Par  Marie-Joëlle Guillaume, Agrégé de Lettres classiques, mère de famille, membre de l’AES
Par Nicolas Aumônier, Maître de conférence en Histoire et Philosophie des Sciences à l’Université Joseph Fourier (Grenoble I), membre de l’AES

Le Président : Voici une séance d’un genre nouveau et qui manifeste notre souci permanent de rendre plus utile, plus pratique aussi, notre cycle académique : c’est la première fois que nous allons tirer quelques enseignements des interventions magistrales dont nous avons bénéficié tout au long de l’année. Chacun est bien entendu capable de le faire individuellement. Mais je pense qu’une Académie telle que la nôtre a vocation à aller au-delà de ce que nos grands témoins, nos experts nous ont apporté. Il est important, je crois, que nous ne nous contentions pas de consommer des conférences, aussi prestigieuses soient-elles, mais que nous en tirions quelques conclusions, approfondissements ou perspectives d’avenir. C’est une façon pour notre Académie d’accomplir véritablement son travail de rayonnement et d’éducation ; c’est ce que j’espère en tous les cas.

Homme et femme Il les créa, nous donnons la parole à Nicolas Aumonier puis à Marie-Joëlle Guillaume pour présenter les conclusions et réflexions de l’Académie. Je rappelle juste très brièvement leurs parcours respectifs.

Lire l'article complet

Marie-Joëlle Guillaume est mariée, mère de quatre enfants, agrégée de Lettres classiques. Membre du Comité directeur et du Bureau national du Centre National des Indépendants et Paysans (le CNIP) de 1977 à 1987, elle en présida la commission Famille et Enseignement. Depuis 1988, elle est conseiller éditorial au sein du Groupe Medias Partipations, éditorialiste à Famille Chrétienne. De 1988 à 2001, elle est Présidente de l’Association des Parents d’Élèves (APEL) du Lycée et Collège Stanislas. Depuis septembre 2003, elle est membre du Conseil éditorial de la chaîne de télévision catholique K.T.O. Elle est l’auteur de deux ouvrages, sous forme d’interviews du Cardinal Poupard (Cardinal Paul Poupard, Ce pape est un don de Dieu, Entretiens avec Marie-Joëlle Guillaume, Paris, Plon/Mame, 2001 ; Cardinal Paul Poupard, Au cœur du Vatican, de Jean XXIII à Jean-Paul II, Paris, Mame/Perrin, 2003), et vient de faire paraître les mémoires fictives de Madame de Rambouillet (Un Printemps de gloire. Souvenirs de Catherine, Marquise de Rambouillet, Paris, La Table ronde, 2007).

Nicolas Aumonier, marié depuis trois mois, est membre de notre Académie depuis sept ans. Il est ancien élève de l’Ecole normale supérieure, agrégé de philosophie, docteur en philosophie de l’Université Paris-I-Panthéon-Sorbonne. Il est depuis quatre ans Maître de conférences en Histoire et philosophie des sciences à l’Université Joseph Fourier-Grenoble I et chargé de cours à l’Institut national polytechnique de Grenoble. Il est également membre du comité de rédaction de la Revue catholique internationale Communio. Ses travaux portent, d’une part, sur la causalité en biologie, en particulier dans l’oeuvre de l’école de Paris dominée par André Lwoff, Jacques Monod et François Jacob, et, d’autre part, sur différents sujets de bioéthique, notamment sur le thème de l’euthanasie (Nicolas Aumonier, Bernard Beignier, Philippe Letellier, L’Euthanasie, Paris, Presses universitaires de France, Collection « Que sais-je ? », 2001, nouvelle édition 2006). Il est depuis trois ans membre du jury de l’agrégation de philosophie.

Nicolas Aumonier : Si je comprends bien, vous avez souhaité que je commence afin que je puisse sauter en premier si le terrain s’avère miné !

Probablement sommes-nous plusieurs à avoir été dans l’impossibilité d’assister à toutes les communications de l’année qui vient de s’écouler. Je vais donc commencer par reparcourir brièvement les huit communications qui nous ont été données, pour en tirer matière à nos réflexions et à notre discussion d’aujourd’hui.

Première communication
Marie Balmary a, pour l’essentiel, commenté le premier et le second chapitre de la Genèse, c’est-à-dire le récit yahviste et le récit élohïste. Je vous renvoie, pour les détails, à sa communication. Je n’en ferai qu’un bref commentaire.

Je retiens l’attention qu’elle a portée au texte, sa distinction notamment entre Adam et Ish / Isha, l’humain (Adama) se spécifiant en homme/femme (Ish/Isha). Sa communication insiste sur la différence comme structuration éducative et politique. Elle conclut en établissant un parallèle entre la séparation des pouvoirs dans un certain nombre de théories politiques, et la différence sexuelle. De manière encore plus explicite, elle conclut en disant que le fait d’avoir deux parents de sexe opposé prémunit l’enfant contre toute parentalité totalitaire. C’est ce que je retiens de très positif dans son exposé.

Je suis peut-être plus réservé – et je soumets évidemment cette réserve à la discussion – sur la sur-interprétation qu’elle effectue de ces deux textes en termes de symbolique et de parole, au point, m’a-t-il semblé, que le geste créateur de Dieu en vient à être réduit à un arrangement de marieur (évidemment, c’est très intéressant de lire la Bible et ce texte de la Création comme une affaire de marieur juif et, bien entendu, il y a sûrement de cela), mais la différence entre un marieur juif et un Dieu créateur est évidente et il me semble que la lecture purement symbolique de ces textes perd la transcendance absolue du geste créateur et même ici doublement créateur puisqu’il y a une première création au niveau de l’espèce (Adama : l’humain) et une seconde création au niveau de l’humanité (Ish/Isha : homme et femme).

Ensuite « manger le fruit de l’arbre », même si c’est le fruit de l’arbre de la connaissance du Bien et du Mal, et assimiler cette manducation au fait de se manger entre homme et femme, c’est-à-dire au fait de supprimer la différence sexuelle ouvre des perspectives intéressantes, mais qui se heurtent à l’impossibilité de continuer le parallèle avec l’Eucharistie.

Deuxième communication
Rémi Brague, dans une communication pleine d’humour, présente assez simplement la situation d’infériorité de la femme par rapport à l’homme non pas comme un trait religieux, mais comme un trait lié à la coutume, aux coutumes méditerranéennes, qui veut que ce soit un homme d’environ une trentaine d’années qui épouse une gamine de 15 ans. Je reprends les termes de Rémi Brague. Il y a donc là beaucoup moins paradigme religieux que coutume sociale.

Il conclut sa communication en disant que l’interprétation des textes ne saurait être identique pour un chrétien ou un juif et un musulman. Le Coran a le statut de parole de Dieu, il est donc au même niveau, pour un musulman, que l’est, pour un chrétien, le Verbe incarné, (même si le Coran n’est pas le Verbe incarné), tandis que les évangiles seraient au rang des hadiths.

Et si cette communication se termine par là, c’est probablement pour indiquer des pistes de relecture possibles pour pouvoir distinguer ce qui est figé de ce qui ne l’est pas.

Troisième communication
Christian Vanneste considère, assez uniment dans sa communication, que le mariage est le fondement de la société. La différence des sexes structure la société tout entière. Ses analyses socio-historiques et neurophysiologiques de la notion d’engagement, éclairées par la distinction classique des trois cortex (paléo-, méso-, néocortex), lui permettent de soutenir que la différence des sexes, en fondant toute capacité d’engagement humain, notamment celui du mariage, est au fondement de la société toute entière.

Le député Christian Vanneste observe enfin l’attitude politique véritablement schizophrène qui a conduit ces dernières années à prendre un certain nombre de mesures favorables à la famille en même temps qu’un certain nombre de mesures qui lui sont défavorables. Je ne les énumère pas, je vous renvoie à sa communication. Cette schizophrénie explique selon lui le grand principe de toute politique familiale en France depuis de nombreuses années : l’immobilisme.

