Par Mère Marie-Pierre, Religieuse de la Sainte-Croix de Jérusalem

Michel Berger : Les thèmes qui ont été retenus cette année pour les communications de l’Académie ne prétendent pas épuiser le très vaste domaine ouvert sous le titre Homme et femme Il les créa. Mais, parmi les choix qu’il était nécessaire de faire, il était logique de retenir un sujet lié à l’éducation.

Éduquer pour demain des hommes et des femmes dans notre société d’aujourd’hui, tel est l’objet de nombreuses réflexions et discussions : on s’interroge sur la finalité de l’école, sur la place de l’enfant, sur celle des parents, mais il est un problème considéré comme résolu, c’est celui de la mixité. Même si, depuis peu en France, le sujet réapparaît, la mixité scolaire est un fait acquis et il n’existe pas, à notre connaissance, d’établissements publics non mixtes, à l’exception de la Légion d’Honneur, avec ses maisons de Saint Denis et des Loges à Saint Germain en Laye. Pour les autres (on en relevait 173 en 2002-2003), il s’agit en majorité, d’écoles, collèges, lycées relevant de l’enseignement privé hors contrat. La Maison Française, dont vous dirigez l’internat, est une des exceptions parmi les institutions sous contrat (pour l’externat puisque votre internat reste hors contrat). On doit relever que depuis ces dernières années, des classes non mixtes ont été ré-ouvertes dans des établissements mixtes : c’est le cas à St Jean de Passy, à Stanislas et dans certaines écoles en province, comme celle des Marianistes dans les Vosges.

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Dans l’Éducation Nationale, la mixité a accompagné le mouvement que l’on a hâtivement appelé démocratisation, visant à assurer à tous les adolescents et adolescentes le libre accès à l’enseignement secondaire. Elle s’est étendue rapidement au collège dans les années 60, puis au lycée dans les années 70. Semblant répondre, au départ, moins à un choix qu’à une nécessité, elle était en quelque sorte tolérée pour faire face à l’augmentation de la population scolaire et à la pénurie de locaux pour l’accueillir, elle est alors introduite sans réel débat. Puis elle fut encouragée, notamment par une circulaire de Christian Fouchet, avant de devenir un principe répondant à l’impératif d’égalité et au rejet de toute discrimination. Elle est véritablement consacrée et devient obligatoire avec la réforme Haby en 1975 et le collège unique. L’école catholique est d’abord hostile à cette coéducation, mais, là aussi, la poussée des effectifs et les contraintes budgétaires finiront par l’emporter.

Il faut noter qu’il est « incorrect » dans notre société de s’interroger sur le bien fondé de ce qui paraît donc comme un fait acquis, sans même que l’on s’entende sur la visée de cette mixité. Voudrait-elle l’indifférentiation des sexes, gommer la différence du masculin et du féminin, la « dépasser » selon le mot de Xavier Lacroix ? « Parler de mixité, note le sociologue Michel Fize , consiste le plus souvent à célébrer une valeur ; la mixité draine avec elle, en effet, des notions comme celles d’égalité, de respect entre les sexes, elle conduit à des discours apologétiques. Elle est présentée comme une valeur naturelle et démocratique et donc ne se discute pas. Eduquer garçons et filles ensemble devient une évidence pratique ». Mais s’interroge-t-on sur les conséquences réelles pour les adolescents eux-mêmes de cette co-éducation scolaire ? La question fait partie de ces sujets tabou qu’aucune des dernières grandes consultations n’aborde, ni celle de Claude Allègre, Philippe Meirieu, Edgard Morin en 1998, ni celle de Ségolène Royal en 2000, ni le grand débat de 2002. Et l’on manque, il me semble, de réflexions à jour sur ce sujet. Certes, il y en a, mais elles sont peu connues. Je pense vraiment que notre Académie n’aborde pas aujourd’hui un sujet « ringard », mais qu’elle est en avance.

Nous remercions donc Mère Marie Pierre de nous aider ce soir dans cette réflexion. Vous avez, ma Mère, une longue expérience de l’éducation, d’abord dans un home d’enfants, le home Jacques Sevin qui accueille des garçons confiés par la DDASS ou la justice, avant de vous dévouer à l’éducation des jeunes filles. Votre institution, La Maison Française, implantée en forêt de Compiègne, relève de la Congrégation de la Sainte Croix de Jérusalem, fondée par le P. Jacques Sevin. Ce jésuite avait d’abord fondé le scoutisme catholique, au sein du mouvement que Baden Powel avait voulu international et pluriconfessionel. C’est lui qui ouvrira en 1923 le fameux camp école de Chamarande. La seconde guerre mondiale retardera la fondation de la Sainte Croix de Jérusalem, dont la première pierre est posée à Issy-Les-Moulineaux en 1944. Elle s’installera en 1946 à Chantilly, avec la protection des jésuites, au château des Fontaines. C’est là qu’est créée la Maison Française, « école scoute ». La congrégation s’installera ensuite à Boran sur Oise. La Maison Française en partira , en 1958, pour La Chesnoye, près de Pierrefonds, où elle propose des classes de la 6ème à la terminale.

L’insigne de votre Congrégation est cette croix à quatre Tau complétée par quatre fleurs de lys, qui symbolisent les quatre vœux de la Compagnie : chasteté, obéissance, pauvreté et humilité. Votre spiritualité est celle de Saint Ignace mais elle est aussi celle de Sainte Thérèse et vous vous présentez comme contemplatives et missionnaires. Vous êtes au Chili, au Tchad, en Terre Sainte. Votre pédagogie est emprunte des recommandations scoutes de votre fondateur. « L’éducation, disait-il, doit être aussi individuelle que possible, se modeler sur les exigences de son milieu et laisser l’adolescent se spécialiser ». La vie en équipe est un pivot de cette pédagogie.

Votre riche expérience d’éducatrice donnera un caractère très concret à votre communication. Vous me disiez que vous aviez l’intention, non pas de débattre théoriquement de la mixité, mais d’exposer ce que vous faites à La Chesnoye. Selon l’habitude de cette académie, nous aurons ensuite un échange de questions-réponses, qui permettra de préciser les points sur lesquels nos amis souhaiteraient insister.

