La doctrine de la loi naturelle fait un retour remarqué dans l’enseignement éthique et politique du Magistère de l’Eglise catholique. Un document récent de la Commission théologique internationale intitulé : « À la recherche d’une éthique universelle : nouveau regard sur la loi naturelle » (2009) propose une réflexion sur ce thème fondamental. À la lumière de ce document, on abordera quelques-unes des questions suivantes qui sont au coeur du débat :
1/ De quelle « nature » parlons-nous quand nous nous référons à la loi naturelle ?
2/ En quel sens pouvons-nous affirmer que cette nature fait loi pour la personne humaine ?
3/ Comment concilier l’universalité présumée de la loi naturelle et la diversité extrême des cultures ?
4/ La loi naturelle est-elle compatible avec la démocratie ?
5/ L’éthique de la loi naturelle est-elle chrétienne ou païenne ?

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Jean-Paul Guitton : C’est parce qu’il est l’auteur du « Guide de lecture » à A la recherche d’une éthique universelle : nouveau regard sur la loi naturelle, Document de la Commission théologique internationale (Paris, Cerf, 2009) que nous avons pensé à faire appel au père Serge-Thomas Bonino pour la première communication de cette année. Qui pouvait en effet mieux que lui nous introduire dans le thème d’année de l’Académie auquel nous avons donné le titre même du document de la Commission théologique internationale ?

Avant de lui donner la parole, il me revient de vous le présenter, en quelques mots, car l’énoncé même de ses fonctions successives et plus encore la liste de ses publications et contributions de toutes sortes nous prendrait une bonne part de la séance.

Natif de Marseille, où il a passé sa jeunesse (voilà déjà passées les vingt premières années de sa vie qui n’en compte pas encore cinquante), Serge-Thomas Bonino entre la même année, 1982, à l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm et au noviciat des Frères Prêcheurs de la province de Toulouse.

La première décennie de sa vie d’homme (1982-1993) lui permet de gravir les échelons des deux cursus, universitaire (maîtrise de philosophie en Sorbonne, puis le doctorat de philosophie à l’Université de Poitiers en 1993), religieuse et sacerdotale (profession dans l’Ordre des Frères Prêcheurs, études de théologie à Toulouse, ordination sacerdotale en 1988, doctorat en théologie à Fribourg en 1992).

Commence alors une vie particulièrement féconde de professeur, de chercheur, de responsable et d’expert. Entendez par là des fonctions d’enseignant en philosophie médiévale à la Catho de Toulouse et de théologie dogmatique au studium des Frères Prêcheurs à Toulouse. Plus d’une centaine de publications d’articles, de contributions à des ouvrages scientifiques, de préfaces, de recensions de livres, et la direction de la Revue thomiste. Je passe rapidement sur ses responsabilités successives ou concomitantes dans la province dominicaine de Toulouse, de doyen de la faculté de philosophie de l’Université catholique de Toulouse (1999-2002), de conseiller religieux national des Guides et Scouts d’Europe (depuis 2009), pour citer enfin la qualité de membre de la Commission théologique internationale, où il a présidé la sous-commission sur la loi naturelle (2004-2009).

C’est donc le spécialiste de la loi naturelle que nous allons maintenant entendre, mais j’ai noté que nous aurions pu faire appel à lui dès l’année dernière, pour nous aider à répondre à la question de Pilate quid est veritas ?, car le père Bonino a beaucoup étudié la vérité depuis ses thèses de philosophie et de théologie qui porte sur les Quaestiones disputatae de veritate (questions disputées sur la vérité) de saint Thomas d’Aquin.

Père Serge-Thomas Bonino : Au centre du jardin, un arbre ; l’arbre de la connaissance du bien et du mal. De soi, il est très utile d’être capable de discerner le bien et le mal. C’est d’ailleurs la grâce que demandait Salomon, du temps où il était encore un sage : « ‘Donne à ton serviteur un cœur plein de jugement […] pour discerner entre le bien et le mal, car qui pourrait gouverner ton peuple, qui est si grand ?’ Il plut au regard du Seigneur que Salomon ait fait cette demande » (1 R 3, 9-10). En effet, pour celui qui est en charge d’une communauté comme pour le simple particulier, savoir discerner le bien du mal est la condition d’un agir personnel et responsable. Appliquer une loi, obéir à un commandement… c’est bien. Comprendre pourquoi j’obéis ou, mieux encore, comprendre la raison de la loi et du commandement, c’est mieux. C’est ce qui distingue l’homme libre, l’ami, le coopérateur, qui entre dans le projet de son ami, du simple serviteur : « Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ; mais je vous appelle amis, parce que tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître » (Jn 15, 15). La gloire de Dieu n’étant pas de régner sur des esclaves mais de susciter des collaborateurs, il a voulu que l’homme soit capable, par la lumière de sa raison et par celle de la foi, de comprendre et d’intérioriser son projet, afin qu’il collabore personnellement à sa réalisation.

Mais, en même temps, Dieu interdit à l’homme, sous peine de mort, de manger le fruit de l’arbre ! Il signifie par là que, si l’homme doit apprendre à discerner le bien et le mal, il n’est ni la source ni le maître du bien et du mal. « Par cette image, dit Jean-Paul II, la Révélation enseigne que le pouvoir de décider du bien et du mal n’appartient pas à l’homme, mais à Dieu seul . » Le bien et le mal moral sont des réalités objectives et universelles, fondées sur la vérité même des choses. Ils précèdent le choix libre de l’homme et ne dépendent pas plus de lui que n’en dépend sa propre existence, puisqu’il n’est ni sa propre origine ni sa propre fin. Le discernement du bien et du mal prend donc la forme d’une « re-connaissance », ou d’une connaissance participée.

Comment s’effectue cette reconnaissance ? On dira qu’il existe des chartes fondamentales, comme la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948). Elles énoncent des droits qui renvoient à des valeurs éthiques à visée universelle. Ces valeurs sont censées s’imposer à toute conscience humaine et inspirer les diverses législations particulières. Y compris en Chine – d’où la légitimité des remontrances faites au gouvernement chinois à propos du non-respect des droits de l’homme ou, en tous cas, la légitime mauvaise conscience de ne pas les faire sous prétexte de réalisme politique !

Mais l’esprit humain est ainsi fait qu’il ne peut se satisfaire d’un pur donné positif. Il désire connaître la raison d’être. Le positivisme moral et juridique, qui détache la loi de tout fondement rationnel (ou, du moins, qui réduit la raison à un rôle purement instrumental ou procédural dans la détermination des normes éthiques) est une violence faite à l’esprit. Pire. En niant tout absolu au fondement de l’ordre moral, il entretient une étroite complicité avec le nihilisme. Si la justice a un sens et si la loi est autre chose qu’un compromis provisoire entre des intérêts divergents, nous ne pouvons bâtir l’édifice moral, politique et juridique sans nous interroger sur la solidité des fondations. Nous cherchons la raison de la loi. Pourquoi devrais-je contribuer de mes deniers à venir en aide aux personnes handicapées ? Est-ce pour satisfaire à une sensibilité sociale encore dominante, teintée de préjugés religieux ou humanistes, ou bien l’exigence de solidarité envers toute personne humaine est-elle un absolu, « non-négociable » ? En effet, si certaines dispositions qui règlent notre existence commune sont purement conventionnelles (comme le fait de rouler à droite plutôt qu’à gauche : l’essentiel étant de se mettre d’accord), les grandes lois éthiques, elles, ne sont pas bonnes par le simple fait d’être promulguées par le législateur. Elles sont bonnes (et obligent en conscience) si et seulement si elles disent ce qui est objectivement bon. Elles doivent être justifiées au regard de la raison.

