Par Elizabeth Montfort, Essayiste et femme politique française

La libération de la femme dans tous les domaines de la vie familiale, sociale et politique fut l’un des enjeux du XXè siècle. S’il revient aux femmes de prendre toute leur place dans le développement de la société, la manière dont les revendications se sont exprimées n’a pas toujours été réaliste.

Les différents mouvements féministes, en effet, ont tenté de justifier le rôle des femmes par des arguments discutables, parfois idéologiques. Si bien que les conséquences ont marqué en profondeur les relations homme/femme et les politiques d’égalité, notamment dans l’évolution du droit de la famille et du respect de toute vie humaine.

Au cœur de cette évolution, le Sommet Mondial de la Femme tenu à Pékin en 1995 avait suscité une espérance sans précédent sur l’engagement des femmes dans la société. On sait qu’elle a été aussi le lieu d’affrontements idéologiques et de diffusion d’un nouveau vocabulaire, signe d’une remise en cause de l’anthropologie humaine.

Analysant ces défis, Jean-Paul II, lançait un appel à toutes les femmes : « Pour obtenir ce tournant culturel en faveur de la vie, la pensée et l’action des femmes jouent un rôle unique et sans doute déterminant : il leur revient de promouvoir un « nouveau féminisme » qui sans succomber à la tentation de suivre les modèles masculins, sache reconnaître et exprimer le vrai génie féminin dans toutes les manifestations de la vie en société. » (Evangelium Vitae n° 99)

Lire l'article complet

Anne Duthilleul : Ce n’est pas par complicité féminine qu’il a été décidé que j’aurais le plaisir de présenter Elizabeth Montfort, mais le hasard de la répartition des tâches au sein de notre académie a bien fait les choses !
Bien des aspects de la personnalité de notre intervenante d’aujourd’hui me la rendent proche, en effet, même si nous ne nous étions jamais rencontrées auparavant. Il me revient donc l’honneur d’introduire sa communication, mais aussi sa personne et son parcours, qui illustrent particulièrement bien son propos.

Elizabeth Montfort a tout d’abord une solide formation supérieure : après un Bac scientifique en voie Biologie, elle passe une maîtrise de droit et une licence de philosophie. Cette formation lui a, à coup sûr, beaucoup servi dans ses missions ultérieures d’élue et de militante, mais surtout dans l’élaboration de sa philosophie de la vie et de sa vision de la place des femmes dans la société et dans la famille, qui est le sujet qui nous occupe ici.

La famille, elle connaît, dirais-je, justement, car elle a su mettre de côté pour un temps ses projets professionnels pour accompagner son mari dans la province non pas reculée, mais centrale, l’Auvergne, où le menait sa carrière à lui. Elle a alors exercé le métier si mal reconnu de « mère au foyer » pour ses 4 enfants, non sans poursuivre tout de même des études supérieures, en histoire, cette fois. Elle en tire, en philosophe qu’elle est, une véritable vision des rôles respectifs et complémentaires de l’homme et de la femme, … que je la laisserai exposer elle-même, bien sûr.

Pour compléter cette expérience déjà riche, Elizabeth Montfort était alors tentée de venir à la théologie, mais la rencontre du Mouvement pour la France et de Françoise Seillier en particulier orientera son désir d’agir dans une autre direction. Elle passe à un engagement politique local au sein du Mouvement pour la France, qui portait haut les valeurs à la fois familiales et personnelles, tout comme la liberté d’entreprendre, en même temps que l’intérêt général. Pour développer son « Combat pour les valeurs », le MPF se fondait localement sur la candidature de mères de famille nombreuse, dont les capacités d’action et de témoignage lui paraissaient à juste titre solides.

Et là Elizabeth Montfort s’implique dans la cité, très vite après la naissance de son dernier enfant, dans la politique locale, d’abord en 1995 comme conseiller municipal, puis au plan régional, où après une campagne acharnée où elle se distingue elle devient Vice-Présidente de la Région Auvergne, et enfin elle est élue député européen de 1999 à 2004.

Au Parlement européen, elle siège à la Commission Industrie et Recherche-Développement. De ce fait, ses interventions sont variées, allant des entreprises et leur soutien économique à l’accueil des handicapés, en passant par toutes les questions de bioéthique, sur le clonage notamment, sur lesquelles ses compétences juridiques et philosophiques trouvent un champ d’exercice à sa mesure. Toujours dans le sens de la liberté, fondée sur la dignité de la vie humaine, et de son respect du début à la fin, et bien sûr du rôle de la famille dans l’accueil et l’éducation des enfants.

Et c’est après son mandat au Parlement européen, en 2007, qu’Elizabeth Montfort fonde l’Association qui a donné le titre à sa communication de ce soir : « le Nouveau Féminisme Européen ». Partant de leur désaccord avec les mouvements féministes radicaux, souvent les seuls à militer et à se faire entendre auprès des décideurs, les fondatrices veulent offrir un institut d’analyse et de proposition sur l’implication des femmes dans leur environnement « familial, professionnel, social et politique », … et l’ordre des facteurs a de l’importance comme nous le verrons !

Son combat le plus récent – et le plus connu, par ses articles et par l’ouvrage qui en est résulté en octobre dernier – se situe dans le domaine de l’éducation, puisqu’il consiste à dénoncer l’entrée par effraction de la « théorie du gender » dans les manuels scolaires. Plus fondamentalement, en philosophie et dans la foi, mais aussi au plan scientifique, il s’agit de revenir aux fondements de la place respective de l’homme et de la femme depuis la création pour « démasquer » les erreurs qui ont conduit à cette idéologie et à toutes ses conséquences potentiellement désastreuses pour la famille et la société.

Mais je ne veux pas en dévoiler davantage et je laisse maintenant la parole à Elizabeth Montfort, que je remercie d’ores et déjà de sa présence et de la lumière qu’elle va nous apporter.

Elizabeth Montfort : Vous m’avez demandé de vous parler du nouveau féminisme, dans le cadre du cycle des communications sur « La famille, un atout pour la société ». En raison de l’actualité, ce sujet est devenu crucial puisque nous savons que le droit de la famille risque d’être complètement refondé, dans les prochains mois.

C’est précisément le nom de l’association que j’ai créée avec une de mes collègues, Nicole Thomas-Mauro, quand nous avons quitté le Parlement européen où nous avons découvert le lobbying des féministes radicales.
Pourquoi un nouveau féminisme alors que tant de courants existent déjà.
N’aurions-nous pas trouvé ce qui nous convient ?

C’est le Bienheureux Jean-Paul II qui le premier l’a appelé de ses vœux, dans Evangelium Vitae le 25 mars 1995, sur la valeur et l’inviolabilité de la vie humaine, précisément l’année du Sommet mondial de la femme organisé par l’ONU à Pékin, comme pour montrer que c’est bien dans l’histoire des femmes que s’inscrit le nouveau féminisme.

Au cœur de cette évolution, ce Sommet Mondial avait suscité une espérance sans précédent sur l’engagement des femmes dans la société. On sait qu’elle a été aussi le lieu d’affrontements idéologiques et de diffusion d’un nouveau vocabulaire, signe d’une remise en cause de l’anthropologie humaine.

Pour en saisir les enjeux il nous faut comprendre dans quel contexte s’est déroulé ce Sommet de Pékin préparé par les mouvements féministes dont le cœur des revendications est la quête d’égalité, dans toutes les sphères de la société. Nous verrons ensuite si les réponses apportées par les différents mouvements féministes sont satisfaisantes, puis, constatant leur impasse, nous essaierons de dessiner un nouveau féminisme pour une société pacifiée

I – La quête de l’égalité

1- Pourquoi rechercher l’égalité ?

La recherche d’égalité a traversé tout le XXème siècle pour la raison simple que l’égalité est le principe fondateur de nos démocraties et parce que pendant les siècles qui l’ont précédé, le statut de la femme était loin d’être satisfaisant.

Je prendrai deux périodes de notre histoire : le Moyen Age et le siècle des Lumières pour sortir des idées convenues et des caricatures.
Les travaux d’historiens compétents nous indiquent qu’au Moyen Age, la femme connaissait une certaine liberté notamment dans les métiers d’art et qu’au siècle des Lumières, siècle de référence dans bien des domaines dans la vision officielle de l’Education nationale, sa condition est nettement moins enviable.

Il faut relire les écrits de nos philosophes et encyclopédistes pour s’en faire une idée. Ce que nous appelons l’esprit des Lumières considère la majorité des hommes comme étant dépourvus de raison.

Citons le baron d’Holbach, un rationaliste de renon : « Il n’y a qu’un petit nombre d’individus de l’espèce humaine qui jouissent réellement de la raison ». Et Diderot parlera de « plus ou moins d’homme », c’est-à-dire de cette division de l’humanité entre ceux qui sont capables de raison (l’élite) et ceux qui en sont dépourvus (la grande masse). Comme ce sont les philosophes des Lumières qui décident « qui est vraiment homme et qui ne l’est pas tout à fait », ils classent les individus en catégories.

