aléa moral a été confortée par une autre observation, une observation banale et publique. Celle qui est que les femmes et les ménages en France ont moins d’enfants que ce qu’ils désirent. On dit souvent qu’en moyenne, le couple voudrait avoir 2,6 enfants, alors qu’aujourd’hui ils en ont entre 1,9 et 2,1 selon les statistiques. On voit qu’il y a un décalage assez significatif en fait entre le désir d’enfant et la réalité vécue.

Du coup, puisque cet aléa moral existe peu, qu’il attend des réponses précisément morales, on a essayé, aux AFC, de se poser la question : mais dans le fond, quels sont les problèmes majeurs que les Français ont quand il s’agit de se placer dans le contexte d’une paternité responsable ?

Nous avons identifié – ce n’est pas quantifié, ce n’est pas scientifique, cela c’est le privilège des mouvements politiques qui ont le droit d’agir sans nécessairement avoir fait des études très approfondies – que la première cause de cette insuffisante natalité est certainement dans l’instabilité familiale.

Il y a plusieurs raisons qui suggèrent cette explication. La première chose c’est que, aujourd’hui, les couples se disent : je vais faire couple plusieurs fois dans ma vie et comme, à chaque fois j’aurais envie d’avoir un enfant au moins, si je commence par en faire 5, cela fait 3×5 = 15, cela commence à faire une très belle famille ! Ils entrent dans une espèce d’abstinence prévisionnelle qui leur fait dire : si j’en voulais 3, j’ai intérêt à ne pas me presser trop parce que de toutes façons, comme je vais changer de partenaire, comme on dit aujourd’hui, il faut qu’il me reste un peu de potentiel d’éducation et de patience (je reviendrai sur ce problème de patience).

De manière générale de toutes façons le divorce, et d’une façon générale l’instabilité parce que l’instabilité existe aussi dans le pacs est perçue évidemment par les couples comme un moment d’extrême traumatisme.

On a eu beau modifier le code de la famille, essayer d’adoucir la pilule du divorce, de toutes façons les Français, qui ne sont pas raisonnables j’en conviens, continuent à penser que le divorce est une période d’extrême traumatisme pour eux et pour leurs enfants.

Donc, comme l’instabilité familiale est une réalité incontournable, on se dit aussi qu’il faut avoir des enfants, c’est vraiment inscrit dans la personne, mais pas trop en avoir puisque l’instabilité de la vie est une évidence et que le traumatisme de la séparation est une fatalité. Cela aussi, cela réduit la perspective d’enfants.

Troisième blocage, empêchement majeur que nous identifions, c’est précisément en fait la difficulté de l’éducation.

Aux AFC, nous proposons une petit formule qui consiste à rassembler des ménages au sein de ce que nous appelons « un chantier d’éducation ».
Il y a à peu près 600 foyers d’éducation en France. À chaque fois il y a à peu près une dizaine de familles qui sont rassemblés, vous voyez, nous en brassons un nombre considérable. La grande constante de ces parents qui viennent dans ces chantiers, c’est leur anxiété vis-à-vis de l’éducation.
Pourtant encore une fois, je vous laisse imaginer qu’aux AFC on a des parents « biens sous tout rapports », c’est-à-dire qu’ils ont des repères là où les autres n’en ont pas. Mais malgré cela, ils ont un stress considérable à l’égard de l’éducation et nos chantiers rencontrent un succès considérable.

Là encore, ce stress à l’égard de l’éducation, c’est-à-dire : comment je vais m’y prendre ? Quels sont les points difficiles ? L’adolescence, c’est un cauchemar. Ce stress donc est extrêmement nuisible à la natalité française.

Autre point considérable aussi c’est : en toute hypothèse le premier problème pour les parents c’est la situation professionnelle future de leurs enfants.

Tous se disent : de toutes façons, je devrai assumer des études chères et longues.

Chères dès la petite enfance parce qu’aujourd’hui le répétiteur, le petit cours, etc, font partie du menu obligatoire. Et puis en plus c’est ensuite les études supérieures qui sont de plus en plus coûteuses, de préférence pas à la faculté (je dis ça parce que je suis indélicat à l’égard du président de l’Académie) donc c’est toujours l’école de commerce trop chère, etc.

Donc là-dessus, on sait que de toutes façons, si on veut avoir ces moyens, il faudra n’avoir que peu d’enfants.

Donc, clairement, c’est une difficulté.

Et de manière générale, l’éducation est quand même massivement perçue aujourd’hui comme ce que j’appelle un pensum, c’est-à-dire une source d’inquiétude. Les parents sont stressés par cette activité qui devrait pourtant leur être naturelle.

Enfin, et c’est très important, en particulier pour ce qui concerne cette histoire de supplément de retraite, c’est que la situation économique des ménages qui est fragile.

Elle est fragile à court terme parce que la perspective du chômage en France est une réalité extraordinairement pesante. Il faut quand même savoir qu’on l’on vit depuis des dizaines d’années avec des taux de chômage exceptionnels. Et donc aujourd’hui aucun ménage ne se dit qu’il sera épargné par le chômage. Et il n’y a plus un diplômé de l’enseignement supérieur d’ailleurs qui nous dise que tout se passera bien. Dans toutes les promos vous avez le gars qui ne trouve pas de travail, qui est en chômage longue durée, etc., polytechnique, et tout ce que vous voulez.

C’est une première chose.

Je passe sur la perspective du divorce qui est également, d’un point de vue financier, extrêmement dommageable.

Et enfin, c’est là où le chien se mord la queue, la perspective de devoir épargner pour sa retraite parce qu’aujourd’hui on sait que la retraite par répartition ne devrait plus suffire, conduit les ménages à devoir dégager ce qu’on appelle « l’épargne marginale » pour constituer un complément de retraite. Or beaucoup d’enfants, c’est peu ou pas d’épargne marginale.

Je ne sais pas si, après l’exposé tel que je le fais, on aura encore envie d’avoir des enfants. Je trouve que les Français sont même plutôt optimistes face à tout ce qui les attend.

Mes conclusions c’est que en définitive les acteurs en présence autour de la politique familiale sont d’une part des politiques qui n’ont pas beaucoup d’idées sur les choses sinon qu’il faudrait réduire les déficits.