Mère Marie-Pierre : Merci beaucoup de votre présentation qui est déjà une introduction.

« Le cœur de l’enfant ne désire peut-être rien tant que de sentir qu’on l’aime, qu’on le comprend vraiment et qu’on sympathise avec lui »
Véra Barclay

À la suite d’une rencontre avec Marie-Hélène Mathieu, j’ai été invitée à vous parler ce soir de l’expérience d’une éducatrice dans le collège et lycée catholique « La Maison Française ». Milieu essentiellement féminin du fait de l’histoire, puisque les sœurs de la Sainte-Croix de Jérusalem ont accueilli des garçons pour fonder la Maison française avec Jacques Sevin, notre fondateur, à Chantilly puis à Boran-sur-Oise. Mais il était à cette époque interdit que les femmes s’occupent de garçons donc l’école se développant en collège puis en lycée accueillit des filles. Cet établissement se trouve maintenant en forêt de Compiègne, à Cuise-la-Motte, non loin de Trosly-Breuil où Jean Vanier a fondé l’Arche. Nous pouvons accueillir maintenant 140 internes et quelques demi-pensionnaires, de la sixième à la terminale.

Loin d’être une conférencière, j’ai longtemps hésité à me présenter ici, puisque votre thème d’année : « Homme et femme Il les créa » vous avait fait rencontrer l’éminents spécialistes pour traiter ce sujet. Mais vous avez insisté en me présentant comme une femme de terrain. Vous me voyez très honorée mais en même temps bien impressionnée et je n’ai pas la prétention de faire un discours théorique et scientifique mais simplement vous exprimer non sans appréhension ce que nous essayons de vivre avec nos élèves et ce que nous désirons leur apporter dans un accompagnement de confiance réciproque autant que cela puisse être possible.

Voici ce que nous écrivait dernièrement une maman de l’une d’entre elles :
« Au fil des jours, la Maison Française essaie d’être fidèle à l’inspiration de son fondateur, le père Sevin. Sa devise “prépare-toy” est capable de susciter le meilleur chez les jeunes, leur permettant de s’épanouir et de réussir dans la joie et l’effort. »

Mais qui est le père Jacques Sevin ?

Permettez-moi de vous le présenter brièvement : le père Jacques Sevin, jésuite, d’origine lilloise, né en 1882 et décédé en 1951, fonda en 1920, après bien des rencontres avec Baden-Powell, les “scouts de France”. En effet, il repensa entièrement le scoutisme de Baden-Powell (dont nous fêtons le 100e anniversaire cette année) dans la lumière et l’esprit de l’Évangile…

Jean-Paul II, dans une Lettre apostolique aux responsables de la conférence internationale de scoutisme disait : « La rencontre entre la méthode scoute et les intuitions du père Jacques Sevin a permis d’élaborer une pédagogie basée sur les valeurs évangéliques où chaque jeune est conduit à s’épanouir et développer sa personnalité en faisant fructifier les talents qu’il porte en lui. »

Enfin, en 1944, il fonda avec Jacqueline Brière, la Congrégation de la Sainte-Croix de Jérusalem, vouée à l’éducation de la Jeunesse.

Quelle est l’inspiration du père Jacques Sevin sur le plan de l’éducation ?

Il est difficile, en se référant à l’œuvre du père Sevin, de séparer ce qui serait méthode pédagogique de l’éducation proprement dite.

Le Père ne séparait pas l’âme du corps, l’intelligence du caractère, c’est l’homme tout entier qu’il entendait former, non pas une entité platonicienne composée d’une âme et d’un corps, mais un esprit incarné inséparablement esprit et chair. Aussi voulait-il d’abord créer un climat de « famille heureuse » basé sur les valeurs évangéliques où l’enfant ou l’adolescente puisse s’épanouir totalement.

D’où, pour notre établissement, le terme de « Maison ».

C’est à ce climat qu’une grande partie des succès scolaires est attribuable. Conseillés par des psychologues, nous recevons des appels de parents nous disant : « C’est à cause de l’atmosphère chaleureuse de votre maison qui produit à elle seule des “déblocages affectifs”. »

Comment cela peut-il se faire ?

Le père Sevin recommande aux éducateurs ou éducatrices : la confiance !

Bien sûr, faire confiance, c’est tout autre chose qu’un laisser-faire, un laisser-aller ou pire un défaut de surveillance !
On fait confiance à la jeune en la croyant sur parole, jusqu’à preuve formelle du contraire, en la croyant capable de ce qu’elle n’a pas encore donné, en la regardant chaque jour avec un œil neuf sans la cataloguer ou l’étiqueter, en l’aimant comme Dieu nous aime, telle qu’elle est… pour ce qu’elle est appelée à être. « Pour aimer il faut comprendre, pour comprendre il faut aimer », nous dit encore le père Sevin.

Cette confiance nous devons, nous éducateurs, lui apprendre à la mériter et à s’en montrer digne.

La deuxième note de ce climat est la joie.

La joie est, pour les éducateurs, à base d’oubli de soi et de don.
Cette joie doit pouvoir être contagieuse et entraînante.

Nos élèves nous demandent souvent : « Comment faites-vous pour rester joyeuses ? » ou encore « Ce qui est formidable, c’est que nos professeurs sont joyeux ! »

Cette joie permet aux jeunes qui connaissent le plus souvent l’excitation, au mieux la gaieté, de s’élever.

Il nous faut être proche des élèves, être avec elles, les accompagner, vivre avec elles, faire réaliser, préparer avec elles jeux, veillée, travail. Il faut que les jeunes sentent que nous vivons ensemble l’aventure de leur avenir que nous partageons pour l’essentiel.

La joie est le fruit d’un certain don de soi, elle est liée à l’éducation du sens de l’effort, du travail bien fait et jusqu’au bout ! Il n’est point question de laisser aux jeunes faire ce qu’ils veulent, quand ils veulent, mais de leur apprendre à s’organiser eux-mêmes, à travailler contre la montre, à se dépasser, à avoir la satisfaction du travail bien fait.

La vie en équipe est aussi un des pivots de la pédagogie scoute. Elle permet aux jeunes de s’ouvrir, de faire attention aux autres et de prendre des responsabilités au sein même de ce groupe.