C’est ici que toute une tradition morale (que l’Eglise catholique assume dans son enseignement) se réfère à la loi naturelle. Celle-ci serait la norme rationnelle fondamentale, objective et universelle, en fonction de laquelle devraient s’apprécier les comportements personnels et les lois humaines. Voici la définition que le récent document de la Commission théologique internationale donne de la loi naturelle : « Les personnes et les communautés humaines sont capables, à la lumière de la raison, de discerner les orientations fondamentales d’un agir moral conforme à la nature même du sujet humain et de les exprimer de façon normative sous forme de préceptes ou commandements. Ces préceptes fondamentaux, objectifs et universels, ont vocation à fonder et à inspirer l’ensemble des déterminations morales, juridiques et politiques qui régissent la vie des hommes et des sociétés ». La doctrine de la loi naturelle comporte en effet deux aspects. D’une part, elle affirme que la conformité à la nature même des choses, spécialement à la nature humaine, constitue un critère essentiel pour le discernement moral. Un acte est moralement bon quand il est conforme à la nature humaine (c’est-à-dire favorise son développement authentique, son épanouissement) et mauvais quand il ne l’est pas. Le principe premier de la morale est donc, selon la formule classique : « Deviens ce que tu es ». Il est clair que, dans cette perspective, l’éthique dépend de l’anthropologie, et plus encore de la métaphysique. D’autre part, la doctrine de la loi naturelle soutient que les hommes sont capables de discerner par eux-mêmes (à titre communautaire comme dans leur conscience individuelle) la loi non-écrite, les exigences éthiques, universelles et objectives, inscrites dans la nature même des choses.

En 1968, dans l’encyclique Humanae vitae, le pape Paul VI invoquait la loi naturelle pour refuser les méthodes artificielles de régulation des naissances – la fameuse pilule. Cette encyclique, comme on sait, a été très mal reçue en son temps. On lui a reproché, entre autres choses, sa référence à la notion, jugée obsolète, de loi naturelle. A l’heure où l’homme, par les prouesses de la raison technique, se libérait des contraintes naturelles qui pesaient sur lui depuis des siècles, l’invitation à respecter les rythmes biologiques de la femme est apparue comme une provocation. On a cru devoir dénoncer une attitude obscurantiste, une forme de « physicisme », c’est-à-dire une éthique qui prône la soumission de l’homme aux déterminismes naturels. Un tel physicisme, d’une part, méconnaît la signification proprement métaphysique de la nature et, d’autre part, prend à rebrousse-poil le sens moderne de l’autonomie éthique de la personne humaine.

La doctrine de la loi naturelle a alors traversé une sorte de désert… qui s’est avéré bénéfique. En effet, théologiens et philosophes ont alors approfondi la notion de loi naturelle dans deux directions complémentaires. Les uns sont revenus aux sources de la doctrine, spécialement chez saint Thomas d’Aquin. Ils ont cherché à comprendre la doctrine de la loi naturelle dans le cadre des grandes intuitions de la morale thomasienne : le primat de la béatitude, la place des vertus, le rôle de la prudence… Ils ont ainsi voulu désolidariser la doctrine catholique de la loi naturelle de certaines présentations plus modernes de la loi naturelle, désormais inacceptables. D’autres, à l’instar de Jean-Paul II, ont travaillé à une présentation plus personnaliste de la doctrine de la loi naturelle, qui articule de façon plus satisfaisante personne et nature.

Grâce à ces efforts, le Catéchisme de l’Eglise catholique (1992) et l’encyclique Veritatis splendor (1993) ont pu donner à la loi naturelle une place déterminante dans l’exposé des fondements de la morale chrétienne. Depuis son élection en avril 2005, le pape Benoît XVI a fait de la défense et de l’illustration de la loi naturelle un des axes de son enseignement. La loi naturelle est pour lui l’envers positif de sa dénonciation du relativisme éthique, perçu comme une menace radicale pour la civilisation et en particulier pour la liberté et la dignité de la personne. Rien d’étonnant à ce que J. Ratzinger soit à l’origine du document de la Commission théologique internationale, paru en 2009, mais initié en 2004, alors qu’il était encore président de cette commission au titre de préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi.

Plutôt que de paraphraser ce document, je vais examiner quelques points controversés, ce qui devrait permettre de préciser l’idée de la loi naturelle qui ressort de ce texte, en écartant quelques objections et caricatures trop habituelles. Je me propose de répondre à cinq questions, dont la première, décisive, retiendra davantage mon attention :

1/ De quelle « nature » parlons-nous quand nous nous référons à la loi naturelle ?

2/ En quel sens pouvons-nous affirmer que la nature fait loi pour la personne humaine ?

3/ Comment concilier l’universalité présumée de la loi naturelle et la diversité extrême des cultures ?

4/ La loi naturelle est-elle compatible avec la démocratie ?

5/ L’éthique de la loi naturelle est-elle chrétienne ou païenne ?

1/ De quelle nature parlons-nous quand nous nous référons à la loi naturelle ?

Au début du XVIIe siècle, saint François de Sales, grand amateur d’exemples animaliers devant l’Eternel, proposait l’éléphant d’Europe comme modèle aux époux chrétiens. La fidélité de la bonne bête à son conjoint étant proverbiale, elle était censée, par contraste, couvrir de honte les époux trop volages. Aujourd’hui, certains apologistes de l’homosexualité crient victoire chaque fois qu’un zoologue identifie un comportement de type homosexuel dans une obscure population animale de la forêt tropicale. Ils y voient la preuve que l’homosexualité est « naturelle » puisque les animaux la pratiquent. Argument à faire frémir les théoriciens qui, comme M. Foucault, ont plutôt vu dans l’homosexualité le moteur d’une contestation révolutionnaire de l’« ordre naturel » !

Mais, dans un cas comme dans l’autre, on suppose une définition pour le moins réductrice de la « nature ». Comme si la nature se réduisait à l’animal en nous. Suivre la loi naturelle consisterait donc à suivre les instincts animaux, en secouant s’il le faut les artifices de la culture. Pour le Calliclès du Protagoras de Platon, darwinien avant l’heure, la loi la plus naturelle est la lutte pour la vie, la loi du plus fort. Approche confortée, dans la tradition classique, par la définition (malheureuse) du jurisconsulte romain Ulpien : « Le droit naturel est ce que la nature a enseigné à tous les animaux, car ce droit n’est pas propre au genre humain, mais il est commun à tous les animaux ».

On est alors pris dans une alternative suicidaire : soit la nature, soit la culture, pensée comme anti-nature. Car on n’imagine pas un instant que la culture puisse de quelque manière être l’expression de la nature humaine elle-même, tout simplement parce que c’est un présupposé non-critiqué de la culture dialectique moderne que le règne de la nature et règne de l’esprit (humain) sont absolument hétérogènes.