Quatrième communication
Marie Hendrickx reconnaît deux formes primordiales de don de soi. Le don qui invite à la relation et la permet, qui est le don de l’homme, le don qui ouvre la relation et qui est celui de la femme. À l’évidence, la réponse que suscitent ces deux dons et qui les accomplissent, qui permettent de les accomplir n’est pas possible sans l’autre. Donc le don de sa vie que fait l’homme n’est pas possible sans la réponse que lui apporte la femme et réciproquement.

Sur la femme, Marie Hendrikx dit très joliment qu’elle est celle qui est aimée pour aimer à son tour. Et toute sa communication est explicitement un commentaire de l’Epître de Saint Paul aux Éphésiens, 5, 21-32.

Elle conclut en disant que ce texte invite, au-delà de toute considération sociologique, à retrouver le geste créateur de Dieu par l’image de ce que doit être le don des époux. Il faut ainsi, insiste-t-elle, faire prévaloir les relations d’amour sur les relations de force.

Cinquième communication
Tony Anatrella commence par dégager ce qu’il appelle les trois invariants humains que sont la prohibition de l’inceste et l’interdit du meurtre, le respect de la différence sexuelle et des générations, le primat de la réalité objective et rationnelle sur la subjectivité.

Il définit ensuite l’homosexualité comme une mauvaise orientation ou fixation spéculaire (en miroir) de ce qu’il appelle une bi-sexualité psychique originelle.

Je ne suis pas sûr de le suivre sur ce terrain de la bi-sexualité psychique originelle. C’est une thèse, une thèse pour l’essentiel analytique. Je ne suis pas certain que ce soit là une parole d’évangile parce que, précisément, c’est tout le problème. C’est tout le problème de savoir si nous naissons avec une sorte d’androgynie plastique et ensuite évolutive ou si nous naissons homme ou femme. Donc, là, je pense qu’il y a matière à discussion, malgré la qualité et l’honorabilité de l’intervenant.

Ensuite, il présente la théorie du gender, du genre, d’après laquelle le couple masculin-féminin doit remplacer la différence homme-femme. Dans cette théorie, le couple masculin-féminin opère à un niveau symbolique qui doit remplacer dans sa structuration originelle le caractère, considéré ici comme trop étroit, d’une différence physiologique qui n’a rien d’irréductible. C’est ainsi que la théorie du gender en vient à nier l’importance de la différence sexuelle.

Mais sa communication s’élève aussi contre la caricature du mariage comme simple reconnaissance de sentiments en observant la très grande fragilité d’un engagement qui ne reposerait que sur des sentiments. Il renvoie implicitement à ce que Christian Vanneste appelait « la tyrannie du méso-cortex », de l’affectivité, et remarque que l’enfant, dans ce contexte symbolique, n’est plus perçu que comme le corrélat d’un droit, le droit à l’enfant, et non comme le sujet d’un droit, le droit de l’enfant.

Sixième communication
Monseigneur Brincard, dans une intervention qui ne s’inscrivait pas dans notre programme, mais apportait de toute sa crosse épiscopale son éclairage à nos travaux, décrit toute éducation comme un face à face éducatif. Pour lui, le face à face éducatif primordial est la rencontre avec le Christ. Tout part de là et, finalement, toute sa communication se résume à cela.

Il détaille un petit peu plus en disant que la famille doit être le lieu du développement, chez l’enfant, d’un habitus ou de plusieurs habitus liés à la transmission chrétienne : l’habitus de la prière en famille, l’habitus de la vie en groupe ou encore l’habitus d’accorder le sérieux des textes avec le sérieux des comportements qui croient à ce qu’ils font : telle est pour lui la liturgie.

Il termine par une reprise du thème de la sequella christi, la suite du Christ, « suivre le Christ », dit-il, « cet ami incomparable pour trouver le chemin du bonheur parfait ».

Dans une réponse à une question de l’un d’entre nous, il affirme avec force qu’il ne faut pas séparer l’expérience de la Foi, l’enseignement de la Foi et la joie de la vie de Foi.

Septième communication
Anne-Marie Libert dresse un panorama extrêmement convaincant d’une sorte de construction idéologique qui progresse inexorablement depuis Malthus. Elle résume Malthus au constat d’une différence terrible, insurmontable, entre le rythme de progression de ce que l’on appelait, à son époque, les subsistances, donc les moyens disponibles, qui progressent, dit Malthus, d’une manière arithmétique, tandis que la population progresse de manière géométrique, c’est-à-dire deux fois plus vite.

Elle passe rapidement sur Bentham, qui remplace Dieu par la nature, et arrive assez rapidement à Margaret Sanger, cette femme cultivée, fort riche et qui usa de tout son pouvoir politique, social et économique pour promouvoir une véritable défense des plus riches grâce à quelques leurres idéologiques : le contrôle des naissances, le féminisme… tout en exploitant la grande peur de la surpopulation.

J’insisterai un tout petit peu plus sur la communication d’Anne-Marie Libert qui éclaire particulièrement notre sujet.

D’une part, elle établit un lien entre des termes apparemment très différents : contrôle des naissances, planning familial, contraception, avortement, euthanasie. Elle y voit le développement d’une même idée qui est celle de la protection de ceux qui ont le plus et qui s’unissent pour empêcher les faibles, le grand nombre des faibles, de leur gâcher la vie. Nous retrouvons le discours de Calliclès, dans le Gorgias de Platon, ou celui du Nietzsche de la Généalogie de la morale.

Elle souligne d’autre part, en accompagnement de ce discours sur le contrôle des naissances, une stratégie qui opère au niveau symbolique, prescrivant de dépasser la simple distinction physiologique des sexes pour humaniser celle-ci par du symbolique, ouvrir au féminisme et remplacer la distinction homme-femme par celle de masculin-féminin pour laisser advenir le genre.

Et, dans tous ces cas, il convient que la promotion du travail l’emporte sur l’asservissement que représenterait cette horrible chose, épouvantablement assujettissante qu’est la maternité. Pauvre société qui en est encore à la maternité ! Tel est le discours de Margaret Sanger et de ses épigones.

Deux stratégies se conjuguent donc pour diminuer les naissances, l’une, rapide : le contrôle des naissances et son cortège de solutions expéditives ; l’autre, plus lente, par imprégnation : la fabrication d’une idéologie violemment opposée à la maternité.

J’insisterai pour ma part sur les trois ruses que le texte d’Anne-Marie Libert dégage avec netteté, mais sans s’attarder.

La première ruse, c’est celle de la pseudo distinction entre contraception chimique et avortement. C’est un sujet souvent passionné qu’il convient autant que possible de dépassionner. Il est bien connu – quoique peu clairement, car il s’agit toujours de secrets de fabrication pharmaceutiques – que la première génération de contraceptifs chimiques consistait à administrer à forte dose des œstrogènes à contre cycle pour empêcher la maturation folliculaire, mais que ces oestrogènes anti-folliculaires étaient mal supportés par le foie. La seconde génération contraceptive, pour pallier cette difficulté, diminua la quantité d’oestrogènes, mais leur adjoignit un analogue de la progestérone à contre cycle afin d’empêcher la nidation. C’était bien admettre la possibilité de la fécondation de ces follicules devenus matures, malgré la quantité d’oestrogènes administrés. Le couplage de ces deux stratégies, l’une anti-folliculaire, l’autre bloquant la nidation fait que, sans autre discussion possible – ce n’est que de la physiologie – la stratégie contraceptive chimique est nécessairement statistiquement abortive.