Des syndicats de patrons et de salariés qui n’ont pas de doctrines autres que l’égalitarisme, ou l’évacuation des charges salariales (on y reviendra tout à l’heure dans la deuxième étude de cas).

Et puis des mouvements familiaux qui soit ont pour ligne de mire le statut quo, soit proposent des projets qui ne répondent pas du tout à la réalité du problème que la France doit traiter en l’occurrence en matière de retraite.

Je pourrais aussi, dans le cadre de cette étude de cas, développer les différents défauts de cette approche par la rémunération de la natalité. Mais je ne prendrai que quelques objections que je trouve particulièrement importantes.

La première c’est que l’idée même de “rémunérer” le fait d’avoir eu des enfants et que ceci contribue à la retraite par répartition, le fait de le rémunérer au moment de la retraite, pose plusieurs problèmes difficiles.

Le premier c’est que vous donnez des caramels aux personnes au moment où elles n’ont plus de dents pour les mâcher. Je trouve même étonnant d’oser faire cette promesse à très long terme. Personnellement, je ne la trouve pas motivante.

Le deuxième problème c’est que des approches de ce type de proposition entretiennent l’idée de « retraite grandes vacances ». Et donc cela entretient un rapport au travail monstrueux. C’est que la vie, en gros, a deux phases : la phase goulag et après la phase club med’. Et cela, c’est quelque chose d’objectivement monstrueux.

La troisième chose c’est que – c’est d’ailleurs le problème de toutes les politiques natalistes – ça établit une relation entre les familles et l’État dont l’histoire témoigne qu’elles engendrent de nombreuses perversités. D’abord parce que les politiques natalistes sont rarement pérennes. Donc en fait, il y a quand on encourage, quand on n’encourage plus…

Une autre chose c’est que ça crée des comportements déplorables. Dans les îles françaises, dans les DOM-TOM, on appelle ça « l’argent braguette ». Il suffit de citer le terme qu’ils emploient pour comprendre qu’on est plutôt en face de chasseurs de prime et que ceux-ci ne sont pas toujours préoccupés par la qualité de l’éducation qu’ils vont donner aux enfants qui naissent d’un intérêt très particulier.

Et puis, c’est que c’est une notion qui, à mon avis n’est pas moderne au sens où nous sommes aujourd’hui, et la politique familiale doit le prendre en compte, à un moment où les politiques doivent se construire aussi dans un contexte où le Français demande moins d’État.

Alors s’il continue à demander de l’argent de l’État le Français demande quand même d’une manière générale moins d’État.

Ceux qui ont en charge l’évolution de la politique familiale doivent donc avoir aussi à cœur de demander l’autonomie de la famille par rapport à l’État et en particulier en matière de politique familiale.

Donc dans ce contexte nous, les AFC, avons été conduits plutôt à favoriser ce que nous appelons la politique d’un véritable libre choix c’est-à-dire au moment d’élaborer une politique familiale de se poser la question : qu’est-ce qui fait qu’une famille pourra effectivement choisir d’avoir les enfants qu’elle veut avoir ?

C’est plutôt prospectif, c’est plutôt encourageant, c’est plutôt miser sur la liberté, l’autonomie. Je dirais d’ailleurs que de ce point de vue-là, le Créateur a tellement aimé la liberté qu’il a même pris le risque que son fils soit crucifié. Je ne vois pas pourquoi on serait plus restrictif que le Créateur à l’égard de sa créature. Aussi a-t-on raison de parier sur l’autonomie des familles et sur la qualité de leurs choix.

Dans ces conditions, la politique des AFC s’est peu centrée sur les avantages familiaux, qui d’ailleurs progressivement correspondent moins au besoin des familles parce que de plus en plus les familles ont deux salaires, etc. mais plutôt sur le problème des retraites complémentaires.

En revanche les AFC se sont penchées sur les familles nombreuses. En effet, les familles qui ont des enfants, la première chose qu’elles suppriment c’est l’épargne marginale : il faut donc les aider à constituer cette épargne complémentaire.

Et deuxième point, les AFC ont porté certains problèmes graves même s’ils sont moins fréquents pour l’ensemble des Français. Car traiter un certain nombre de cas qui sont moins fréquents est un des défis de la politique familiale.

Et parmi les cas « moins fréquents », qui sont en revanche très fréquents au sein des AFC, il y a celui des familles très nombreuses, celles-ci se trouvent face aux mêmes problèmes que les autres, en particulier financiers mais, chez elles, ils sont décuplés. Il y a aussi le cas spécifique des femmes qui font le choix de ne pas avoir d’activité professionnelle.

Ce sont des problèmes importants, mais il faut savoir que ce ne sont pas les problèmes les plus importants pour les Français. En particulier, parce que, désormais, les femmes qui choisissent de ne pas poursuivre une carrière professionnelle sont de moins en moins nombreuses. Aussi nous avons bien conscience que nous tenons, sur cette partie de notre discours, un langage délicat qui est beaucoup plus difficile à faire passer parce que les enjeux politiques là-dessus sont évidemment moins forts s’agissant de ce qu’on appelle une minorité.

Voilà pour cette première étude de cas.

Je voulais faire une deuxième étude de cas un peu complémentaire qui est pour le coup assez différente c’est l’étude de cas de la TVA sociale.

C’est une étude de cas assez simple en réalité.

Elle illustre bien le premier point que nous avons analysé ensemble qui est celui de la politique qui se construit par la contrainte budgétaire.
Même si la TVA sociale a un côté un peu révolutionnaire, c’est quand même d’abord quelque chose d’inventé à la sauvette pour régler le très gros problème d’une France confrontée à la crise qu’on appelle « la dette souveraine » et qui du coup doit démontrer aux investisseurs internationaux et sans doute nationaux aussi qu’elle s’oriente désormais vers une politique budgétaire extrêmement sérieuse.

La mécanique a consisté purement et simplement à dire : il faut soulager, pour qu’elles deviennent plus compétitives, les charges sociales des entreprises et pour ça il faut trouver une manière différente de couvrir ce que l’on appelait « la spécificité du modèle social français » en s’assurant de revenus par impôts. Bien.