Dans le cadre de notre projet éducatif : « Amener chaque jeune à se forger une vraie personnalité et notamment une personnalité chrétienne » la Maison Française se veut une école de vie.

En matière d’éducation, l’internat scolaire – pour reprendre les mots de Marguerite Lena – : « a le privilège de la durée, des jours ordinaires dans les soutes de l’existence et le travail qui se fait sans bruit est le travail le plus durable. » Il est bon d’en garder conscience.

Ainsi la devise « Prépare-toy » que le père Sevin a donnée à la Maison Française prend tout son sens.

Qu’est-ce que cela signifie pour nous éducateurs ?

Je me permets de revenir à l’étymologie du mot “éduquer”.
Au temps où Rome était champêtre et où le latin était une langue de berger, le mot “educere”, d’où vient notre verbe “éduquer” signifiait : « marcher en tête de son troupeau ». Et nous constatons qu’il garde ce sens dans l’Évangile du Bon Pasteur.

Dans cette aventure que nous essayons de vivre humblement avec nos élèves, nous devons ne pas perdre de vue le sens de ce mot qui rejoint parfaitement notre pédagogie.

L’éducation appelle estime et respect, et demande qu’on y consacre le meilleur de soi-même et qu’en effet, nous montrions que nous marchons non seulement en tête mais avec.

Aristote définissait l’enfant comme l’homme en puissance, c’est-à-dire en attente de promesse de soi.

Cette devise « Prépare-toy », citée plus haut, appelle chacune des jeunes filles que nous accueillons à prendre le temps de construire leur personnalité de femme.

Lorsque nous demandons à ces jeunes : quel est le sens de la vie ? Les réponses embarrassées laissent presque toujours apparaître l’amour comme une valeur essentielle, mais en même temps l’hésitation est grande sur les moyens de l’atteindre.

Nous, adultes, nous savons que pour y arriver c’est un terrain d’apprentissage de chaque jour, mais ces jeunes qui nous regardent attendent que nous leur indiquions des pistes, que nous leur montrions non seulement l’exemple, mais un idéal qui les mette debout face à leur avenir.

Ce mouvement, cet apprentissage, cette action supposent que nous sachions les réinventer chaque jour.

L’éducation n’est possible que si nous acceptons d’abord de recevoir de celles qui nous sont confiées, d’être parfois dépassés pas elles, de les voir aussi ouvrir des voies nouvelles d’où écoute, service et désintéressement.

La progression de cette éducation suit bien sûr le développement psychologique de l’enfant sur lequel les sciences humaines nous apportent de précieuses lumières.

Nous accueillons actuellement uniquement des filles. Je ne désire pas entrer dans le procès piège de la mixité ou de la non-mixité parce que l’école n’est pas le seul lieu social de leur vie. Elles vivent cette mixité en famille, dans leurs groups d’amis ou de mouvements dans lesquels elles se retrouvent en dehors des temps scolaires. D’après leurs réactions quand elles réfléchissent sérieusement, elles comprennent qu’elles ont besoin de prendre du recul pour forger solidement leur vie de femme.

Ainsi nous savons que l’adolescence a besoin d’affirmer sa personnalité, et de se centrer sur soi pour se construire. Elles découvrent en elles des forces nouvelles dont elles se servent pour en jouir ou s’assurer. Nous voyons par exemple chez ces jeunes des expressions de tendresse ou d’agressivité et qui se complaisent dans leur imagination ou dans les sensations qu’elles éprouvent.

Leur cahier de texte ou leur agenda sont jonchés de dessins plus ou moins affinés avec des petits cœurs partout et des commentaires de jeunes sentimentales.

Dans un dialogue à propos de leur présence dans une école uniquement de filles, voici ce que la plupart répondent : « C’est parfois difficile de vivre entre filles parce qu’on fait des histoires pour rien. Bien sûr, plus tard on en rira… Mais d’un autre côté c’est constructif parce que nous apprenons à prendre de la distance par rapport aux événements. On se prend en mains… ! »
« Par rapport aux garçons, nous essayons de relativiser même si, entre nous, nous en parlons beaucoup et faisons des rêves de grand amour ! »

Vous savez, certaines ont un petit ami et elles ne le voient que le week-end. Alors elles nous disent qu’elles essaient de passer au-dessus des disputes et des malentendus avec lui, parce qu’elles ne pourront pas le voir avant une semaine. Elles disent aussi que cela les forge peu à peu à la fidélité… si elles étaient constamment en présence des garçons, ce serait plus difficile ! Ces rêves d’amour, leurs petits amis : elles les idéalisent ! Nous savons que certaines n’ont pas de petits copains, mais les inventent !

Je voudrais ici souligner l’impact et l’influence des journaux dits « people » (selon l’expression de nos filles), des feuilletons télévisés ou des articles sur Internet qui sont criant de perversité, et détruisent chez les jeunes la dignité et la beauté de l’amour. Il y aurait là – je fais une parenthèse – un travail à faire auprès des éditeurs et producteurs. Le marché du sexe déforme l’image de l’amour, du dialogue et de l’engagement avec son partenaire, et du don de soi pour la vie.

Il nous arrive de découvrir dans leurs chambres ces journaux souvent achetés dans les kiosques et à l’insu de leurs parents ! Ces découvertes nous permettent d’engager une conversation souvent constructive.

Le fait d’être entre filles leur permet aussi, comme me le disait une élève de troisième, de parler sérieusement ou parfois de rire entre elles, mais aussi avec les professeurs sur des sujets qu’elles n’oseraient pas aborder en présence des garçons.

Elles découvrent l’autre sexe et le cherchent, mais nous constatons que c’est surtout pour l’émotion qu’elles en éprouvent !

En même temps, ce retour sur soi apparent n’est pas un refus d’aimer mais une incapacité provisoire de se décentrer, et les jeunes se sentent souvent incomprises dans leur expression, d’où le trouble qu’elles éprouvent parfois.

Aussi la sortie de soi nécessaire pour s’épanouir s’exprimera ensuite sur l’attirance de modèles (idoles, vedettes, champions, etc.) Elles cherchent à faire comme un tel ou une telle, elles cherchent à s’identifier à X ou Y. Et en ce domaine, je peux vous assurer que nos échanges en veillée ou en formation chrétienne sont des sommets forts de réflexions qui les ouvrent à la parole de Dieu, à la figure du Christ et à une autre vision de l’Amour.