En 1968, Humanae vitae distinguait les méthodes naturelles et respectueuses de régulation des naissances, et les méthodes chimiques asservissant le corps des femmes aux corps des hommes, dans une prise de position dont Maurice Clavel, dans les colonnes du Nouvel Observateur, avait salué le caractère prophétique. La distinction des moyens contraceptifs ne saurait plus être aujourd’hui une simple question de liberté ou d’asservissement. Elle apparaît désormais nettement comme une question de vie ou de mort du zygote humain.

La deuxième ruse, c’est celle de l’idéologie de la grossesse désirée. Nous savons bien que le désir en général, et le désir d’enfant en particulier, peut être à certains moments assez fluctuant, chez la future mère comme aussi chez le futur père. Or, non seulement on fait croire aux parents que leur désir possède droit de vie et de mort sur la vie de l’enfant – et les plus rusés ajoutent, sans avoir peur du sophisme, pour le bien même de l’enfant (comme s’il devait vivre encore, à l’instant où l’on décide de sa mort), mais encore on leur cache la possibilité d’asservissement de leur désir à des modes fabriquées par quelques malthusiens suffisamment riches pour imposer leurs thèses au sein du débat social. En réalité, qu’y a-t-il derrière tout cela ? Quel est le sujet de ce désir de la grossesse ? La société. Quand la société désire des enfants, alors il faudrait en faire ! Quand la société estime qu’il y en a trop, alors il ne faudrait plus en faire ! Derrière l’illusion de la grossesse désirée se retrouve la grande peur frileuse et si peu imaginative de la surpopulation.

La troisième ruse est celle de l’encouragement à explorer diverses voies qui finalement retardent l’engagement à la procréation. Cette attitude est reconnue explicitement par Madame Libert comme une stratégie contraceptive au sens large, socialement contraceptive. Elle consiste à endoctriner les esprits pour les persuader qu’il faut pouvoir choisir son orientation sexuelle, ou qu’il faut explorer diverses voies, etc., ce qui n’a évidemment pas d’autre but si ce n’est de retarder l’âge de la procréation.

Donc elle insiste, très lourdement, mais je le crois d’une manière très salutaire, très claire, sur le fait que ces théories sont totalement inféodées au primat de l’économique.

Et il me semble qu’il y aurait, pour notre Académie, une petite tâche assez amusante, une tâche argumentative mais facilement dupliquable, qui consisterait, devant tous les représentants que nous pourrions croiser d’un alter mondialisme tenant du planning familial comme d’un droit imprescriptible à disposer de son corps – toutes ces théories, disons, bien libertariennes d’après lesquelles la femme possède son propre corps, dispose d’un droit de possession sur son propre corps-, à tous ceux-là, il ne serait pas difficile, finalement, de faire observer qu’ils sont dans le même camp que la Fondation Rockefeller et d’autres grands bailleurs de fonds dont on peut supposer que, s’ils ont investi beaucoup d’argent dans ces causes, ce n’était pas pure philanthropie.

Huitième communication
Mère Marie-Pierre, directrice de l’internat de la Maison française de la Congrégation Sainte Croix de Jérusalem, nous a livré un témoignage d’une grande intensité sur l’éducation des jeunes filles au sein de son établissement. La description de certaines situations d’échec scolaire imputé, par celles qui en sont les victimes, à une mixité parfois ressentie comme violente à certains moments de leur croissance justifie, selon elle, une éducation séparée des garçons et des filles. L’argument essentiel qu’elle a développé est le suivant : si l’éducation est principalement une affaire d’écoute, il est évident que les garçons et les filles ne demandent pas à être écoutés de la même façon. Il n’est possible de rencontrer l’autre que si l’on sait soi-même qui l’on est. La mixité doit donc être soumise à une évaluation éducative en termes de balance bénéfices/risques.

Conclusion
Je voudrais conclure en indiquant quelques pistes possibles de réflexion.

Notre thème de l’année, avait pour titre : Homme et femme Il les créa. Peut-être aurions-nous dû dire : « humanité homme et femme Il la créa ». Quoi qu’il en soit de ces problèmes de traduction, trois groupes de termes nous importent : « homme et femme », c’est aussi le « et » entre homme et femme, et c’est enfin le « Il », Dieu qui crée.

Ce qui m’intéresse, c’est de continuer à m’émerveiller avec vous de cette véritable création de la femme, par Dieu, à partir de la côte de l’homme. Qu’est-ce que c’est que cette Création seconde ? Marie Balmary nous a dit que ce n’était pas une création, mais la conséquence d’un dialogue, d’une reconnaissance : ils se sont parlé, se sont reconnus, leur conscience les a différenciés, le texte est à prendre surtout au niveau symbolique. Je ne suis guère convaincu par cette seule lecture. Il me semble qu’il faut continuer à chercher ce que peut signifier cette manière que Dieu a de créer de manière seconde. Évidemment, Marie Balmary nous apporte des pistes extraordinairement fécondes, je ne le nie pas du tout, mais je pense qu’il faut aller plus loin.

Ensuite, le « et », nous y avons peut-être peu porté attention. Dieu crée un être de relation ou des êtres de relation qui sont en relation non seulement avec Dieu, avec la terre, mais aussi avec leurs frères. Alors d’abord leurs frères et soeurs, de manière indistincte, presque asexuée, puis sexuée.

Et, évidemment, dans cette seconde création, ce qui nous intéresse, c’est l’appel à la mission, l’appel à aller plus loin c’est-à-dire l’appel à être à la ressemblance de Dieu puisque, comme l’a très bien fait observer Marie Balmary citant Basile de Césarée, Dieu en quelque sorte répète deux fois qu’Il crée « homme et femme », mais il ne poursuit pas, dans son œuvre créatrice, le projet de la ressemblance, de « à la ressemblance ». Il faut donc comprendre, disait Marie Balmary, que « à la ressemblance », c’est la tâche de l’homme et c’est plus spécifiquement la tâche particulière du « et » dans le mariage chrétien d’Éphésiens 5, 21-32 déjà cité : l’homme qui se donne tout entier et la femme qui reçoit l’homme. Ceci est un grand mystère, conclut saint Paul, « je veux dire qu’il s’applique au Christ et à l’Eglise ». C’est-à-dire que, dans l’esprit de Saint Paul, ce mystère d’alliance entre l’homme et la femme au sein du mariage, a pour tâche d’imiter le mouvement éternel par lequel le Père se donne entièrement au Fils, et le Fils se reçoit entièrement du Père. Peut-être, pour nous figurer l’Esprit-Saint, pourrions-nous songer au tableau de Fabrizio Santafede, « Le Fils éternel obéissant au Père éternel » qui se trouve au premier étage du Castel Nuovo à Naples. Dans cette peinture qui n’a rien d’extraordinaire, on voit le Christ, jeune crâne d’une trentaine d’années avec quelques cheveux bouclés, marqué par les traces de la Passion (couronne d’épines, plaie au côté, mains transpercées), et puis son Père, avec le même crâne, d’environ trente ans plus âgé, avec un petit peu moins de cheveux bouclés. Et on voit la main du Père ouverte en avant de Lui, dans un geste magnifiquement créateur. Les yeux du Père sont fixés sur cette main et les yeux du Fils sont fixés aussi sur cette main. Comment ne pas penser que cette main dessine, figure quelque chose de l’Esprit-Saint ? C’est cela que ce « et », dans sa fonction, dans sa tâche de construction de ressemblance, aurait à figurer.

Je terminerai par ce passage de l’Epître aux Colossiens (1, 16) où Saint Paul nous dit, en parlant du Christ, que « tout a été créé par Lui et pour Lui ». En général, que tout ait été créé « par Lui » ne nous pose pas trop de problèmes, mais « pour Lui » nous reste plus obscur. Que peut signifier que tout a été créé « pour Lui » ?