Peut-être que personne s’en souvient mais on a accepté en quelques semaines ce que pendant des années et des années on a combattu bec et ongle et qui s’appelait jadis « la budgétisation des allocations familiales » et qui avait même suscité une manifestation dans la rue.

Vous voyez, ce qu’on appelle aujourd’hui « la pression des marchés », si on ne vient pas en matière de politique familiale avec des idées claires et actionnables, ce sera sanctionné par le rouleau compresseur.

Je ne veux pas me montrer critique au sens négatif du terme. Il y a de bonnes choses dans cette TVA sociale. Mais le moins qu’on puisse dire c’est que ce n’est pas une bonne idée parce que ce n’est pas une idée aboutie, parce que ça consiste juste en fait à traiter le problème de : il faut soulager les charges sociales des entreprises.

Mais en faisant ça on est entrain, par exemple, de prononcer le divorce définitif entre le monde du travail et le monde de la famille.

Déjà, vous le savez tous, les patrons ne s’intéressaient pas du tout à la politique familiale depuis des années. Ils avaient quitté pendant très longtemps la table de travail de la caisse des allocations familiales. Quand ils n’auront plus de charges sociales, je vous garantis, vous ne verrez plus aucun patron à une aucune table de négociation. Or la famille et l’entreprise, c’est quand même deux mondes qui se côtoient quotidiennement.

Cela, c’est juste pour montrer que cette bonne idée, parce que, encore une fois, elle a plein de qualités, mais je ne suis pas là pour vous développer les qualités de cette mesure, elle porte en elle des vices profonds.

Deuxième vice profond c’est que elle a été calée par des cabinets de ministères, on s’y est dit : « quels sont les niveaux de CSG et de TVA supportables ? C’est à peu près l’équivalent des charges sociales jusqu’à deux fois et demi le SMIC. Parfait on va se caler là ».

Résultat ? On a fait une réforme qui ne permet aucune intelligibilité de la politique familiale française. Pourquoi deux fois et demi le SMIC ? On n’en sait rien.

Qu’est-ce que les patrons continuent à payer et à financer dans les prestations de la CAF ? On n’en sait rien.

On sait juste que cela s’est arrêté là parce que, la TVA, on ne pouvait pas l’augmenter plus que…

Au total, on a de plus en plus une politique familiale qui est totalement illisible.

Or, une politique familiale illisible, c’est une politique familiale en danger.

Et la fois prochaine, on va encore faire du travail au curseur et la signification de la politique familiale va continuer de disparaître.

Pourquoi est-ce grave ? Évidemment parce que moins on comprend la politique familiale, plus elle est en danger.

Penser qu’aujourd’hui le quotient familial qui est le pilier de la politique familiale française, pour la moitié des Français est une monstruosité ! C’est même une niche fiscale c’est-à-dire quelque chose qui permet aux riches de payer moins d’impôts.

Pensez que cette notion, qu’on explique, nous, d’une manière compliquée, celle de la solidarité horizontale, est devenue totalement incompréhensible.

Et bien cette TVA sociale, cette espèce de machin partiel, concoure en fait à cette illisibilité progressive de la politique familiale.

Pourquoi est-ce qu’on en est venu là ?

Moi, il me semble que c’est une dérive qui a commencé très tôt, en fait. Elle a commencé à peu près avant la guerre de 39-45.

Je dis ça pour ne pas culpabiliser. On n’est pas plus bête finalement aujourd’hui qu’on ne l’était déjà à l’époque.

Et cette dérive, elle est venue de cette espèce d’euphorie symbolique que le Français en général a voulu attacher à la politique familiale.

Je m’explique…

À l’origine, les quelques patrons qui, dans les années 20, ont mis en place la politique familiale, les allocations familiales pour les appeler comme ça, c’étaient des personnes extrêmement pragmatiques.

Ils étaient soutenus par un peu de philanthropie sans doute. Beaucoup de philanthropie même parce qu’à l’époque, il y avait quand même des cas très difficiles de misère dans le monde ouvrier par le seul fait d’avoir des enfants.

Et ils étaient mus aussi par l’intelligence. Car quand on est intelligent, on comprend rapidement que c’est une bonne idée de renouveler la force de travail et que si les ouvriers n’avaient pas d’enfant c’était à terme la force de production qui était menacée. Comme toujours, les bonnes politiques sont celles où il y a de nombreux bons motifs.

Aussi, ils ont inventé quelque chose dont on pense que c’est les allocations familiales mais ce n’est pas du tout les allocations familiales. Ils ont inventé une sorte de péréquation salariale qui permettait de donner plus aux familles qui avaient des enfants à partir d’une masse salariale qui était ce qu’elle était… (De toutes façons ce sont les patrons qui financent la masse salariale. Donc est-ce que c’est les patrons qui vont financer ou les ouvriers ? C’est une question oiseuse. La masse salariale, c’est l’entreprise qui la génère, c’est comme cela.)

D’ailleurs, c’était à ce point une péréquation ou une compensation comme on l’appelait à l’époque, qu’ils avaient créé des caisses non pas d’allocation mais de compensation et que ces caisses de compensation, elles avaient été confiées à la gestion de coopératives ouvrières. Donc on répartissait bien la masse salariale entre ouvriers.

Malheureusement, je le dis sans agressivité, la dérive est venue en fait de la fusion progressive de ces caisses de compensation qui, ce faisant, se sont transformées en caisses d’allocation. Et en transformant en caisses d’allocation on a fini par nourrir l’extraordinaire ambition, la généreuse ambition en fait, de faire de cet outil un outil de politique d’État, de politique familiale d’État. Et, de fil en aiguille, c’est l’État qui a fini par verser, non un salaire de péréquation, mais ces contributions à l’éducation des enfants. Et c’est d’ailleurs encore comme cela que l’UNAF définit les allocations familiales.

Le problème c’est donc qu’on a quitté le monde de la péréquation qui était parfaitement compréhensible par le monde du travail. Pour le patron, c’était bien quelque chose qu’il était capable de valoriser auprès de ses ouvriers : venez chez moi, il y a une politique familiale.

Et on l’a transformée en quelque chose qui était devenue politique d’État, pas du tout une politique de patronat.