Cependant, sur ce chemin, elles rencontrent souvent échec ou combat et pour cela nous devons leur laisser la possibilité de le dire et de l’exprimer pour que, dans un dialogue confiant, nous puissions découvrir à la fois leur capacité ou leur désir afin de les aider à se construire une personnalité vraie et les amener à leur maximum de valeur humaine.

Nous leur apprenons aussi à s’émerveiller devant la beauté de la nature qui les conduit implicitement au Créateur.

Nous leur proposons l’apprentissage du respect, de l’effort, du dialogue, et de l’Amour et du don de soi.

La présence dans notre établissement de jeunes autistes est un bon moyen d’ouverture à celui qui est différent.

« La dignité de la femme est intimement liée à l’Amour qu’elle reçoit en raison même de sa féminité et d’autre part à l’Amour qu’elle donne à son tour […] La femme ne peut se trouver elle-même si ce n’est en donnant son amour aux autres… » Nous retrouvons ces propos dans la très belle Lettre apostolique de Jean-Paul II « Mulieris dignitatem » qu’il nous a livrée à l’occasion de l’année mariale en 1988.

Les jeunes ont besoin, pour aller de l’avant, de l’estime de ceux qui les entourent et d’être acceptées et aimées comme une personne singulière. Cette reconnaissance crée une relation personnelle qui ouvre le dialogue dans lequel nous pouvons dire ou discerner la vérité et le meilleur pour chacune.

Celui qui fait l’expérience d’être aimé pour lui-même se découvre alors un pouvoir nouveau. Celui ou celle qui reçoit des autres peut donner à son tour.

Être aimé conduit à la joie d’aimer. On accepte ensuite l’effort difficile et les règles essentielles de la vie qui conduisent au bonheur, à l’Amour et à la joie de Vivre.

Et je reprends volontiers la citation de Véra Barclay que je vous ai donnée au début de mon intervention : « Le cœur de l’enfant (ou du jeune) ne désire peut-être rien tant que de sentir qu’on l’aime, qu’on le comprend vraiment et qu’on sympathise avec lui. »

Ce chemin n’est jamais facile, il est parfois crucifiant dans une société de compétition et de consommation qui se sert des jeunes comme d’actuels consommateurs sans repère ni discernement. Trop de jeunes sont orientés contrairement à leurs véritables aptitudes, par le biais ou le transfert sur eux des ambitions de leurs parents ; trop de parents ne peuvent assurer à leurs enfants, du fait de leur vie professionnelle, une qualité de présence et d’écoute. Mais la relation affective subit aussi un combat intérieur, parce qu’elle suscite une liberté et s’adresse à elle. Vient toujours un moment où nous rencontrons de plein fouet, en nous-mêmes mais aussi en face de nous, le mystère du mal sous sa double forme de souffrance et de péché.

Il arrive que nous nous trouvions impuissants à les préserver du mal, nous ne pouvons forcer leur liberté, vouloir pour elles, être là au bon moment ! Parfois nous nous rendons compte que nous n’avons pas fait ce qu’il fallait. L’action que nous avons crue bonne, ne correspond pas à ce que nous aurions dû faire. Nous touchons nos limites mais aussi les limites des jeunes qui nous sont confiés (tel handicap physique, intellectuel ou psychologique). Il arrive aussi que le propos de faire grandir ne rencontre aucun écho et que l’amour soit rejeté par ceux mêmes auxquels il est offert.

Ainsi, comme tout amour vrai et je cite encore ici Marguerite Lena, la relation éducative est un amour crucifié, ce qui la configure au mystère de l’amour de Dieu, impuissant à convaincre son peuple de s’ouvrir à la vie qu’il lui donne.

Cette souffrance, si elle est offerte en communion avec celle de Jésus-Christ et qui procède de l’amour, peut être convertie en chemin de salut. Entrer dans le mystère pascal consiste donc, comme pour Marie, dans le silence du Samedi saint, à continur d’espérer.

Enfin, pour conclure, je citerai le père Sevin :
« J’ai donné tout mon cœur aux jeunes de France
Aussi souffrir pour eux, n’est pas une souffrance.
S’user, quand c’est pour eux, on le fait en chantant
Et mon travail fini, j’irai voir Dieu content.
 »

ÉCHANGE DE VUES

Janine Chanteur : Ma Mère, je suis vraiment touchée par votre présentation si intéressante des problèmes que pose l’éducation des filles.

J’ai été moi-même professeur de collège, puis de lycée et d’université. J’avais un a priori favorable à l’égard de la mixité, mais je me suis rendu compte qu’à un certain âge elle est l’occasion de plus de difficultés, souvent graves, plutôt que de bienfaits. La mixité met les enfants et les adolescents devant des problèmes qu’ils ne peuvent pas régler avec le recul nécessaire. Mettre en présence filles et garçons, toute la journée, entre 11 ans et 15 ans alors qu’on ne leur donne qu’une instruction mais pas une éducation,n’est-ce pas une grave inconséquence ? Ils n’ont pas les moyens de résoudre les dificultés que leut transformation physique leur impose, alors que leur maturation intellectuelle et spirituelle est loin d’être achevée.

Le contexte de l’école et celui de la famille, où il y a effectivement des frères et des sœurs, sont très différents : dans la famille, l’interdit de l’inceste pose les barrières incoscientes qui détournent le désir.

Aujourd’hui, le père et la mère travaillent, nos enfants regardent la télévision, ils se promènent sur internet, ils apprennent beaucoup de choses intéressantes, mais ils sont aussi les proies faciles du laisser-faire contemporain, des exhibitions de toutes sortes et des pires incitations à se dé-faire.

Vous avez fait référence à l’étymologie latine d’éduquer : educare,mais aussi educere, conduire hors de :hors de quoi ? Précisement d’une animalité qui doit participer à l’épanouissement de la vie spirituelle qui donne son sens à la vie corporelle. Ainsi, me semble-t-il, se constitue l’humanité en l’homme et en la femme qui sont bien faits l’un pour l’autre quand ils deviennent capables d’une rencontre d’amour et pas seulement de pulsion.

