par Bernard Kuntz, Président du Syndicat National des Lycées et Collèges (S.N.A.L.C.)

La question de la réforme du système scolaire hante la société contemporaine. Elle matérialise ses angoisses en même temps qu’elle épouse ses espoirs. Elle se résume, en vérité, à peu de chose :
Pourquoi l’égalitarisme triomphant engendre-t-il les inégalités les plus criantes ?
Pourquoi tolère-t-on que des établissements scolaires soient réduits à des zones de non-droits ?
Pourquoi n’a-t-on jamais réformé le collège unique malgré l’évidence de son échec ?
Pourquoi le baccalauréat ne débouche-t-il que sur des études supérieures dévaluées ?
En dépit de ses succès, notre système d’éducation aurait-il oublié les valeurs mêmes qui furent à son origine ?
Est-ce la fin de l’École de la République ?

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Le Président : En octobre, Madame Mourral a peint un tableau aux vastes proportions qui justifiait la nécessité de repenser l’Education nationale.

Cette fresque critique dans son analyse est constructive dans ses orientations. Le décor est campé où le neuf côtoie l’ancien, Nova et Vetera, sans exclusive de l’un ou de l’autre. Ce texte nous servira de référence tout au long de cette année.

Nous abordons ce soir aux rives de ce continent inhospitalier que nous allons nous efforcer d’explorer.
Pour connaître l’Education nationale d’aujourd’hui il faut tenter de comprendre ce qui a motivé ses réformes successives et de percer les intentions des réformateurs.
Nous accueillons Monsieur Bernard Kuntz, Président du Syndicat National des Lycées et Collèges. Le SNALC représente environ 10 % des voix aux dernières élections professionnelles, le SNES 57 %, le SGEN CFDT 14 % – donc en troisième position le SNALC – et ensuite FO 7 %, la FEN 5 % seulement.
Vous êtes l’auteur, avec Armelle Pécheul, des Déshérités du savoir, veut-on encore changer d’école, paru en 1996 et, très récemment, Prof de droite ?, Le crépuscule scolaire et idéologique de la gauche (juin 2000).

De votre préambule dans Prof de droite, je tire cette biographie qui ne couvre pas encore un demi-siècle, car vous êtes né en 1951, à Dijon, dans un milieu ouvrier. Votre père, m’avez-vous dit avec fierté, était chef outilleur dans la métallurgie. C’est une vraie culture.
Vous faites vos études à Grenoble, études que vous terminez comme professeur certifié de Lettres modernes et vous enseignez d’abord à Saint Martin, en Isère.
Cependant, en mai 68, vous avez 17 ans. Et ici je dois faire une longue citation :

« Dans l’hallali de Mai, jappant avec la meute, j’ai politiquement zappé. Je fus, dans le désordre, anar, baba-cool, gaucho, mao et, pour finir, socialo. C’est pourquoi je sais toutes les impasses de la révolution soixante-huitarde, les secrets replis de la culture d’une certaine gauche, ses utopies stériles, ses allégeances contre nature, ses apostasies mesquines. […] »

« Je ne suis pas devenu professeur par vocation, ni même par omission mais par déterminisme en somme … ou par défaut, ou peut-être un peu pour les vacances. Mais d’enthousiasme, non ! Je suis devenu prof donc un point c’est tout, la passion vint ensuite. »

« C’est peu, direz-vous, pour justifier un livre. Que diable pourrez-vous nous dire, ajouterez-vous, que d’autres, bien avant, n’aient déjà décrété ? Nos enfants ne nous intéressent plus ? Soit. Que nous importe ? Crier « à bas les élèves » ? D’autres ont déjà orchestré ce chahut. Vous voulez peindre « l’Envers du tableau » ? C’est déjà fait. Dire pourquoi ils ont « tué Jules Ferry » ? De l’histoire ancienne. Tout révéler « de l’école » ? La messe est dite. Parler de l’école et de la guerre civile ? Pas original. Dénoncer « l’horreur pédagogique » ? C’est redondant. Proférer quelque avanie pour vous faire une réputation ou du fric sur le dos de vos pères ? Claude Allègre et d’autres s’en sont déjà chargés et même fort bien. Alors ? Alors, alors je suis de droite. »

Vous écrivez encore : « Je suis de droite pour préserver mes valeurs. Encore faut-il dire à quelle droite se référer. Je suis de droite, parce que la gauche a trahi ».
En 1984, vous vous inscrivez au SNALC créé en 1905. Vous en devenez Secrétaire académique. Vous entrez au Bureau national et vous êtes nommé Secrétaire national à la pédagogie. En l’an 2000, vous êtes élu Président.

Ainsi vous avez contribué à abattre les barricades idéologiques de la gauche socialiste. Vous dénoncez les principes pédagogiquement corrects et vous démontez avec une précision d’horloger les ressorts d’une idéologie, cette gangrène dont la droite elle-même est atteinte. Démonstration fougueuse servie par un style et une culture qui sont un hommage à l’école de la République.

A titre d’exemple – il y en aurait bien d’autres : « Errant sans pôle magnétique dans le désert de leur seul bon plaisir, Antigones labellisées d’un théâtre sans tragédie, leurs successeurs (des surréalistes), tels les Possédés de Dostoïevski, n’eurent d’autre recours que celui de charger les moulins à vent de leur fantasmagorie … et les faux Créons qu’en toute-puissance institutionnelle ils croyaient distinguer. »

Et encore ceci : « L’Education nationale est-elle encore réformable ? Elle n’est pas innocente, cette question, ni stupide. Elle roule dans ses eaux les cailloux blancs d’une quête égarée mêlant aux enlisements de la modernité des effluves de peine capitale. »

Vous le déclarez : « Ecrire un livre sur l’Education nationale et proposer des réformes n’est pas original, sur le sujet il y a surproduction, au moins un livre par quinzaine. » Parmi les derniers titres et les meilleurs d’entre eux Pour une école du savoir, de Bertrand Vergely, pris à partie avec fureur par Claude Allègre dans une émission récente de Bernard Pivot ; ou encore L’école désœuvrée de Jaffro et Rauzi dont les conclusions sont très proches des vôtres ; ou encore L’enseignement mis à mort d’Adrien Barrot que me signalait Philippe Beneton lui-même auteur de Les fers de l’opinion, qui vient d’être publié.
Monsieur Claude Allègre, parlant de vous aurait dit : « Celui-là est redoutable ! »
Le Redoutable… vous voilà comparé à un bâtiment de la Royale. Alors, Monsieur, à l’abordage !

Bernard Kuntz : Je voudrais en premier lieu vous dire un immense “merci” pour votre accueil ; vous dire à quel point j’apprécie votre attention et votre volonté de vous intéresser à ce domaine si précieux, si important pour la nation, de l’éducation.

Je voudrais vous remercier infiniment, Monsieur le Président, pour ce véritable feu d’artifice, qui va me donner beaucoup de difficultés car, pour briller autant que vous, j’aurai bien du travail.

Je voudrais simplement ajouter une petite précision. Votre Président, Mesdames et Messieurs, vous a quelque peu trahis parce qu’il ne vous a pas dit à quel point celui qui s’exprime aujourd’hui devant vous est un mauvais sujet. Je m’efforcerai donc de masquer toutes mes perfidies sous un plan rigoureux, sachant que j’ai l’intention, en tant que mauvais sujet, d’être fidèle à cette définition que j’entends donner de moi-même, et de m’évader par moment de la simple question des réformes. Elle est certes fondamentale mais elle demande aussi que l’on en tire quelques enseignements et que l’on débouche sur un faisceau de propositions qui permettent – pour m’exprimer dans la tradition soixante-huitarde – de “continuer le combat”.

Il m’a été demandé de traiter devant vous – et j’ai amené avec moi quelqu’un de notre syndicat chargé de surveiller l’exactitude de mes propos – les réformes qui se sont succédées au sein de l’Education nationale. Elles sont multiples mais pas toujours variées, en tout cas elles sont tellement nombreuses qu’il serait très difficile, dans ce cadre, de les évoquer toutes. J’en ai donc sélectionné un certain nombre, celles qui m’ont semblé les plus évocatrices et aussi les plus saugrenues. Ces dernières sont, en général, celles qui ont eu le plus de portée, c’est pourquoi il convient de leur apporter un maximum d’attention.
Sachant que je vais en oublier volontairement un certain nombre à des fins de clarté et aussi parce que je ne suis pas un spécialiste de l’école élémentaire, ni de l’université, je ne m’aventurerai pas sur des terrains qui risqueraient d’être parsemés d’embûches en raison de mes incompétences.
J’en resterai à la question de l’enseignement secondaire, collèges et lycées, qui constituent aussi le champ de syndicalisation du SNALC.