Je vous cite les mots de Xavier Bertrand lors des vœux aux représentants syndicaux cette année, où il expliquait la TVA sociale : « Vous comprenez, en France, quand on paye X à un salarié, on paye beaucoup plus de charges sociales que quand on paye X en Allemagne à un salarié allemand ». Cela veut dire que, pour lui, dans le “X”, il n’y avait absolument pas les allocations familiales.

Vous imaginez bien qu’en 1920, il n’aurait pas du tout tenu le même raisonnement. Dans le “X” en question, il aurait intégré cette péréquation !

Cela matérialise le fait que la politique des allocations familiales françaises aujourd’hui, c’est devenu l’ennemi du monde du travail.

C’est un des responsables de la sous-compétitivité de la France.

Bonne chance aux militants familiaux ! parce que, s’ils pensent qu’ils vont maintenir les allocations familiales dans un contexte pareil, je pense qu’ils se font des illusions graves.

Donc on voit bien que la protection de ce fameux modèle social français, elle ne passe pas par une réflexion autour de « qui doit financer ? » ces allocations familiales. Elle doit se poser aussi la question de : pourquoi on les a universalisées ? Ce qui s’est produit avant-guerre.

Car la deuxième faute a consisté à universaliser cet outil qui avait une finalité très précise pour le monde salarié dans l’entreprise. Ah, ce mot d’“universalisation”.

On l’a d’abord universalisé aux cadres qui, à l’époque, n’avaient pas un besoin aussi criant que les ouvriers. On l’a généralisé aussi aux patrons.
Ensuite, on l’a aussi généralisé aux commerçants et on l’a aussi généralisé aux cultivateurs.

Évidemment, c’était généreux. Moi, je ne veux pas paraître d’esprit critique purement négatif, mais vous comprenez, entre les difficultés spécifiques du monde ouvrier dans une société industrielle et la particularité du monde familial dans un monde rural où le noyau familial était réuni en permanence, où les enfants… Vous voyez bien que cette espèce d’universalisation… Mais la France était riche alors, et distribuer de l’argent quand on est riche, ce n’est pas un problème.

On a fait avec beaucoup de générosité ce pas d’universalisation, mais on voit bien qu’aujourd’hui où la France est singulièrement moins riche, que du coup reviennent au galop mille problèmes : vous donnez de l’argent à ceux qui n’en ont pas besoin, etc.

Donc si on veut revenir à plus de visibilité, il convient de se poser la question de : oui, il faut que les entreprises continuent à financer une partie de la politique familiale mais certainement pas tout et surtout pas ce qu’on peut appeler la politique familiale de solidarité ou la politique familiale dite sociale ou palliative. C’est-à-dire que verser de l’aide au logement ce n’est pas le travail de l’entreprise. S’occuper des foyers monoparentaux, ce n’est pas le sujet de l’entreprise. Etc.

En revanche, faire en sorte que ses salariés effectivement aient une rémunération correcte, puissent accueillir des enfants, puissent avoir une souplesse de travail qui leur permettent de diminuer, grâce à ces allocations, leur activité professionnelle quand ils en ont besoin, cela, c’est quelque chose qui intéresse les parents. Et les entreprises.

D’une certaine façon, cette TVA sociale, comme on l’appelle, ce qui lui manque, c’est de dire de manière beaucoup plus explicite ce qu’elle finance et en même temps de préciser ce que le patron doit continuer à financer.

Cela n’a pas été fait et personne ne s’intéresse à le faire.

Si l’on veut rétablir une politique familiale durable on voit qu’il se dégage un certain nombre de principes parmi lesquels je n’en citerai que quelques uns.

Un premier principe qui est que les choses, les éléments de politique familiale doivent être lisibles. Les Français, les patrons, les syndicats doivent comprendre à quoi servent les prestations qui sont servies et ils doivent comprendre pourquoi c’est eux qui y contribuent. Pourquoi cela relève d’une charge sociale ou pourquoi ça relève de l’impôt.

La deuxième chose, c’est que il me semble que nous devons être extrêmement soucieux que la politique familiale réponde aux besoins des familles telles qu’elles sont aujourd’hui. Comme vous êtes des personnes de bonne foi, vous ne comprenez pas dans « telles qu’elles sont aujourd’hui » au sens « dans le laxisme qui est le leur », mais bien dans les difficultés qu’elles sont entrain de vivre. Je l’ai développé tout à l’heure : ces angoisses de l’éducation, l’instabilité familiale, les difficultés économiques qui existent aussi et qui, par exemple, peuvent conduire à des politiques familiales où on pourrait penser donner la priorité au chômage. Est-ce que la réduction du taux de chômage en France ne serait pas, par hasard la première priorité de la politique familiale française ? Question.

Troisième chose. Est-ce qu’il n’y aurait que des politiques exclusivement financières ?

La fragilité du couple, aujourd’hui, n’est pas une cause nationale. On lui préfère la solitude.

C’est simple. Car il n’y a rien de pire pour un politique que la prévention.
La prévention, c’est quelque chose qui ne dépense pas beaucoup d’argent et qui ne fait pleurer personne. Pourquoi ? Parce que, quand une politique de prévention est efficace, il n’y a plus de pauvres.

Or, un politique, pour se faire élire, a besoin de pauvres. Ça, c’est vraiment le truc dont je me suis occupé. Aujourd’hui on ne s’occupe pas – alors, j’exagère un peu parce que madame Bachelot a eu la gentillesse de s’intéresser à la préparation au mariage civil et on l’en sait gré, donc il y a quand même quelques petites choses qui se font – mais on préfère, quand on est politique, dépenser de l’argent et de préférence sur les politiques palliatives.

Or les politiques familiales ont besoin d’abord de préventif.

Quatrième chose, je pense que nos familles, et en particulier les familles catholiques, ont une considérable fringale de reconnaissance sociale.

C’est beaucoup pour les familles (je vais essayer de le dire de manière amicale parce que j’ai une manière de m’exprimer qui me crée souvent beaucoup de soucis).

Je pense que nos familles, et en particulier les familles catholiques, ont une considérable fringale de reconnaissance sociale.