Et maintenant, relisons « homme et femme Il les créa » en pensant à Col. 1, 16, c’est-à-dire en pensant que tout a été créé non seulement par le Christ mais pour le Christ. Là encore, je pense que la notion paulinienne de récapitulation, c’est-à-dire le fait de placer tout sous un même caput, une même tête, la tête du Christ, nous indique bien que le « pour » dont il s’agit n’est pas le « pour » téléologique d’une simple fin, d’un simple but donné à tout cela. Ce n’est pas non plus comme une sorte de causalité rétroactive. Il s’agit bien plus d’un « pour » à la lumière active de la Résurrection. C’est-à-dire que l’événement même de la Résurrection éclaire par contre coup tout ce qui s’est passé avant et qu’il récapitule tout, mais cette fois sous le chef, sous la tête du Christ ressuscité.

Donc, penser que « homme et femme Il les créa » a été fait pour Lui, pour le Christ ressuscité, c’est dire que nos relations conjugales ne peuvent se comprendre sans l’ampleur que leur donne la Résurrection. Il y a là, à proprement parler, comme une sorte de re-Création et c’est peut-être là qu’il faut chercher l’éclairage qui nous est donné dans la construction de la ressemblance, donc dans cette deuxième Création que le texte de la Genèse laissait comme inachevée, ce qui ne veut pas dire qu’elle soit inachevée, mais seulement qu’elle y soit dite « comme » inachevée.

Marie-Joëlle Guillaume : Ayant entendu Nicolas Aumonier, je suis d’autant plus contente d’avoir suggéré au Président de nous appeler à présenter nos conclusions suivant l’ordre de la Genèse : l’homme d’abord et la femme après. Car vous avez eu droit à un squelette bien charpenté, et maintenant vous allez avoir… la côte !

« La côte » va vous faire une présentation qui sera davantage « à sauts et à gambades ». En effet, les très beaux résumés que Nicolas vous a présentés étant un point d’appui solide, il ne s’agit pas de les répéter… en moins bien, mais simplement de relever, dans chaque communication, un mot, un élément qui m’a paru répondre particulièrement bien à l’objectif fondamental de notre année. Je vous rappelle que le choix de notre thème, cette année, était né d’une grande inquiétude non seulement sociale mais, comme on dit aujourd’hui, sociétale face à la propagande pour le mariage et l’adoption homosexuelle. Notre société tend à perdre ses repères fondamentaux.

C’est partant de la conscience de ce danger que nous avons voulu mener la réflexion de cette année, en poussant cette réflexion jusqu’à ses fondements ultimes. Le titre, évidemment, l’indiquait, car la référence à la Genèse, c’est vraiment la référence à l’ancrage le plus profond. Il n’est pas étonnant que Nicolas Aumonier ait achevé son propos sur la Résurrection parce que nous sommes ici au cœur des réalités fondamentales de la vie et de la mort, de l’enjeu de chacun de nos destins.

Marie Balmary
Tout en partageant les nuances que Nicolas Aumonier a exprimées à propos de la première communication, je dirai que ce qui m’a paru important chez Marie Balma ry, au regard de cette quête des fondements qui est la nôtre, c’est son insistance originale sur l’origine de la parole. Evidemment, cette insistance n’épuise pas le sujet des premiers livres de la Genèse ! Mais elle met en évidence le fait qu’au commencement, il y a l’altérité ; au commencement, il y a le dialogue et on ne peut dialoguer précisément qu’avec l’autre, on ne dialogue pas avec soi-même ou alors c’est un dialogue narcissique – il en a été question ici dans d’autres communications -, et ce dialogue est stérile.

Ce qui nous a été dit sur la parole m’a paru d’autant plus intéressant que, pour les chrétiens, « Au commencement était le Verbe ». Tout s’enracine aussi dans ce texte-là, ce magnifique Prologue de l’Évangile de Jean, que la communication de Mme Balmary nous évoque spontanément .

J’avais bien aimé aussi, dans cette première communication, l’idée de l’inachèvement de l’homme, la suggestion que Dieu avait créé le monde, semble-t-il, le moins possible.
Je connaissais un prêtre qui avait coutume de dire – en citant d’ailleurs un Père de l’Église, je crois – que Dieu « faisait les créatures se faire ». J’avais toujours trouvé l’expression extrêmement forte. Nous en avons retrouvé le sens dans cette communication de madame Balmary.

Rémi Brague
Quant à Rémi Brague, j’aimerais insister sur un point que vous n’avez pas relevé, je crois, dans le résumé de sa communication, mais qui lui tenait visiblement à cœur. Pour Rémi Brague, le problème essentiel qui se pose à propos des textes, qu’il s’agisse du judaïsme, du christianisme ou de l’islam, c’est celui de l’origine des normes.

Cette idée m’a paru très intéressante parce qu’au fond, c’est aussi un problème de normes auquel nous sommes confrontés aujourd’hui. Et nous voyons bien que la raison dernière de la norme, c’est ce qui respecte et construit la personne.

Rémi Brague nous a bien montré la différence entre un Coran qui tombe comme une pierre venue du ciel, et dont la norme est impossible à changer puisqu’elle vient directement de Dieu, et l’Écriture telle que la conçoivent les chrétiens, qui est certes inspirée par Dieu, mais qui passe par l’expérience des hommes et qui a toute la souplesse de la personne puisque, pour nous, la vérité est une Personne, le Christ.

Cette question de l’origine des normes me paraît donc avoir enrichi notre perspective de compréhension des fondements.

J’évoquerai tout de même une chose qui m’a paru manquer dans cet exposé-là. Rémi Brague avait souhaité s’en tenir aux textes de référence, et non pas au concret de la vie. C’est un choix.

Mais à propos des textes, on aurait pu parler du Magistère de l’Église. Parce qu’en tout état de cause, pour le christianisme, il n’y a pas que les Évangiles, il faut y ajouter les nombreux développements que l’Église nous a offerts par la suite, et Dieu sait que sur l’homme et la femme, sur le mariage, sur la compréhension de la vie, de l’altérité, etc. nous pouvons trouver beaucoup de repères, d’exemples, d’analyses…et de normes dans les documents qui émaillent, depuis des siècles, le Magistère de l’Église.

Permettez-moi donc, en passant, de regretter ce manque, dans une communication par ailleurs intéressante et rigoureuse.

Christian Vanneste
Christian Vanneste, je rapprocherais volontiers sa communication de celle de Tony Anatrella, puisque, l’un sous un angle plus politique, l’autre sous un angle plus lié aux fondements de l’être, ils ont tenu tous les deux à nous donner des arguments pour comprendre ce qu’est exactement l’altérité des sexes, et pourquoi certaines analyses mènent à une impasse.

Dans cette perspective, j’ai apprécié l’analyse des trois cerveaux : paléo-cortex, méso-cortex, néo-cortex, et de leurs effets différents et complémentaires. Théoriquement, nous savons cela. Mais enfin, cela fait du bien de s’entendre préciser à nouveau qu’il n’y a pas de vie digne et construite là où le néo-cortex ne tient pas toute sa place !

Une autre remarque de Christian Vanneste, qui n’a pas été relevée tout à l’heure, m’avait frappée.

Il a conclu en disant que la société ne pouvait pas être fondée sur l’individu et l’éphémère, qu’elle ne pouvait être fondée que sur le groupe et sur le temps. Je crois que ce constat, là encore, touche aux catégories fondamentales de la vie en société, et qu’il y a matière à prolonger cette réflexion.

Marie Hendrickx
Sur Marie Hendrickx, vous avez bien souligné sa méditation sur le don : d’un côté, l’être masculin qui assure le don, de l’autre la femme qui est appelée à ouvrir ce don à d’autres et à d’autres encore.

Je pense qu’à partir de là – mais cette idée figurera peut-être dans les propositions tout à l’heure – il y a certainement une stratégie d’éducation des garçons et des filles à repenser et à mettre en œuvre. Cette stratégie a quelque peu manqué, me semble-t-il, à notre développement.