Dans un tel cadre, on peut déjà chronologiquement évoquer la réforme fondatrice, au sortir de la guerre, le plan Langevin-Wallon.

Après quoi j’en viendrai rapidement, parce qu’il n’y a pas lieu d’entrer dans les détails, à la réforme Fouché de 1963, laquelle a débouché ultérieurement sur la réforme Haby. La réforme Haby s’est trouvée partiellement amendée non pas par une réforme, mais un projet, le projet Legrand dont il conviendra d’esquisser ici les grandes lignes, non que ce projet ait trouvé son aboutissement immédiat dans une réforme, mais parce qu’il a diffusé à tel point dans les milieux de l’éducation qu’il est devenu une réforme immanente que l’on retrouve dans la chronologie.

Après quoi, à tout seigneur tout honneur, j’en viendrai à la réforme Jospin de 1989 qui constitue probablement aussi une borne dans ce paysage si tumultueux.
J’aborderai ce que l’on a appelé “la parenthèse Bayrou” à travers le catalogue, qui n’est pas un décalogue, du nouveau contrat pour l’école.

J’en finirai – une fois de plus, à tout seigneur tout honneur – sur Monsieur Allègre qui, je pense que vous le savez, a été quelques années Ministre de l’Education nationale avant de s’en retirer et se livrer à de nouveaux exploits en écrivant des livres probablement nuls sur le plan stylistique mais visiblement admirés en de nombreuses sphères.
S’il y avait un premier constat à formuler, ce serait qu’il y a véritablement foisonnement de la réforme au sein de l’Education nationale. On a parlé de “réformite aiguë”. La réforme semble avoir des vertus d’accumulation au sein de l’institution, à tel point que chaque ministre ne peut s’empêcher, quoi qu’il dise, d’attacher son nom à quelque nouvelle refonte.

Il est intéressant de noter au passage que cet état de fait, pour caractéristique qu’il soit, n’empêche pas chaque nouveau ministre de l’Education nationale à peine intronisé, au cours de sa première conférence de presse, de décréter qu’il ne se livrera à aucun “grand soir éducatif” et qu’il n’entendra pas promouvoir une réforme complète du système mais simplement apporter sa pierre à l’édifice. Après quoi – exercice rhétorique obligé – il se livre immédiatement à la passion réformiste de ce système.

J’insiste sur ce point pour montrer que, dans ce monde, il y a toujours dualité, le propos ne sert que de prétexte à l’arrière propos et il y a des plans, un jeu de miroirs auquel il convient de s’habituer avant que de s’y aventurer.
Au-delà de ce constat, j’aurai pour préambule une première affirmation. Il y a eu pléthore de réformes. Chaque réforme a un nom, mais on peut dire avec Millner , De l’école paru il y a une quinzaine d’années, qu’en réalité une seule et unique réforme traverse l’Education nationale depuis le début et se perpétue dans l’ensemble du système en y appliquant et en y développant constamment le même esprit.

C’est par ce biais-là que nous pouvons aborder l’historique de ces réformes et entrer dans le détail. Je m’efforcerai de n’être pas trop technique, d’éviter les sigles et de ne pas faire référence à des éléments qui provoqueraient dans l’auditoire de la somnolence. S’il m’arrivait, par pure perversion syndicrate de me livrer à ce genre d’exercice, n’hésitez pas à m’interrompre immédiatement. Ne soyez pas trop bons élèves, nous n’avons plus l’habitude des bons élèves !

I – Les réformes

Au moment du plan Langevin-Wallon il existait dans l’enseignement secondaire en France, un paysage un peu spécifique dont je voudrais rappeler un aspect. Coexistaient deux systèmes qui n’étaient pas forcément, à l’époque, antagonistes, mais qui avaient des options différentes.
Il y avait le primaire, ensuite le primaire supérieur qui débouchait sur des carrières bien spécifiques. En particulier, c’est par le biais du primaire supérieur qu’on a recruté quantité de hussards noirs de la République formés ensuite dans les Écoles normales.

Ce primaire supérieur était, au demeurant, une institution fort performante, mais qui avait des objectifs et des conceptions qui étaient assez différentes de l’enseignement secondaire proprement dit, concrétisé par le système du “ Petit lycée ” que l’on appelait ainsi de la sixième à la troisième, qui se tenait dans les locaux du lycée. (Les élèves ne parlaient pas de “petit lycée” ils disaient “ je vais au lycée ”). Le lycée proprement dit, de la seconde à la terminale, cohabitait au sein du même établissement. Au fond, les deux étaient strictement consubstantiel.
J’insiste là-dessus parce que nous nous apercevrons que ces deux structures, d’une certaine manière, perdurent dans les esprits à l’heure actuelle et peuvent expliquer un certain nombre de dispositions en éclairant certains choix effectués par les pouvoirs publics.

Le plan Langevin-Wallon

Je ne vais pas vous faire une rétrospective complète du plan Langevin-Wallon. Rappelons simplement qu’il s’agissait d’une commande du général De Gaulle, au sortir de la Guerre, et que ce plan reste à ce point actuel que, en 1963, la FEN avait déclaré “ d’une façon ou d’une autre le plan Langevin-Wallon se réalisera ”. Pas plus tard qu’il y a un ou deux ans nous avons assisté à un colloque parisien où la plupart des organisations syndicales de gauche se sont livrées à une véritable glorification du plan Langevin-Wallon.
Quels en étaient les grands axes ?

Il y en avait deux. Il convenait d’adapter la France aux impératifs de l’économie moderne et à la révolution industrielle. Il était nécessaire de consacrer le passage d’une civilisation qui était encore agricole, rurale à une civilisation qui devenait de plus en plus industrielle et urbaine avec, comme volonté corollaire – c’était écrit noir sur blanc dans le plan – d’élever le niveau de l’ensemble de la nation.

Le deuxième axe était, lui, beaucoup plus idéologique, plus tendancieux, se donnait pour objectif de rompre avec une certaine conception de l’élitisme qui était accusée de réserver à une certaine classe sociale le privilège du savoir.
Ce sont les deux éléments du plan Langevin-Wallon qui répondait, je le rappelle, à une commande du général De Gaulle. Peut-être est-il fort utile de se souvenir que ce plan avait été demandé dans des circonstances un peu particulières mais il est intéressant de constater que le Général, lorsqu’il a eu besoin d’élaborer une planification, une pensée pour l’école, s’est adressé à deux savants issus du parti communiste. Ceci me permet d’emblée une transition en disant qu’au fond, depuis fort longtemps, et probablement bien avant guerre, il y avait consubstantialité entre le projet de société de la gauche et le projet de l’école publique. Visiblement, déjà à l’époque, la droite politique était complètement absente de ce débat et laissait à l’abandon, ou à la gauche, ou à l’adversaire, le soin de penser l’Institution scolaire avec les conséquences que nous verrons.
Le plan Langevin-Wallon s’est à ce point réalisé qu’il suffit de regarder, par la suite, les propositions socialistes du plan Mexandeau, puis la réforme Haby et de comparer les structures du collège unique tel que nous le connaissons aujourd’hui avec les structures proposées par Langevin-Wallon pour s’apercevoir qu’il y a conformité rigoureuse ! Les deux cycles étaient déjà présents. Toutes les structures du collège de la réforme Haby, dit “collège unique” ou “collège pour tous” sont strictement calquées sur les propositions Langevin-Wallon. Il s’agit, quoi qu’on en dise, de poursuivre, à travers le collège unique, et de pérenniser les grandes options du projet Langevin-Wallon.
Ce projet – je saute un certain nombre d’étapes à dessein – s’est par la suite concrétisé à travers la réforme Fouché de 1963.
De quoi s’agissait-il ?

La réforme Fouché

A l’époque subsistaient ou existaient deux types d’établissements scolaires pour l’enseignement secondaire de la sixième à la troisième.