Or, telle n’était pas la conception que saint Thomas d’Aquin se faisait de la nature humaine. Dans un célèbre article consacré à la loi naturelle, saint Thomas distingue trois inclinations naturelles fondamentales à l’œuvre chez l’homme . Notez que la nature est pensée ici non à la manière statique d’une essence mathématique mais en terme de dynamismes finalisés :

* Le premier de ces dynamismes lui est commun avec tout étant : c’est l’inclination à perdurer, à se conserver dans l’être, à résister aux forces de dissolution. Saint Thomas en déduit que la loi naturelle prescrit à l’homme de rechercher ce qui assure sa propre conservation et de fuir ce qui y est contraire.

* Le deuxième dynamisme, l’inclination à se reproduire et à élever sa progéniture, lui est commun avec tous les vivants.

* Le troisième dynamisme à l’œuvre chez l’homme lui est propre comme être rationnel. Saint Thomas en signale deux manifestations : l’inclination à connaître la vérité sur Dieu et l’inclination à vivre en société (ce second dynamisme étant au service du premier). Loin donc d’opposer l’esprit à la nature, saint Thomas, primo, attribue à l’esprit une nature (l’intelligence est finalisée par le vrai et la volonté par le bien) et, secundo, voit dans les inclinations d’ordre spirituel l’élément déterminant dans ce complexe qu’est la nature humaine, indissociablement charnelle et spirituelle.

La vraie question est en effet : comment s’articulent ces trois dynamismes ? Comment s’harmonisent en l’homme l’animal et le spirituel ? Il faut emprunter ici une ligne de crête entre deux précipices : le dualisme anthropologique et le physicisme, qui, pour opposés qu’ils semblent être, découlent l’un et l’autre d’une même source, déjà signalée : l’opposition entre le règne de l’esprit et le règne de la nature .

Cette opposition est l’aboutissement d’une évolution philosophique complexe, dont les racines plongent dans le Moyen Age tardif et qui a conduit au rejet de toute finalité intrinsèque, aussi bien dans la nature que dans l’esprit humain. J’en signale seulement deux aspects.

Primo, la révolution scientifique galiléenne a désenchanté la nature. Celle-ci est désormais réduite à une corporéité sans profondeur puisque le monde des corps est identifié à l’étendue (Descartes). La nature est régie certes par des lois mathématiques mais elle est dénuée de toute téléologie ou finalité immanente. La raison, si raison il y a, est toute extérieure à la « machine ». La philosophie cartésienne puis la physique newtonienne ont répandu cette image d’une matière inerte qui obéit passivement aux lois mécaniques du déterminisme universel et que la raison humaine peut donc connaître parfaitement et maîtriser. Dans ce cadre, la nature n’a plus rien à enseigner à l’homme. C’est plutôt à l’homme d’injecter un sens dans cette masse amorphe et insignifiante qu’il manipule à ses propres fins par la technique. La nature cesse d’être maîtresse de vie et de sagesse pour devenir le lieu où s’affirme la puissance prométhéenne de l’homme.

Secundo, au plan anthropologique, les développements du « volontarisme » et l’exaltation corrélative de la subjectivité ont complètement modifié la conception de la liberté humaine. Pour saint Thomas, la volonté libre est « naturellement » finalisée par le bien, comme l’œil par la lumière. Elle se déploie à l’intérieur d’un champ de forces polarisé par le bien objectif, dont l’attrait met l’esprit sous tension. Dans le volontarisme, par contre, la liberté se définit comme liberté d’indifférence vis-à-vis de toute inclination naturelle. C’est une liberté en surplomb de la nature.

1/ Le dualisme anthropologique moderne : Désormais, certains estiment que la liberté humaine est essentiellement le pouvoir de tenir pour rien ce que l’homme est par nature. Le sujet doit refuser toute signification à ce qu’il n’a pas choisi personnellement (son corps, son sexe biologique, sa généalogie familiale…) et décider pour lui-même ce que c’est que d’être homme. L’homme se comprend donc de plus en plus comme un « animal dénaturé », un être anti-naturel qui s’affirme d’autant mieux comme sujet qu’il s’émancipe davantage de la nature et s’oppose à elle. La culture, qui définit le propre de l’homme, est alors perçue non pas comme une humanisation ou une transfiguration de la nature animale par l’esprit, mais comme une négation pure et simple de cette nature.

Cela se traduit par la résurgence d’un dualisme anthropologique radical qui oppose l’esprit et le corps, puisque le corps est en quelque sorte la « nature » en chacun de nous. Ce dualisme se manifeste dans le refus de reconnaître une quelconque signification humaine et éthique aux inclinations naturelles inscrites dans le corps et qui précèdent les choix de la raison individuelle. L’idéologie du « genre », qui prétend refuser toute signification au sexe biologique, illustre à merveille cette logique. Le corps, réalité jugée étrangère à la subjectivité, devient un pur « avoir », un objet manipulé par la technique en fonction des intérêts de la subjectivité individuelle.

2/ Le physicisme : Le physicisme est une manière de présenter la loi naturelle qui, négligeant de considérer l’unité de la personne humaine, absolutise les inclinations naturelles des diverses parties de la nature humaine, en les juxtaposant sans les hiérarchiser et en omettant de les intégrer dans l’unité du projet personnel global du sujet. On absolutise ainsi les lois biologiques de la sexualité en méconnaissant que la sexualité doit être vécue de manière humaine, intelligente, personnelle. Par exemple, le comportement sexuel du sujet est jugé en fonction de la seule perspective de l’espèce : la personne est réduite à n’être un « instrument » au service des desseins de la nature. Pour certains manuels de morale catholique de la première moitié du XXe siècle, la malice de masturbation résidait davantage dans l’abusus, c’est-à-dire le mauvais usage, des instruments de la génération, ou encore dans le « gâchis » biologique qu’elle représentait, que dans la négation de la dimension interpersonnelle de la sexualité.

À la base du physicisme, il y a une vision tronquée de la nature humaine. Il méconnaît la nécessaire hiérarchisation et intégration des inclinations naturelles dans l’unité de la personne. Mais, à l’inverse du dualisme, il privilégie la nature physique sur la nature spirituelle. Il oublie qu’il y a une manière humaine de conserver sa vie qui peut aller jusqu’à la donner… Je signale au passage que le « physicisme », loin d’être un fantôme du passé, connaît une sorte de reviviscence dans les tendances radicales du mouvement écologique (deep ecology) qui subordonnent le bien des personnes humaines au bien supposé de la biosphère.

Face à ce divorce, il importe de tenir simultanément deux choses. D’une part, je ne suis pas un agrégat ou une juxtaposition d’inclinations naturelles diverses et autonomes mais un tout substantiel et personnel. J’ai vocation à m’unifier par l’orientation consentie vers une fin dernière qui hiérarchise les biens partiels manifestés par les diverses tendances naturelles. Cette unification des inclinations naturelles en fonction des fins supérieures de l’esprit, c’est-à-dire cette humanisation des dynamismes inscrits dans la nature humaine, ne représente d’aucune manière une violence qui leur serait faite. Au contraire, elle est l’accomplissement d’une promesse déjà inscrite en eux. D’autre part, dans ce tout organique, chaque partie garde une signification propre et irréductible qui doit être prise en compte par la raison dans l’élaboration du projet global de la personne. On ne fait pas n’importe quoi de son corps. Il faut prendre en compte sa signification intrinsèque.