Je ne sais pas à quoi cela tient d’ailleurs. Est-ce parce qu’on a le sentiment d’être un peu devenu une minorité, d’avoir perdu toutes les guerres pendant vingt ans ? Je ne sais pas.

En tout cas, cela nous conduit à développer une espèce de pathologie de la recherche de la reconnaissance par l’État. On devient très sensible à des discours autour de : le salaire maternel, les avantages familiaux… Je crains que, ce faisant, nous donnions une image de la famille extrêmement péjorative, où il ne se passe que des choses difficiles, où on ne fait que des sacrifices. Et moi, je suis désolé, ce n’est pas l’expérience que j’ai de la famille.

La première expérience de la famille, c’est quand même des solidarités extraordinaires et donc, arrêtons de diffuser un discours de la famille, c’est une charge ! Je ne dis pas que tout y est facile, mais n’entretenons pas ce discours en faisant couler des larmes pour obtenir de l’argent. C’est extrêmement dangereux.

Je conclurai peut-être en vous proposant une phrase tirée de Caritas in Veritate et qui pourrait être notre ligne de crête : « La charité dépasse la justice ». Il convient donc, vous voyez, en matière de politique familiale, de s’assurer que l’on ne fait pas seulement droit à la justice « parce que aimer, c’est donner, offrir du mien à l’autre ». Bâtir une politique familiale, où l’on masque dans une certaine mesure (avec l’usage des termes de justice, salaire familial, etc.) cette nécessité de donner, est un problème.

« En même temps, ajoute Benoît XVI, la charité n’existe jamais sans justice ». On ne peut pas bâtir une politique familiale sans donner aux familles ce qui leur revient.

Là, il faut nous montrer concrets. Nous entrons dans un moment où la France va avoir moins d’argent. C’est comme cela. On y est un peu pour quelque chose. Il va falloir accepter des sacrifices ou des réductions.

La bonne manière c’est de valoriser les bénéfices non économiques et matériels de la famille. Ils sont très nombreux, on pourrait y revenir. Mais, en même temps, il faudra rester extrêmement attentif à régler un certain nombre d’excès qui existent effectivement dans la politique de la famille, (par exemple, la justesse des parts prises en compte, pour chaque enfant en fonction de son âge, dans le calcul du quotient familial, qui se révèlent sans doute généreuses quand les enfants sont jeune et insuffisantes quand ils sont plus grands).

Mais aujourd’hui, nous avons trop tendance à déployer des positionnements en politique familiale qui sont ou tout l’un ou tout l’autre. Ou on coupe tout aux uns ou on coupe tout aux autres ou on demande tout. Ce n’est plus possible.

La conclusion de cette phrase de Benoît XVI c’est que la redéfinition des politiques familiales va demander d’investir avec beaucoup de précision – mais c’est bien parce que c’est comme cela qu’on obtient de véritables consensus – sur la bonne compréhension des besoins effectifs des familles en France.
J
e l’ai montré tout à l’heure, il y a des besoins moraux et économiques extrêmement précis. Il faut y répondre si on veut que le Français contribue convenablement à la natalité et encore mieux réponde à son désir d’enfants. Si finalement, renouveler les générations, c’est 2,1-2,2, pourquoi ne pas offrir aux Français le 2,6 dont ils rêvent ?

Et je crois qu’une bonne politique familiale, ce ne sera pas une politique familiale qui renouvelle les générations, ce sera une politique familiale qui épanouit les familles.

Elle sera donc économique mais elle sera également morale.

ÉCHANGE DE VUES

Le Président  : Merci pour votre intervention qui vient, ce n’est pas une surprise, compléter et éclairer un certain nombre de propos qui ont été tenus ici par ceux qui vous ont précédés. Vous nous avez plus particulièrement fait bénéficier de votre expérience personnelle mais aussi militante. Vous nous permettez de rendre plus concrètes nos réflexions et vous nous offrez des perspectives d’actions. En tout cela vous avez pleinement répondu à nos attentes.

Nicolas Aumonier : Cher Monsieur, merci de votre réflexion si éclairante et si profonde.

Si je vous ai bien compris, il semble que vous soyez favorable à un retour aux caisses de compensation patronales.

Est-ce que cela ne présuppose pas que les patrons cherchent à fidéliser leurs employés plutôt que de se séparer d’eux à la première occasion, et de favoriser la culture de l’infidélité qui voit tant de cadres changer si souvent d’entreprise ?

Jean-Marie Andrès : La question de la fidélité est une question assez difficile parce que d’abord on risque de lui apporter des réponses théoriques dans la mesure où de toutes façons l’entreprise est aujourd’hui dans un contexte mondial et donc il faudrait raisonner cette fidélité en fait dans ce contexte mondial avec des cultures en présence assez diverses.

Ceci étant, il y a des manières modernes d’aborder la fidélité à l’entreprise puisque la première chose c’est que de très nombreux groupes continuent à investir beaucoup d’argent dans ce qu’on appelle “la culture d’entreprise”.
Cela va d’Instituts de formation interne – j’ai un fils, par exemple, qui présente un certain nombre de concours pour entrer dans leurs entreprises, dans leurs instituts de formation – Siemens en a un, Général Electric en a un…

Donc cette création de culture a comme résultat la fidélisation. Moi, je travaille presque quotidiennement avec des personnes d’AXA, vous ne rencontrez pas un collaborateur d’AXA qui n’ait pas un pins d’AXA. Ils se font un devoir de s’afficher comme collaborateurs d’AXA.

D’une certaine façon, je pense que ce lien de fidélité est beaucoup fort que ce que l’on pense parfois. Simultanément, pourtant on ne peut que constater que les réalités économiques et le mode très « transactionnel » de travailler. On travaille ensemble tant qu’on s’entend bien, tant que le contrat nous convient et après on change.

Mais malgré tout je pense que la fidélité existe.

Alors pour ne pas m’aventurer sur ce domaine que je connais un peu par expérience en tant que conseil d’entreprise mais pour revenir à la problématique de la politique familiale, un retour à l’histoire ne veut pas dire un retour complet à l’histoire. Il n’y a pas de nécessité mécanique.