Je crois plus aux possibilités humaines des filles de votre Maison qu’à celles des filles abandonnées trop tôt à toutes les dérives, avant la structuration de leur liberté. Il e ne va de même pour les garçons.

Mère Marie Pierre : J’ai en tête une phrase du cardinal Daneels, je pense, qui disait que c’est l’âme qui forme le corps.

Et en même temps, je pense qu’il faut proposer aux jeunes un lieu de dialogue, un lieu où ils peuvent s’exprimer, se dire. Je n’ai rien contre la mixité, mais il faut que chaque jeune puisse dire ce qu’il a à dire, en face. Ce climat de confiance dont je parlais tout à l’heure est important.

On a la chance d’avoir un petit établissement à taille humaine. Le père Sevin d’ailleurs ne voulait pas de grande Maison, exprès.

Dans ce sens-là d’ailleurs, à Boran cnous avons un home « de cas sociaux », il y a 40 enfants, filles et garçons ensemble, des fratries, confiés par la DASS ou par la justice. Donc là, il y a mixité, forcément, mais comme c’est à taille humaine, les éducateurs peuvent gérer.

J’ai moi-même fait des camps garçons et filles. Ils étaient séparés au niveau des tentes, et pour les activités, ils étaient ensemble. Il y a un moment où on a fini par dire : « on fait un camp séparé. Les filles et les garçons se retrouveront aux veillées ». Sinon, c’était infernal ! Le garçon ne pensait qu’à regarder sa voisine… Les camps, pour nous, sont des temps de réflexion, de joie, de fraternité. Et quand on passe son temps à se chipoter, ce n’est pas possible.

Marie-Joëlle Guillaume : J’ai été très sensible, moi aussi, Ma Mère, à votre exposé et particulièrement à cette devise : « Prépare-toi » et la manière dont vous en parliez.

Dans le contexte actuel difficile pour les filles : elles peuvent envisager des carrières « de garçons », elles ont en même temps leur rôle d’épouse et de mère. Un garçon peut aussi être marié, mais on sait bien que, pratiquement, il est plus difficile pour la femme de concilier les tâches et personnellement, j’ai toujours pensé que cela facilite si on s’y est préparé. Plus tôt on y pense, plus il est facile de voir comment faire les choix de vie.

Et je voulais vous demander : est-ce que ce « prépare-toi » vous le faisiez jouer aussi dans ce domaine-là : réfléchir à la manière dont les filles équilibreront leurs talents plus tard.

Mère Marie Pierre : Tout à fait ! Voici un article Le bonheur de Sophie, c’est Sophie de H…, je l’ai connue en sixième. Elle avait une trousse qui n’était pas une trousse avec des crayons, mais une trousse avec des outils. Elle était toujours en train de bricoler. Et, dans un journal de l’enseignement catholique, en souvenir de La Maison Française, elle explique comment, à travers tout ce qu’on lui a appris, elle a préparé sa carrière d’architecte. C’est une architecte scénographe. Elle a aussi gagné le concours Lépine parce qu’elle a inventé une équerre millimétrée. C’était tout simple, mais ses amis lui ont dit : « Pourquoi tu ne présentes pas le concours Lépine ? » Elle a gagné une médaille.

Et ce qu’elle explique là, c’est qu’à travers nos activités on lui a laissé découvrir ses talents et développer pour sa famille des qualités humaines dont elle se sert pour ses enfants.

J’ai d’autres témoignages ici. « J’ai passé trois années d’étude à la Maison Française. Je pense que ces trois années privilégiées passées dans ce cadre, disons-le, merveilleux, […] Depuis l’obtention de mon baccalauréat, l’enseignement catholique et spirituel donné par les sœurs et les professeurs m’ont aidée non seulement dans mes études mais bien plus dans ma vie professionnelle et privée, grâce à toutes ces valeurs véhiculées par le scoutisme, la gentillesse, la patience […] L’esprit de famille de cette Maison n’est pas passager. Six ans après, lors du dîner de classe (elles se retrouvent par promotion et on a l’habitude de faire des dîners de classe pour discuter avec elles) cet esprit perdure et c’est à chaque fois un grand plaisir de voir chaque sœur. »

J’ai ainsi plusieurs témoignages.
Pour préparer les filles à la conciliation de leurs tâches, elles ont aussi des cours de cuisine. On leur apprend à tenir leur chambre, à dresser un couvert, des aptitudes féminines qui peuvent être aussi d’ailleurs enseignées aux garçons. On leur apprend ainsi à gérer leur avenir.

Geneviève Boisard : Ma Mère, j’ai beaucoup apprécié ce que vous avez dit. Je ne puis qu’être d’accord avec tout le programme que vous nous avez énuméré.

Ma question portait sur le titre de votre conférence. En quoi l’éducation des filles est-elle différente de l’éducation des garçons ?

Vous nous avez dit que vous aviez autrefois enseigné à des garçons, maintenant vous vous occupez de filles, j’aurais aimé avoir votre point de vue sur la question.

Mère Marie Pierre : Je n’ai pas enseigné à des garçons, en fait. J’étais éducatrice dans un milieu de cas sociaux. Donc, c’était différent.

On accueille les enfants le soir et ils vont en classe à l’extérieur. J’avais une fonction, si l’on peut parler ainsi, de mère de famille. Le garçon était élevé selon ses aptitudes.

Bien sûr, l’évolution des filles, l’évolution physique, est différente, il faut lui apprendre à respecter le corps, son corps.

Tout cela se fait, et je vais me redire, tout simplement dans le dialogue, comme une mère de famille ferait avec son garçon ou avec sa fille. Mais je pense qu’il y a une éducation différente, bien sûr, puisque physiquement déjà ils sont différents et n’ont pas la même vocation !

L’égalité des sexes et la mixité, c’est tout à fait différent

Mais je crois que tout vient de l’amour. Il faut agir avec les garçons comme avec les filles comme si c’étaient nos enfants et chercher à développer ce qu’il y a en eux de meilleur, et en même temps le respect de l’un et de l’autre.

Pierre Boisard : Je joue souvent ici le rôle de provocateur et de contestataire. Ma Mère, permettez-moi de vous dire, avec beaucoup de respect que vous n’avez pas traiter le sujet « Homme et femme Il les créa ».