La doctrine de la loi morale naturelle doit donc tenir en même temps le rôle central de la raison dans la mise en place d’un projet de vie proprement humain et la consistance et la signification propres des dynamismes naturels pré-rationnels. Le sujet moral est comme le jardinier. Il « invente » un jardin qui exprime sa personnalité, sa sensibilité esthétique, mais il le fait en tenant compte de la nature du terrain et des contraintes biologiques liées à la nature des plantes qui le compose.

2/ En quel sens pouvons-nous affirmer que la nature fait loi pour la personne humaine ?

La doctrine de la loi naturelle soutient que la nature – prise au sens intégral que je viens de préciser – fait loi pour l’homme, c’est-à-dire lui indique le chemin d’un comportement moral. Il y a ici deux niveaux de justification de cette affirmation.

Il est déjà possible de justifier les exigences de la loi naturelle « au plan de l’observation réfléchie des constantes anthropologiques qui caractérisent une humanisation réussie de la personne et une vie sociale harmonieuse ». La propriété privée, « ça marche » ; le kolkhoze, non. Toutes choses étant égales par ailleurs, l’éducation bi-parentale est plus satisfaisante que l’éducation mono-parentale…

Toutefois cette approche « empirique » ne peut suffire. « Seule la prise en compte de la dimension métaphysique du réel peut donner à la loi naturelle sa pleine et entière justification philosophique ». En effet, la doctrine de la loi naturelle apparaît intrinsèquement liée à la métaphysique de la création. Opus naturae est opus intelligentiae (l’œuvre de la nature est œuvre d’intelligence), disaient les médiévaux. La nature ne peut faire loi pour l’homme que parce que les dynamismes inscrits en elle sont l’œuvre d’une Intelligence, créatrice, comme une épiphanie du Logos. L’action créatrice du Logos fonde tout à la fois la présence d’une rationalité immanente à la physis, sa valeur normative pour le sujet moral et la capacité pour la raison humaine, logos participé, d’en interpréter le message. En se mettant à l’écoute de sa nature, l’homme se met en fait à l’écoute du Créateur.

3/ Comment concilier l’universalité de la loi naturelle et la diversité extrême des cultures ?

En 1960, le Cal G. Siri, alors archevêque de Gênes, gratifia ses ouailles d’un « avertissement » (toujours en vogue dans certains milieux traditionalistes) dans lequel il condamnait comme contraire à la loi naturelle le port des pantalons par les femmes. Mais, déjà, saint Paul faisait observer : « La nature elle-même ne vous enseigne-t-elle pas que c’est une honte pour l’homme de porter les cheveux longs » (1 Co 11, 14). Les adversaires de la loi naturelle ont donc beau jeu, en s’appuyant sur les acquis des sciences humaines (ethnologie, sociologie…) qui rendent évident un certain relativisme culturel, de dénoncer dans la référence à la loi naturelle l’absolutisation (plus ou moins naïve ou franchement idéologique) d’une pratique culturelle particulière.

Pourtant le relativisme a des limites. Les femmes en pantalon ou les hommes à longue tignasse peuvent agacer des prélats sourcilleux, mais les sacrifices humains pratiqués par les Incas inspirent une horreur légitime (on peut certes « comprendre » le sens de cette pratique, mais on ne peut la justifier). De même, peut-on fermer les yeux sur le statut social subalterne de la femme ou des minorités religieuses en terre d’Islam sous prétexte de respecter la diversité culturelle ? N’est-ce qu’en Europe que la femme est censée être égale à l’homme ? Bref, il y a des valeurs fondamentales qui se présentent comme des absolus et jouissent d’une certaine universalité transculturelle. Il est donc légitime de partir à la recherche d’une éthique universelle.

La loi naturelle peut jouer ce rôle. A deux conditions. La première, chère à Benoît XVI, est que l’on prenne quelque distance critique vis-à-vis de la tendance lourde de notre culture à limiter la rationalité aux sciences dures, ce qui conduit inéluctablement à abandonner la vie morale et religieuse au « sentiment », c’est-à-dire au subjectivisme relativiste. La doctrine de la loi naturelle insiste au contraire sur la capacité qu’a la raison humaine de connaître en vérité les grandes lignes, les normes fondamentales, d’un agir droit, juste, conforme à la nature et à la dignité de l’homme. Il y a une objectivité et une universalité rationnelles des normes morales.

La seconde condition est que l’on renonce à la vision de la loi naturelle issue du rationalisme moderne qui la conçoit comme un ensemble immuable de préceptes déduits a priori, « mathématiquement », d’une nature humaine abstraite, en surplomb de l’histoire et des cultures. La loi naturelle n’est pas un code tout fait de prescriptions intangibles. Elle est plutôt un principe intérieur d’inspiration, permanent et normatif, au service de la construction morale de la personne humaine. Avec saint Thomas, il faut à la fois tenir l’universalité des principes généraux et prendre acte d’une marge importante d’indétermination dans leur application selon les temps et les lieux. Qu’une société ait le droit naturel de punir ceux qui font le mal n’implique pas que la guillotine soit de droit naturel ! Il appartient à la raison (une raison sociale, c’est-à-dire « en dialogue ») de déterminer, à partir des orientations générales de la loi naturelle, les principes plus particuliers qui vont gouverner les choix concrets. La marge d’indétermination entre les principes immuables et leurs applications rend ainsi raison de l’historicité de toute éthique fondée sur la loi naturelle. Qui dit historicité dit progrès dans la prise de conscience des exigences de la loi naturelle (abolition de l’esclavage, reconnaissance du droit des femmes…) ou régression, en raison de conditionnements culturels lourds (légalisation de l’avortement ou de l’euthanasie).

4/ La loi naturelle est-elle compatible avec la démocratie ?

Il y a quelques années, au moment de la crise du foulard islamique, on a prêté à un président de la République, en l’occurrence peu inspiré, la déclaration suivante : « Il n’y a rien au dessus des lois de la République ». Outre qu’une telle déclaration, digne de l’antique Créon, constitue pour un baptisé une forme d’apostasie publique, elle a de quoi faire trembler tous les amis de la liberté. Dans un contexte où la crise des fondements moraux conduit à absolutiser la loi positive, la référence à la loi naturelle apparaît, comme c’était déjà le cas avec Antigone, comme la garantie suprême de la dignité de la personne et de sa liberté face aux menaces d’abus de pouvoir, voire de totalitarisme, que recèle le positivisme juridique. Dans le film bouleversant de Marc Rothemund, Les derniers jours de Sophie Scholl (2005), on assiste au dialogue suivant entre le commissaire nazi et la jeune fille :

« – [Le commissaire] A quoi voulez-vous faire confiance sinon à la loi, peu importe qui l’a décrétée ?

– [Sophie Scholl] A votre conscience.

– Foutaises ! Voilà la loi [il montre un code] et voilà les personnes [il montre des fiches]. J’ai le devoir en tant que criminaliste de vérifier si les deux coïncident et, à défaut, de dire où ça cloche.