Je me permets à nouveau de faire référence à l’ancienne structure primaire supérieure et petit lycée : on retrouve grosso modo cette séparation à travers les deux institutions existantes, d’un côté le collège d’enseignement général, dit CEG, et de l’autre côté le petit lycée qui allait son petit train-train dans les lycées.

La réforme Fouché constitue, ni plus ni moins, une tentative d’unification du modèle, à travers le création d’une troisième institution qu’on a appelé “collège d’enseignement secondaire”, CES. Comme d’habitude, le chemin de l’Enfer étant pavé de bonnes intentions, comme d’habitude les intentions se brisant souvent sur l’écueil de la politique générale, la réforme n’a pas complètement abouti. Elle était destinée à clarifier l’Institution et elle a conduit à la rendre plus complexe puisque, à partir de ce moment-là, ont coexisté trois types d’établissements, au lieu d’en maintenir un seul. Le collège d’enseignement général a perduré (CEG) ; le petit lycée a perduré, dans le même temps qu’apparaissait une troisième institution appelée Collège d’Enseignement Secondaire.

Cette organisation, ou plutôt cette inorganisation, a perduré jusqu’en 1976, à mon avis une des grandes dates de l’histoire de l’Education nationale, en tous cas une date incontournable. Je me demande si ce n’est pas même à partir de ce moment-là que l’on peut parler de commencement de la fin ou d’effondrement : la réforme Haby.

La réforme Haby

Quel était l’objectif de la réforme Haby ?
Elle revenait, structurellement, sur la réforme Fouché et se proposait de réaliser ce que l’on a appelé le “collège unique” ; “ unique ” dans le sens d’établir de la sixième à la troisième un seul et unique type d’établissement pour l’ensemble de la classe d’âge. C’est le sens que, probablement, et j’insiste sur le vocable, l’équipe de René Haby donnait au mot “unique”.

Naturellement nous savons tous qu’il y a polysémie et que derrière “ unique ” se cachaient en vérité quelques très vilaines intentions qui n’ont peut-être pas été perçues immédiatement par les créateurs de la réforme Haby. Une fois de plus, les pavés qui mènent à l’Enfer étaient en place, au nom des bonnes intentions.

Cette ambiguïté autour du terme unique va avoir, au fil des ans et des réformes qui se suivront, des conséquences qui seront de plus en plus graves.

La première, celle sur laquelle il convient d’avoir une très grande insistance, parce qu’on l’a un peu oubliée, c’est que la réforme Haby, outre tous les inconvénients qu’elle présentera par la suite, a entraîné immédiatement ce que nous appelons dans notre jargon pédagogique “la partition”. Un premier coin a été enfoncé dans l’ancien système primaire supérieur/petit lycée en ce sens que la partition a définitivement consacré la différenciation des professeurs de lycée, d’un côté, et des professeurs de collège, d’un autre côté. Sachant que dans le même collège unique se sont retrouvées des catégories qui émanaient des deux filières, cette partition a eu à son tour des conséquences importantes, en termes d’affrontements catégoriels, qu’il est utile de connaître même si cela peut paraître très technique ; cela permet, encore à l’heure actuelle, de décoder un certain nombre d’agissements des fédérations syndicales françaises qui, sous couvert de bonnes intentions, poursuivent en réalité des buts qui sont strictement corporatistes.
Après la réforme Haby est venu en 1983 le projet Legrand.

Le projet Legrand

Il ne s’agissait pas d’une réforme.
C’était un projet, abandonné devant les hauts cris poussés par les enseignants lorsqu’ils apprirent à quelle sauce on avait l’intention de les déguster.

Le projet n’en est pas moins revenu de façon rampante à travers différentes réformes ultérieures et on peut considérer à l’heure actuelle que le projet Legrand, tel qu’il avait été formulé, est pratiquement entré dans les mœurs à travers les agissements des pouvoirs ultérieurs.

Ce projet a une grande importance parce qu’il consacre la volonté des pouvoirs publics et de l’Education nationale de procéder à une mutation par adaptation du collège unique aux réelles conditions historiques qu’il rencontre et surtout parce qu’il consacre la volonté, de la part des dirigeants, d’en tirer définitivement les conséquences.
Ces conséquences restent, encore à l’heure actuelle, tout à fait valides et toujours formulées.

On y trouve un peu pêle-mêle le dogme de la classe hétérogène, c’est-à-dire la volonté absolue de regrouper tous les élèves, quel que soit leur niveau, dans la même classe, sans aucune différenciation. Ce dogme est toujours présenté dans les propos officiels comme l’aboutissement d’une demande sociale incontournable. Etant présentée comme une demande sociale incontournable, il n’est pas question, évidemment, de le transgresser, sauf à se voir frappé d’anathème.

Deuxième aspect : la transformation de la mission impartie aux professeurs au nom de la modernité. Le projet Legrand, c’était la volonté, à travers le tutorat et à travers les procédures, de – très joli mot inventé par les pédagogues – remédiation, d’en finir avec le modèle traditionnel de transmission du savoir.

La remédiation, c’est quand un élève est très faible et qu’on essaie de faire en sorte de le rendre un peu moins faible. Comme cela ne marche pas, on “ rajoute une couche ” de remédiation. Comme la remédiation ne fonctionne toujours pas, on remédie à la remédiation par différents dispositifs. Donc, à travers le vocable de “ remédiation ”, il faut entendre tous les gadgets inventés par tous les pédagogues du monde pour essayer de trouver des solutions à des problèmes qu’ils ont eux-mêmes créés.

L’un des courants les plus fréquents de la remédiation, c’est la pédagogie différenciée dont le chantre national est Philippe Meirieu. Mode pédagogique qui, outre qu’il condamne définitivement, horresco referens, le cours magistral, implique donc une transformation de la mission impartie aux professeurs.

Autre antienne issue du projet Legrand : l’autonomie de l’établissement.

C’est à partir de Legrand que l’on a commencé à voir des gens “ sauter comme des cabris ” en décrétant que l’autonomie de l’établissement résoudrait définitivement tous les grands problèmes de l’éducation.

Au passage, on en a profité pour abandonner cette spécificité française qu’étaient les classes pré-professionnelles de niveaux et les classes de pré-apprentissage qui permettaient au moins aux élèves en situation d’échec de trouver une voie alternative, laquelle pouvait correspondre à leurs aspirations. Cet abandon s’est fait sous l’égide d’un discours : “ il faut supprimer les filières de relégation ” : dès l’instant où l’on prétend diversifier, il s’agit d’un artifice de la bourgeoisie destiné à envoyer les enfants issus des catégories sociales défavorisées dans des voies de relégation.
Enfin, c’est à cette époque-là qu’on a vu fleurir la belle idée du collège établissement-lieu-de-vie, destiné à assurer le bonheur des élèves, beaucoup plus important au demeurant que la transmission d’un savoir dont, au fond, ils n’ont plus besoin, surtout à l’heure d’Internet.

Ce projet contenait quelques petits ajouts qui ont suscité l’ire des professeurs comme l’idée de rajouter trois heures à leur service, mais sans supplément de rémunération. On sait que les professeurs, affreux corporatistes, n’ont pas apprécié qu’on prétende les faire travailler plus en les payant moins, parce qu’on prétendait au passage leur supprimer un certain nombre de primes.

Il y eut quelques réactions syndicales un peu épidermiques et, prudemment, le ministère Savary rangea dans un tiroir le projet Legrand. Naturellement, ce dernier est ressorti.
Puis, bond historique, nous arrivons en 1989 à la réforme Jospin.

La réforme Jospin

Elle est justifiée, tout entière, par un seul et même slogan que l’on nous ressert très régulièrement, accommodé à diverses sauces, et qui sert de justification à toutes les dérives du système.

Il s’agit, d’après la loi Jospin, de “mettre l’élève au centre du système éducatif”.

Récemment Alain Finkelkraut, je crois que c’est dans son dernier ouvrage, trouvait étrange cette formule de “ l’élève au centre du système éducatif ” comme si, auparavant, on y avait mis “ des pots de fleurs ”…
Au nom de “l’élève au centre de l’éducation”, la réforme Jospin procède à un certain nombre d’aménagements, divers et variés. J’insisterai sur l’aménagement du lycée produit à la suite du rapport Bourdieu-Gros (si j’insiste sur le nom de Monsieur Bourdieu c’est parce que je reviendrai sur ce Bourdieu-là tout à l’heure).