Par contre, je trouve que vous nous avez donné un témoignage admirable que je salue. Mais tout ce que vous avez dit pourrait aussi bien s’appliquer à un éducateur de garçons que de filles. Et de ce fait je reste un peu insatisfait.

Mère Marie-Pierre : Voilà pourquoi je me suis débattue au départ pour dire qu’il y avait d’autres spécialistes plus compétents que moi et j’ai beaucoup hésité à venir parce que je sentais bien que je ne traiterai pas le sujet comme il faudrait.

Je pouvais parler de l’éducation, de ce que je faisais, de l’expérience d’une éducatrice de jeunes filles, ce que je suis.

Vous avez eu d’éminents conférenciers qui ont admirablement parlé du sujet et ils en ont parlé mieux que moi.

Bernard Lacan : Ma Mère, je ne suis pas contestataire comme mon très aimable voisin, mais je suis un peu d’accord avec lui. Je trouve que, finalement, le message que vous avez donné est plus important que ce que vous auriez pu dire dans une conférence axée sur la mixité. En fait, je crois que vous avez témoigné d’une certaine conception de l’éducation.

Alors, évidemment, on a un peu le sentiment d’avoir affaire à une artiste qui fait une œuvre d’art dans un lieu, comme vous dites, à taille humaine et qui est un peu une sorte d’oasis par rapport au désert de l’éducation actuelle.

Mais je trouve que le fond de ce que vous dites pourrait s’appliquer à toute l’éducation, filles ou garçons ! Ce que vous avez dit sur la confiance, les espaces de dialogue et puis surtout la disponibilité que permet votre statut de religieuse et que ne permettent malheureusement pas les statuts laïcs dans une éducation de masse était tout à fait à l’essentiel.

Dans notre travail annuel, votre intervention trouve sa pleine place.

Mère Marie Pierre : J’avais bien saisi le problème de la mixité et je n’étais pas capable de le traiter complètement pour cette communication.

Mais je vous rappelle cette Lettre apostolique du Pape Jean-Paul II sur la dignité de la vocation de la femme, qui est excellente. Et on l’étudie avec nos élèves. De même qu’on fait venir des médecins, des psychologues, des gynécologues, des jeunes couples, pour leur expliquer aussi leur vie future d’épouse, etc. Donc, elles ont ce côté-là. Mais il est vrai que je suis en milieu féminin. Il faudrait faire venir quelqu’un du milieu masculin, maintenant.

Et les jeunes garçons dont je me suis occupée auparavant, c’étaient des petits jusqu’à 14 ans. Avec quand même l’apprentissage de la vie adulte.

On a cette chance d’avoir un petit établissement, je le répète, mais il est vrai que c’est rare. Cela demande aussi de lutter parce que ce n’est pas évident, quand il faut remplir des classes.

Catherine Rouvier : J’ai un fils de 16 ans qui a mis très longtemps à trouver une école qui puisse lui donner ce que vous donnez à vos élèves. Ce que vous dites sur l’importance de l’amour qu’on porte a ces enfants, sur la confiance qu’on doit leur faire est très vrai. Pourtant je ne croyais pas cela possible jusqu’à ce que j’aille dans cet internat religieux ou il se trouve aujourd’hui, et que je le ressente alors si fortement. C’est la seul vraie recette, qu’il s’agisse d’un garçon ou d’une fille du reste.

En revanche, les sexes ne sont pas identiques, et quand vous avez dit : « on ne sait pas si la mixité est aujourd’hui partout imposée pour préserver la non-discrimination ou parce qu’on revendique une identité des sexes » j’ai pensé à l’ouvrage d’Elisabeth Badinter « L’un est l’autre ». Oui la mixité généralisée provient de cette idée absurde d’identité des sexes. Cette idée est pourtant démentie par les petites filles et les petits garçons eux-mêmes, par le choix de leurs jouets, par le souci de privilégier dans leur apparence ce qui les distingue comme garçon ou fille. Mais c’est une idéologie qui n’a que faire de la réalité.

Vous avez dit aussi : « l’éducation ce n’est pas que la pédagogie ». C’est très vrai et très important . Aujourd’hui, on vous dit : « nous avons dans notre établissement une pédagogie spécifique ou moderne ou …. alors, votre enfant, il est vraiment irrécupérable s’il échoue avec de telles méthodes » . Alors qu’en réalité, la pédagogie est nécessaire mais ne suffit pas. Je voulais vous dire aussi que j’ai plaidé personnellement auprès du candidat qui vient de devenir président de la République, par le biais de la fédération enseignement recherche de l’UMP à laquelle j’appartiens, pour qu’on rétablisse les internats, parce que, à mon sens, il rend possible la résolution de nombreux problèmes, comme vous l’avez très bien dit. En effet cela permet « le travail durable »et çà permet aussi l’ « amour durable », continu, quotidien, l’attention a leurs difficultés, la compréhension de leurs joies et de leurs peines. Le président a retenu cette idée (Une ligne dans son projet, ce qui est peu par rapport a mes pages d’argumentation, mais ce qui est déjà un très bon signe).

Après ces remerciements pour tout ce que vous avez dit, j’ai une question à vous poser : avez-vous la télévision dans l’établissement ? Si oui comment réglementez vous l’accès des élèves à ce média ?

Mère Marie-Pierre : On a la télévision. On regarde les informations avec elles. Moi-même, tous les matins, je leur donne les informations de ce qui se passe dans le monde. Et quand il y a des émissions intéressantes, on les enregistre et on les passe.

On est « cablé ». On a les chaînes « histoire », etc. l’Internet aussi. C’est vrai que maintenant, on a beaucoup de moyens pour l’éducation positive. Il faut leur apprendre à s’en servir.

Nous avons une pédagogie d’encouragement et sur leurs carnets de notes, nous complétons par des notes d’effort. Elles peuvent avoir raté leur devoir et obtenir une bonne note d’effort parce qu’elles ont été concentrées et sérieuses dans leur travail. On a un système de badge, c’est-à-dire que, par matière et par trimestre, on leur donne un sujet à bâtir elles-mêmes, à construire (ex : un exposé, du théâtre…) pour qu’elles créent, qu’elles inventent.