– La loi change. »

Il est bon alors de rappeler que les lois civiles n’obligent pas en conscience lorsqu’elles sont en contradiction avec la loi naturelle et qu’il existe même un devoir de désobéissance au nom de l’obéissance à une loi plus haute . La reconnaissance du droit à l’objection de conscience constitue même la garantie légale qu’aucun système socio-politique ne peut s’ériger en Absolu. Mais par un curieux paradoxe, l’idéologie de la tolérance, dans la mesure où elle s’appuie sur le relativisme et refuse toute référence à un au-delà de la loi humaine, conduit à la plus extrême intolérance .

En outre, l’idée s’est répandue – et elle semble aujourd’hui une évidence – qu’en matière de vie sociale et politique la référence à une vérité morale objective était non seulement impossible, en raison du pluralisme des valeurs, mais aussi dangereuse. Le libéralisme s’est appliqué à dissoudre l’unité réelle de la personne en séparant radicalement le domaine public et le domaine privé. La morale et la recherche du bien ne concerneraient que les choix privés (divergents). Dans la vie publique, il faudrait se contenter du « juste », c’est-à-dire d’un compromis qui permet la vie en communauté. Ce qui suppose que le « juste » peut faire abstraction du « bien ».

Surtout s’est imposée l’idée que le relativisme (« à chacun sa vérité ») était seul garant de la paix sociale. Toute prétention à une vérité objective et universelle est désormais perçue comme une menace pour le consensus social. Quiconque se réfère à des valeurs transcendantes se place hors des normes du dialogue démocratique. La prétention à la vérité, dit-on, exclut et engendre la violence .

A quoi l’on peut répondre que la vérité exclut effectivement… l’erreur, mais non la personne qui se trompe. Mais, dans la culture contemporaine, il est devenu presque impossible de distinguer la personne de sa pensée, puisque la pensée, coupée de la référence à l’objectivité du vrai, n’est plus que l’expression d’une subjectivité. Critiquer une idée est donc perçu comme une agression vis-à-vis du sujet qui l’énonce (et – hélas – combattre une idée, revient souvent à éliminer la personne).

Allons plus loin : ce n’est pas la référence à la vérité qui est intolérante mais le relativisme. Car tout dialogue est une « triangulaire ». Il suppose en effet une référence commune objective à laquelle accepte de se soumettre chacun des partenaires du dialogue. Sinon, si l’on en reste au face-à-face, on aboutit à rapport de force, donc à la violence. Le relativisme réduit le dialogue (politique) à une combinaison instable d’intérêts subjectifs et sectoriels. Quand la vérité ou la justice cessent d’être la norme, la force matérielle et le droit du plus fort deviennent inéluctablement le critère ultime. C’est à celui qui crie le plus fort ou dont le lobby est le mieux financé…

Il s’ensuit que la démocratie a absolument besoin de la vérité et de la loi naturelle. Il faut donc contester la réduction de la forme démocratique de gouvernement à son aspect purement formel ou procédural (par exemple, à la règle de la majorité arithmétique). Historiquement et structurellement, la démocratie repose sur une certaine idée de l’homme et sur une éthique « substantielle » qui en découle et énonce des valeurs stables qui ont leur source dans les exigences de la loi naturelle et ne dépendent donc pas des fluctuations du consensus d’une majorité arithmétique. Benoît XVI ne cesse de rappeler que c’est de façon légale que le parti national socialiste est arrivé au pouvoir en Allemagne en 1933. Prenons un cas de figure : consulté par référendum, le peuple souverain décide, à la majorité, d’exclure de la vie civique tous les boulangers (ou, si vous préférez, tous ceux qui estiment qu’il y a quelque chose au-dessus des lois de la République). C’est légal. On dira que c’est anti-constitutionnel, mais c’est reculer pour mieux sauter, car la constitution elle-même ou bien exprime des valeurs absolues ou bien peut être modifiée… Reste que l’égale dignité civique des citoyens n’est pas une décision sujette à fluctuation mais un présupposé « naturel » de la démocratie.

5/ L’éthique de la loi naturelle est-elle chrétienne ou païenne ?

La référence à la loi naturelle est contestée sur deux fronts. Hors de l’Eglise, beaucoup n’y voient qu’un cheval de Troie du catholicisme, un enseignement confessionnel dissimulé sous un discours à prétention philosophique. De fait, il n’y a souvent guère que les chrétiens (ou, pire, « le front des religieux »), pour défendre certaines exigences de la loi naturelle. Dans l’Eglise, beaucoup redoutent que la référence à la loi naturelle, à une « éthique universelle », favorise la sécularisation de la morale chrétienne. De fait, la doctrine rationaliste moderne de la loi naturelle a été un redoutable instrument pour vider la morale chrétienne de son contenu spécifique.
Pour répondre à ces critiques et comprendre le statut épistémologique de l’enseignement sur la loi naturelle, il faut recourir à une juste conception de l’articulation de la nature et de la grâce, que l’on peut résumer en trois axiomes.

La grâce respecte la nature. Dans une société pluraliste en quête d’universel, on est fondé à insister sur la dimension rationnelle de la loi naturelle. Un dialogue est possible à partir de la raison commune à tous les hommes. Une des conséquences en est que les interventions des chrétiens dans la vie publique sur des sujets qui touchent la loi naturelle (justice dans les relations internationales, défense de la dignité de la personne humaine depuis sa conception jusqu’à sa mort naturelle, liberté religieuse et liberté d’éducation…), ne sont pas de soi de nature confessionnelle mais relèvent du souci que chaque citoyen doit avoir pour le bien commun de la société. Même la défense du repos dominical n’est pas la défense d’un privilège confessionnel mais celle d’une certaine idée de l’homme, du travail et de la société.

La grâce guérit la nature. La nature pure n’existe pas. L’homme est concrètement « embarqué » dans une histoire qui est d’ordre surnaturel et dont le Christ Sauveur est le centre. A la lumière de cette histoire, la raison apparaît comme blessée par le péché, si bien que, sans le secours de la grâce, elle ne peut se déployer à plein. La grâce assume alors la mission de rendre la nature à elle-même, en lui permettant, grâce aux lumières de la foi, de (re)prendre conscience de ses propres exigences. C’est en ce sens que l’Eglise se veut « experte en humanité » et n’hésite pas à se poser comme gardien, garant et interprète de la loi naturelle.

La grâce parfait la nature. La distinction de l’ordre naturel de la raison et de l’ordre surnaturel de la foi n’est pas une séparation. Le chrétien n’est pas schizophrène : d’un côté, la loi naturelle pour vivre en homme digne de ce nom et, de l’autre côté, la loi évangélique pour vivre en chrétien. Le risque serait que la loi évangélique apparaisse comme « plaquée » sur une vie humaine qui aurait déjà sa pleine cohérence en elle-même. La foi serait comme la cerise sur le gâteau, mais, comme chacun sait, c’est le gâteau qui compte ! En fait, la doctrine de la loi naturelle, même si elle a déjà une cohérence au plan naturel, ne reçoit que de Jésus-Christ la plénitude de son sens. En effet, à la lumière de la foi, le chrétien reconnaît en Jésus-Christ le Logos éternel qui a présidé à la création, et qui, s’étant fait homme, s’est présenté aux hommes comme la Loi vivante, le critère d’une vie humaine conforme à la loi naturelle. Bien plus, par l’Esprit saint qu’il a répandu sur le monde, Jésus-Christ donne à tous ceux qui le reçoivent d’intérioriser et de mettre librement en œuvre les exigences de la loi naturelle. La loi naturelle n’est pas abolie mais accomplie par la Loi nouvelle de la charité.