Monseigneur Brincard
Monseigneur Brincard nous a effectivement orientés davantage du côté de la catéchèse et vers l’éducation des jeunes en général, moins particulièrement vers une réflexion sur « homme et femme ». Il n’a pas non plus évoqué d’éducation spécifique à la vocation de l’un ou de l’autre.

J’en conclurai que c’est une réflexion qui nous a beaucoup apporté quant à notre rôle d’éducateurs chrétiens, un peu moins quant à notre axe. Mais elle figurait à part dans le programme d’année.

Anne-Marie Libert
Je voudrais insister sur le grand intérêt que j’ai trouvé à l’exposé d’Anne-Marie Libert parce qu’elle nous a amenés à prendre conscience d’une continuité historique qui n’est pas apparente quand on réfléchit à ces questions.

Ainsi, sur le gender, nous avions tous quelques notions en abordant notre thème d’année. Au fil des communications plusieurs personnes ont évoqué le « gender », notamment le Père Anatrella. Mais il est sûr que partir des thèses de Malthus, et reconstituer sous nos yeux la succession à la fois chronologique et logique de leurs conséquences, c’est extrêmement précieux. Car, sans diaboliser les forces obscures de la société – on sait quand même que Satan existe ! – cet exposé circonstancié nous permet de ne pas être des naïfs, et d’imaginer, à un niveau de profondeur suffisant, la réponse à apporter à cet endoctrinement en marche..

A ce stade, je vous proposerai déjà deux pistes d’approfondissement.

Il me semble d’abord que nous devrions réfléchir à ce que pourrait être une éducation à la maîtrise de soi. Aujourd’hui, on parle beaucoup de la maîtrise du monde, mais de la maîtrise de soi, un peu moins. On entend même précisément le contraire. Le grand mot des médias, de la publicité, etc, c’est « éclatez-vous ! ». On s’éclate au lieu de se maîtriser.

N’y a-t-il pas quelque chose d’essentiel à repenser ? Tout le monde comprend très bien que le sportif ait besoin d’une ascèse. On comprend moins que dans la vie intellectuelle, morale, et dans la conduite du cœur et de l’âme, il y ait un apprentissage nécessaire de la maîtrise de soi.

Je crois que toutes ces théories du gender, qui ‘surfent’ sur le penchant à la facilité, sur une faille de la personnalité, auraient moins de prise si l’on revenait – ou si l’on venait, car il ne faut pas forcément refaire ce qui a été fait dans le passé, il faut savoir innover – au sens de la maîtrise de soi et à la volonté d’en transmettre le goût aux enfants dès leur plus jeune âge. Il n’y a pas d’accomplissement humain, pas de société humaniste dans son ensemble non plus, sans maîtrise de soi, de ses pulsions et de ses passions.

La deuxième piste, je l’avais déjà suggérée lors de la communication d’Anne-Marie Libert : la meilleure façon de réagir à la corrélation funeste faite par Malthus entre accroissement de la population et baisse des subsistances, ce serait peut-être de réhabiliter Alfred Sauvy ou de le faire connaître tout simplement, puisqu’il est de moins en moins connu. Il faudrait engager, en s’appuyant notamment sur l’œuvre de Sauvy, une réflexion de fond sur la croissance. La croissance figure d’ailleurs dans nos projets d’études pour l’année prochaine, en liaison avec le thème du développement durable. Il est indispensable d’arriver à une vision équilibrée de l’avenir, au lieu de nous laisser emprisonner dans cette affreuse idéologie qui veut casser les élans fondamentaux de la vie, y compris – merci de l’avoir dit, Nicolas – la maternité ! Et cela au nom d’une analyse parfaitement controuvée, mais qui peut hélas faire illusion.

Conclusion
J’ai beaucoup apprécié tout au long de cette année et à travers les communications, le lien qui a été fait entre l’anthropologie et les données religieuses. Nous touchions à des domaines extrêmement fondamentaux où cette liaison était naturelle, nous l’avons bien senti.

J’ai beaucoup apprécié aussi l’apport de connaissances psychologiques et sociales qui nous a permis de prendre une juste distance face aux problèmes agités continuellement dans les médias : l’éclairage historico-politique sur le gender, je viens de le dire ; et finalement l’insistance, diverse mais souvent répétée au fil des communications, sur l’éducation des jeunes.

Il y a eu enfin, chemin faisant, un certain nombre de réflexions un peu éparses qui auraient peut-être valu d’être synthétisées. Mais notre souci majeur – au regard des conclusions pratiques de cette réflexion – doit être d’en tirer des conclusions sur l’éducation. Je viens d’en dire un mot à propos de la maîtrise de soi, mais il n’y a pas que cela.

Un élément de base m’a paru manquer à notre réflexion d’ensemble. En effet, nous sommes bien convaincus que, si l’on part du gender, on part à faux. Et nous souhaitons quant à nous – ce fut le travail de toute cette année -, partir d’une anthropologie fondamentale constante, fondée sur les invariants humains dont Tony Anatrella nous a rappelé ce qu’ils étaient.

Mais alors, compte tenu d’une part de ces invariants et compte tenu d’autre part du fait que l’époque actuelle ne ressemble pas à ce que nos ancêtres ont connu il y a un siècle, deux siècles, trois siècles, une question cruciale se pose : quelle vision nouvelle peut-on proposer aujourd’hui des rôles féminins et masculins dans la société – je dis bien : des rôles – en fonction d’une anthropologie que nous considérons comme devant rester invariante, permanente ? Ce dilemme, celui d’une adaptation qui ne trahisse rien de l’essentiel, n’a pas été traité.

Or je crois qu’il faudrait absolument explorer cette piste d’action et de réflexion. il ne s’agit pas que la femme veuille imiter l’homme, il ne s’agit pas non plus que l’homme veuille jouer à la femme. Je lisais récemment un article qui expliquait combien il était nécessaire de donner des poupées aux petits garçons… Cela m’a rappelé cette anecdote de mon fils aîné qui, en maternelle, semblait passionné par le « coin poupées ». A l’institutrice qui s’approchait, un peu étonnée, mon petit bonhomme avait fait remarquer qu’une vis était cassée dans la maison de poupée et lui avait aussitôt montré, avec beaucoup de fierté, sa « réparation »…

Cela dit les rôles, évidemment, ne sont pas figés. Mais il faut s’interroger sur eux à partir d’une anthropologie solide et non pas dire : nous considérons que tout cela n’a pas de raison d’être. Il s’agit d’apprécier les changements possibles avec justesse. Et en déduire la meilleure façon de préparer aujourd’hui nos enfants à être des pères et des mères de famille, et déjà des époux et des épouses équilibrés dans un monde qui change.

Je pense que notre année fut riche, et notamment parce qu’elle nous a conduits, chemin faisant, à des sommets spirituels. Ce n’est pas forcément le cas pour tous les thèmes que nous abordons. Il me semble que c’était le cas cette année. Le revers de la médaille, c’est que nous aurions eu besoin, parfois, de suivre des pistes plus concrètes, et comme on ne peut pas tout faire, ces pistes-là nous ont un peu manqué.

ÉCHANGE DE VUES

Le Président : Vous avez pleinement répondu, pour cette première expérience, à notre attente. Vous avez même mis la barre très haut !
Mais cela ne devrait pas empêcher que l’année prochaine nous puissions trouver deux membres de l’Académie pour renouveler ce petit exercice dont l’intérêt s’est manifesté au fur et à mesure que nous entendions vos propos. Vous nous avez remis les choses en mémoire, d’abord, et puis vous avez tiré un certain nombre de pistes et même fait quelques propositions qui nous stimulent.