En l’occurrence, ce retour à l’histoire, je ne le désire pas par conservatisme.
Je le désire essentiellement parce que, en tant que militant, voyant la politique familiale française attaquée, je me suis posé la question : mais pourquoi est-elle attaquée ? Pourquoi est-elle attaquée maintenant et pas avant ? C’est pour cela que je m’y suis intéressé. Je ne suis pas du tout un historien de la politique familiale, mais c’est utile de regarder ce qu’elle était et ce qu’elle est devenue.

C’est comme cela que j’ai observé des différences et que j’ai trouvé que dans ce qu’elle était au départ il y avait peut-être des choses plus attrayantes pour le patron qu’elles ne le sont aujourd’hui.

Vous voyez, mon raisonnement reste très simplet.

Il se trouve que j’en parle à certains patrons et qui trouvent que ce n’est pas idiot. Donc c’est assez avenant aussi.

Moi-même comme j’ai eu des responsabilités comme on dit aujourd’hui “manageariales”. J’ai fait pas mal de recrutements pendant un temps à l’étranger pour une entreprise française pour attirer des gens extrêmement diplômés, assez cher payés – comme je travaille dans la finance, cela ne me surprend pas – pour qu’ils viennent en France.

Ce qui est incroyable, ce sont les « chasseurs de têtes ». Quand ils font une proposition salariale à un étranger, ils mettent en valeur les allocations familiales.

Donc il s’agit moins d’un retour à l’histoire que d’un retour à l’essence des choses.

C’est vrai que comme le disait le Père de Monteynard « les choses avaient assez duré pour remplacer les causes qui les avaient fait naître ». En matière de politique familiale, c’est aussi simple que cela.

Aujourd’hui les allocations ont tendance à s’auto-justifier. Je pense qu’en fait on n‘a plus les moyens d’une politique idéaliste ou d’une politique familiale comprise, ce serait déjà un progrès.

Donc, vous voyez, ma démarche est toute modeste.
C’est un autre sujet, il faudrait donner la parole à un patron.

Jean-Marie Schmitz : Je suis retraité, un peu actif, et j’ai fait toute ma carrière en entreprise.

Vous avez abordé un volet qui parlait d’une soif de reconnaissance sociale dans certains milieux familiaux que vous côtoyez, que nous côtoyons. Une raison majeure de cela n’est-elle pas le fait que la femme qui s’occupe de son foyer et de ses enfants est, dans notre culture sociétale, réduite, comme le disait élégamment madame Yvette ROUDY au rang de « légume ». Et que si on veut valoriser la famille, il y a autre chose à mettre en valeur que la femme qui fait carrière, change régulièrement de compagnon, et ne s’occupe de ses enfants, qu’ en leur donnant de l’argent.

Vous nous avez dit que ce serait bien de passer du seuil de renouvellement des générations – 2,1- à ce que souhaitent effectivement les gens, 2,6.
Pour y parvenir, quelle différence faites-vous, entre une “politique nataliste” que vous m’avez paru rejeter et une politique familiale que vous appelez à juste titre de vos vœux. Elles me semblent avoir nombre d’objectifs, de ressorts et d’effets en commun.

Jean-Marie Andrès : Je vais commencer par cette deuxième question.
Une bonne politique familiale est nataliste.

Il n’est pas très facile de qualifier la politique de nos voisins. Nous savons qu’ils ont fait des choses parfois avec succès, les Allemands, etc.

Nous savons qu’ils admirent beaucoup nos politiques familiales mais qu’en général ils ne copient pas. Ceci est intéressant.

Vous n’avez pas idée des heures que nous passons avec des formations politiques étrangères en France pour leur expliquer la politique familiale française.

Cela veut dire quoi ? Cela veut dire que tout est bien dans ces chiffres 2,1-2,6. À partir du moment où le Français désire 2,6 enfants, on n’a plus besoin de faire une politique nataliste d’une certaine façon. Et donc je peux m’affranchir de tous les risques d’une politique nataliste. Et du coup, je peux m’arrêter à ce qu’on peut appeler une vraie politique familiale c’est-à-dire à celle qui du coup va plus loin que les politiques financières. En particulier parce que les politiques financières, elles ont parfois une caractéristique très négative qui est de faire simplement de la distribution d’argent. Or on a besoin d’argent pour faire de la politique familiale, mais cet argent doit combler des problèmes bien identifiés.

Typiquement, en France, il y a maintenant trente ans, on a développé des politiques familiales extrêmement dispendieuses. Elles sont terriblement inefficaces. On dépense des sommes incroyables à des allocations logement, etc. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que leur maîtrise par le politique français n’est pas brillante du tout. Elles sont même en dégradation permanente.

Il n’y a qu’à voir les contorsions du journaliste qui essaie quand même de se convaincre que la France a une assez bonne natalité pour essayer d’ergoter sur le 1,9, le 1,96, le 2,03, c’est minable ! On est très mauvais en politique familiale en France. Je suis désolé, c’est comme ça.

Si on prend mes trois leviers qui sont : le stress du divorce et l’instabilité familiale, le problème du chômage et de la retraite et de l’intérêt par capitalisation, si on prend le stress de l’éducation et du futur des enfants, on a des champs de politique familiale extrêmement denses en soi.

D’une certaine façon, la politique nataliste, ce serait une espèce de court-circuit qui permettrait, en dépensant beaucoup d’argent, pendant un certain temps, de ne pas traiter ses vrais problèmes.

Mais je ne suis pas sûr qu’on fasse autre chose que créer pas mal de délinquance parce que le divorce, c’est une source majeure de la délinquance. Et que « l’argent-braguette », cela fait des délinquants.
Vous voyez la Russie (à l’époque cela s’appelait encore l’URSS) a sans cesse conduit et interrompu les politiques natalistes. Car le fonctionnaire fait une politique pour une certaine durée et à tous ceux qui sont pris dans l’entre-deux et on leur explique : il y avait de l’argent, maintenant il n’y a plus d’argent. Ce qui d’ailleurs a multiplié en URSS le nombre des avortements.

Honnêtement, les politiques natalistes, cela a tellement de risques sociétaux que c’est vraiment à manier avec délicatesse. Et il y a en même temps un tel potentiel à vraiment aider les familles.