Échange de vues
Gérard Donnadieu : Je suis professeur de théologie fondamentale à l’École Cathédrale (Collège des Bernardins) et également président de l’Association des Amis de Teilhard de Chardin.

Je souhaite vous poser deux questions.

La première concerne le paradoxe de la modernité que vous avez si remarquablement mis en relief : à la fois l’hégémonie du tout culturel et celle, disons, du tout naturaliste ou du tout physiciste. Comment expliquez-vous (mais peut-être la question s’adresserait-t-elle davantage à un psychiatre) que la même personne à priori sensée, par exemple un homme politique que je ne citerai pas, puisse tenir un discours à tout crin culturaliste s’agissant, par exemple, de l’idéologie du genre lorsqu’il s’agit de justifier le mariage homosexuel et un discours radicalement physicaliste concernant la lutte, indispensable selon lui, contre les OGM ?

La deuxième question concerne ce que vous avez dit à propos de l’universel, lequel s’imposerait malgré tout par-delà les diverses formes de culture. Et vous avez donné comme exemple – et je partage entièrement avec vous cette position – la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948. Mais alors pourquoi les pays musulmans (ce n’est tout de même pas rien au niveau de la population mondiale) ont-ils estimé indispensable de proclamer une « Déclaration islamique des droits de l’homme » qui, sur de nombreux points, s’écarte fondamentalement de la Déclaration Universelle de l’ONU ? Si l’on pense qu’un certain nombre de valeurs comme les Droits humains découlent d’une « loi naturelle », universelle et accessible à la raison, comment faire entendre raison aux musulmans ?

Père Serge-Thomas Bonino : Je vous remercie pour ces deux bonnes questions qui sont au cœur du sujet.

Il ne m’appartient pas de trouver moi-même une cohérence chez cet homme politique ou ces hommes politiques qui, de fait, oscillent en permanence entre physicisme et idéalisme.

Mais il n’y a pas que les hommes politiques. C’est dans notre culture qu’il y a cette oscillation permanente. La mentalité physiciste est sous-jacente quand on se préoccupe d’identifier un comportement animal qui présente des analogies lointaines avec un comportement humain « déviant ». La déviance n’est plus alors considérée comme une déviance puisqu’elle « naturelle ».

Mais en même temps, il y une exaltation très forte du dualisme
Un exemple très récent de cette oscillation est le débat qu’a engagé Madame Badinter dans son livre Le conflit. Le titre même montre qu’elle pose la question de la maternité sur un mode purement dialectique. Soit une femme jouant un rôle dans la société, soit une femme vouée à la maternité, mais une maternité conçue par certains écologistes contemporains comme un véritable asservissement de la femme au maternage.

Elle a bien vu le problème, mais elle le pose sur le mode dialectique : “ou bien”, “ou bien”. Ou bien le maternage de proximité ou bien la responsabilité de la femme dans la société. Mais en fait il s’agit plutôt de voir comment socialiser la maternité de manière à ce qu’elle soit à la fois naturelle et intégrée dans la vie sociale.

La question de l’Islam est une question immense ! Lors de la rédaction du document, elle nous a donné beaucoup de mal. Première difficulté. Au début du document, on parle des différentes cultures, sagesses, etc. Où fallait-il placer l’islam ? Dans le prolongement de la sagesse biblique ? Au même niveau que les religions bouddhiste ou hindouiste ?

Deuxième difficulté : est-ce qu’il y a une loi naturelle en islam ? Je réponds deux choses. Premièrement, il y a, dans les préceptes de l’islam, le respect de beaucoup d’exigences de la loi naturelle. Mais, deuxièmement, l’idée même que l’homme, par sa raison, puisse découvrir les principes de son agir semble absolument exclu dans l’islam tel qu’il s’est historiquement développé.

Certes, il y a eu au début, chez les mutazilites l’idée qu’une chose est commandée parce qu’elle est bonne. Mais l’islam majoritaire des asharites a pris fermement position contre les mutazilites en disant : non, une chose n’est bonne que parce qu’elle est commandée par Dieu et mauvaise parce qu’elle est défendue par Dieu. C’est la négation même du principe de la nature comme critère moral, de sorte que l’on ne peut s’accorder sur le le principe de la loi naturelle avec l’islam.

Il y a bien aujourd’hui un néo-mutazilisme, mais on ne voit pas très bien quelle est sa surface sociale.

Par contre, on peut très bien discuter avec les musulmans – c’est le principe que mettait en avant Maritain – pour se mettre d’accord sur un certain nombre de valeurs, qui relèvent de la loi naturelle : comme l’hospitalité, le culte à rendre à Dieu, etc.

Francis Jacques : Père Serge Bonino, après vous avoir félicité de grand coeur, je prends un instant la suite de l’intervenant précédent pour mesurer les obstacles et donc les tâches d’une éthique universelle.
La “Déclaration de l’Homme” de 1948 a fait l’objet d’un débat à la Commission des Droits de l’Homme. Il y a eu des termes très violents sous l’accusation qu’après tout, la Déclaration universelle des Droits de l’Homme exprime des valeurs occidentales. On retrouve le sérieux de la coupure entre les valeurs occidentales et celles qui les débordent. Et donc ce n’est pas à négliger.

Ma seconde remarque porte sur l’historicité. Elle a deux sens : le progrès comme dévelop¬pe¬ment d’une permanence ontologique fondamentale. Ou alors, le sens d’une ‘marche vers’, comme prise en charge de toutes les dimensions de la rationalité humaine. Dans ce cas, l’historicité pourrait se donner comme une grandeur, une valeur d’une plus grande importance que la loi naturelle. Ce que soutient la pensée issue de Nietzsche, à tel point qu’on assisterait à une plurali¬sation de la modernité : il y a des modernités. Charge à nous de comprendre la loi même de l’historicité.
Une troisième remarque part de Wittgenstein dont vous n’ignorez pas l’importance pour la pensée anglo-saxonne. Elle concerne les conséquences de son idée de « forme de vie » (Lebensform, form of life), c’est-à-dire l’idée d’une universalité qui replace expressément son applicabilité dans un contexte à déter¬miner effectivement. Quel contexte ?