Il est à noter au passage, mais uniquement pour l’anecdote, que la réalisation finale de la réforme du lycée Jospin ne fut pas faite par Monsieur Jospin ni même par Monsieur Lang qui, lui, n’aime pas les réformes, c’est top dangereux… mais par Monsieur Bayrou qui, une fois au pouvoir, s’est empressé d’appliquer la réforme de son prédécesseur parce que, nous a-t-il expliqué, “ tout était déjà en place ”.
C’est avec la réforme Jospin qu’on a consacré définitivement l’institution de la « Seconde de détermination », qui consiste à prolonger le collège unique au lycée.

C’est à cette époque-là, et c’est très important, qu’est apparue la notion de projet d’établissement, un dispositif destiné à instituer ce que les pouvoirs publics appellent “autonomie de l’établissement”. Notons que ce que le ministère appelle autonomie de l’établissement relève toujours d’une simple volonté de se servir de l’établissement pour relayer une idéologie officielle. Il est un réflexe à développer immédiatement en entendant parler de l’autonomie de l’établissement : le discours s’avérant toujours dual, il faut y entendre l’intention de caporaliser l’ensemble du système, et particulièrement les professeurs, afin de les rendre moins rétifs à l’application des réformes imposées par le ministre.
Dernier point important de la réforme Jospin, c’est cette volonté permanente de procéder à la modification de la fonction enseignante par différents dispositifs et, en particulier, par l’obligation faite aux professeurs de travailler en groupe. On sait que, lorsque l’on est en groupe, l’on est moins rétif à certaines missions, surtout si les groupes sont bien constitués et qu’ils ont un bon chef. Donc, à partir de 1989, est apparue, relayée un peu partout, cette obligation signifiée de travailler en groupe, le bon enseignant étant par définition celui qui travaille en groupe. Point de salut en dehors du groupe. Quant à la liberté pédagogique, peu importe !
En 1993-1994, quelques mots sur la réforme du nouveau contrat pour l’école.

Le nouveau contrat pour l’école

Il m’est très difficile d’établir un résumé du nouveau contrat pour l’école parce qu’il s’agit, au terme d’une série de consultations, d’une sorte de catalogue un peu comme le catalogue de la CAMIF, c’est la tradition, dans lequel se trouvent de nombreuses propositions qu’il est très difficile de lier entre elles par une philosophie commune. C’est peut-être une des raisons pour laquelle le nouveau contrat pour l’école n’a pas eu d’incidence, bien qu’il ait contenu un certain nombre d’excellentes idées, dont il reste très difficile de saisir le fil directeur.

Je me bornerai donc à évoquer ce qui me semble le plus important : le retour du latin en cinquième qui traduisait de la part du ministre une volonté de restaurer les humanités ; ajoutons l’introduction d’une option de technologie lourde en troisième, qui avait une grande importance parce qu’elle sous-tendait une volonté de réelle diversification des parcours au collège et donc, peut-être, une volonté d’en finir avec le collège unique. Notons encore, et le dispositif pouvait paraître intéressant, des propositions visant à créer une Sixième d’adaptation destinée aux élèves arrivant au collège sans savoir ni lire, ni écrire, ni compter, ou faisant partie de ce que François Bayrou avait fort plaisamment appelé “ les mal-lettrés ”, incapables, parce qu’ils ne connaissent pas les éléments fondamentaux du langage, de bénéficier de l’enseignement qui leur était offert dans les collèges.
À noter que ces propositions, excellentes au demeurant, furent toutes, en dépit des Instructions officielles, détournées complètement par l’Institution scolaire.
Les sixièmes d’adaptation ont été transformées en groupes de niveaux, ce qui les rendait beaucoup plus inoffensives. Quant aux parcours diversifiés, par quelque étrange alchimie, on les a complètement découplés de tous les champs disciplinaires pour en faire des promenades à la Villette, des actions éducatives diverses, des projets d’action éducative qui n’ont rien à voir avec un véritable parcours diversifié.
Après le nouveau contrat pour l’école, last but not least, la réforme Allègre.

La réforme Allègre

Monsieur Allègre s’est répandu depuis quelques mois dans la presse – il s’est toujours répandu dans la presse – avec de belles et bonnes formules, de beaux et bons discours, expliquant tout ce qu’il aurait fait et tout ce qu’il aurait réussi bref, toutes les magnifiques réformes qu’il eût accomplies si ces méchants professeurs, qui se marient entre eux et constituent donc dorénavant une corporation génétique, n’avaient eu l’idée saugrenue de défiler dans la rue jusqu’à obtention de son départ définitif de la rue de Grenelle.
En réalité, Monsieur Allègre aussi longtemps qu’il a été au pouvoir n’a pratiqué aucune réforme qui ne soit dans la grande tradition de toutes les réformes antérieures et tout ce qu’il a proposé ne constituait pas une manière de sortir de la crise mais au contraire d’aller plus avant dans cette crise.
La politique de Monsieur Allègre c’est de constater que nous sommes au bord du gouffre et de proposer un grand bond en avant. Toute la philosophie de Monsieur Allègre se résume, j’ai la faiblesse de le croire et aussi la force de l’affirmer, en trois grands points qui n’ont amené que de nouvelles désillusions et aucune solution aux véritables problèmes.

A – La consultation et la réforme des lycées.

Monsieur Jospin avait réformé les lycées et Monsieur Allègre réforme les lycées quelques années après. Tout le monde s’est demandé pourquoi il ne réformait pas le collège avant puisque le collège avait été laissé en plan mais non, il s’est attaqué au lycée.

Pour ce faire, il a procédé à une consultation : nommé Monsieur Philippe Meirieu responsable de cette consultation, lequel a posé aux élèves des lycées d’intéressantes questions en leur demandant ce qui les embêtait profondément dans l’enseignement ; quelles disciplines ils haïssaient et comment il faudrait faire pour obliger les professeurs à travailler autrement…

Cette consultation, d’une remarquable objectivité dans sa démarche, a abouti à des conclusions tout à fait inattendues qui, une fois appliquées dans leurs pires aspects par Monsieur Allègre, ont abouti à ce que beaucoup ont appelé, à juste titre, le lycée light ou le lycée allégé si vous préférez la formule française.

Pourquoi lycée allégé ? Parce que Monsieur Allègre, sous prétexte d’apporter de la remédiation apportait en fait moins d’heures de cours, de moins en moins d’heures d’enseignement, de moins en moins de savoir, de moins en moins d’évaluation avec toutes les conséquences évidentes que cela pourrait avoir.

B – La réforme du collège.

Monsieur Allègre n’avait pas le temps de s’occuper de cela, il a laissé ce soin à Madame Royal, car il fallait bien lui donner quelque chose à faire. Madame Royal, qui avait un instant oublié la pilule du lendemain, a donc chargé le sociologue François Dubet de préparer une réforme du collège à travers une vaste consultation des enseignants, à peine orientée cela va sans dire.

Il est arrivé à d’intéressantes conclusions, saluées par l’ensemble des spécialistes du domaine, clamant, en particulier, que le collège unique, cela ne marchait pas. Le collège unique s’avérant un échec, il fallait trouver une solution. Cette solution, c’est encore plus de collège unique ! C’est un peu comme si on disait à quelqu’un “ tu n’aimes pas la soupe, tiens, reprends en deux louches ”.

Tout le monde a salué l’honnêteté de ce constat : le collège unique ne marche pas, donc pérennisons le collège unique. Ainsi fut réaffirmé le principe intangible de la classe hétérogène. Tous les aménagements proposés par la réforme Dubet ne constituent que le parachèvement du projet Legrand tel que j’ai pu le décrire.

C – Dernière réforme

La déconcentration du mouvement des enseignants, présentée comme un retour aux sources républicaines de Monsieur Allègre.
Le Ministre, pourtant grand admirateur des nouvelles technologies, fanatique d’Internet et de toutes les formes d’ordinateur, avait décrété que gérer les enseignants avec un ordinateur, cela ne se faisait pas.

Jadis, au temps du mammouth, avant qu’il advint, il y avait une commission qui gérait l’ensemble des affectation des professeurs du second degré depuis Paris. Contrairement à une idée reçue, ce ne sont pas les syndicats qui affectent les professeurs. C’est une commission à laquelle participent à parité des représentants de l’administration et des professeurs. Cette commission fonctionnait de façon centralisée puisqu’un professeur désireux d’aller de Saint-Marcelin en Isère à Voiron en Isère passait par Paris. Critique de Monsieur Allègre, peut-être justifiée, demandant une simplification.