Pour orienter la discussion parce qu’effectivement le but est que, encore plus que d’habitude, chacun d’entre nous puisse s’exprimer, je vais vous proposer un cadre. Le but n’est pas, vous l’aurez compris, que chacun s’exprime sur ce qu’il a aimé ou pas aimé sur telle et telle intervention. De tels avis sont fort légitimes mais ce n’est pas le temps de refaire le programme, voire d’apporter une appréciation
L’objectif est bien de voir ce que vous avez retiré d’essentiel dans les enseignements qui nous ont été donnés, sans avoir besoin d’argumenter ou de justifier à la limite ; il suffit de se reporter au texte. Puis, au-delà des enseignements à retenir, nous devrions avoir un échange sur les moyens de les diffuser parce qu’ils ne nous appartiennent pas. Si nous pouvons les révéler et/ou les appuyer en proposant une argumentation, nous remplissons notre rôle qui est de servir de révélateur mais aussi de tremplin si je puis m’exprimer ainsi.

Quels enseignements à retenir donc, voire à diffuser ?

Ne pouvons nous pas, en nous inspirant par exemple des quelques pistes proposées par Marie-Joëlle, voir comment notre Académie d’éducation et d’études sociales, d’études bien sûr mais d’éducation aussi, pourrait mener certaines actions ? Et au-delà de ce que pourrait faire l’Académie, pourquoi ne pas tenter de susciter des vocations, donner des idées sur ce que nous pourrions retenir de ce que nous avons fait pour contribuer, ensemble ou individuellement, à travers d’autres œuvres, d’autres institutions ou d’autres associations, à cette action d’éducation qui me semble être notre raison d’être ?

Je vous invite donc, les uns et les autres, à faire part de vos idées, de vos suggestions sur les enseignements et les pistes d’action.

Geneviève Boisard : Je pense que, pour avoir un enseignement, il faut qu’il puisse être reçu. Il faut qu’il soit orthodoxe mais il faut aussi qu’il puisse être reçu.

Alors, je me permets de vous faire part de quelques agacements de ma part.

Quand on parle de création seconde en disant : Dieu a d’abord créé le mâle et ensuite la femelle, pour ne pas parler d’homme et de femme, je pense, et vous l’avez rappelé, que la Bible n’est pas le Coran. Autrement dit la Bible n’est pas descendue toute crue et toute faite. Ce que nous y lisons a été écrit par des hommes qui, avec leur esprit masculin, ont essayé de nous transmettre des vérités profondes. S’ils ont mentionné la création de l’homme en premier, cela ne me paraît pas forcément significatif.

Par ailleurs, je pense que dans bien des cas, et en particulier dans l’enseignement de l’Église, on sacralise la vocation de la femme à la maternité. On ne parle pas beaucoup de la vocation de l’homme à la paternité.

La reproduction sexuée que nous connaissons est un énorme progrès par rapport à la reproduction par division cellulaire dont chaque cellule engendrait deux cellules égales à elle-même. Autrement dit, l’enfant est le fruit d’un homme et d’une femme qui apportent chacun tout ce qu’ils sont et cela permet d’avoir des individus uniques.

Autrement dit, si nous devons avoir un enseignement sur l’homme et la femme, je pense que cet enseignement devrait pouvoir être reçu aussi par les filles.

Henri Lafont : Je vous ai tous les deux suivi parfaitement sur le malthusianisme. J’ai notamment apprécié la proposition de Marie-Joëlle Guillaume de revenir aux travaux de Sauvy parce que si nous n’avons pas tellement de réponses, il faut bien le dire, en dehors de la limitation des naissances, il faudrait ajouter que le problème soulevé par Malthus est peut-être un faux problème. Disons du moins que dans notre société le malthusianisme est bien ancré et il n’est pas facile de faire accepter la recommandation évangélique : « Ne vous souciez pas de quoi vous vous nourrirez, de quoi vous vous vêtirez, le Seigneur est là, sa Providence vous donnera ce dont vous avez besoin ». Cela ne coule pas de source.

Par conséquent je crois qu’il faut que nous prenions un certain recul par rapport à cette crainte non fondée de Malthus en la relativisant et en y proposant des remèdes.

La relativiser, c’est écouter Sauvy ; mais qui l’écoute ?

Proposer des remèdes, c’est aborder le sujet de la contraception, remède admis pour maîtriser le soi-disant danger de surpopulation. Et Anne-Marie Libert a développé ce thème d’une façon très approfondie. Toutefois, dans, le livre qu’elle a écrit avec Schooyans (« Le terrorisme à visage humain ») la critique de la contraception repose principalement sur l’effet abortif de la pilule. Sur ce point n’est-il pas permis de s’interroger ? Est-ce l’aspect le plus négatif de la contraception ? Dans l’esprit contraceptif, transparaît déjà la considération de l’enfant futur comme un objet maîtrisable plus que comme un sujet, et c’est une porte d’entrée de la mentalité abortive. D’autre part, quand on parle d’avortement, on considère la destruction volontaire d’un embryon ou d’un fœtus humain. Mais il y a aussi les nombreuses circonstances où la vie de l’enfant conçu est menacée à l’insu de sa mère (fautes d’hygiène, sport déraisonnable). Sans doute, la prise de pilule peut mettre en danger la vie d’un éventuel conceptus mais ce danger n’est pas le principal motif de condamnation de la contraception par l’Eglise.

De plus, il est très différent du point de vue psychologique de prendre la pilule ou de demander un avortement chirurgical ou chimique. On a beau dire que la pilule peut provoquer la destruction de l’embryon, cela reste une éventualité non contrôlable, de sorte qu’il est très difficile d’assimiler la prise de la pilule à un avortement.

A cause de cela que je pense que l’on doit juger de la valeur morale de la contraception par rapport à la signification du don des corps, inséparable du processus de la génération. Celle ci résulte d’un acte d’amour où s’opère un don mutuel ; un don qui renonce à la maîtrise sur l’autre et sur l’enfant. Or, la maîtrise sur l’enfant à quelque stade qu’il soit contredit sa qualité d’être humain, le caractère de sujet qu’il détient de sa nature. Et je crains qu’une condamnation de la contraception au seul motif qu’elle pourrait être éventuellement abortive ne laisse libre cours aux méthodes contraceptives non suspectes d’effet abortif.

Jean-Paul Lannegrace : L’action de Satan ne se manifeste t elle pas dans la domination de la jouissance sur notre société occidentale ?

Cette jouissance ne la trouve t-on pas dans la théorie du gender où flotte la recherche de la double jouissance sexuelle masculine et féminine ?

Autre effet de la jouissance : vous avez dit tout à l’heure quelque chose de tellement poignant : on exalte le travail au détriment de la maternité. Ça, en Europe occidentale, c’est tout de même un scandale ! Moi, j’ai vu les malheureux couples Chinois ! Ils souffrent profondément du fait de ne pas pouvoir avoir plus d’enfants. Et pendant ce temps-là, on voit le monde occidental refuser d’avoir des enfants qu’il pourrait nourrir. La question du malthusianisme, si elle se pose, c’est de façon très différente suivant les régions du monde.

J’observe aussi que, dans les entreprises, la jouissance devient la principale motivation du travail : les jeunes l’appellent le « fun ».

Alors, je me pose la question de savoir si pour certaines femmes qui ne veulent que travailler, il n’y a pas là aussi quand même une séduction du fun, la même que pour les hommes d’ailleurs, qui concurrence le désir de maternité.

Madame Guillaume a posé la question des valeurs nouvelles pouvant, si j’ai compris, restaurer la natalité.

Une première pourrait être le développement durable, qui redonne une place aux générations futures, Cette attention aux générations futures est une ouverture tout à fait opposée à l’orgueil égoïste de la vie.

Une autre attitude très positive qui se répand est l’admiration du nouveau né, de son innocence biologique, en rapport théologique avec l’innocence de Dieu.