D’abord le contexte du pluralisme culturel. Il voudrait nous interdire tout accord préalable sur le bien. Avec le risque relativiste de remplacer le bien par la procédure juste, happée par un utilitarisme sophis¬tiqué. Une éthique ‘procédurale du consensus apparaît. Où ce serait à la majorité de décider du juste en bio-éthique, en fonction des avancées de la recherche. Ensuite, le contexte technologique. La mentalité de l’homo artificialis devient une seconde nature. La ‘postmodernité’ se veut à l’épreuve des problèmes créés par la révolution biotechno¬lo¬gique. Ce serait à une éthique de l’espèce de se mettre en place, délaissant la conscience individuelle pour aller vers la défense de notre humanité affrontée à l’extension agressive du règne de la Technique. Nous ne sommes plus à l’époque classique où l’espèce était présentée comme une donnée. Sa présence est en question, sa défense argumentée devient une obligation.
Je ne cois pas que pour autant l’idée d’un éthique universelle marque le pas. Mais son oppor¬tunité s’accroît d’autant. Et je pense aux responsabilités de son chevalier. Les trois sujets que j’ai voulu lui soumettre ne sont pas des objections mais l’esquisse d’une argumentation qui demandait un avocat du diable pour se radicaliser. Quant à moi, je pense profondément que la nature humaine est de même rang que la belle notion médiévale de recta ratio qui n’a cessé de s’éloigner de nous, hélas ! trois fois hélas ! Moi je n’ai garde d’oublier que dans la tradition de chrétienté, on parlait de plénitude de la raison. Au thème de la juste sagesse répondait la détermination de la droite raison, ouverte à la splendeur de la vérité.

Père Serge-Thomas Bonino : Merci beaucoup. Il s’agit là de remarques que j’intègre parce qu’elles sont particulièrement riches.

Je veux simplement, dans la ligne de ce que vous dites, insister sur le fait qu’il faut développer une réflexion de fond sur ce qu’est la rationalité et sur la pluralité des rationalités. Est-ce une pluralité irréductible ou est-ce une pluralité, disons, analogique, de sorte que la rationalité puisse s’appliquer certes à la rationalité mathématique, technique, mais vaille aussi pour la connaissance philosophique du réel qui nous entoure, de l’homme tel qu’il est, etc. ?

Je ne connaissais pas la notion de la forme de vie et son application, mais c’est tout à fait ce que veut dire saint Thomas : les principes généraux n’existent qu’incarnés dans un contexte déterminé. Un même principe de la loi naturelle doit se réaliser analogiquement dans des cultures différentes.
Un point dont je n’ai pas parlé, mais qui est fort important, c’est que dans cette application des principes généraux de la loi naturelle, les dispositions naturelles du sujet jouent un rôle considérable. On rejoint ici l’éthique des vertus, les vertus étant des manières de développer notre nature, une sorte d’actualisation de nos dynamismes naturels. Dans la question : comment appliquer concrètement les principes de la loi naturelle ?, le rôle du vertueux est essentiel. Il ne s‘agit pas de faire une application mécanique des préceptes de la loi naturelle à la loi, mais c‘est à l’homme vertueux, qui vit déjà conformément à sa nature, de mettre en place les règles concrètes.

Quant à la question de la permanence de l’espèce, je vois bien ce que veut dire Hans Jonas, mais je reste quand même attentif à la possibilité d’une dérive. Il peut y avoir, dans certains discours écologiques, une remise en cause assez fondamentale de l’humanisme comme valeur fondamentale. L’idée chrétienne selon laquelle la création a été faite pour l’homme a certes été mal comprise et l’homme en a abusé. Mais il reste, me semble-t-il, que dans la tradition chrétienne la création n’a pas de sens en dehors de son accomplissement dans l’homme. On ne peut aucunement faire primer le bien de la biosphère sur les valeurs humaines.

Henri Lafont : Nous allons relire votre propos à tête reposée pour en intégrer la richesse.

Pour ce que vous avez dit sur l’objection de conscience : refuser ou nier l’objection de conscience dans les conditions actuelles comme elles le sont au Conseil de l’Europe, n’est-ce pas saper un des fondements essentiels de la vie en société ?

C’est tellement grave que je ne comprends pas qu’un tel silence se fasse autour de cela.

L’objection de conscience est combattue depuis longtemps, à un certain niveau, pour les médecins, la vente de produits contraceptifs ou abortifs, pour les sages-femmes, les infirmières… Il devrait y avoir un débat, il faudrait le faire naître.

Ma deuxième remarque : vous avez prononcé, à propos de l’idéologie du genre : « le corps devient un avoir, un objet manipulé par les techniques ». Puis vous avez parlé des problèmes sexuels et la question que cela soulève, la justification de céder ses gamètes – gamètes masculins ou gamètes féminins –, est-ce que cela vous paraît légitime, même si l’objectif peut paraître raisonnable ?

Il me semble qu’il manque, ici, quelque chose dans la réflexion générale. Donner ses gamètes dans un environnement paisible, charitable, altruiste, cela vous paraît-il quelque chose de raisonnable ?

Père Serge-Thomas Bonino : Je ne répondrai pas à la deuxième question parce que je ne suis pas du tout compétent, n’étant pas bio-éthicien. Je ne veux pas m’avancer sur un chemin que je connais peu, même si, à première vue, il me semble difficile de dissocier totalement ce qui relève de la paternité « culturelle » de ce qui relève de la paternité biologique.

Le dualisme apparaît très nettement dans le fait qu’on puisse considérer que le matériel biologique est un matériau indifférent. Or le matériau biologique appartient à une personne, dont il partage le sens.

Sur le premier point, je partage votre interrogation. Mais la vraie question n’est pas d’être pour ou contre l’objection de conscience. Elle est plus fondamentale : comment a-t-on pu en arriver à poser cette question ?
Comment se peut-il que dans une société, qui nous a élevé dans le culte de la liberté, on puisse se laisse aller jusqu’à penser qu’il soit normal que l’on restreigne ainsi la liberté de conscience. Voltaire, qui n’est pourtant pas un Père de l’Eglise, se retournerait dans sa tombe !

Mais c’est toute une culture de la liberté qui est fondamentalement remise en question. Comment le citoyen peut-il ainsi se laisser manger la laine sur le dos ? Comment en est-on arrivé à anesthésier à ce point la société civile ? Quels bénéfices lui fait-on miroiter pour qu’elle renonce ainsi à la liberté individuelle ?

Nicolas Aumonier : Merci, mon Père, de nous avoir si fortement éclairés.

Ma question porte sur un vieil embarras conceptuel. Il me semble que l’argument de la loi naturelle a toujours fonctionné comme un argument pacificateur, consistant à limiter la discussion à la nature sans vouloir y impliquer Dieu ni la théologie. Mais en réalité, puisque ceux qui l’emploient pensent que la nature a été créée par Dieu, la loi naturelle est une loi révélée par Dieu, et l’argument est en réalité crypto-apologétique. Est-il alors possible de l’utiliser sans la référence à un Dieu créateur ? En d’autres termes, y a-t-il une inévitable, nécessaire et belle transcendance de la loi naturelle ou bien pouvons-nous faire comme si la loi naturelle n’avait pas à être présentée comme révélée et transcendante ? Ou encore, la transcendance dont il s’agit est-elle simplement la transcendance propre à un humanum universel, c’est-à-dire à une vie de famille, la famille du genre humain ?

Père Serge-Thomas Bonino : Il y a, me semble-t-il, trois niveaux de justification possibles pour la loi naturelle.