Les femmes font partie de la catégorie des ignorants.

Les philosophes des Lumières inventent une « nature féminine » qui ne peut pas se mesurer à la nature masculine. Si bien que la femme fait l’objet d’une triple discrimination :

- La femme est intellectuellement inférieure à l’homme. Rousseau dira : « La recherche des vérités abstraites et spéculatives n’est point du ressort des femmes ». Ou Voltaire qui ayant perdu sa maîtresse, Mme du Châtelet s’exclamera : « J’ai perdu un ami de 25 années, un grand homme qui n’avait de défaut que d’être une femme ».

- La femme est sexuellement dominatrice. Il existe entre l’homme et la femme un rapport de force. Dans ce domaine, la femme est domination pour l’homme. Si bien que le viol pourrait être excusable en certaines circonstances.

- La femme est réduite à « la fonction de matériau biologique reproducteur ». Voltaire nous dit que « les guerres ponctionnent le genre humain », mais laisse en vie « l’espèce femelle pour qu’elle le répare ».

Nous pensons tous, à raison, que l’esprit des Lumières a inspiré la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789. Et nous pensons tous, à tort, que cette déclaration est le point de départ de l’égalité de l’homme et de la femme dans les constitutions et les textes de lois qui suivront. Il faudrait relire les interventions des constituants de ces années révolutionnaires. Je vous renvoie à l’excellent article de Xavier Martin, professeur à l’Université d’Angers : « Inégalité, discrimination : l’apport des Lumières ».

Le député Lanjuinais ne manque pas d’audace : « Avec ce principe que les hommes naissent libres et égaux en droits je demanderai à ces faiseurs de système ce qu’ils feront des furieux, des insensés, des femmes et des enfants ».

La conception de l’homme de la classe politique est une conception positiviste et nominaliste : « est pleinement homme, celui qui a toute sa raison. Les contestataires sont indignes du nom d’homme » (Collot d’Herbois)

Aujourd’hui on dirait « toute sa conscience » et nous savons où cela conduit.

C’est bien le critère de l’humain qui est remis en cause. Par voie de conséquence, la femme en fera les frais et sera considérée pendant plus d’un siècle comme subalterne, utile à la survie de l’espèce. Le Code civil consacrera la supériorité de l’homme sur la femme jusqu’à la deuxième moitié du XXe siècle.

Il n’est donc pas étonnant que dès le début du XXe siècle, alors que nos démocraties s’installent durablement dans nos sociétés occidentales, les femmes s’organisent dans leur combat pour l’égalité.

L’égalité comme principe fondateur de la démocratie consacre les droits de l’homme pour mesurer l’authenticité de la démocratie.

2- L’égalité par la loi.

1- Principe d’égalité de l’homme et de la femme

L’égalité est un principe conformément à l’article 2 du Traité européen et un droit fondamental : « une des valeurs communes sur lesquelles se fonde l’Union européenne ».

« L’égalité entre les femmes et les hommes est l’un des principes fondamentaux du droit communautaire. Les objectifs de l’Union européenne (UE) en matière d’égalité entre les femmes et les hommes consistent à assurer l’égalité des chances et de traitement entre les genres, d’une part, et à lutter contre toute discrimination fondée sur le sexe, d’autre part. Dans ce domaine, l’UE a retenu une double approche, associant actions spécifiques et « gender mainstreaming ». Ce thème présente également une forte dimension internationale en matière de lutte contre la pauvreté, d’accès à l’éducation et aux services de santé, de participation à l’économie et au processus décisionnel, de droits des femmes en tant que droits de l’homme ».

La Directive européenne de 2000/43/CE du 29 juin 2000 sur la lutte pour l’égalité et contre les discriminations est applicable dans tous les Etats membres de l’Union européenne et se trouve à l’origine de la création de la Halde en décembre 2004, en France.

Début mars 2010, la Commission européenne a renforcé son engagement en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes par la Charte des femmes. Cette déclaration politique met en évidence cinq domaines d’action essentiels et engage la Commission à prendre en considération l’égalité entre les sexes dans toutes ses politiques pendant les cinq années à venir ainsi qu’à adopter des mesures spécifiques de promotion de l’égalité hommes- femmes.

La Charte présente une série d’engagements fondés sur des principes reconnus en matière d’égalité entre les sexes. Elle vise à promouvoir :

• l’égalité sur le marché du travail et une indépendance économique égale pour les femmes et les hommes, par le biais de la stratégie Europe 2020 ;

• le principe « à travail égal, salaire égal », en coopérant avec les États membres pour réduire sensiblement, d’ici cinq ans, l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes ;

• l’égalité dans le processus de prise de décision par des actions d’encouragement de l’UE ;

• la dignité, l’intégrité et l’élimination de la violence fondée sur le sexe au moyen d’un cadre d’action détaillé ;

• l’égalité entre les sexes au-delà de l’UE, en abordant cette question dans les relations extérieures et avec les organisations internationales.
Cette initiative intervient quinze ans après l’adoption du programme d’action de Pékin à l’issue de la Quatrième conférence des Nations unies sur les femmes, en 1995, dont je rappelle le premier objectif : « prendre le pouvoir par les femmes ».

En présentant cette Charte des Femmes, le président Barroso a déclaré : « Nous réaffirmons notre engagement personnel et collectif pour une Europe de l’égalité entre les femmes et les hommes qui offre une meilleure qualité de vie et un avenir durable à toutes et tous ».

2- Mise en œuvre de l’égalité dans toutes les sphères de la société.
Sur le plan de l’emploi.

Il s’agit d’augmenter le taux d’emploi des femmes pour mettre en œuvre l’égalité homme / femme. Ainsi l’Union européenne a adopté la Stratégie de Lisbonne (2000-2010), suivie de la Stratégie Europe 2020 (2010-2020). Ce sont des mesures économiques et sociales pour faire de l’Europe l’espace le plus compétitif du monde.

La stratégie de Lisbonne prévoyait 65 % de femmes au travail. Pour Europe 2020, le chiffre à atteindre est 75 %. En outre ce programme prévoit d’atteindre l’égalité salariale, l’égalité des retraites et des représentations des femmes dans les postes de direction. « Les Etats membres doivent ainsi lever tous les obstacles qui empêchent les femmes d’accéder au marché du travail. Il est de leur ressort de limiter l’effet de la présence d’enfants sur l’emploi féminin ».

Comment ? En multipliant les places de crèches collectives, de crèches d’entreprise et les gardes d’enfants à domicile.

La France connaît un taux d’emploi des femmes assez élevé, 83 % en 2008. Et elle s’était engagée à l’égalité salariale entre les hommes et les femmes avant la fin de l’année 2010, ce qui n’a pas été fait. C’est aussi le pays où la démographie est la plus forte (aux environs de 2%).

Les freins à l’emploi des femmes sont d’une part la maternité, d’autre part, l’inégalité dans le partage des tâches familiales.

C’est le but de la directive actuellement en débat au Parlement européen : « Participation équilibrée des femmes et des hommes à la vie professionnelle et à la vie familiale ».

Sur le plan politique.

Depuis 1999, la parité entre les femmes et les hommes est obligatoire, sous peine d’amende pour les partis politiques.

En 2000 été créé l’Observatoire de la parité pour vérifier la mise en œuvre de l’égalité H /F. Nous savons que sur le plan politique l’égalité est loin d’être une réalité sauf dans les scrutins de liste.

Sur le plan familial.

La famille, dans ce contexte, est devenue un enjeu de revendications égalitaires, individualistes et sociétales, principalement présentées par les femmes.

1967 : possibilité pour la femme d’ouvrir un compte en banque et de travailler sans l’autorisation de son mari.

1967 : loi sur la contraception ou loi Neuwirth

1970 : loi sur l’autorité parentale : la mère devient l’égale du père dans l’exercice de l’autorité parentale.

1975 : loi sur l’interruption volontaire de grossesse (loi Veil)

1975 : loi portant sur le divorce (par consentement mutuel)

Le regretté Alexandre Soljenitsyne disait dans son discours à Harvard : « Les hommes ont besoin de lois lorsqu’il n’y a plus de mœurs ». Pendant très longtemps, nous n’avons eu besoin ni de lois, ni de textes pour organiser la société. La question est de savoir sur quoi est fondée l’égalité.
Plusieurs courants féministes ont essayé de répondre à l’égalité entre l’homme et la femme. C’est ce que nous allons maintenant examiner.

II – Les réponses féministes à la quête d’égalité

Le but est d’obtenir l’égalité des droits et du pouvoir.