Il est vrai que parfois des élèves arrivent en traînant les pieds, les trois premiers mois ne sont pas toujours évidents. Maintenant, nous sommes en train de vivre le moment positif de l’année.

Mais je crois que l’important, c’est toujours le dialogue, la confiance et de pouvoir établir avec elles un contact ouvert, que ce soit avec l’une ou l’autre de l’équipe éducative religieuses ou laïcs. Donc il faut arriver à communiquer cet esprit à tout le corps enseignant. Encore une fois, c’est une chance d’être un petit établissement.

Henri Lafont : Ma Mère, vous avez fort bien su résister à notre désir d’obtenir de vous des arguments pour ou contre la mixité. Mais vous avez tout de même laissé échapper un certain nombre de remarques, dont la dernière est : « si nous acceptons la mixité, c’est contraintes et forcées par des raisons économiques ». Finalement, vous n’êtes pas trop fâchée d’être une école de filles ?

Mère Marie Pierre : Non, pas du tout !

Henri Lafont : Et vous estimez que vous faites du très bon travail et toutes les filles qui sortent de votre école sont satisfaites et en témoignent.

Mère Marie Pierre : Beaucoup, pas toutes. On ne réussit pas dans tout. Mais on y croit.

Henri Lafont : Alors, finalement, malgré vous, vous avez fait ici un plaidoyer. Pratiquement, vous nous avez amenés à considérer que la situation dans laquelle vous êtes plongée, malgré vous peut-être, n’est pas si mauvaise.

Et voici une question. Si vous étiez ministre de l’Éducation nationale, est-ce que vous essayeriez d’inciter les établissements à favoriser l’enseignement – l’enseignement plus que l’éducation parce l’éducation étant plus spécialement le rôle de la famille – envisageriez-vous comme une bonne chose de développer des classes de garçons et des classes de filles surtout dans la tranche d’âge entre 12 et 16 ans, par exemple ?

Mère Marie Pierre : Je dirais que c’est difficile. Je ne serais pas contre, mais dans la mesure où l’établissement est à taille humaine. Si c’est dans un grand établissement comme on en rencontre, où ils sont 1 200, c’est difficile. On reçoit des élèves qui ont souffert de cette mixité, qui ont dû s’enfermer dans les toilettes parce que les garçons les poursuivaient. En sixième, on a eu ce cas. En terminale ou en première, les petites mignonnes, tous les garçons sont autour d’elles et donc elles n’arrivent plus à travailler correctement.
Donc, si c’est à taille humaine, oui.

Henri Lafont : Je suis assez âgé pour avoir vécu ma scolarité dans un lycée de garçons, un grand lycée où il y avait plus de 1 000 élèves. Et l’obstacle que vous venez de soulever à savoir la difficulté de gérer la mixité dans un grand établissement…

Mère Marie-Pierre : Parce qu’ils sont livrés à eux-mêmes, dans la mixité. Il faut une ambiance quasi familiale pour bien la gérer.

Nicolas Aumonier : Ma Mère, je voulais vous remercier de ce que vous avez dit et, juste avant de poser ma question, manifester mon affectueux désaccord avec nos deux collègues qui ont trouvé que vous n’aviez pas traité le sujet.

Il y a bien des manières de traiter un sujet et je trouve que vous l’avez très bien traité en nous disant que, puisque « homme et femme Il les créa », Il les créa avec des sexualités séparées, et donc que homme et femme il faut les éduquer séparés. Vous avez dit qu’on n’écoutait pas les garçons comme on écoute les filles. Je suis en plein accord avec vous.

Ma première question est purement factuelle. Je n’ai pas bien compris, pardonnez-moi, quel était le type de recrutement de votre établissement.

Pour ma deuxième question, je pensais à Rousseau qui nous raconte dans L’Émile que, lorsque le corps se développe et que l’imagination l’accompagne plus vite que ne peut encore le faire la raison, il faut frapper l’imagination par une profession de foi qui éveille la raison – la profession de foi du vicaire savoyard – afin d’éviter à l’imagination de se perdre dans les fantasmes. Rousseau, évidemment, parle de l’éducation à la sexualité.

Alors, comment abordez-vous l’éducation religieuse et l’éducation sexuelle ?

Mère Marie Pierre : Les élèves que nous recevons. Pratiquement, ce sont des élèves des grands lycées de Paris qui sont découragées parce qu’elles ne sont pas mises en confiance. Donc élitisme, il faut atteindre telle ou telle moyenne, et donc complètement perdues parce qu’il faut tout le temps lutter. On a cette réputation de les remettre en confiance. Et on nous les reprend après… On a souvent des élèves de troisième, seconde et de première. Quand on nous les laisse en première c’est parce que les parents ont trouvé que c’était très bien ainsi elles pouvaient continuer. Mais souvent, en fin de seconde, elles reviennent sur Paris, parce qu’on les a remises sur les rails.

Ensuite, on a aussi en demi-pension des enfants de la région de Cuise-la-Motte et de Pierrefond.

Nous avons 140 lits, nous ne pouvons en loger davantage pour respecter les mesures de sécurité et une trentaine de demi-pensionnaires. Sur 7 classes, nous aurions au maximum 170 élèves.

Sur le plan de l’éducation chrétienne, nous avons des cours de formation chrétienne dans lesquels on étudie beaucoup, surtout dans les grandes classes, la Bible, mais aussi les lettres du Pape Benoît XVI ou de Jean-Paul II. Elles abordent ainsi pas mal de sujets.

Ensuite on a fait venir des témoins, de jeunes étudiants de Versailles qui veulent témoigner de la façon dont ils envisagent leur vie de couple, parce qu’ils sont fiancés et ils viennent, avec leur fiancée. On a fait venir des chefs scouts qui sont mariés et ont des enfants. Nous les laissons avec eux, nous n’intervenons pas. Un docteur gynécologue chrétien leur parle aussi de l’évolution de la femme, etc., de procréation, de stérilisation s’il le faut parce que, malheureusement, elles vivent dans leur monde et acceptent tout sans discernement. Elles ont souvent peu de formation quand elles arrivent, aucun respect de la vie.