Le premier niveau renvoie au critère d‘une humanisation réussie. On peut dégager les constantes anthropologiques d’une vie réussie, pour parler comme Luc Ferry, sur lesquelles s’accorder avec des personnes qui ne partagent pas notre conviction chrétienne Par exemple, on peut dire que la propriété privée, ça marche, alors que le kolkhoz, ça n’a jamais marché. On peut aussi faire valoir que l’éducation par un papa et une maman semble pour l’enfant plus équilibrante que par un papa tout seul ou deux mamans ou deux papas, etc. Ce sont des points sur lesquels on peut se mettre d’accord sans se référer à une transcendance. C’est ce que vous appelez l’humanum. L’humanum generale en définitive. Cela dit, cet accord n’est pas une justification. Et je pense que la justification de la loi naturelle ne peut être que d’ordre métaphysique. On ne peut comprendre que la nature est une norme que dans la mesure où l’on pense que la nature est l’œuvre d’une intelligence créatrice.

Mais la création, pour saint Thomas, relève de la métaphysique et non pas exclusivement de la Révélation, même si la métaphysique n’a pu atteindre cette notion que sous l’influence de la Révélation. L’idée que la nature soit l’œuvre d’une intelligence n’implique pas de soi le christianisme

Il y a un troisième degré de justification : le degré proprement théologique. Pour saint Thomas, étant donné l’état de la conscience humaine blessée par le péché, il a fallu que Dieu révèle, par exemple, les dix commandements pour rappeler ce que l’homme aurait dû trouver en lui-même. C’est un thème que l’on trouve déjà chez saint Augustin : Dieu a donné une loi extérieure à partir du moment où l’homme a été incapable de lire en son propre cœur la loi inscrite en lui par la nature. Il y a une sorte de suppléance de la Révélation par rapport aux défaillances de la raison naturelle.

Je crois qu’il faut tenir ces trois niveaux de justification : justification au plan de l’anthropologie, justification au plan métaphysique, avec la théorie de la création, et enfin justification théologique qui, elle, évidemment, ne peut pas être reçue par des non-croyants.

Père Jean Christophe Chauvin : J’ai été très heureux de vos réflexions. Merci d’avoir rappelé que beaucoup de gens aujourd’hui ont du mal à comprendre la loi naturelle parce qu’on les a séparés de la réalité concrète avec sa finalité immanente. Si bien qu’aujourd’hui, on le voit bien, ce sont les hommes qui réintroduisent la finalité dans une nature-technique.

Je rapprocherai aussi cela de ce que vous disiez de Benoît XVI rappelant que la rationalité, ce n’est pas uniquement les sciences dures.

Ma question est la suivante : aujourd’hui, comment essayer de faire retrouver à nos contemporains l’importance de la métaphysique, le sens de cette finalité immanente à la nature.

Est-ce que vous voyez de pistes ? Comment montrer aux gens qu’ils vivent dans un monde trop scientiste, pour lequel en dehors des sciences dures, tout est sentiment. Or, ce n’est pas vrai. Comment pourrait-on illuminer nos contemporains ? Ce serait un challenge pour retrouver la loi naturelle.

Père Serge-Thomas Bonino : Je n’ai pas de recette miracle. Mais je voudrais seulement faire la remarque suivante. Je crois qu’il ne faut pas court-circuiter les étapes. Souvent, pour réintroduire la finalité dans la réalité, on se réfère soit directement à la théologie (mais ce discours est irrecevable par ceux qui ne partagent pas notre foi), soit à la métaphysique.
Mais la métaphysique est une plante cultivée surtout en terre catholique…

Il y a pourtant une autre discipline à laquelle on ne prête pas suffisamment attention. Jacques Maritain l’avait bien compris. C’est la philosophie de la nature. Il y a sur la nature un autre regard que le regard purement scientifique mais qui n’est pas encore le regard métaphysique qui s’en tient aux grandes notions. Il s’agit de retrouver par l’étude du monde de la nature les notions de finalité, de réfléchir sur ce qu’est le hasard, la nécessité, la contingence… Ce sont des questions qui se posent en science mais qui peuvent et doivent être traitées de manière philosophique.

Je crois que la philosophie de la nature est une marche d’escalier qu’il ne faut pas manquer. Parce que si l’on met face à face les sciences dures et la théologie, le dialogue ne sera guère possible. De même, le dialogue sciences dures et métaphysique reste difficile. D’autant plus que le métaphysicien risque de développer une métaphysique un peu décalée du réel si elle n’est plus en prise sur l’évolution des connaissances scientifiques.

Je pense donc qu’il faut la médiation de la philosophie de la nature. Comment la définir ? Les Anciens l’appelaient « physique ». Mais la physique d’Aristote n’est pas la physique au sens où nous l’entendons aujourd’hui. C’est une réflexion vraiment philosophique sur le devenir, la nature, les êtres de la nature, etc. On gagnerait, y compris dans l’ enseignement catholique, à remettre en valeur cette discipline. On éviterait ainsi un tête à tête improductif entre la théologie et le monde scientifique.

Jean-Marie Schmitz : Je suis un homme d’entreprise et c’est moins une question qu’un complément que je voudrais apporter, à un niveau beaucoup moins élevé que celui que vous avez évoqué. J’ai travaillé longtemps dans un Groupe qui est aujourd’hui présent dans 70 pays, qui s’est bâti sur des valeurs chrétiennes qui se sont ensuite laïcisées, et a eu le souci de définir un corpus de valeurs, de principes de management respecté par ses responsables à tous les niveaux.

Compte tenu de son développement dans des pays dont les cultures, les régimes politiques et les religions sont très divers, nous nous sommes posés la question de savoir s’il était possible de dégager de tels principes, acceptables et significatifs aussi bien en France qu’en Jordanie, au Maroc, au Cameroun,en Chine,aux U.S.A. ou aux Philippines… Nous y avons beaucoup travaillé et avons pu constater, bien que les notions de liberté,de hiérarchie, d’obéissance, d’autonomie y soient perçues de façon très différente, que des valeurs telles que la droiture, le courage, le respect de l’autre, le sens des responsabilités, étaient des valeurs unanimement appréciées comme bonnes, et qu’elles constituaient un socle possible du comportement de l’entreprise vis-à-vis de ses collaborateurs, de ses clients, de ses fournisseurs, des communautés au sein desquelles s’exerce son activité.

J’en ai personnellement retiré la confirmation que tout homme a, au fond du cœur, un certain nombre de valeurs immuables, reflet de l’origine divine de sa création et illustration de l’existence d’une Loi Naturelle.

Père Serge-Thomas Bonino : Je ne peux qu’abonder dans votre sens. Dans les modèles d’humanité que proposent les différentes cultures, il y a des traits communs. Le courage par exemple. Il n’y a pas de culture où la lâcheté soit présentée comme une valeur à cultiver. Il y a aussi le respect de la parole donnée, etc. Dès qu’il y a société, il doit y avoir, sous une forme ou sous une autre, ces valeurs de base qui se retrouvent.

On trouve certes toujours des anomalies. J’ai été troublé récemment, alors que le respect des anciens semble une valeur universelle, de lire dans un livre de monsieur Rouche sur Attila que les Huns n’avaient aucun respect pour leurs anciens. La raison est qu’un ancien est un homme qui, par définition, n’est pas mort à la guerre. Ce qui, dans un peuple guerrier, est vraiment un déshonneur !

Mais les anomalies ne doivent pas masquer l’existence d’un fond commun de valeurs.

Séance du 7 octobre 2010

Le texte de la communication du père Bonino paraîtra également dans la revue Transversalités, début 2011.