L’égalitarisme

L’égalitarisme consiste à rechercher l’égalité des droits et l’intégration égale dans la société : les mêmes places dans la vie professionnelle et politique, l‘égalité de salaire et de retraite. La femme prend alors comme référence l’identité de l’homme.

Le différentialisme

Le différentialisme au contraire se concentre sur l’identité féminine et veut mettre en valeur ce qui lui est spécifique afin de préserver son identité et lutter contre la domination des hommes. L’homme, symbole de la domination, devient le mal absolu. « Il s’agissait de penser l’altérité des femmes au-delà d’un « humanisme monosexué », et de s’attaquer à l’ordre symbolique d’une société fondée sur l’exclusion du maternel et du matriciel . »

Elisabeth Badinter qui incarne un féminisme différent dénonçait en 2003 dans Fausse route, ces thèses féministes qui lui paraissaient absurdes et le nouvel « ordre moral » qui pouvait en résulter : « Obsédé par le procès du sexe masculin et la problématique identitaire, le féminisme de ces dernières années a laissé de côté les combats qui ont fait sa raison d’être . »

Natacha Polony, agrégée de Lettre qui a écrit de nombreux livres sur l’éducation et sur le féminisme, va plus loin : « La féminisation de la société paraît être un thème plus noble que les conditions concrètes de la plupart des femmes. La « femme-victime » sert d’alibi pour une destruction méthodique des bases sexuées de notre société. Et plus généralement de toutes les valeurs et de toutes les références qui structurent les sociétés occidentales . »

La démocratie paritaire

Ce n’est pas le cas d’un troisième mouvement, un peu occulté et pourtant à l’origine de l’intégration de la parité dans la Constitution française et dans les lois électorales d’une majorité des pays de l’Union. Il s’agit de la démocratie paritaire. Ce courant s’inscrit très clairement dans le champ politique et oblige « à repenser les termes de la relation entre égalité et différence des sexes . »

L’idée de parité a germé dans les instances européennes et avait été présentée par la philosophe Elisabeth Sledziewski au Conseil de l’Europe en 1989. Elle proposait « de prendre appui sur une conception réaliste de l’universalité où le peuple citoyen serait pris en compte « dans son identité duelle » c’est-à-dire sexuée . » Ainsi, la démocratie paritaire est fondée sur l’humanité duelle, homme et femme, et sexuée .

Nous le voyons, ces mouvements féministes expriment un point positif et des limites : Si la femme a bien les mêmes droits que l’homme, celui-ci ne peut pas être son modèle. Si la femme aspire à se voir reconnaître ce qui lui est propre, elle ne peut ignorer ce qui est commun avec l’homme. Enfin, même si la société est constituée à égalité d’hommes et de femmes, décider que tous les postes doivent être exercés à parité est arbitraire et utopique et risque de faire passer au second plan les compétences et les aspirations des uns et des autres.

Ces courants montrent la difficulté à penser égalité et différence entre les sexes. Ce que nous appelons l’idéologie du gender sera une tentative de sortir de cette difficulté en niant « les concepts d’homme et de femme ».

III- La déconstruction du couple et de la famille par le gender.

1- Genèse du genre ou la confusion des mots

Depuis les années 1970 sont enseignées aux Etats Unis les études de genre (gender studies). Il s’agit d’un vaste domaine d’études pluridisciplinaires sur les rapports entre les hommes et les femmes et sur les mises en œuvre des politiques d’égalité homme/femme.

Pendant très longtemps en français nous avons utilisé le mot sexe qui signifie à la fois le sexe biologique et le groupe social homme ou femme : sexe masculin ou sexe féminin, comme pour attester le lien entre sexe biologique et genre social. Puis, l’anglais s’est imposé dans toutes les Instances internationales et le mot genre a remplacé le mot sexe. En effet, en anglais « sex » désigne exclusivement le sexe anatomique ou biologique et le genre désigne le groupe social homme ou femme.

C’est au Sommet de Pékin sur la Femme, en 1995, qu’est utilisé, pour la première fois, d’une manière officielle, le terme de Gender. Ce Sommet sera d’une importance capitale, car sa Plate-forme d’action servira de référence mondiale à toutes les politiques d’égalité homme/femme.

Deux groupes de pression vont se saisir du Gender : les féministes radicales et le lobby gay. On peut même parler de connivence dans leur critique de la société patriarcale : les féministes radicales pour lutter contre la domination de l’homme sur la femme parce qu’il leur est impossible de considérer la société en dehors du schéma néo-marxiste oppresseurs/oppressés ; le lobby gay qui considère que notre société est une tyrannie de l’hétérosexualité.
Nous les appelons les gender feminists.

Pour ces groupes de pressions, les Instances internationales comme l’ONU, le Conseil de l’Europe et le Parlement européen sont des lieux stratégiques pour influencer les décideurs et imposer un nouveau vocabulaire.

La directive du 29 juin 2000 sur l’égalité et la lutte contre les discriminations est une application des conclusions du Sommet de Pékin.
Cette directive ainsi que la Charte européenne des droits fondamentaux, adoptée la même année retiennent pour la première fois dans l’Union européenne « l’orientation sexuelle » comme critère de discrimination.
Désormais dans les textes internationaux le « genre » remplace le mot sexe trop réducteur. On commence à parler d’identité de genre, d’égalité de genre et de gender mainstreaming, concept jamais traduit en français.
Enfin, il est intéressant de noter que sur le site de la Commission européenne, « L’égalité homme/femme » en français donne « Gender equality », en anglais.

Au fil des années, le sens du mot « genre » a évolué. J’en propose trois :
Sens usuel : le genre est la manière d’être ou le comportement de l’homme ou la femme en lien avec son sexe biologique : le genre féminin correspond au sexe féminin, le genre masculin correspond au sexe masculin. Cette définition s’appuie sur le caractère sexué de l’humanité.

Sens social : Le genre est une modalité relationnelle. Or d’après les féministes radicales les relations hommes/femmes sont des rapports de pouvoir, un principe de domination exprimé par des stéréotypes assignés à l’un ou l’autre sexe, en raison du sexe biologique : les femmes aux tâches familiales, les hommes à l’extérieur.

Sens psychologique : Le genre est la perception subjective que l’individu a de lui-même, en lien ou nom avec son sexe biologique. Cette perception suffirait à définir l’identité de l’individu, c’est-à-dire non plus être homme ou femme, mais une « masculinité ou une « féminité » qui n’est pas fondée obligatoirement sur un donné biologique.

2- Les études de genre

A partir de ces différents sens, essayons de comprendre ce que sont les études de genre. Les études de genre ne forment pas un ensemble homogène, en raison des nuances données au mot genre.
Ces études ont été précédées par les Woman studies, les études sur les femmes où le mot gender a été préféré au mot sexe pour mettre l’accent sur le rôle attribué aux différentiations sexuelles.

1- Initialement, ces études sur les femmes ont voulu prendre en compte la place des femmes dans l’histoire. Puis, ces études conduites presqu’exclusivement par des femmes, ont dénoncé les stéréotypes enfermant les femmes dans un déterminisme naturel : la maternité qui relègue la femme dans la vie privée ou familiale.

2- Ces femmes se sont alors intéressées aux relations homme/femme dans la société. En effet, ces études questionnent le rapport entre les sexes, elles s’interrogent sur la construction des rôles sociaux attribués naturellement aux hommes et aux femmes. Les études de genre vont se porter sur les rapports de pouvoir entre les hommes et les femmes et les causes d’inégalité. Elles pourront aussi déconstruire les catégories de représentations du masculin et du féminin.

3- Enfin, troisième étape, le genre social dissocié du sexe biologique et considéré comme la perception subjective de l’individu, permet d’élargir le champ d’étude aux communautés LGTB. Le nouveau couple oppresseur/oppressé c’est le binôme hétérosexuel/homosexuel.

Judith Butler va plus loin : elle introduit une subversion dans la définition du genre, d’où le terme d’idéologie du gender. Son livre « Trouble dans le genre. Pour un féminisme de la subversion » devient une référence. Je la cite : « Le genre est culturellement construit indépendamment de l’irréductibilité biologique qui semble attachée au sexe… Si le genre renvoie aux significations culturelles que prend le sexe du corps, on ne peut alors plus dire qu’un genre découle d’un sexe d’une manière et d’une seule …. »

En langage décodé, un corps sexué peut donner plusieurs genres : féminin, masculin, hétérosexuel, homosexuel, bisexuel ou transsexuel. Son analyse est fondée sur le déni de la différence entre l’homme et la femme et sur leur interchangeabilité. Cependant, l’idéologie du Gender s’impose de plus en plus comme l’horizon indépassable des questions de genre et comme vision structurante pour les politiques d’égalité homme/femme. Alors que les études de genre doivent porter sur la réalité historique et anthropologique des rapports sociaux de sexe.

