Par Marie-Joëlle Guillaume, Agrégée de Lettres classiques, mère de famille, membre de l’AES

Sur le thème de L’homme et la nature, et dans la ligne de nos travaux de l’an dernier sur : « Homme et femme Il les créa », notre année académique 2007-2008 a été conçue comme un parcours de réflexion fondamentale.

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Le point de départ, là encore, fut biblique. Dans sa conférence inaugurale, De la peur à la gérance, le P. Daul a mis en évidence la tentation permanente de l’humanité, depuis la Genèse, de s’approprier la nature. Or, si l’homme est bien constitué gérant de celle-ci, sa situation par rapport à elle a besoin d’être éclairée par la Parole de Dieu. L’homme doit à la fois avoir conscience que son origine s’enracine dans plus humble que lui, qu’il est solidaire de l’ensemble de la Création et qu’il lui faut se distinguer de l’animalité environnante pour faire l’apprentissage de son humanité.

Conséquences pratiques : l’enjeu du « développement durable » par exemple, c’est de mesurer la profondeur de solidarité qui nous relie à la nature à travers les générations. Plus concrètement encore : gérer la Création appartient à tous les hommes. D’où quelques pistes de recherche. Que faire vis-à-vis de ceux qui ne sont pas en mesure de gérer ? Vis-à-vis de ceux qui n’ont pas de travail ? Et comment aider nos contemporains à préférer l’investissement porteur d’avenir à la consommation immédiate et sans questions ?

La communication de Catherine Labrusse-Riou nous a, quant à elle, introduits dans les incertitudes et les dilemmes moraux de la maîtrise du vivant. Sous le titre La maîtrise de la vie : de quelques perspectives en matière biomédicale, l’Académie a été conduite à réfléchir sur la confusion actuelle entre l’indicatif et le normatif. Le grand problème de notre époque est de l’ordre du discernement. Car la science tend à faire foi comme vérité, et, partant, à faire loi. Dans le passé, nous étions amenés à considérer que la connaissance scientifique d’une part, la médecine de l’autre, ne pouvaient apporter que des bienfaits. Mais aujourd’hui de nouveaux objets de science, l’utilitarisme ambiant, les alibis thérapeutiques, voire les fantasmes qui se lèvent, doivent nous conduire à rechercher quels maux se dissimulent derrière le bien que constituent science et médecine.

Conséquences pratiques : les « droits de puissance » de l’être humain sur son semblable, que l’on croyait évanouis à l’époque moderne avec la disparition de l’absolu de la puissance paternelle, renaissent à vive allure. Comment s’en garder ? Plutôt que d’agiter l’opinion avec des espérances thérapeutiques dont on ne sait rien, il faut savoir si la recherche fondamentale est permise ou interdite sur les embryons humains. Mais, pour cela, il faut réfléchir au sens de la vie. Comment faire entrer le sens de la vie dans un cadre juridique ? Ni la dignité, ni la liberté ne se démontrent. Il faut pourtant instituer des limites au pouvoir d’autrui sur les personnes, et, au-delà même de la notion de personne, sur l’humain. Le Droit a des traditions de prudence : on sait plus aisément ce qu’il ne faut pas faire que ce qu’il faut faire. Voilà une piste à creuser.

Fabrice Hadjadj, avec Le Sabbat de la terre, a commencé à s’y engager. Car son intervention a tourné autour de la notion du « dessaisissement » nécessaire. Nous devons sortir de la logique du « tout maîtriser », changer notre regard, reconnaître que la terre n’est pas un lieu d’exploitation, mais d’abord un lieu de contemplation. L’essentiel n’est pas dans le travail, ni dans la consommation, mais dans l’action conforme à la justice de Dieu. D’où une réflexion riche et originale sur la « bordure ». Laisser les bords, ne pas cultiver les bords, admettre un temps de sabbat de la terre, selon l’Ecriture, c’est concevoir la terre comme un don, et non pas comme une chose que l’on s’approprie ou comme un lieu où l’on est exilé. La « bordure », c’est le lieu de la miséricorde. C’est ce qui nous permet de changer d’ordre.

Conséquences pratiques : il est bien des façons de respecter cette « bordure », mais l’Académie a particulièrement orienté sa réflexion pratique sur le respect du Dimanche, temps de respiration personnelle et familiale qui permet à l’homme de prendre ses distances avec la prison de la consommation. Pas de mise en valeur vraie de la terre sans une forme de « sabbat de la terre ».

Avec Jacques Trémolet de Villers, à qui l’Académie avait demandé de s’interroger sur le thème La faute à qui ?, nous sommes allés au cœur du dilemme nouveau auquel est confrontée notre époque dans l’ordre de la causalité. Depuis deux siècles nous vivions sur la base de l’article 1382 du Code civil : « Tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». L’idée était celle d’un ordre sous-jacent, préexistant, à rétablir. Mais il y avait des dommages qui ne dépendaient pas d’une faute d’autrui. L’homme moderne en est venu à considérer que l’ordre est le seul fruit de sa raison. Refusant l’idée d’un ordre surnaturel, il ne supporte pas l’idée qu’il n’y ait pas une faute de l’homme, y compris dans les cas de catastrophes naturelles. D’où la multiplication des boucs émissaires, et le découplage de la faute et de la responsabilité personnelle. La vraie, la seule faute, c’est la violation de la loi positive.