La deuxième chose, c’est la reconnaissance.

Oui, la femme au foyer. Ma femme est une femme au foyer. Je connais le sujet.

Je ne sais pas si ma femme a un problème de reconnaissance. Peut-être que comme je lui voue une reconnaissance suffisante, peut-être que cela lui suffit, je n’en sais rien.

Mais peut-être on va y venir. Peut-être que oui nous vivons dans une société qui a donné au travail une place incroyable qui d’ailleurs, historiquement, n’a pas toujours été majeure. Et pendant très longtemps, ce n’était certainement pas le revenu qui faisait le positionnement social.

Je ne le dénonce pas d’ailleurs. J’identifie en fait ce problème dans nos familles. Et en même temps je stigmatise (c’est mon côté pas sympathique d’ailleurs) le fait qu’il n’est pas normal que dans nos familles on aille chercher les mauvaises solutions des autres. Et c’est vrai que le salaire maternel, pour moi, cela relève un peu de la mauvaise solution des autres.

Pourquoi est-ce qu’on va chercher les mauvaises solutions des autres ? Et, en effet, moi, il me semble que nous n’avons, nous catholiques, qu’une compréhension extrêmement embryonnaire de ce qu’il se passe dans la famille.

Je vous renvoie à la lecture de Familaris consorsio et je vous renvoie, si vous avez le temps, à la lecture de l’œuvre considérable de Jean-Paul II là-dessus.

Elle est embryonnaire parce que nous découvrons petit à petit, avec une lenteur incroyable, cet extraordinaire mystère du couple, ce que Jean-Paul II appelait « l’amour sponsal » qu’aujourd’hui on ne sait pas encore enseigner ! Il y a en particulier le fait de reconnaître l’autre.

Or dis comme cela, c’est extraordinairement abstrait.

Donc nos familles qui ont avec toutes les autres familles du mal à identifier la puissance de cette réaction nucléaire qui se déroule dans la famille, du coup, ont tendance à rechercher des reconnaissances de deuxième ordre, de troisième ordre qui sont des reconnaissances plutôt financières. Alors même que précisément je pense qu’elles font des choix beaucoup plus riches et beaucoup plus épanouissants que d’autres choix qui sont plus rémunérateurs.

Aussi la réponse est bien pour nous chrétiens dans le temps passé à mieux révéler la richesse de ce qui se passe dans la famille, à mieux savoir l’enseigner et le valoriser.

Pour être concret, aux AFC par exemple nous avons maintenant depuis à peu près deux ans décidé d’investir dans l’accompagnement des couples… Pourtant, jusqu’à présent, nous partions du principe qu’il y a beaucoup d’associations qui s’en occupent.

Et c’est comme cela que nous avons récemment produit la pièce de théâtre de Jean-Paul II La boutique de l’orfèvres qui parle du mariage, de l’union conjugale.

Jean-Luc Bour : Je crois que ce qui est assez intéressant, dans votre exposé c’est de reconnaître qu’il y a un aujourd’hui un réel besoin de reconnaissance.

Aujourd’hui la reconnaissance est donnée par l’argent et demain il n’y aura plus d’argent pour la donner.

Donc comment va se faire cette reconnaissance ?

En tant que chef d’entreprise, que peut-on faire ?

Faire attention de ne pas envoyer à 5 000 kilomètres un des conjoints sachant qu’ils ne se verront qu’une fois par mois et essayer de gérer les carrières doubles

Favoriser l’embauche des enfants de familles plus nombreuses qui ont su développer deux choses.

La première chose, c’est la confiance en soi parce qu’un enfant de famille nombreuse est immédiatement confronté à plus que soi-même.

La deuxième chose, c’est le travail en équipe.

Si l’éducation est faite les entreprises savent faire les formations professionnelles.

L’autre point possible de reconnaissance qui ne coûte pas cher, ce sont les rubans bleus, les rubans rouges. Mais je doute que cela change le monde.

Jean-Marie Andrès : Malgré les apparences je ne développe pas une fierté personnelle particulière sur la taille de ma famille. Il se trouve que j’habite Saint-Cloud donc comme je suis entouré de familles qui sont encore plus nombreuses que la mienne, en tout cas il y en a un certain nombre donc du coup la chose est devenue très relative.

Pourquoi je dis ça ? C’est parce que je n’ai pas beaucoup réfléchi en fait aux vertus spécifiques de la famille nombreuse.

J’ai davantage réfléchi aux vertus spécifiques de la famille qui fait bien son boulot. Il y a un recouvrement non nul, ça c’est sûr.

Ceci dit, pour répondre à votre provocation par la provocation, j’ai un ami père de famille nombreuse qui me disait récemment que sa famille, ce n’est pas facile à tenir, etc. Il attribuait ça au nombre.

Je ne sais pas si c’est l’Esprit-Saint ou le Malin qui m’a inspiré, je lui ai répondu : « tu sais (c’est vrai que sa famille, c’est un bazar. C’est un très bon ami donc je le dis avec beaucoup d’amitié) je suis sûr que quand tu avais deux enfants seulement, c’était déjà le bazar.

Ce que je veux dire par là est une chose très simple comme je viens de le dire, normalement, quand la famille fait bien son travail et ce n’est pas si facile que cela, les enfants sont bien embauchés.

Pourquoi ? Parce que le travail fondamental dans la famille, c’est le sur mesure, c’est la reconnaissance de chacun au-delà de l’échec, c’est exigence dans l’amour, c’est l’expression de l’unicité de la personne… C’est en fait cela l’éducation. Or le plus souvent on a des approches très fonctionnelles et très réductrices de la famille (socialisation, éducation, etc.).

Moi, je suis un peu de la génération de Jean-Paul II. Ce n’est pas si mal de faire référence à Jean-Paul II. Or il remonte souvent à la Genèse. Dans la Genèse, il y a un truc assez troublant et pourtant on ne s’y arrête pas beaucoup, c’est que Dieu nous aurait créés pour donner des noms aux choses. Or on passe à la suite ou on s’arrête avant. Mais cela, on ne sait pas trop quoi y mettre. C’est dommage parce que justement c’est une des choses fondamentales qui se passe dans la famille et en particulier à l’égard de l’autre.