Judith Butler est elle-même dépassée par d’autres féministes, Teresa de Lauretis ou Monique Wittig qui ne se reconnaissent pas comme femmes puisqu’elles sont lesbiennes. On parlera alors de théorie Queer (bizarre, à sexualité flottante).

3- Les conséquences de l’idéologie du Gender

Quête d’égalité par l’abolition des contraintes pour s’auto-déterminer, voilà les buts des gender feminists. L’idéologie du gender révèle une société à la dérive, une société qui ne sait plus qui elle est et qui ne reconnaît plus la famille comme communauté humaine.

L’homme devient sa propre mesure

L’idéologie du gender s’est construite en réaction au réductionnisme naturel ou biologique des Lumières. Rappelons-nous la réduction de la femme à la fonction de « reproduction biologique ». Au passage, d’ailleurs cette idéologie réduit la nature humaine au biologique.

La différence sexuelle déterminée par la nature serait à l’origine des oppressions et empêcherait l’égalité. Il devenait urgent pour ces féministes de s’affranchir de la nature pour s’affranchir de cette différence. Les individus seront égaux, disent-elles, lorsque l’indifférenciation entre les sexes sera une réalité : nous pourrons alors parler d’égalité réelle.

Les gender feminists commencent par « dé-naturaliser » le genre en le dissociant du sexe biologique. Car le corps sexué empêche d’être soi-même, puisqu’il est imposé. Pour elles, se laisser dicter nos choix par un donné de nature est contraire à la liberté humaine. Leur réaction au réductionnisme des Lumières les empêchent de considérer la femme dans son unité car elles confondent déterminisme et inclination ou détermination. C’est là le point de rupture idéologique.

Le droit suprême, c’est le droit à être moi : « Je suis ce que je décide d’être ». Sexe et genre sont présentés comme deux composantes de la personne en conflit : mon moi, doté d’une identité de genre et mon corps, doté d’une identité de sexe.

Les gender feminists ont raison dans leur refus de réduire l’homme ou la femme dans un stéréotype ou une fonction. Mais nous ne pouvons les suivre quand elles supposent que le corps est un en-soi à coté du moi.

Ce refus du donné de nature qu’est le corps sexué ou de tout ce qui est extérieur à l’homme instaure une « culture du moi ». C’est la nouvelle démocratie abstraire et procédurale. Dans ce cadre, l’homme n’a comme référence que lui-même, sa volonté et sa raison : il devient sa propre mesure et la mesure du monde. Accepter le déterminisme naturel serait contraire à sa liberté considérée comme pur produit de sa raison.

Claude Lévi-Strauss analysant les régimes tyranniques nous aide à comprendre ce qui se joue dans notre société postmoderne :
« On a mis dans la tête des gens que la société relevait de la pensée abstraite, alors qu’elle est faite d’habitudes, d’usages, et que, en broyant ceux-ci sous la meule de la raison, on pulvérise des genres de vie fondés sur une longue tradition, on réduit les individus à l’état d’atomes interchangeables et anonymes. La liberté véritable ne peut avoir qu’un contenu concret ».

La théorie du Gender est une idéologie de déconstruction

Pour obtenir satisfaction, les gender feminists demandent de corriger par la loi ce qu’elles refusent à la nature et imposent une nouvelle classification juridique à partir du « genre ». C’est ce que note Sylviane Agacinski :
« On ne semble pas remarquer que la revendication du « mariage homosexuel » ou de « l’homoparentalité » n’a pu se formuler qu’à partir de la construction ou de la fiction de sujets de droits qui n’ont jamais existé : les « hétérosexuels ». C’est en posant comme une donnée réelle cette classe illusoire de sujets que la question de l’égalité des droits entre « homosexuels et hétérosexuels » a pu se poser. Il s’agit cependant d’une fiction, car ce n’est pas la sexualité des individus qui a jamais fondé le mariage, ni la parenté, mais d’abord le sexe, c’est-à-dire, la distinction anthropologique des hommes et des femmes . »

Le déni du caractère universel des droits exprimé dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 met en place une démocratie fondée sur des revendications individuelles au mépris d’une société d’homme et de femmes incarnés dans une histoire ou une culture. Pour mettre en place cette nouvelle démocratie, il leur faudra, auparavant, déconstruire le genre, la famille et la maternité et élaborer un nouveau droit de la famille.

Le genre.

Les gender feminists rejettent une construction sociale ou culturelle du genre liée à la différence des sexes et impose une autre construction plus apte à lutter contre les inégalités, c’est-à-dire un genre dissocié du sexe : « En déconstruisant la soi-disant complémentarité des sexes pour construire celle des individus, on cesse de mettre les femmes et les hommes à des niveaux différents ». Le genre doit être choisi.

La famille.

En second lieu, les genders feminists veulent déconstruire la famille fondée sur le mariage entre un homme et une femme : la femme y est maintenue dans un état de domination et soumet les enfants à un déterminisme « naturel ». La nouvelle famille doit être polymorphe (recomposée, monoparentale, biparentale, homoparentale,…). La famille doit être choisie.

La maternité.

Enfin, après la famille et le genre, la reproduction doit être déconstruite : l’enfant ne se reçoit pas, il se désire, il se programme. Pour sortir des contraintes liées à la maternité, la femme, ou l’homme d’ailleurs, doit pouvoir recourir à la technique qui peut aujourd’hui satisfaire de nouvelles demandes (mère porteuse, l’ectogénèse ou utérus artificiel…). C’est la maternité désincarnée. Mais c’est aussi le recours à la technique lorsque le choix de vie rend stérile les individus (célibataire, couple de même sexe). C’est la maternité choisie.

En vue de la création de nouveaux droits.

Les déconstructions successives ont pour but d’élaborer de nouveaux droits : « droit des couples au mariage », « droit au désir d’enfant », « droit à être parents ». Si ces nouveaux droits sont reconnus par les Instances internationales, alors ils s’imposent aux Etats.

Ce qui se joue aujourd’hui c’est une remise en cause du Droit de la famille fondé sur l’altérité sexuelle. C’est ainsi que le suggère Daniel Borillo qui n’hésite pas à qualifier d’homophobie et de prosélytisme hétérosexuel notre Droit de la famille et propose de le modifier pour inclure ces nouvelles revendications :

Le droit au mariage pour tous par l’extension du mariage à tous les couples quelques soient les circonstances.

Le droit à être parents par la dissociation des composantes de la filiation : filiation biologique, filiation juridique et filiation sociale où chacun pourrait choisir ce qui lui convient.

Nous le voyons, les différents courants féministes expriment un féminisme de la contestation. En soulignant la subordination de la femme, ils justifient cette contestation. Ils révèlent une rivalité entre les sexes : la femme est la rivale et l’antagonisme de l’homme. L’égalité dans la différence est impossible à réaliser et montre leur difficulté à prendre en compte la personne dans son unité. Enfin, l’égalité est recherchée dans les fonctions, dans le faire et l’agir, et non dans l’être de la personne homme ou femme.

L’idéologie du gender va plus loin : pour éviter toute suprématie de l’homme sur la femme, on gomme les différences par l’indifférenciation et l’interchangeabilité des fonctions. La différence corporelle évidente est minimisée alors que la dimension culturelle du genre est survalorisée pour libérer la femme de tout déterminisme biologique. Car pour Judith Butler, il s’agit d’élaborer « une politique féministe qui ne soit pas fondée sur l’identité féminine ».

Tous ces courants et plus spécialement l’idéologie du gender pose la question de la personne humaine dans son unité. Dans ce contexte, le nouveau féminisme n’est pas un féminisme à ajouter à une liste déjà longue. Il propose de répondre à la question de l’unité de la personne en changeant de regard sur la femme et aussi sur l’homme.

IV- Le nouveau féminisme : un chemin d’espérance

Aujourd’hui, une conception trop souvent positiviste de la nature nous empêche de voir la personne dans l’intégralité de son être, en la réduisant à des fonctions ou à un rôle social. Par exemple, la fonction de parents est considérée du point de vue de la fonction éducative, voire affective, et non dans son sens réel et symbolique de l’engendrement, comme père et mère.

Au siècle dernier, l’émancipation de la femme s’est exprimée pour l’égalité des droits et pour le pouvoir. Pour atteindre cet objectif, il fallait passer par la libération sexuelle : la maitrise de la fécondité (loi Neuwirth) et la maitrise de la maternité (loi Veil), parce que la maternité est un frein à la carrière professionnelle des femmes ) et une injustice par rapport aux hommes.

Qui peut être contre l’égalité ?

Qui peut accepter des actes ou des paroles de violence ou d’homophobie ?
Personne.

Mais faut-il déconstruire notre société fondée sur la différence sexuelle pour résoudre ces injustices ou ces violences ? Ayant échoué à promouvoir l’égalité dans l’altérité, faut-il effacer l’altérité ? L’égalité passe-t-elle par l’indifférenciation sexuelle ?