Conséquences pratiques : face à un moralisme pesant et qui a de quoi effrayer, car il ne se réfère plus à la réalité de la faute et du dommage et demeure donc étranger à l’esprit de justice, il y aurait une réforme à faire : celle des études de Droit. Contre cette évolution délétère vers le seul droit positif, instituer des cours de philosophie du Droit. Quant à l’aspect civique des choses, militer pour une simplification de l’arsenal des lois… dans l’esprit d’un Napoléon !

C’est sous un autre angle, mais fort actuel aussi, que Vincent Courtillot, géomagnéticien, a aidé l’Académie à réfléchir sur la question des causes et des responsabilités dans le domaine scientifique. Quel réchauffement climatique ? Sans souci des idées reçues, le conférencier a posé deux questions distinctes et développé une argumentation rigoureuse à leur propos : y a-t-il vraiment réchauffement climatique ? Et si oui, quel est la part du CO2 dans le phénomène ? L’intérêt essentiel pour nous de cette communication savante est de montrer que la science n’est vraiment elle-même que lorsqu’elle s’interroge, débat et se met elle-même à l’épreuve, compte tenu de la complexité du réel – certainement pas quand elle affirme péremptoirement, comme des vérités indiscutables, les conclusions momentanées de sa recherche.

Conséquences pratiques : il n’est pas question de se comporter de façon irresponsable, notamment pour les émissions de CO2. Mais l’idée du réchauffement climatique, discutable et très médiatisée, ne doit pas masquer notre responsabilité face à des enjeux plus graves et plus urgents, tels l’accès à l’eau, le problème des pandémies, celui de la pauvreté dans le monde… Il faut avoir à cœur d’attirer l’attention de l’opinion sur ces questions-là.

Les deux communications suivantes allaient précisément s’y atteler. Celle de Mgr Michel Schooyans, Croissance démographique et développement, dans la même attitude de liberté intellectuelle, nous a conduits à analyser les causes et les conséquences de la chute généralisée de la fécondité à l’échelle mondiale, et du vieillissement corollaire. En fait, la croissance démographique actuelle, souligne le conférencier, n’est pas due à une augmentation de la fécondité, mais à l’augmentation de l’espérance de vie.

Conséquences pratiques : pour répondre aux déséquilibres actuels, et aux causes morales qui nous rongent, il convient, là encore, de démasquer un droit purement positif, peu protecteur des personnes, et de valoriser la famille, la maternité. Ne pas être dupe des raisonnement du type de la Charte de la Terre de l’ONU, qui voudrait restaurer la Terre Mère des Grecs au détriment de l’homme.

Pour Michel Camdessus, Responsabilité et développement vont de pair. Sa communication, liant étroitement responsabilité, citoyenneté et solidarité, nous a montré un chemin de dignité qui nous semble la meilleure réponse aux errements du culte de la Terre : pour le conférencier, la pierre de touche est la prise en charge du plus fragile. Nous avons la responsabilité de l’universel, et ce « nous » est très large, car les Etats n’ont pas l’exclusivité de la recherche du bien commun. Un concept-clé doit guider les efforts : celui de partenariat. Et il faut savoir que pour les pays les plus pauvres (en Afrique, notamment), il existe des problèmes qui ne seront jamais réglés par les marchés financiers internationaux. Il faut des dons.

Conséquences pratiques : Michel Camdessus en appelle à la création d’un cadre institutionnel qui nous permettrait de mieux nous protéger des risques collectifs à l’échelle de la planète, l’organisation d’il y a cinquante ans se révélant insuffisante, notamment en matière d’environnement et de migrations de populations.

Il revenait au cardinal Philippe Barbarin de mettre à jour l’enjeu sous-jacent à la réflexion de toute cette année : la question de la Providence divine dans les liens comme dans les conflits de l’homme et de la nature. Sous le titre Création et Providence, Mgr Barbarin commença par une méditation sur la Création : Dieu n’a pas créé un jour lointain, Il crée aujourd’hui, en permanence, et Il ne cesse de nous aimer. Nous souffrons d’un déficit de théologie de la Création, et trop souvent (sous l’influence de la pensée luthérienne ?) nous séparons Rédemption et Incarnation, Rédemption et Création. C’est parce que la Création de son amour a été mise à mal que Dieu est venu chez nous. Et Il a créé librement. Nulle nécessité ne s’attache à la Création. Toutefois, parce que l’homme est créé à son « image et ressemblance », on n’a pas le droit de toucher à l’homme, qui lui-même doit mesurer sa maîtrise relative de la Création à l’aune de l’amour.

Conséquences spirituelles : n’ayons pas de la Providence de Dieu une idée fausse. Face aux catastrophes naturelles ou aux déchaînements de péché de la nature humaine, sachons que Dieu est « Tout-puissant » de la toute-puissance de son amour, et que ses « légions d’anges » n’abandonnent jamais – exemples à l’appui – notre monde blessé.

En conclusion, une année de réflexions très riches, dont les multiples facettes ont en commun de suggérer le mystère et de mettre une distance entre la volonté de puissance humaine et la vraie fécondité de nos actions. Dessaisissement, miséricorde, confiance, souci du plus fragile : la pierre de touche de l’humain. Belle introduction à notre thème d’études de l’an prochain : Qu’est-ce que l’homme ?