Nicolas Aumonier : Un mot pour dire à Madame Boisard que nous sommes sûrement d’accord entre nous, car ce qu’elle m’objecte n’est pas ce que j’ai dit !… La Création seconde n’est pas la création de la femme par rapport à l’homme, mais de « homme et femme » (Ish/Isha) par rapport à l’humain (Adama). Le texte biblique indique bien, c’est ce que rappelle Marie Balmary, un second niveau de création. A partir de là, la discussion est ouverte. Marie Balmary dit : Dieu finalement est assez peu créateur dans cette affaire parce que c’est une affaire de reconnaissance, de langage, etc. C’est l’homme et la femme qui se reconnaissant se déclarent réciproquement homme et femme. Et cette création seconde est donc principalement leur fait. Et je me dis : si Dieu est créateur et s’Il a pris la peine d’extraire la côte d’Adam et de la transformer (évidemment, le texte est un peu obscur et notre pensée aussi), c’est qu’il doit bien y avoir un niveau de création, un niveau de transcendance créatrice, second. Et je ne sais pas bien ce qu’il est. Mais je pense qu’il faut le respecter et l’approfondir comme tel. Mais, évidemment, ce n’est pas la femme qui vient en second par rapport à l’homme qui vient en premier, sauf à penser que la femme est beaucoup plus aboutie que l’homme, ce dont chacun ici conviendra aisément. La création seconde désigne un niveau d’approfondissement de la création divine qui concerne aussi bien l’homme que la femme, non une subordination de l’un à l’autre.

Et puis, je voulais dire un mot à Jean-Paul Lannegrace sur les deux pistes que vous suggérez : le développement durable et l’innocence de l’enfant.
Il me semble que sur l’innocence de l’enfant, nous avons eu une communication, je ne sais plus laquelle, qui disait qu’il fallait faire aussi attention – même si vous avez raison, c’est un signe encourageant – à la survalorisation, un petit peu asexuante ou asexuée, de l’enfant. Vous savez, cette espèce d’innocence New Age : tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, c’est pur, ça vient de naître… Il y a aussi cette tendance-là dans notre société, même si par ailleurs – c’est en ce sens que vous l’avez, je l’imagine, souligné – c’est un signe positif.

Et puis, le développement durable… C’est comme les générations futures. Pour ma part je suis assez réservé à l’égard de ce genre de choses que je trouve assez vague. Quand elles ne sont pas plus précises, et liées à une écologie profonde, c’est-à-dire à un refus de la sexuation, on botte en touche du côté des générations futures, du développement durable, pour ne rien dire du fait d’être mère et père.
Ce n’est pas non plus ce que vous avez voulu dire. Mais c’est ce que je voulais ajouter !

Le Président : Puisqu’il s’agit aussi de tirer des conséquences pratiques, je constate que nous avons anticipé d’une certaine façon. Je rappelle en effet que dans le thème de l’année prochaine, l’homme et la nature, nous n’allons sans doute pas aborder d’une façon exhaustive et complète le développement durable mais nous serons amenés à en parler. Nous avons en tous les cas prévu des interventions qui seront l’occasion de retrouver ce thème.
Nous ne sommes pas en mesure d’en dire davantage aujourd’hui, ou alors ce serait une extraordinaire anticipation, mais nous vérifions ainsi la cohérence de nos actions et que nous travaillons dans la bonne direction.

Pour revenir sur l’objet de notre échange, je ne regrette pas que Nicolas soit intervenu avant ce que je voulais dire parce que, de l’intervention de madame Boisard, je retiens non pas qu’il y aurait un désaccord sur le fond, je ne le pense pas, mais il y a manifestement – c’est l’occasion de le dire et cela s’est vérifié à d’autres reprises – des difficultés d’ordre pédagogique. Nous sommes confrontés à une question d’expression, de communication. Nous ne sommes pas toujours d’accord sur le fond mais surtout nous avons à faire à des personnes jeunes ou moins jeunes qui ne comprennent pas les textes ou ce que nous disons.

Et c’est là que je me pose une question : que pouvons-nous faire dans ce registre ? Nous n’allons pas réécrire les textes du magister ou les textes des grands auteurs ou n’importe quel texte, nous les avons reçus. Et nous n’avons pas à les transformer. Mais nous devons contribuer à les faire mieux passer.

Constatant que nous ne sommes pas en désaccord finalement, je m’interroge sur la façon dont nous pourrions faire une meilleure pédagogie. Il me semble que trop souvent les désaccords relèvent de questions d’expression plus que de raisons de fond.

Si vous avez des idées à ce sujet, nous sommes évidemment preneurs.

Françoise Seillier : Pour la pédagogie souhaitée concernant l’enseignement de l’Église sur l’Homme et la Femme, nous disposons entre autres d’un livre très utile relatant des entretiens entre le Père Marie-Dominique Philippe et des jeunes ; le titre chez Fayard est « Au cœur de l’Amour ». C’est une mine sur tous ces sujet délicats ; le Père Philippe sait allier la profondeur théologique à l’humour : ainsi, quand il rappelle après Saint-Thomas que pour Dieu « ce qui est premier dans l’intention est dernier dans l’exécution ». Adam est créé le premier, à partir de la glaise, Adam veut dire « le terreux », alors qu’Ève est formée à partir du corps d’Adam, et qu’ainsi la femme est un peu comme la quintessence , qu’elle est plus subtile ! Sur toutes ces questions fondamentales pour l’humanité de l’identité de l’être humain homme ou femme et de leurs relations, il y a tant de malentendus avec la culture contemporaine ! Par exemple nous chrétiens quand nous parlons de la notre humaine, nous pensons en même temps aux trois états de la condition humaine : celle de création, avant la chute : harmonie de l’homme et de la femme « unité des deux », cf. Jean-paul II « Mulieris dignitatem », deuxièmement la condition humaine d’après la chute « ton mari dominera sur toi » (Genèse III -16) et enfin la condition humaine rachetée par le Christ (cf. Matthieu XIX-4 et suivants) « à l’origine, il n’en était pas ainsi…ce que Dieu a uni, l’homme ne doit point le séparer », la Grâce restaure la nature.

Autre point, la question si grave actuellement de l’homosexualité ; certains de ses partisans osent se référer à Saint Paul : « il n’y a plus ni Juifs ni Grecs, ni esclaves ni hommes libres, il n’y a plus ni homme ni femme (Ga 3,28.). Ces gens oublient que Saint Paul évoque là la perspective du Royaume, dépassement de la condition humaine, terrestre, historique ; comme le texte de l’Évangile dans la liturgie d’hier, quand aux Sadducéens (ceux qui ne croient pas à la résurrection) demandant au Christ à propos de la femme aux sept maris successifs : « alors à la résurrection, de qui sera-t-elle la femme ? », le Christ répond : « sur la terre les hommes et les femmes s’unissent, mais dans le Royaume on ne se marie plus » (Saint Marc XII-20 et suivants).

La société, ou plus exactement l’État de nos jours, prétendent intervenir sur des questions tellement ultimes, et la signification de l’identité sexuée de l’homme et de la femme en est une, que les chrétiens que nous sommes ont peut-être à témoigner même en politique d’une Lumière supérieure aux lumières des sciences humaines sur ces questions- ce qui ne constitue aucunement une atteinte à al vraie laïcité.

Pierre Boisard : Je suis très heureux que le Président ait rappelé que l’Académie est une académie d’éducation et d’études sociales.

Je crois en effet que nous avons un effort d’éducation à faire et il faut que l’homme apprenne à retrouver la maîtrise de soi. Pour être maître de soi, il faut d’abord comprendre et se comprendre. Quand, par exemple, j’entends la controverse, si je puis dire, entre Nicolas et ma femme, je m’aperçois qu’on a encore à explorer le sens de l’Écriture et de l’inspiration divine.

Ce que j’ai beaucoup apprécié dans la conclusion de Nicolas Aumonier, c’était son retour au Christ ressuscité. L’an prochain, le thème a été retenu, très bien. Mais il faudrait, je crois, quelque soit le thème, introduire une leçon qui tournerait autour de ce livre si remarquable du Cardinal Ratzinger Jésus de Nazareth. Je crois que ça nous permettrait d’éclairer un peu l’avenir de l’humanité, car c’est bien pour ça qu’Il est venu, quand même, pour éclairer l’humanité.