C’est-à-dire que dans la famille, quand elle fonctionne correctement, l’autre, c’est-à-dire l’enfant, le conjoint, conjoint, les frères et sœurs, etc., il est mieux identifié, il est mieux reconnu. Et ce n’est pas la reconnaissance au sens : « t’es sympa, t’es machin, t’es nul mais je t’aime bien quand même… » qui sont des versions très actuelles, une espèce de commisération médiocre qu’on espère trouver dans la famille. Ce n’est pas du tout cela.

C’est en particulier dans la famille que s’exprime le regard de l’éducateur vrai. Un regard transparent qui regarde l’autre sans le troubler par ses propres affects, fantasmes, etc. Et c’est grâce à cela que l’autre est mieux révélé à lui-même.

C’est cette révélation au sens fort du terme de l’individu qui doit se faire dans la famille, c’est normalement la valeur la plus forte que la famille doit apporter à la société et à l’entreprise.

Normalement, vous avez raison, cela contribue à la confiance en soi, cela contribue aussi au sein de l’équipe parce que cela positionne bien.

Mais je pense que cela va bien au-delà en termes qualitatifs dans l’épaisseur que vous donnez à la personne au sein de la famille. Et qui d’ailleurs est une fonction qui n’est pas ponctuelle. La reconnaissance, le fait d’être révélé, d’être reconnu tel que l’on est – ça je le dis pour les philosophes : pas seulement la reconnaissance sociale ou je ne sais pas quoi – c’est quelque chose que la famille exerce à l’égard de ses membres en permanence.

C’est aussi valable pour le vieillard, cinquième âge. Ce n’est pas du tout ponctuel, de zéro à vingt-et-un an ou à la majorité. C’est vraiment un apport permanent et qui n’est pas si facile à mettre en œuvre ce qui explique en particulier beaucoup de divorces, qu’ils soient prononcés ou pas.
Car j’ai tendance à penser qu’il y a plus de divorces que ceux que l’on prononce. Il y a beaucoup de familles désunies qui ne divorcent pas, qui vivent dans un état effectif de divorce. Même chez mes adhérents. Je le dis avec beaucoup de douleur mais c’est une réalité.

C’est une réponse peut-être un peu compliquée mais oui, je pense que la famille est très utile pour l’entreprise par cette fonction de reconnaissance

Jean-Paul Guitton : Sur le salaire maternel, j’ai bien compris que vous y étiez opposé, mais est-ce que ce ne serait pas une façon de justifier une retraite des mères de famille ? Parce que le problème, il reste entier quelle que soit la façon dont on veuille l’aborder.

Vous nous avez rappelé que les patrons étaient philanthropes. C’était surtout les patrons chrétiens qui appliquaient la doctrine sociale !

C’est l’application stricte de la doctrine sociale qui voulait que le patron pense que le père de famille nombreuse méritait d’avoir plus d’avantages que le célibataire pour être à égalité.

Évidemment maintenant ces choses-là sont très compliquées puisque, avec les allocations familiales qui étaient assises en totalité comme vous l’avez rappelé, maintenant, on ne sait plus trop bien d’où ça vient. C’est entrain de se budgétiser complètement.

Alors, cela change complètement la donne, l’équilibre et donc la lisibilité.

Alors est-ce que ce ne serait pas l’occasion, avant de remettre tout à plat, de réfléchir sérieusement à la question du dividende universel ou du revenu d’existence qui serait sans doute une autre façon, audacieuse, de répondre à l’individualisme grandissant qui affecte notre société ? Parce que c’est cela aussi, notre problème.

Jean-Marie Andrès : Je regrette de ne pas être philosophe ! Quelle chance vous avez !

Alors, plusieurs choses.

Il y a pour certaines femmes un problème de retraite. Ça c’est clair. S’il y a un problème de retraite, il faut le traiter comme tel. Mais je ne suis pas sûr que la meilleure façon soit d’inventer un truc qui s’appelle le salaire maternel.

En particulier, à ce sujet le problème, il se pose sur la politique de réversion.
Donc ayons une politique de réversion revisitée, explicite.
Nous venons de parler de mères qui n’ont pas d’activité professionnelle, je trouve qu’un salaire, n’est pas la bonne réponse. Mais je n’ai rien contre. Le salaire maternel, je ne vais quand même pas manifester contre, il ne faut pas exagérer.

Mais honnêtement il y a aujourd’hui des allocs, des tas d’aides financières qui, à court terme, apportent quelque chose. Si ce n’est pas suffisant il faut procéder à des ajustements.

Mais si ce combat, c’est d’accrocher à une certaine somme d’argent le titre de salaire maternel, alors je trouve que c’est compliqué. Cela positionne le débat plutôt sur le registre idéologique et je ne pense pas que ce soit le registre sur lequel on construit les meilleures choses. Et donc, s’il y a des problèmes concrets, traitons les d’une manière concrète.

Deuxième chose.

Le dividende universel, j’avoue que je n’y ai pas réfléchi du tout.

Ma réaction là-dessus est ancienne donc immature.

Là encore, j’ai une lecture littérale de la Bible mais il me semble que nous avons été créés pour travailler. Et il me semble que le premier élément de dignité humaine il vient du fait que l’on nourrit sa famille avec le fruit de son travail.

Or je n’arrive pas à insérer le dividende universel dans cette vision anthropologique, très simpliste j’en conviens.

En particulier, il y a aujourd’hui quelque chose qui me gêne, c’est tout ce qui ressemble à une espèce d’être suprême qui donne des subsides à un être en dessous, soit des personnes soit la famille : parfois on l’appelle l’État, parfois c’est l’Universel. Enfin en entendant « dividende universel », je ne sais même pas à quoi cela sert.

Je sais qui propose cela. Mais je ne lui trouve pas une lisibilité évidente, naturelle, simple. C’est très généreux mais…

Moi, je préfère des solutions simples. Offrons du travail à tout le monde, que les gens soient contents de rentrer chez eux parce qu’ils ont gagné leur pain quotidien. Cela suffira bien comme cela.

Les dividendes universels, c’est parfait. Mais de toutes façons, on n‘a plus d’argent, alors…

Séance du 22 mars 2012