Monsieur Allègre a mis en place un autre système, c’est-à-dire qu’à l’heure actuelle, lorsqu’un professeur veut une mutation ou qu’il est obligé de la demander à la suite de sa réussite au concours, le professeur passe par la commission nationale qui l’affecte dans une Académie et c’est ensuite l’Académie qui l’affecte dans un établissement.

Monsieur Allègre nous a présenté cette réforme comme un retour aux sources républicaines…

S’agit-il de quelque chose de fondamental ? Probablement pas. On peut se contenter de constater que là où il fallait environ soixante personnes pour affecter les personnels il en faut maintenant cinq cents. Voilà bien une véritable simplification… Le ministère est un mammouth, les rectorats sont des dinosaures et je ne crois pas que le changement d’espèce préhistorique change quelque chose au dispositif. Tout au plus a-t-on, à coups de balais, remué de la poussière et des confettis sans, pour autant, clarifier le dispositif.
Voilà pour les réformes Allègre.

A part cela, je ne vois rien que Monsieur Allègre ait fait qui puisse justifier son discours actuel prétendant qu’il a été mis sur la touche parce qu’il aurait voulu réformer trop brutalement et en agissant contre la répugnance des enseignants à évoluer.

En réalité, si Monsieur Allègre a dû s’en aller de l’Education nationale c’est qu’il y a “ semé une telle panique ” que tout le monde en avait assez y compris les propres partisans du parti au pouvoir et qu’on l’a prié de s’en aller parce que sa présence faisait trop désordre.

II – Analyse des réformes

Une même réforme se poursuit à travers différentes appellations depuis le projet Langevin-Wallon. Cette réforme est liée aux ambiguïtés initiales du projet Langevin-Wallon.
Il y avait en effet, à travers les deux objectifs que j’ai cités au départ, confusion. Confusion entre une volonté d’élever le niveau de qualification de l’ensemble de la Nation, ce qui était parfaitement justifiée par la situation historique et explique pourquoi le Général De Gaulle avait fait un tel choix , et un deuxième objectif qui venait se greffer sur le premier et qui, lui, était d’ordre idéologique : il s’agissait de rompre avec l’élitisme. Ce deuxième objectif qui reposait sur un postulat implicite mais constamment reformulé : “ il ne saurait y avoir d’élitisme républicain, par essence l’élitisme est antirépublicain : il s’ensuit que l’égalitarisme garantira, lui, l’élévation continue du niveau global de la Nation. ”

Il est évident que c’est encore le raisonnement de la plupart des organisations syndicales de gauche de l’Éducation nationale. Ces dernières justifient constamment leurs demandes permanentes de moyens et leur refus de toute transformation dans un sens plus élitiste en décrétant que toute transformation aboutirait à priver une masse considérable de jeunes de la culture. Ces organisations se présentent toujours comme les championnes de l’égalité.

Il s’agit en fait d’une confusion d’objectifs. L’égalité, tout le monde est d’accord. La volonté d’élever l’ensemble du niveau de la nation, tout le monde est d’accord. Mais si cela doit se traduire par un nivellement continu vers le bas, justifié par différentes théories, il y a supercherie. L’argent englouti par la Nation dans le budget de l’Education nationale n’offrant qu’un retour sur investissement limité participe de cette supercherie, à tel point qu’on pourrait maintenant parler d’escroquerie.

Cette ambiguïté se développe d’autant plus que les intentions de Langevin-Wallon n’était pas nécessairement celles-là.
J’ai vu que vous receviez Madame Lurçat à la prochaine séance. Son analyse de Langevin-Wallon, pour autant que j’ai pu le lire dans ses ouvrages, est un peu différente.
Je crois qu’il s’agit d’un processus un peu systémique, pour parler moderne. Je crois que la somme des parties est inférieure à l’effet de cette somme et le produit final de Langevin-Wallon s’éloigne par sa nature des composantes de l’ensemble. Cela a trois effets induits : effet numéro 1 : Marx ; effet numéro 2 : Freud ; effet numéro 3 : je l’appellerai “Mac Donald’s”.

A – Marx : parce que Langevin et Wallon étaient marxistes, et parce que l’on constate, à partir de cette époque-là, une évolution de la notion de savoir, sous l’égide du marxisme.
Dans un premier temps, les marxistes classiques, si je puis m’exprimer ainsi, type Langevin-Wallon, avaient une conception un peu particulière du savoir mais ils ne remettaient pas en cause le savoir en tant que fondement. C’est-à-dire qu’ils considéraient qu’il y avait deux types de savoir. Le savoir bourgeois qui servait à inculquer aux catégories sociales une certaine idéologie par ce qu’Althusser appelait “ les appareils idéologiques de l’Etat ”. Il convenait, pour parvenir à un enseignement véritablement prolétarien, d’opérer une sélection entre les différents savoirs et de garder les plus objectifs, les savoirs scientifiques, pour éviter toute forme d’idéologie et de pollution bourgeoise dans l’enseignement. Il y avait donc une sélection qui s’opérait dans les savoirs mais sans que ces savoirs soient eux-mêmes remis en cause en tant que tels, puisque les marxistes avaient une prétention scientifique.

On a constaté, dans toutes les réformes, une évolution de ce discours. Au fur et à mesure des années, les savoirs eux-mêmes sont devenus relatifs. Le chantre de cette évolution, on peut parler de néo-marxisme, a été Pierre Bourdieu mais aussi les penseurs de type Legrand ou Meirieu. À partir de Bourdieu, on a commencé à postuler que le savoir et l’acquisition du savoir supposent un habitus, un certain nombre de structures mentales que seuls peuvent acquérir les enfants des catégories favorisées. Donc toutes les procédures de transmission des savoirs et aussi d’évaluation des savoirs transmis relèvent d’une supercherie, parce qu’elles sont, en réalité, relatives à la catégorie sociale qui les prédéfinit.

Le discours marxiste traditionnel s’est infléchi parce qu’on a commencé à remettre en cause le savoir lui-même. Même les savoirs scientifiques ont cessé d’être considérés comme vierges d’idéologie et le savoir scolaire en particulier s’est vu distingué du savoir réel. Les théories des pédagogues actuels, Philippe Meirieu en tête, se résument ainsi à l’idée que ce qui s’enseigne à l’école, c’est un savoir autonome, sans grand rapport avec la connaissance scientifique.
Cet espèce de décloisonnement auquel on est parvenu a une conséquence extrêmement grave : pour les enseignants, pour l’Université, le savoir qu’ils étaient chargés de transmettre est devenu relatif, donc contingent, donc susceptible d’être remis en cause à tout moment. Les générations d’enseignants formés avec l’idée que la connaissance qu’ils avaient à transmettre était quelque chose de tout à fait relatif ne pouvaient pas véritablement transmettre un savoir solide à leurs élèves.

Les pédagogues disent que le savoir est désacralisé, que les élèves n’acceptent plus la connaissance, c’est là le grand alibi de Philippe Meirieu : les élèves refusent la connaissance, il convient donc d’enseigner autrement. En réalité, c’est la pensée de 1968, en instillant dans l’esprit des enseignants l’idée que ce qu’ils enseignaient n’avait finalement que très peu de valeur, qui a engendré, par contagion chez les élèves, l’idée que les professeurs ne sont là que pour transmettre quelque chose d’arbitraire dont on pourrait fort bien se passer.
Il faudrait aller plus loin dans l’analyse, ce ne sont là que des esquisses…

B- Pour Freud : je ne parle pas du grand médecin, je parle de la représentation qu’on en donne dans l’Education nationale. Sous l’égide d’un discours de type freudien, l’on est arrivé à l’abandon de – pardonnez-moi le barbarisme – la “magistralité” par application du principe de plaisir. L’esprit freudien, la volonté d’abolir tout effort, toute forme d’émulation, toute forme de repère, aboutit peu à peu à l’abandon des repères rationnels, traditionnels et classiques ramenant à la relativisation des savoirs par un autre biais.
À nouveau, toutes les théories “pédagogistes” du plaisir – ou du plaisir d’apprendre qui serait le moteur essentiel de l’acte d’apprentissage – s’appuient en même temps sur la théorie marxiste que le savoir est relatif. C’est ainsi que tout se rejoint.