Hervé L’Huillier : Je vais me situer dans la perspective de ce qu’a demandé le Président et de ce qu’a dit Geneviève Boisard.

J’ai beaucoup apprécié les exposés auxquels j’ai pu assister. Pour autant, je crois que nous avons là tous les ingrédients d’un discours incommunicable et inaudible. Excusez-moi de forcer le trait, il me semble que nous avons relu nos classiques, réentendu les textes fondateurs, un peu suivi un parcours identitaire, perçu des complots, etc. Est-ce là la mission d’éducation qui peut être la nôtre ?

Premièrement, on n’a pas épuisé ce sujet. Dans ce sujet, il y a une question qui n’a pas été élucidée : pourquoi, aujourd’hui, se pose-t-on cette question de l’homosexualité ? Pourquoi revient-elle en force ? Je suggérerais bien une piste : je suis frappé de tous ces débats sur l’autre : l’autre fait peur ; « l’enfer, c’est les autres » ; jusqu’à Lévinas « le visage de l’autre introuvable, inatteignable ». L’autre gêne. Et face à l’autre, on manque de repères. Cette question devient obsédante parce qu’on est trop nombreux (Malthus), ou parce que l’autre est différent, ou au contraire parce qu’il est trop semblable. Nous avons pour cela un malaise vis-à-vis de l’altérité, et ceci est une des causes de la montée de l’homosexualité et de la demande de reconnaissance d’un droit de cité dont elle est l’objet.

Je crois aussi que la maternité c’est beau, mais ce n’est pas une fin en soi ! La fin en soi du mariage, c’est faire l’expérience de l’Alliance. Ne donnons pas l’impression de limiter le mariage à une relation fonctionnelle. Ce projet de découvrir ensemble une manière propre d’incarner l’Alliance, je crois que les jeunes de notre époque peuvent le recevoir. Également, je me demande si voir dans la femme uniquement une créature subordonnée à son mari, selon les propos de s. Paul, est aujourd’hui recevable et peut correspondre à une expérience accessible. Dans l’expression « homme et femme », il y a à la fois un aspect de différence et de complémentarité et quelque chose de plus profond, comme un projet de séduction et de fusion, visant vraiment à « ne faire plus qu’un ».

Sur ce point, je crois qu’on n’est pas allé jusqu’au bout de la réflexion et qu’il faut rester humble.

Aimer, c’est ne pas posséder. Pour moi, c’est ça le fond de la question. Et je crois qu’il faut partir de ce que disait la première encyclique du Pape : il n’y a pas d’éros sans agapè, il n’y a pas d’agapè sans éros : aimer, c’est vouloir que l’autre vive. Sur cette base, il faut faire attention à ne pas dévaloriser ceux qui ne sont pas mariés ; ou qui n’ont pas d’enfants ; ou qui sont homosexuels. Je crois qu’on a le devoir de les recevoir, de les intégrer. On n’est pas fondés à laisser entendre qu’ils sont en dehors du plan de Dieu au prétexte qu’ils ne vivent pas la relation « homme et femme ».

Ainsi, je crois qu’il est utile de transmettre ce qui a été parcouru dans ces conférences, mais en en marquant bien les limites et en ne donnant pas l’impression que le message chrétien établit une hiérarchie entre les modalités de l’existence relationnelle.

Nicolas Aumonier : Je suis, évidemment, entièrement d’accord avec tout ce que vient de dire Hervé L’Huillier. Je ne pense pas qu’il considère que revenir aux fondements mêmes de notre réflexion sur le thème de notre année (« Homme et femme Il les créa ») puisse être tenu pour une attitude fondamentaliste, ni que réfléchir consiste à perdre de vue la traduction en décisions pratiques. Il faudra donc qu’il m’explique mieux ce contre quoi son humeur s’est exprimée !…

Je voulais juste ajouter quelque chose en général.
Comme souvent, le passage au politique nous a peut-être manqué cette année, m’étant fait un écho de ce qui avait été dit et fait.

Je reprends simplement le mot d’ordre des féministes dans les années 1960 : « Le privé est politique ». C’est intéressant, parce que, finalement, quand nous resongeons au titre du livre L’oraison, problème politique de Daniélou, c’est une manière de convertir, sans la nier du tout, cette gigantesque aspiration de reconnaissance au niveau peut-être le plus haut, le niveau politique, de toutes ces aspirations. Si le privé est politique, il y a sûrement une tâche ou une direction à suivre pour nous. Peut-être que ces affaires arrivent de plus en plus dans les moyens de communication qui sont les nôtres parce que, précisément, nous ne pouvons vivre seuls, parce que nous vivons toujours avec d’autres, pour d’autres, même célibataire. Dire « le privé est politique », c’est un champ de travail extraordinairement grand pour la communication chrétienne.

Philippe Laburthe-Tolra : J’ai entendu une invocation à l’anthropologie. Étant anthropologue professionnel, je pense que, pédagogiquement, c’est très important vis-à-vis des jeunes, de tenir compte de leur désacralisation de la sexualité

Dans des milieux de très grande pauvreté comme les Inuit du Groënland, on tue tous les enfants mal formés ; quand elle est vieille, il faut que la grand-mère parte se faire tuer et manger par l’ours. Il y avait un système de régulation des naissances extrêmement brutal. Mais ce système existait dans l’Antiquité. À Rome, le père avait le droit de regarder son nouveau-né et de décider selon son bon plaisir de le jeter ou non. Crime pour bien des sociétés dites « primitives » !

Dans les vieilles civilisations raffinées de Chine et de l’Inde, de temps immémorial, mais encore et surtout maintenant, on détruit les embryons ou nouveaux-nés de sexe féminin ! Tous les jeunes un peu informés sont au courant.

Donc, c’est très important à la fois de maintenir ce qu’a dit mon prédécesseur sur le mariage chrétien avec tant de cœur. C’est important de garder le pôle de notre Foi avec sa dimension mystique, elle peut, elle doit aussi parler aux jeunes. Mais il est honnête de voir aussi dans la réalité comment en fait, par exemple, le malthusianisme remonte aux XVIIIe-XIXe siècles, à nos grands-parents. Toute une suite de générations en a été baignée. Ma grand-mère a même dit à ma mère : « nous n’avons pas voulu avoir trop d’enfants, je le regrette maintenant ». Elle s’était mariée en 1898.

Je crois que si l’on veut parler pédagogiquement, il faut le faire d’une manière très objective et montrer comment la Révélation chrétienne peut transfigurer les choses, mais qu’évidemment, avoir la Foi au point de dire : « je fais confiance à Dieu pour tout notre avenir matériel », ce peut ne pas être immédiat. En cela consiste l’importance du témoignage que nous pouvons, les uns et les autres, porter. Mais il faut savoir malgré tout que Jésus lui-même a déclaré : « vous êtes le sel de la terre », le « petit troupeau ». Il ne faut pas s’étonner si le monde ne suit pas, ou suit mal.

Le Président : Comme envoi en mission, je trouve cela parfait !

Habituellement, je termine nos séances en remerciant en votre nom les intervenants. Marie-Joëlle et Nicolas me pardonneront de ne pas le faire parce que ce sont en fait mes complices.

Ceux qu’il faut remercier, au terme de ce cycle, c’est évidemment vous ! Car ces cycles de communication n’auraient pas d’intérêt, pas lieu d’être, s’il n’y avait pas vous pour y participer.

Donc au terme de ce cycle qui, je crois, a été très riche et qui nous donne envie de poursuivre, et bien je vous remercie, les uns et les autres, d’être venus, d’avoir été fidèles, d’avoir participé, en espérant que ceci se renouvellera dans un avenir très proche.

Séance du 7 juin 2007