On oublie que la lutte contre les discriminations n’est pas une affaire de normes. C’est une question de respect de la dignité de la personne humaine et celle-ci est unique et complexe. C’est une question de conversion de la part de chacun de nous. C’est la question fondatrice de la vie sociale : « Qu’as-tu fait de ton frère ? »

Des féministes ont réagi au refus d’avoir pris en compte la maternité de la femme : Yvonne Knibieler, dans son livre « Qui gardera les enfants ? » précise que le féminisme initial a mis de coté la maternité.

Eliette Abecassis, dans « Le corset invisible. »
« Le féminisme radical s’est construit contre l’homme, tout en le prenant comme modèle, contre l’ordre établi, contre le féminin. Et donc contre l’identité profonde de la femme.

Le féminisme radical s’est construit sur le déni de la femme, oubliant que malgré les diverses situations, on observe une constante : la femme enfante et cela fait la différence.

Les hommes ne trouvent plus leur place, car l’homme a été déconstruit par le féminisme . »

Le nouveau féminisme est un féminisme de réconciliation. Celle-ci est possible à condition de considérer la femme dans sa totalité unifiée car la femme a un rôle irremplaçable dans la vie familiale et sociale. C’est une nouvelle responsabilité de la femme pour construire une société pacifiée avec l’homme.

Le nouveau féminisme intègre deux perspectives :
Une perspective de réconciliation de la femme avec elle-même, en tant que « femme, épouse et mère » et de la femme avec l’homme ;
Une perspective de don et d’accueil du don, en particulier le don de la vie parce que l’homme et la femme sont des êtres de relation.

La dimension de femme : la féminité.

La femme doit contribuer au développement de la société, dans le monde du travail et dans toutes les instances de la société. Elle n’a pas à s’excuser ou à se justifier. Cela demande de sortir de la dialectique femme au travail/femme au foyer et considérer que la femme peut s’investir dans l’un et l’autre domaine. Aujourd’hui, alors que les jeunes femmes sont sorties de cette opposition, trop de partis pris existent encore.

D’une part, la reconnaissance du travail invisible dans la famille se fait attendre, alors qu’il est reconnu dans les associations, par le Parlement européen, notamment.

D’autre part, l’objectif de 75 % de femmes au travail dans la stratégie Europe 2020 est arbitraire. Pourquoi 75% ? Nous savons qu’en France 83% des femmes ont une activité professionnelle.

Dans les deux cas, nous voyons bien la difficulté à accepter que la vie de la femme n’est pas linéaire et qu’il serait plus juste de créer les conditions pour accompagner le choix des femmes, y compris celle qui veulent s’engager dans la vie politique. C’est de la responsabilité des pouvoirs politiques pour qu’aucune discrimination ni vexation ne soient exercées à l’encontre des femmes.

La dimension d’épouse : la sponsalité

J’entends par cet aspect la capacité de la femme à coopérer avec l’homme dans la famille, dans la vie professionnelle et dans la vie politique.
Pour sortir la femme de la subordination, les gender feminists ont tenté deux réponses : prendre le pouvoir et gommer les différences considérées comme un conditionnement culturel ou un déterminisme biologique.

La femme et l’homme sont entrés dans un jeu de séduction/domination parce qu’ils ne se regardent plus dans l’unité de leur personne. Or, ni l’homme seul, ni la femme, seule, ne dit ce qu’est l’humanité. Mais ensemble dans l’unité des deux.

L’unité duelle, si chère au Bienheureux Jean Paul II est un double appel :

- Un appel à l’unité de la personne humaine. C’est parce que l’homme et la femme sont corps et esprit, animal raisonnable, ou animal politique selon Aristote, qu’ils sont égaux en dignité. Ils ont la même humanité, la même nature humaine. Cette unité signifie que je suis mon corps et je suis mon esprit, mon intelligence et ma volonté. Mon corps n’est pas un bien matériel à coté de moi.

- C’est aussi un appel à exister ensemble, et non à coté ; ensemble l’un pour l’autre pour sortir des tensions entre l’homme et la femme et chercher celui qui peut m’enrichir parce que différent, parce qu’il peut me donner ce que je n’ai pas parce qu’il est ce que je ne suis pas.

Car l’homme et la femme sont faits pour la relation avec un autre que soi. L’humanité sexuée est une réalité relationnelle qui invite l’homme et la femme à la complémentarité dans une perspective de don. Leur égalité se réalise en tant que complémentarité physique, psychologique et ontologique. Cette complémentarité n’est pas de l’ordre du « faire » ou de l’ »agir », mais plus fondamentalement de l’ « être ». Si bien que la complémentarité dans la relation entre deux personnes ne peut se réaliser qu’avec un autre que soi-même et non avec le même pour que le masculin et le féminin réalise pleinement l’humanité.
Les féministes radicales et les gender feminists ont tenté de répondre à la quête d’égalité par le faire et l’agir, par les fonctions ou les comportements. L’égalité de l’homme et de la femme se situe à un autre niveau, qu’elles n’ont pas vu ou ne veulent pas voir : dans l’unité des deux qui transcendent ces aspects et qui dispose au don, les corps, les cœurs et les intelligences.

La dimension de mère : la maternité
La spécificité de la femme à porter et à donner la vie lui donne sa « capacité de l’autre », c’est-à-dire, l’éveil, la croissance et la protection de l’autre. Cette réalité structure la personnalité de la femme en profondeur.

Si la maternité est un élément fondamental de l’identité féminine, on ne peut pas enfermer la femme dans un destin purement biologique. Mais cette capacité la met dans une disposition d’attention à l’égard de l’autre.
Mais comme la famille est biparentale, la maternité ne peut se concevoir sans la paternité, sauf à concevoir la maternité comme un bien propre de la femme.

Ce nouveau regard sur la femme et sur l’homme, dans leur totalité unifiée permet de construire une société pacifiée où la coopération et la communion surtout vraie dans le mariage, remplacent la rivalité ou la compétition. Une société où l’homme et la femme sont capables d’une œuvre commune, pour eux-mêmes dans le couple, pour leurs enfants dans la famille, pour le bien de la société dans la vie professionnelle et enfin pour le bien commun dans la vie politique. Cette œuvre commune exige le sens du service, du don de soi, de l’amour reçu et donné.

La famille est précisément le lieu privilégié de toutes ces découvertes car elle est le lieu par excellence des premiers apprentissages de la vie en société : entre génération, entre personne de même sexe et de sexe opposé. En ce sens elle est la cellule fondatrice de la société. C’est la raison pour laquelle, on ne peut toucher au droit de la famille qu’avec une extrême prudence.

Conclusion

Benoît XVI l’avait rappelé devant 200 femmes du monde entier réunies à Rome pour fêter le 20ième anniversaire de Mulieris dignitatem. La légitime aspiration des femmes à exercer des responsabilités dans les différentes instances sociales ne peut se faire « sans approfondir les vérités anthropologiques de l’homme et de la femme, l’égale dignité et l’unité des deux, la diversité enracinée et profonde entre l’homme et la femme et leur vocation à la réciprocité et à la complémentarité, à la collaboration et à la communion ».

Mulieris dignitatem est une réponse actuelle aux « deux tendances dominantes du féminisme radical : l’ « empowerment », qui prétend défendre l’identité féminine « en faisant de la femme l’antagoniste de l’homme », et l’ « idéologie du genre », qui tend à éliminer la différence sexuelle en la concevant « exclusivement comme le résultat de conditionnements culturels… Il faut promouvoir un « nouveau féminisme » qui reconnaisse le « génie féminin » et travaille pour le dépassement de toute forme de discrimination », avait poursuivi le cardinal Rylko, président du Conseil pontifical pour les Laïcs.

Le nouveau féminisme invite à regarder la personne humaine en vérité, dans sa dignité et son intégralité et à considérer l’homme et la femme dans leur unité duelle, selon les paroles du Bienheureux Jean-Paul II, dans sa Lettre aux Femmes, en 1995.

Ce sont les conditions d’une société de paix et c’est aussi notre espérance !

Nota : vous retrouverez l’intégralité de ce texte (notes et annexe) dans le document pdf joint.

Échange de vues

Philippe Laburthe : En ce qui concerne le féminisme ancien, il semble que la décadence des féministes passionnées vient de ce que les gens ignorent de plus en plus le latin. Parce que quand on parle des droits de l’homme, l’homme c’est à la fois l’homme et la femme.

Et dans beaucoup de langues, il y a un nom pour désigner le genre humain. En latin, il y a « homo », « vir », il y en a d’autres encore si on veut. Les Droits de l’Homme, c’est “hominum”, les hommes. Hominis, c’est l’homme et la femme à la fois.