C – Puis arrive un troisième larron, c’est Mac Donald’s. On pourrait aussi bien l’appeler Mickey Mouse… Il s’agit du consumérisme scolaire.

Le savoir est relatif. L’Institution transmet un savoir relatif, par conséquent ce savoir n’est pas sacralisé, il n’a aucune valeur. Il faut donc le soumettre à la loi de l’offre et de la demande.
Comme il se trouve que, depuis mai 68, une partie importante de la gauche, celle qui est au pouvoir d’ailleurs, s’est convertie à la loi du marché et entend profiter de la révolution capitaliste pour faire avancer ses propres idées, il n’y a aucune difficulté à opérer la jonction entre certains libéraux – grâce au ciel, pas tous ! – et certains libertaires. D’où l’irruption, dans le paysage, du libéralisme-libertaire sous l’image de ce qu’il faut bien appeler Mac Donald’s.

Cette alliance s’est concrétisée partout dans l’Éducation nationale. On la retrouve dans toutes les litanies sur l’autonomie de l’établissement. On la retrouve dans un consumérisme de plus en plus actif.
Aujourd’hui même, au SNALC, nous étions en train d’étudier les nouvelles dispositions relatives aux chefs d’établissement. Nous sommes arrivés à une conclusion toute simple et pourtant évidente : on se sert du chef d’établissement pour en faire un chef d’entreprise.

On confond définitivement l’école avec une fabrique de pots de yogourts. L’éducation n’est plus que prestation. Tout cela est inscrit dans l’idée que le savoir étant relatif ,il n’y a aucune difficulté à le soumettre à la loi de l’offre et de la demande.

C’est ainsi que la boucle est bouclée, c’est ainsi que l’on retrouve une espèce de conjonction entre toutes les forces politiques, qu’elles soient de droite ou de gauche, pour imposer toujours les mêmes réformes.
J’ai récemment découvert un livre de Maurice Druon . Il y a un paragraphe sur l’éducation. Il parle d’Alain Peyrefitte. “Le plan de réforme en vingt-sept points qu’avait préparé Alain Peyrefitte à partir de sa nomination, rue de Grenelle, au printemps 1967 et que les événements de mai 68, qui entraînèrent sa démission, ne lui permirent pas de proposer s’il contenait quelques bonnes mesures en présentait d’autres assez effarantes qui prouvent à quel point les idées nouvelles avaient pénétré le cabinet du ministre et la Commission dont il avait présidé les travaux pendant 9 mois (il s’agit de propositions datant de 1967)”. On y trouve successivement, citées par Maurice Druon : “suppression du cours magistral ; le maître doit devenir un animateur et un éveilleur ; suppression des leçons apprises par cœur et des devoirs à la maison ; dévaluation de l’enseignement de la grammaire et de la littérature au profit du développement de l’expression orale ; renoncement à la notion de “bon élève”, décourageante pour la plupart ; suppression du latin en sixième, cinquième ; substitution du film pédagogique (il n’y avait pas Internet à l’époque) au cours classique pour économiser le temps du professeur ; mettre l’école à l’heure de la civilisation audiovisuelle (maintenant, ce serait virtuelle) ; remplacement de l’instituteur par le professeur du premier degré ; suppression des écoles normales primaires pour les remplacer par des Instituts Universitaires de Pédagogie ; suppression de l’agrégation comme concours de recrutement de l’enseignement secondaire ; études obligatoires, dans la formation des maîtres de l’enseignement supérieur, de la pédagogie, de la psychopédagogie, de la dynamique de groupe ; disparition du « mandarinat » ; etc…”

Cela pour dire que, non seulement la même réforme traversait l’Éducation nationale mais qu’elle sévit autant à droite qu’à gauche et autant à gauche qu’à droite. S’il se trouvait encore des profs de droite pour avoir quelqu’espoir, il faudrait en même temps qu’ils se persuadent qu’ils auront encore beaucoup, beaucoup de travail, y compris dans leur propre camp.
Ce qui s’est passé, c’est le remplacement progressif de la transmission du savoir par quelque chose qu’il faut bien appeler une idéologie, c’est-à-dire une transformation de la vision du réel à l’aide de six principes constamment évoqués même s’ils ne font pas partie du bréviaire officiel.

Rappelons ces six principes du pédagogisme ou du pédagogiquement correct :

Le principe numéro 1, vous le retrouverez dans toutes les instructions officielles, jamais explicitement formulé, mais implicitement présent . “ Tous les enfants ont des aptitudes égales ”. Si vous écoutez Madame Royal c’est éclatant. Elle ne s’est pas encore rendu compte qu’elle manipulait une dialectique. Il y en a quand même qui sont plus malins. Mais vous retrouvez toujours le même attendu. Qu’adviendrait-il si on osait prétendre le contraire ? N’est-ce pas être fasciste ? Ne serait-ce pas en référer à Gobineau ? Postuler que les aptitudes seraient inégales n’est-ce pas prétendre que les races seraient inégales ? Donc le politiquement correct oblige à ne pas transgresser un tel principe.

Deuxième principe : Il s’ensuit que toute sélection est mauvaise par nature puisque les enfants sont tous égaux dans leurs aptitudes. Si on prétend les sélectionner ce n’est que le substrat de l’idéologie bourgeoise.

Troisième principe : Apprendre ne saurait se séparer de la notion de plaisir, plaisir d’apprendre, plaisir d’enseigner… Nous sommes là pour nous faire plaisir à l’école. Dès l’instant où le plaisir demande autre chose qu’un acte parfaitement gratuit, il y a contrainte. Or…

Principe numéro quatre :
 la contrainte doit être proscrite de la démarche éducative.

Principe cinq : L’orientation, dans ce cadre-là, ne saurait se faire que sur le projet personnel de l’élève. Laissez-les tous devenir médecins, ingénieurs, présidents de la République, que sais-je ? Je n’ose dire Pape !…

Sixième principe : Tout ce qui est ancien est mauvais par nature. Il s’ensuit que tout ce qui est nouveau est bon par nature et que la nouveauté doit être le moteur essentiel de toute réforme de l’éducation. Mais s’il advenait qu’une nouveauté, par évaluation, s’avère déboucher sur une réussite, on tendrait à l’institutionnaliser. Or l’institutionnalisation d’une nouveauté cesse d’en faire une nouveauté pour en faire quelque chose de figé. Donc il faut proscrire toute forme d’évaluation objective parce qu’elle figerait la nouveauté dans la tradition.

C’est à partir de cette espèce de construction idéologique que s’est réalisé l’ensemble de la dérive éducative.
Toutes les réformes Allègre se sont inscrites dans ce cadre et, pour l’instant, il n’a pas été possible de trouver véritablement de force capable d’apporter quelque chose de nouveau.

III – Enjeux et propositions

Derrière toutes ces réformes, au-delà de l’analyse idéologique se cachent des enjeux syndicaux et des enjeux politiques
Depuis Jules Ferry, en effet, la gauche est considérée comme consubstantielle à l’école. Tout acte scolaire, par définition, est un acte de gauche et la droite s’avère illégitime dès l’instant où elle se penche sur la question éducative. D’où l’obligation faite pour la droite de toujours appliquer les thèses de l’adversaire et de se soumettre à ses diktats idéologiques, faute de quoi elle serait reléguée dans l’obscurantisme moyenâgeux.

Derrière tout cela, évidemment, se cachent des réalités beaucoup plus prosaïques. Tout cela cache des luttes catégorielles et des luttes pour le pouvoir qui sont extrêmement âpres car, dans le primaire supérieur, officiaient des maîtres issus de l’enseignement primaire. Ces maîtres de l’enseignement primaire, dans les collèges d’enseignement général, sont devenus des professeurs d’enseignement général de collège et ils étaient syndiqués dans le même syndicat que les instituteurs. Ce syndicat s’appelait le SNI-PEGC et il adhérait à la FEN.

À côté de cela, dans le système petit lycée, officiaient des professeurs certifiés, des professeurs agrégés qui, eux, étaient syndiqués au SNES et le SNES était à la FEN.
Tout ce petit monde s’étripait joyeusement à la FEN, mais, le SNES étant minoritaire, c’est le courant SNI qui dominait la FEN. Or le SNI, devenu Syndicat des Enseignants, demeure proche du parti socialiste lors même que le SNES a d’évidentes connections avec le parti communiste. Donc, il s’agit d’équilibres au sein de la gauche.