Nous organisons des veillées. Vous savez, autour du feu, on ne se voit pas. Cela permet de parler, d’échanger. Une atmosphère se crée. Elles arrivent à parler un petit peu.

Et puis parfois elles ont un souci. Notre bureau est ouvert, elles viennent parler. Le contact est assez facile avec elles. Pas toutes ! Certaines passent à côté, c’est certain. Et puis elles ont leur caractère, ce n’est pas toujours évident de le gérer !

Jacques Hindermeyer : Ma Mère, je vous remercie de la satisfaction que vous donnez en exposant ce qu’est une véritable école telle que la vôtre. Et malheureusement, c’est rarissime.

J’ai tendance à considérer que ce qui manque, bien souvent, ce sont les parents et l’éducation de parents. Car ils n’éduquent plus leurs enfants, ils les accompagnent aux sports d’hiver, aux distractions, mais quant à les faire accompagner à des événements religieux, il ne faut pas trop y compter.

Alors quels remèdes à cette situation catastrophique qu’est l’abandon des parents ?

Mère Marie Pierre : On ne peut pas remplacer les parents.

Ce qu’on peut faire, c’est ce que je vous disais à la fin. On peut le porter dans notre cœur, avec notre Amour, notre Adoration. La seule chose qui nous porte, nous, c’est l’Adoration, chaque jour, pour les jeunes.

Il n’y a pas grand-chose à faire, mais on leur a donné des points de repère.

Jean Méo : J’ai trois petites-filles qui ont été à Sainte-Marie. Elles en sont sorties. Elles ont donc été dans un établissement non-mixte. La dernière a 12 ans et elle semble intéressée par les garçons, curieuse, elle n’a pas encore beaucoup d’équilibre dans ce domaine.

Croyez-vous que face à une fille de 12 ans qui ne s’épanouit pas vraiment dans un milieu de filles, est-ce que la mixité peut être un remède ou pas ?

Mère Marie Pierre : Je ne pense pas que ce soit un remède !

Il faut être avec l’enfant. On voit des jeunes de sixième-cinquième, c’est affolant de les entendre dire ce qu’elles vivent chez elles ! ou en groupe avec les garçons.

Elles peuvent s’épanouir dans la mixité s’il y a des gens autour d’elles qui les guident. Mais tout dépend du contexte dans lequel elles seront et des éducateurs autour d’elles. Tout dépend des garçons qu’elles auront en face, de leur éducation, etc. tout dépend de l’environnement dans lequel elles vivent.

Nous pensons que l’éducation est possible à taille humaine et qu’on ne forme des jeunes que si on peut entrer dans le dialogue en confiance avec eux.

Charles Meunier : J’ai juste une question reliée à la nature des élèves. Est-ce que les enfants sentent comme une punition de leurs parents de les mettre dans un établissement qui n’accueille que des filles ou bien ont-elles demandé à y être ?

Mère Marie Pierre : À vrai dire, quand nous inscrivons les élèves, nous leur demandons de s’engager. On leur donne notre projet pédagogique et on leur demande de le signer. Les plus jeunes aussi.

Maintenant, je ne sais pas ce qui se passe après l’inscription. La jeune fille a signé le projet mais on entend dire parfois : « Ce sont mes parents qui m’ont forcée à venir ». Alors nous essayons de leur expliquer que les parents ont voulu choisir ce qui leur semblait le meilleur pour elles.

En fin d’année, on sent qu’il y a quand même quelque chose qui a été vécu. Il y a eu une évolution. Les parents nous le disent : « elles ont changé, elles s’épanouissent… », même les plus dures, les plus irréductibles.

Elles vivent en moyenne deux ou trois ans chez nous en fonction du cycle ou d’une orientation.

Jean-Paul Guitton : Ce qui serait intéressant, ce serait de voir les changements qui sont intervenus chez les parents.

Mère Marie-Pierre : Sur le plan du dialogue, il y a une évolution ! Les parents comme les enfants ont besoin d’être mis en confiance pour collaborer avec nous ; pour certains c’est facile pour d’autres un peu moins.

Jean-Paul Guitton : Peut-être une petite précision, en complément des questions qui nous ont été posées, puisque nous nous sommes rencontrés avant cette séance.

Vous mesurez à la Maison Française, comme ailleurs, combien les jeunes, aujourd’hui, sont marqués par le climat familial et le climat de désaccord familial qui malheureusement s’insinue. Est-ce une cause d’inscription chez vous ? Y a-t-il un lien direct ?

Et puis, une question, un peu provocatrice, typiquement pour un milieu féminin : « Avez-vous des cas d’avortement ? » Parce que sur le plan individuel et sur le plan collectif, si cela arrivait, ce serait une expérience particulièrement difficile.

Mère Marie-Pierre : Non. Ce qu’on a eu, c’est une ancienne élève qui a été droguée à une soirée. L’année qui a suivi son bac, elle a été droguée et s’est retrouvé enceinte. Mais elle a gardé son enfant. Ses parents l’ont bien soutenue.

La drogue, on en parle beaucoup. Les cigarettes sont interdites chez nous mais c’est vite fait d’aller fumer. Il y a des sanctions qui sont prises. On leur fait confiance, on ne ferme pas les yeux à tout pour autant.

On connaît un médecin qui s’occupe de problèmes liés à la drogue et il vient leur parler. Les sectes aussi, on en parle.

Mais c’est vrai qu’il y a une souffrance des jeunes, moi qui ai vécu dans un milieu d’enfants confiés par la DASS ou la justice, je savais ce que ces enfants ont subi ; au collège et au lycée, il faut découvrir et percer les « abcès », parce que cela n’est pas toujours apparent.

Le jour de la rentrée, une Maman vient me dire : « Bon, maintenant qu’elle est chez vous, mon mari s’en va ce soir » !

On a des événements qui arrivent comme cela, à épauler, à soutenir. Depuis ces dernières années, c’est de plus en plus fréquent. Nous n’avions pas tant dans le temps, c’était 1 cas sur 10, maintenant, c’est 1 cas sur 2. Les divorces se sont tellement normalisés.

Donc vous voyez, il y a toute une écoute et une grande disponibilité à avoir aussi par rapport à toutes ces souffrances.

Séance du 10 mai 2007