Gérard Donnadieu : Je voulais faire une remarque sur les causes, les dérives de tout ce qui se dit autour de la théorie du genre et du féminisme, mais que l’on trouve dans d’autres domaines en particulier au niveau de la pensée socio-économique.

Est-ce qu’il n’y a pas à la base de tout cela une erreur de type épistémologique qui est typiquement anglo-saxonne, parce que ce qui me frappe c’est que cette nouvelle approche, vient du monde anglo-saxon, Etats-unis et Grande-Bretagne

C’est, je crois, le postulat de ce qu’en sociologie on appelle “l’individualisme méthodologique”. L’on considère la réalité, toutes les réalités humaines comme étant des constructions certes complexes mais, somme toute, secondaires, d’une réalité première qui est l’individu.

Donc cela conduit à ce que vous avez mis en évidence au niveau de l’analyse sociétale : le couple humain. Mais cela conduit aussi au niveau social, économique à ne pas voir la réalité des communautés locales, par exemple au plan de l’entreprise, et à considérer que ces réalités ne sont fondées que sur des agrégats provisoires et fugaces d’individus, et c’est la même vision que l’on va avoir de la famille.

Elizabeth Montfort : Votre remarque est tout à fait juste.

Effectivement en ce qui concerne la théorie du Gender, d’où nous vient cette théorie ou cette idéologie, il vaut mieux parler d’idéologie d’ailleurs au sens subversif où l’entend Judith Butler par exemple.

Elle nous vient des Etats-Unis et elle nous vient de la disjonction donc d’une question de vocabulaire. C’est-à-dire que, en français, le mot sexe fait référence au sexe biologique ou anatomique et au groupe social homme ou femme. On parle du sexe féminin, c’est le groupe social des femmes, alors qu’en anglais on parle du gender signifier le groupe social et du « sex » pour signifier la réalité biologique ou anatomique.

Donc déjà il y a une disjonction et on voit bien qu’en français le seul mot montre le lien entre le genre et le sexe.

Même si on sait bien que la personnalité de quelqu’un ne se construit pas qu’à partir du corps et qu’on ne peut pas réduire la personne humaine au corps sexué, mais on ne peut le nier. Et donc en disjoignant deux composantes (c’est très mal dit) mais deux aspects de réalité de la personne humaine, en effet on en vient à dissocier les relations entre les personnes, on en vient à une culture de dissociation.

Nous sommes aujourd’hui dans une culture de dissociation.
En ce qui concerne l’union entre deux personnes, la question de la famille, on dissocie parenté et parentalité.

Cela nous oblige à re-préciser de quoi l’on parle ce qui est quand même le signe d’une grande faiblesse, d’un appauvrissement de la pensée
La parenté c’est le fait d’être parent, c’est-à-dire le fait d’être un état, c’est d’avoir donné la vie, d’avoir engendré et seul l’homme et la femme ensemble peuvent avoir engendré. Donc ça c’est pas une théorie, c’est la réalité.

Et on parle de plus en plus de parentalité qui est l’exercice de l’autorité parentale. Pourquoi ? De façon à pouvoir permettre, ça c’est le point de vue des féministes radicales, à des individus, de pouvoir être parents, alors qu’objectivement ils ne le sont pas.

Nous sommes dans une culture de dissociation et c’est vrai que l’anglais ayant envahi les instances internationales, on ne parle plus français, même au Vatican on parle de plus en plus anglais. Il y a peu dicastères où on parle français, donc l’anglais et le mode de penser anglais ou anglo-saxon en général s’imposent de plus en plus et c’est tout à fait vrai également sur la notion de droit

La France, le droit français est inspiré du droit romain qui est divisé entre sujets de droit, objets de droit. Le droit français pendant très longtemps a été inspiré par les droits universels c’est-à-dire des droits qui se constatent, qui ne se créent pas, qui ne s’inventent pas parce qu’ils sont inhérents à la personne humaine. Or aujourd’hui, et ça, c’est vraiment dans la culture anglo-saxonne,

La culture anglo-saxonne développe un droit subjectif, des droits qui se créent en fonction des besoins des uns et des autres, des individus. Donc nous sommes en permanence dans une concurrence entre ces deux conceptions du droit réaliste ou universel et droit subjectif, ou nouveau droit. Et tout ce qu’on entend par « droits de l’Homme » tels qu’ils sont exprimés aujourd’hui comme traduction de revendication de groupes de pression, de lobbying, ce sont des droits abstraits, nouveaux, que le droit, que la loi doit intégrer. Par exemple le droit au mariage, le « droit » ! Mais le mariage n’est pas un droit ! Ce n’est pas un droit, c’est « toute personne peut se déclarer au mariage pour fonder une famille », Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 !

Donc il y a une dérive, vous avez tout à fait raison d’insister sur le vocabulaire, sur la sémantique. Il y a une dérive pour moi de la pensée et de la raison. Le coeur de cette dérive, c’est qu’on ne sait plus ce qu’est la personne humaine. Comme on ne sait plus ce qu’est la personne humaine, on ne sait plus ce qu’elle signifie, au sens de “sens”, ce n’est pas au sens d’utilitarisme, au sens de sens dans son unité.

Et donc cette question, encore une fois, du féminisme radical, du gender, sont l’occasion et c est une chance qui nous est donnée, pour réfléchir à la question de la personne humaine.

Profitons-en, saisissons cette chance !

Le Président : Dans la perspective de ce que vous nous avez présenté et puisque notre académie a une vocation de réflexion, d’argumentation, avec toujours en point de mire une perspective pratique : vous nous avez dit que les perspectives n’étaient pas bonnes, vous nous dites que c’est un problème de vocabulaire, de compréhension, c’est un problème idéologique…

Votre expérience de femme politique peut-elle vous permettre de dire ce qu’il conviendrait d’envisager comme mode d’action, – puisque vous avez dit que l’irréparable n’était jamais sûr, qu’il y avait toujours moyen d’espérer – pour concrètement suggérer ce que nous pourrions faire dans un délai plus ou moins long pour que les choses aillent dans le bon sens ?

Élizabeth Montfort : Je pense qu’à court terme et dans des moyens-termes, il y a tout un travail de rencontres avec les décideurs politiques. Et je pense en particulier au législateur. C’est vraiment le législateur qui pèse sur les décisions… C’est son rôle de se mettre dans des réunions, de débattre et de voter la loi finale.

Si je vous dis cela c’est d’abord parce que je l’ai expérimenté. On ne peut pas être compétent en tout. C’est impossible.

Or le législateur, le député ou le sénateur, il va voter sur tous les textes. Et au Parlement européen, j’avais des assistants qui étaient sérieux, que j’avais choisis mais je voulais quand même vérifier leur liste de vote. Je voulais quand même suivre parce que quelquefois ce n’est pas si simple, cela peut être ambigu, cela peut être subtil.

Tout ceci pour vous dire que les parlementaires ne sont pas compétents sur tout dans tous les domaines et sont très souvent démunis non pas par mauvaise foi toujours ! Ne considérons pas nos parlementaires comme des gens obscurs, paresseux, ignorants. Ils sont parfois de bonne foi mais démunis.

Donc ils n’ont pas les outils ou le vocabulaire, les arguments pour pouvoir peser sur la décision.

Je l’ai mesuré de près parce que j’ai travaillé avec beaucoup de parlementaires, une quarantaine au final au moment des révisions des lois de bioéthique.

J’ai revu un certain nombre de parlementaires au moment où Jean-Marc Nesme relançait son Entente parlementaire sur la question du droit de l’enfant à être élevé par son père et sa mère. Et un certain nombre de parlementaires me disaient : « donnez-moi un article ou une note parce que je n’ai aucun argument pour ou d’argument contre. »

Ils sont démunis. Alors cela signifie peut-être que notre système scolaire n’est pas suffisamment solide pour nous aider à discerner. C’est possible.
En tout cas c’est ainsi, la situation est telle aujourd’hui que, lorsque nous rencontrons des parlementaires ou des candidats, c’est le moment, et que nous discutons avec les uns et les autres d’une manière courtoise, sans arriver avec notre grand étendard ou notre grand savoir : « vous, vous ne savez rien et vous avez le pouvoir, moi j’arrive avec mon grand savoir ». Non ! Avec douceur, mais avec fermeté, dans un esprit de dialogue, je dirai même de respect parce que finalement lui ou elle sont législateurs, ils vont voter en notre nom.

Et donc il y a tout une coopération qui peut commencer et je vous assure qu’après il peut y avoir de belles amitiés et un travail en commun.
Je le fais avec un parlementaire. Parfois il est en panne sur un sujet, là, il m’appelle et me dit : « je suis en panne sur un sujet, je ne vois pas bien… »

Donc ça prend du temps, c’est un travail de fourmis, c’est un travail qui ne se voit pas mais c’est un magnifique travail de coopération et là je trouve qu’on est bien dans le nouveau féminisme.