Arrive Monsieur Maunoury qui met en extinction le corps des professeurs d’enseignement général des collèges. Tous ces gens sont devenus certifiés. Ce faisant, Monsieur Maunoury dégonflait le syndicat national des instituteurs et PEGC pour gonfler les effectifs du SNES. il accroissait ainsi l’influence du parti communiste dans la FEN au détriment du parti socialiste. Devant ce danger qu’a fait la FEN ? elle a exclu le SNES. Elle a transformé le syndicat national des instituteurs en syndicat des enseignants pour qu’il puisse rassembler toutes les catégories, pour redevenir majoritaire. Manque de chance, cela n’a pas marché. Le SNES et le parti communiste sont allés fonder la Fédération Syndicale Unifiée dont l’ancien dirigeant a figuré sur la liste communiste aux élections européennes.

C’est ainsi que sont apparus les deux groupes, d’un côté Fédération Syndicale Unifiée et de l’autre côté FEN, laquelle s’effondre complètement puisque, Monsieur le Président vous l’avez dit tout à l’heure, dans l’enseignement secondaire ils représentent environ 5 % des professeurs. Ils n’ont plus de véritable représentativité dans l’enseignement secondaire.
Derrière tout cela se cachent des luttes syndicales extrêmement violentes.

Vous entendrez bientôt parler de nouvelles réformes du collège visant à rétablir des professeurs bivalents. Ce qui se cache derrière cette volonté ? L’intérêt des élèves ? Pas du tout. Il s’agit seulement de la volonté du pouvoir socialiste en place de recréer un champ de syndicalisation pour le syndicat de la FEN, afin de lui permettre de redorer son blason. L’omnipotence et l’omniprésence de la FSU donne beaucoup trop de pouvoir au parti communiste dans la gauche plurielle.
C’est au nom de ce genre de lutte que l’on gère l’intérêt de nos enfants.

La FSU, cela veut dire Fédération Syndicale Unifiée, peut-être faudrait-il parler de Forteresse Syndicale Universitaire… Nous avons tous pu le constater, cette fédération n’a qu’un seul but : demander des moyens. Obtenir que l’on passe à 11 % de PIB pour l’école, probablement parce que tout cela va dans le sens de sa puissance.

Que faire ?

Il y a trois axes auxquels nous devons réfléchir.
Nous devons d’abord refonder l’école républicaine – j’ai vu que vous aviez eu un débat fort intéressant sur la laïcité et donc sur la citoyenneté – pour ce faire, il faut rompre avec la logique égalitariste et avec la logique pédagogiste. Pour cela, il faut obtenir d’un pouvoir politique, quel qu’il soit, qu’on en finisse avec les méthodes globales, que l’on restaure les éléments comme objectifs de l’école élémentaire.
Qu’on en finisse avec le collège unique et que l’on revienne à une réelle diversification des parcours, c’est-à-dire que l’on en finisse avec la classe hétérogène et que l’on recrée des sections qui privilégient les différentes formes d’intelligence en restaurant le sens de l’excellence et en redonnant aux élèves qui, au fond, ne demandent que cela le sens de l’apprentissage et le sens de l’effort. Il faut en finir avec le lycée light et bien entendu avec l’université fourre-tout qui n’est que l’aboutissement du tassement général des niveaux. Il faut remplace l’objectif de mise de l’élève au centre du système, prétexte à tous les abus, par celui de la transmission des connaissances. Si la finalité de l’école est de transmettre des savoirs, l’excellence pour un professeur s’avère très facile à évaluer ; l’excellence pour l’élève, cela consiste dans l’apprentissage du savoir. Tout cela peut s’évaluer sans qu’il soit nécessaire de mettre en place des dispositifs fantasques et contraires au bon sens.
Je crois que nous aurons aussi à gagner la bataille de la communication. La presse, les partis politiques, toutes catégories confondues mais surtout ceux qui sont actuellement au pouvoir, possèdent un quasi monopole de l’information. On n’entend à la télévision, on ne lit dans les journaux qu’un seul discours. Nous aurons tous de notre côté, chacun dans sa section, dans son organisation, à nous battre pour qu’enfin l’on en finisse avec ce monopole incroyable d’une pensée qui a prouvé qu’elle est en échec et qu’elle ne correspond aucunement aux besoins réels de la Nation. On doit bien pouvoir, d’une façon ou d’une autre briser le monopole de la pensée éducative de la gauche. C’est une tâche à laquelle nous devons tous nous atteler. Il faut, bien entendu, qu’à terme la Nation soit saisie de ce débat. Enfin il faut soustraire l’école aux débats partisans en appelant si possible à l’union des républicains de toutes les rives, car l’école est un bien trop précieux pour qu’on la laisse sombrer dans les supercheries ou qu’on la livre en pâture aux artisans du mensonge.

ECHANGES DE VUES

Jacques Delfosse : Avant que de venir, aujourd’hui même, j’ai vu quelque chose qui m’a rendu favorable au SNALC, à savoir la prise de position pour l’enseignement des langues anciennes que j’ai lue dans le bulletin de l’Agrégation aujourd’hui.
Ce que vous dites est très intéressant, très détaillé. Il est vrai que j’aurais souhaité vous entendre intervenir un peu plus sur la réforme Fouché. C’était, rappelez-vous, le Canard Enchaîné : « un ministre qui n’a pas toutes ses facultés ». C’est lui qui a coulé les langues anciennes ! Si bien que la citation de Druon m’a beaucoup amusé parce qu’effectivement avant 68 on préparait déjà ce qui est arrivé ensuite.
J’enseignais dans un lycée, à Montreuil-sous-Bois, c’est là que j’ai eu les meilleurs élèves. Une de mes anciens élèves est professeur en Sorbonne, un autre est à Louis Le Grand, en khâgne… A l’époque, ces élèves avaient été recrutés selon l’ancienne formule qui ne demandait pas qu’on abandonnât le latin et le grec pour faire des maths.

Car, au fond, le problème est là. Il y a beaucoup de mercantilisme dans les réformes qui ont été proposées.
Quant au reste, je suis d’accord aussi avec ce que vous dites sur les réformes à proposer pour l’enseignement élémentaire. Vous n’en êtes pas spécialiste, moi non plus. Mais on a commencé dans l’enseignement élémentaire ce qui s’est poursuivi après : la méthode globale et tout cela.
Vous n’avez pas cité, vous auriez pu, dans la réforme Haby le soutien et l’approfondissement. On ne l’a pas fait parce que – un des souvenirs les plus frappants que j’ai eu des réformes – c’étaient des réformes à moyens constants. Une réforme sans un sou, ce n’est pas une réforme. Il faut reconnaître que, quand on veut faire une bonne éducation, cela coûte cher.
Une petite réserve concernant le SNALC en 68, dirigé par Gérard Simon à l’époque. Nous avions fondé des groupes autonomes. Au lieu de nous en prendre aux autres syndicats, nous nous en prenions un peu entre nous. J’ai fait quatre syndicats : SGEN, SNES, SNALC, à la CNGA et je suis revenu après au SNALC, je suis devenu inspecteur et je me suis dit que comme cela je servirais peut-être un peu mieux l’intérêt des gens.

Est-ce qu’il n’y aurait pas une possibilité de suivre un peu les conseils que donne M. Bayrou à savoir : établir une comparaison entre différents établissements. Cela se fait dans le privé où l’existence de congrégations permet à des établissements d’assurer une comparaison pédagogique ?
J’ai beaucoup déploré la manière dont M. Allègre traitait les syndicats parce que les professeurs sont quand même moins sectaires qu’on ne le dit.

Bernard Kuntz : Si on accepte le principe d’une comparaison de la valeur des établissements, cela suppose qu’on ait l’intention de supprimer les dispositifs de carte scolaire : à quoi bon évaluer les établissements si, de toute manière, les parents sont obligés de mettre leurs enfants dans le secteur scolaire existant.

Par ailleurs cela supposerait aussi qu’on dispose d’outils qui soient efficients, pour cette comparaison-là, or le résultat au baccalauréat ne peut pas constituer un outil en la matière puisque, selon la catégorie sociale, les chiffres varient. Il faudrait pondérer par le type de population inscrite dans les lycées.