Justement cette communion, cette œuvre commune sur un plan intellectuel ou de réflexion mais aussi sur un plan pratique parce que le but ce sera d’aider, c’est-à-dire de donner des outils parce que nous prenons un peu une distance sur ces questions parce que nous ne sommes pas dans l’arène politique. Alors nous prenons un peu de distance et peut-être que nous avons plus de temps pour justement réfléchir et argumenter.

Donc voilà, il y a de belles amitiés et de belles œuvres communes qui peuvent commencer, se développer et perdurer ensuite.

Bertrand de Dinechin : J’allais dire : et l’homme dans tout cela ?
L’homme, c’est l’être viril par excellence. Est-ce qu’il n’est pas en train de se déviriliser ?

On voit des hommes qui, maintenant, prennent le rôle des femmes à fond !
La société est en train de se féminiser et il y a là une conséquence que vous n’avez pas évoquée parmi les éléments présentés.

Élizabeth Montfort : C’est bien la raison pour laquelle j’ai insisté sur le fait que le double objectif du nouveau féminisme. Il y a à la fois deux mouvements : une invitation à la réconciliation de la femme avec elle-même dans sa triple dimension de femme, d’épouse et de mère et une réconciliation avec l’homme dans sa triple dimension d’homme, d’époux et de père.

Et je prends bien “époux” dans un sens plus large que le sens du mariage, c’est-à-dire dans cette œuvre commune et je prends bien aussi cette notion de paternité à un niveau plus large que d’être père charnel ou biologique, c’est-à-dire celui qui engendre dans un sens spirituel, de la maternité ou la paternité spirituelles.

Aujourd’hui nous sommes en effet dans une société féminisée.

Le drame, ce n’est pas tant le fait que les femmes se soient imposées. Après tout, elles sont dans leur rôle si elles prennent leur place dans la vie sociale, la vie politique et la vie économique.

Mais le drame aujourd’hui, c’est que tout ce féminisme radical, ce gender feminism a entraîné une culpabilité chez les hommes. Donc vous n’osez plus, messieurs, dire « je suis un homme ».

Voilà ce que cela signifie.

Alors, quand vous ne pouvez plus le dire – pour les raisons que je viens d’exprimer – c’est à nous, les femmes, de vous aider à le redire. Donc à vous exprimer comme homme, non pas machiste parce que si on réduit là aussi l’homme au machisme, on n’a rien compris, mais comme homme qui a toute sa place, son rôle à jouer dans la société et comme époux, pour une œuvre commune avec la femme, et comme père pour l’éducation des enfants, évidemment.

Philippe Scelles : Je suis Président de la Fondation Scelles et lorsque le Président, Madame, vous a demandé tout à l’heure ce que nous pouvions faire, je me permets de donner un exemple très précis.

Nous nous occupons des problèmes d’exploitation sexuelle des femmes et des enfants dans le monde.

Dernièrement les parlementaires ont été amenés à traiter de cette question. Qu’avons-nous fait ? Nous avons d’abord passé des accords entre associations et nous sommes allés voir une trentaine de parlementaires personnellement, les uns après les autres et, comme vous l’avez dit tout à l’heure, très gentiment leur expliquer quel était le problème.

Je peux vous dire que le 6 décembre dernier à l’Assemblée Nationale, tous partis confondus et c’est rarissime, tout d’abord les députés ont remercié les associations qui leur avaient apporté ce message et ils ont pris des résolutions en faveur de l’abrogation de la prostitution.

Et nous allons en décembre à Bruxelles essayer de faire la même chose au niveau européen.

Voilà un peu modestement ce qu’on peut faire. C’est tout un travail de « lobbying » pour rencontrer dans chaque département, les députés, les sénateurs, les conseillers généraux…

Le Président : Je vous remercie parce que finalement notre rôle est aussi de permettre, grâce à vos témoignages, que nos réflexions puissent trouver des applications.

Jean-Paul Guitton : Je voudrais revenir sur la parité et l’égalité. L’égalité de l’homme et de la femme en tant que personnes, égalité en dignité et égalité de droits, n’appellent bien entendu pas d’objection. Mais il ne peut s’agir d’une égalité totale et absolue, au sens mathématique d’identité. Ce n’est quand même pas tout à fait la même chose !

Là-dessus vous nous dites : « il y a la démocratie paritaire », et vous nous avez donné des exemples : dans le partage des rôles domestiques, et maintenant dans des lois qui imposent un nombre égal d’hommes et de femmes dans un certain nombre d’institutions.

Je ne comprends pas leur logique. Si un homme égale une femme, c’est équivalent qu’on désigne un homme ou qu’on désigne une femme dans une assemblée, non ? La parité, c’est donc la reconnaissance, involontaire peut-être, qu’il n’y a pas égalité entre l’homme et la femme.

À l’inverse, est-ce que l’on ne devrait pas exiger la parité dans le mariage, est-ce que ce n’est pas un argument à utiliser pour éviter le pire ? Ou est-ce qu’il risquerait de se retourner contre nous ? Je ne sais pas.

Élizabeth Montfort : Pourquoi pas ? Alors, je trouve que c’est un argument à utiliser.

Ce courant démocratique paritaire, il est intéressant sur un point car il est quand même fondé sur la différence sexuelle de l’homme et de la femme, sur l’altérité.

Et je vous ai bien dit que dans chaque courant il y a un point positif, un début qui est positif et on voit bien le sens et puis très vite on absolutise, on en fait le tout alors que c’est un aspect de la question.

C’est le propre de l’idéologie.

La société est parité, oui.

Est-ce que cela veut dire que, dans tous les domaines, il faut que la parité soit décrétée ? Mais non, parce que là, on est dans l’abstraction. On est presque dans le totalitarisme.

Parce que la société est dans la parité alors il faut décréter des quotas ? Non ! Qu’on laisse les compétences s’exprimer, les choix ou alors, comme vous dites, qu’on aille jusqu’au bout.

Vous savez qu’aujourd’hui en médecine il y a 75 % des étudiants qui sont des jeunes filles. Alors, attention !

À l’École de la magistrature 70 % des étudiants sont des jeunes filles. Attention !

Et dans l’enseignement, c’est 90 ou 95 %.

Dans les écoles d’agro : 70 % sont des filles. J’ai une fille qui a fait l’école d’agro, je n’ai rien contre, ce n’est pas ce que je veux dire. Mais attention !

C’est à la fois le côté directif et autoritaire. On décrète que dans les conseils d’administration, il faut X femmes ou X% de femmes.

C’est pour ça que tout à l’heure je vous disais la phrase de Monsieur Baroso : « Pour un mieux vivre ensemble ». Non, ce n’est pas l’abstraction, ce ne sont pas les décisions arbitraires qui vont nous permettre de mieux vivre ensemble.

Sur l’égalité. Tant que l’égalité est réduite au faire et à l’agir, on n’arrivera pas ! Parce que même entre femmes on n’exercera pas les mêmes fonctions parce qu’on n’a pas les mêmes talents. Entre hommes, c’est pareil.
Donc essayons de voir ce qui fonde l’égalité. Et après, laissons les talents s’exprimer, les souhaits, les désirs mais sortons de cette pensée paralysante

Alberte Voulleuy : Sur la différence entre les hommes et les femmes ; si l’on pense au sort dramatique des jeunes filles qui avaient des enfants sans être mariées. C’était épouvantable ! Cela peut expliquer l’aigreur de certaines féministes. On n’en parle pas.

Je ne suis pas pour la parité mathématique, je trouve cela ridicule. Il y a des femmes remarquables qui n’ont pas vocation à faire carrière.

Je finirai sur parent et parentalité. Il y a quand même beaucoup de familles recomposées maintenant. Il faut voir les choses comme elles sont. Et est-ce que ce ne serait pas justement parce que souvent l’homme qui est présent dans la famille n’est pas le géniteur qu’on parle de “parentalité” et plus de “parent” ?

Élizabeth Monfort : Vous avez posé deux questions.

Votre réaction, légitime, à une manière de considérer la femme ou la mère était insupportable.

C’est ce que j’ai dit tout à l’heure. Au XVIIIème siècle, au siècle des Lumières on ne voyait dans la femme que sa fonction reproductive. C’est insupportable ! Et là on est bien dans l’unité de la personne voyez, on ne prenait pas en compte toutes les autres dimensions de la femme.
Donc les courants féministes se sont en effet développés en réaction sur ce point, en réaction sur ce regard faussé, cette prise en compte faussée de la femme.

Ensuite, la parentalité.

Alors, c’est vrai, c’est un fait qu’aujourd’hui il y a beaucoup plus de familles (alors, j’ai horreur de ce mot “décomposé”, “recomposé”), il y a des reconfigurations plus qu’il y a vingt ans, cinquante ans. Mais un enfant, même si son père ou sa mère ne le voit pas très souvent, dans une grande majorité des cas, l’enfant voit de moins en moins son père, il n’empêche qu’il reste son père et on n’a absolument pas le droit de lui faire croire qu’un autre homme a pris sa place et que ce sera un parent. En revanche, que le deuxième mari de sa mère (vous savez, on ne sait même plus parfois quel mot utiliser) peut effectivement prendre en charge l’éducation de l’enfant, et c’est là qu’on peut parler de paternité.

Je ne suis pas là pour faire ce genre de promotion de cette situation, je suis en train d’expliquer que parfois un homme (et cela peut être une autre personne) peut exercer une paternité spirituelle, ce qu’on peut appeler une paternité spirituelle, une référence pour l’enfant, pour l’aider à grandir. Mais il ne peut en aucun cas être un deuxième parent.

Attention parce que là aussi on mettrait l’enfant dans des confusions, dans des situations floues ou confuses. Alors, attention !

Père Jean-Christophe Chauvin : La première chose que dit l’enfant, c’est « tu n’es pas mon père », donc tu n’as pas le droit de me commander.

Anne Duthilleul : Peut-être une remarque et aussi une question.
La remarque ou un témoignage négatif, parce que je reconnais l’erreur que j’ai pu faire en tenant certains propos, même ici d’ailleurs, lorsque je disais pour expliciter le côté égalitaire que nous avions dans notre famille, dans notre couple, que nous étions interchangeables, mon mari et moi, auprès des enfants. Je reconnais que ce vocabulaire n’était pas adapté puisque, vous l’avez bien dit qu’il ne se situait pas du tout au niveau des fonctions mais plutôt sur le plan des êtres.

Je voudrais rebondir sur la dernière remarque qui a été faite parce que vous disiez très justement tout à l’heure que maintenant on peut être un peu plus clairs sur les arguments qui peuvent être invoqués vis-à-vis du mariage homosexuel ou de l’adoption des enfants.

Et je crois que vous aviez très justement fait remarquer que si on se place du point de vue de l’enfant, cela change tout. Et c’est une façon de répondre à la question de l’adoption par les couples homosexuels.
Finalement l’enfant, lui, garde toujours deux parents, un père et une mère et de son point de vue c’est évidemment très dangereux de lui faire croire que c’est par d’autres gens que les choses sont arrivées et qu’elles perdurent.

Et donc je crois que c’est un argument que l’on peut bien utiliser si l’on regarde bien les choses.

Jean-Luc Bour : J’ai appris vraiment quelque chose. C’est que dans les familles courantes, il y a ce courant d’intervention de l’individualisme afin d’être plus libre que tout.

Mais justement, l’origine de la déconstruction vient de ce souhait d’augmenter son sentiment d’être libre. Je pense que, là, on va effectivement se rapprocher du pêché originel un jour où l’autre.

Peut-être que d’autres que moi ont entendu Michel Serres ; le dimanche 13 mai, il a parlé de ce sujet-là et cela m’a interpellé parce que je ne le voyais pas du tout comme cela.

Il disait par rapport à l’enfant-roi ou l’enfant par rapport à l’adoption, qu’en fait, il y avait le moment de la mise au monde, que la Création était un acte.
Mais, comme vous l’avez dit, la fonction la plus importante était dans la relation d’être de la personne qui accueillait l’enfant.

Alors, bien sûr, le père qui accueille l’enfant peut être de fonction génitale et heureusement, dans beaucoup de cas, l’est. Malheureusement, il ne l’est pas toujours et dans certains cas dans les familles reconfigurées comme vous l’avez dit, c’est quelquefois justement le mari de la mère qui devient cette personne, qui accueille l’enfant et qui va vivre cette relation, qui devient le père spirituel et pour l’enfant qui grandit devient vraiment le père. Et, se fondant sur cela Michel Serres disait « rien n’empêche l’adoption, tout est dans la manière dont les personnes vont accueillir l’enfant ». Et il disait aussi : « ce n’est pas dans la manière d’être mais d’accueillir l’enfant ».

J’ai trouvé cela très dangereux parce que cela découple beaucoup la fonction et l’être.

Élizabeth Montfort : Tout d’abord, il est très rare qu’un enfant ne soit pas accueilli au moment de sa naissance par son père et sa mère et en général, quand il y a des ruptures, ça vient après. Donc attention !

Donc une chose est de constater des situations douloureuses de ruptures où on pourrait trouver des correctifs. Mais vous comprenez en quel sens je le dis. C’est peut-être une manière d’atténuer la souffrance de l’enfant.

Une autre chose est de le reconnaître, de l’instituer dans la loi. C’est ça ce qui se joue aujourd’hui : on reconnaît. Et en fait, ce qui se passe c’est que ces groupes, ces gender feminists demandent à la loi de corriger ce qu’elle dénie à la nature.

Objectivement deux femmes, deux hommes ne peuvent être parents ensemble.

Or, en quoi la loi pourrait corriger cela ? On est bien dans l’intention, le désir d’adulte et on n’est pas dans l’accueil de l’enfant.

Tout à l’heure, je vous ai dit : « le nouveau féminisme, c’est la réconciliation dans une perspective du don et de l’accueil du don. On n’est pas dans cette perspective-là.

Et puis, dernière réflexion : un enfant, en effet, peut être élevé par deux femmes ou deux hommes. C’est arrivé. C’est déjà arrivé en particulier pendant la guerre ou après la guerre parce que le père était décédé et il y avait une sœur, une tante, une cousine, peu importe.

Aujourd’hui ce qui se joue, ce n’est pas ça. C’est qu’on fait croire à l’enfant que les deux femmes qui vivent ensemble sont ses parents. Donc on le met dans un mensonge ! Or il comprend très vite parce que nos enfants ne sont pas si sots, ils ont très vite compris comment les enfants se faisaient, comment se passe la procréation, la reproduction.

Et donc on les met dans une situation familiale qui ne répond pas à la réalité objective. C’est ça, le cœur de la difficulté.

Qu’un enfant soit élevé par deux hommes ou deux femmes, bon. C n’est pas ça la difficulté. Mais on lui dit que ce sont ses deux parents et qu’il peut avoir deux pères et deux mères, ça, c’est faux.

Et donc en effet (et c’est pour reprendre ce que vous disiez), il faut bien insister sur l’enfant dans une perspective de don. L’enfant ne s’achète pas. L’enfant n’est pas un dû mais l’enfant est un don. Je le reçois comme un don. Je l’élève comme un don. Il ne se programme pas même si on peut différer des naissances, mais cela, c’est autre chose.

L’enfant n’est pas un bien de consommation. Il ne fait pas partie d’un programme que j’ai décidé avec quelqu’un. C’est la fécondité, le fruit d’un amour donné et reçu donc d’une relation, d’une complémentarité entre l’homme et la femme. C’est cela, le nouveau féminisme.

Séance du 24 mai 2012

Annexe 1

Evangelium Vitae
sur la valeur et l’inviolabilité de la vie humaine, le 25 mars 1995

99. Pour obtenir ce tournant culturel en faveur de la vie, la pensée et l’action des femmes jouent un rôle unique et sans doute déterminant : il leur revient de promouvoir un « nouveau féminisme » qui, sans succomber à la tentation de suivre les modèles masculins, sache reconnaître et exprimer le vrai génie féminin dans toutes les manifestations de la vie en société, travaillant à dépasser toute forme de discrimination, de violence et d’exploitation.

Reprenant le message final du Concile Vatican II, j’adresse moi aussi aux femmes cet appel pressant : « Réconciliez les hommes avec la vie ».(133) Vous êtes appelées à témoigner du sens de l’amour authentique, du don de soi et de l’accueil de l’autre qui se réalisent spécifiquement dans la relation conjugale, mais qui doivent animer toute autre relation interpersonnelle.
L’expérience de la maternité renforce en vous une sensibilité aiguë pour la personne de l’autre et, en même temps, vous confère une tâche particulière : « La maternité comporte une communion particulière avec le mystère de la vie qui mûrit dans le sein de la femme… Ce genre unique de contact avec le nouvel être humain en gestation crée, à son tour, une attitude envers l’homme — non seulement envers son propre enfant mais envers l’homme en général — de nature à caractériser profondément toute la personnalité de la femme ».(134) En effet, la mère accueille et porte en elle un autre, elle lui permet de grandir en elle, lui donne la place qui lui revient en respectant son altérité. Ainsi, la femme perçoit et enseigne que les relations humaines sont authentiques si elles s’ouvrent à l’accueil de la personne de l’autre, reconnue et aimée pour la dignité qui résulte du fait d’être une personne et non pour d’autres facteurs comme l’utilité, la force, l’intelligence, la beauté, la santé. Telle est la contribution fondamentale que l’Eglise et l’humanité attendent des femmes. C’est un préalable indispensable à ce tournant culturel authentique.