C’est un dispositif dont on peut imaginer l’application mais qui demanderait une extrême prudence dans sa réalisation et quant aux conséquences qu’il pourrait avoir.
Ce que nous récusons syndicalement, c’est ces classements que l’on fait à base de baccalauréat. On nous explique que tel établissement est forcément meilleur que d’autres puisqu’il a 99 % de réussite au bac. Forcément, s’il peut sélectionner ses élèves à l’entrée ! !
Naturellement dans l’éducation, il faut que l’on accepte de rendre compte de notre action. S’il faut évaluer les élèves, il faut aussi évaluer les professeurs, la question étant de définir les outils.

Nicolas Aumonier : Vous n’avez rien dit sur la violence. Il me semble qu’il faudra bien, un jour, que le Président de la République couvre son ministre, qui couvre ses Recteurs, qui couvrent tous les Proviseurs, qui couvrent tous les Professeurs… Même si un enfant du primaire reçoit 500 F par jour de ses grands frères qui commercent de la drogue parce qu’il sait siffler, et donc prévenir, il sait qu’il ne pourra pas faire cela à l’école, qu’il n’aura plus de couverture.
Je crois qu’il y a une grande démission de la chaîne entière et que c’est peut-être l’une des premières urgences, parce que l’inégalité la plus criante c’est entre les établissements où l’on risque sa peau, quand on y est professeur, et ceux où l’on n’y risque pas sa peau. Et c’est une inégalité très choquante.

Vous n’avez pas dit sur quoi il était possible, concrètement, de faire des économies. Il me vient à l’esprit que, finalement, ce grand ministère n’a pas de section du personnel, qu’en revanche, il a pléthore de délégations de services, c’est-à-dire que la collectivité paye les syndicats par le biais des mises à disposition. Or, jusque là, il n’y a pas de difficulté à condition de penser que c’est une mise à disposition pour l’ensemble de la nation. Or il y a un émiettement en autant de partis qu’il y a de querelles scolaires. On est libre d’avoir ses opinions comme on veut mais il me semble que, si vous voulez éviter de faire de l’école un enjeu de bataille idéologique, alors peut-être faudrait-il avoir un service du personnel unifié et disons une sorte de syndicalisme global qui soit véritablement apolitique. Cela éviterait quelques doublons et cela éviterait peut-être quelques gaspillages économiques.C’est très politiquement incorrect, ce que je dis là !

Bernard Kuntz : Votre première question sur la violence. Pour une fois j’ai respecté un peu le cadre qui m’était imparti. On m’a demandé de parler des réformes et j’ai vu que Monsieur Fotinos viendrait vous parler de la violence donc je n’ai pas abordé cette question-là par discipline républicaine.
Sur la question des décharges syndicales. Il faut savoir que, contrairement à une idée reçue, les déchargés syndicaux c’est-à-dire les heures que l’Education nationale consent dans le cadre de la réglementation de la fonction publique à des personnels en fonction pour qu’ils s’occupent des syndicats, c’est très aisément contrôlable. Si vous avez lu le rapport du Sénat sur la déperdition des moyens, la partie la plus transparente de ses attributions c’est la partie syndicale. C’est très simple, ce sont des chiffres, on applique un coefficient en fonction du résultat aux élections professionnelles. Donc on peut à tout moment contrôler l’attribution de ces décharges et l’on s’aperçoit, lorsque l’on effectue ce contrôle que ce ne sont pas et de loin les décharges syndicales qui constituent le plus gros emprunt à l’éducation : ce sont tous les gens qui sont mis à disposition d’associations plus ou moins occultes, de Ligues de l’enseignement diverses et variées. C’est là qu’il y a une très forte disparition de postes.

Nos sénateurs quand ils ont fait leur rapport étaient un tout petit peu embêtés parce qu’ils se sont rendus compte, à l’issue de leur enquête, que les déperditions d’heures d’enseignement n’étaient pas dues pour une forte part aux décharges. Ce sont les structures elles-mêmes qui engendrent cette espèce de déperdition et qui font que, dans certaines sections, on a 35 ou 40 élèves alors que dans d’autres, on en a 20. Le fait que l’enseignement technique soit une voie de relégation, le fait que dans l’enseignement technique il y ait beaucoup moins d’élèves devant chaque professeur que dans l’enseignement général… Cela dépend des sections. Plus la demande est forte et plus vous avez une montée en puissance des effectifs.

Sur l’union syndicale. Un service du personnel, c’est ce qui avait été proposé par Allègre. Il avait parlé de direction des ressources humaines dans les rectorats, cela n’a pas donné de grands résultats. Personnellement je vous répondrai que je ne suis pas du tout favorable à ça parce que je ne crois pas que l’administration puisse accepter de se pencher avec mansuétude sur son stock et que qui a fréquenté le ministère au niveau national se rend très rapidement compte que ces fonctionnaires-là ont un profond mépris pour le personnel enseignant. À haut niveau, c’est épouvantable, c’en est même révoltant, au début on est même choqué, pour eux l’enseignant est un stock, ils gèrent un stock, des flux. Je les sens peu capables de se pencher sur notre sort et je crois réellement que les syndicats le font mieux. Nous défendons mieux nos adhérents que si c’était un service du ministère.

Là où je suis entièrement d’accord avec vous, c’est que la déperdition du syndicalisme dans l’affrontement idéologique constitue une catastrophe et une trahison. Le SNALC est né en 1905. Il a accouché du SNES puisque le SNES est issu de nos rangs. Le SNALC a subsisté parce qu’il refusait tout attachement à un parti politique. Le SNES nous a quittés pour entrer à la CGC puis il s’en est allé fonder le SNES avec la FEN et ils ont toujours inscrit leurs perspectives syndicales dans la lutte des classes et ils se sont toujours considérés comme une courroie de transmission et comme appoint à la politique de gauche. Je reconnais ce procès, mais je crois qu’il doit être surtout fait en direction de nos adversaires.

Henri Lafont : Permettez-moi de vous remercier : n’étant pas enseignant, j’ai beaucoup appris de votre conférence.
Je n’ai pu m’empêcher de faire un rapprochement : vous avez dit « le collège unique, ça ne marche pas » et le remède proposé par l’Education Nationale est : « renforçons le collège unique ». On trouve la même réponse aberrante dans un domaine qui me concerne davantage, celui de l’avortement. On constate et on s’inquiète du grand nombre d’avortements. Que propose-t-on ? Faciliter l’avortement. On constate que la contraception n’est pas un obstacle à l’avortement. On dit : « renforçons la contraception ». L’idéologie conduit dans tous les domaines aux mêmes incohérences.

Ma question, maintenant : dans votre conclusion, vous avez dit : « c’est l’école républicaine qu’il nous faut trouver ». Pour moi, l’école républicaine, historiquement c’est l’école de Jules Ferry. Est-ce cela aussi pour vous ? Pouvez-vous préciser ?

Bernard Kuntz : C’est une déformation syndicale. Je m’étais promis de ne pas y sacrifier, mais je l’ai fait par réflexe. Nous parlons entre nous d’Ecole républicaine parce que, dans l’esprit de nos combats actuels, quand on fait référence au concept d’“école républicaine” on veut dire “ école centrée sur la transmission des connaissances qui dénonce la déformation pédagogiste, laquelle engendre un accroissement des inégalités ”. C’est en ce sens que je parlais de l’école républicaine et je vous remercie de me le faire préciser.
Il ne s’agit pas toujours d’une référence à Jules Ferry, le point de référence, c’est Condorcet. C’est l’idée que la démocratie ne peut fonctionner que par le perfectionnement du citoyen à travers l’acquisition de la connaissance et que seul un peuple éclairé peut permettre l’instauration d’une démocratie véritable. C’est cela qu’il faut entendre derrière le concept d’école républicaine.

En aucun cas cette volonté n’est teintée d’anticléricalisme ou d’une volonté quelconque de rejeter ce qui est une part essentielle de la culture de la Nation.

Jacques Hindermeyer : Je veux dire combien il est méritoire de vous être vacciné. En 68, vous aviez 18 ans ! Il était bien normal que vous participiez à cette aventure.
Mais vous avez su vous débarrasser de ce virus, qui est encore là, issu du plan Langevin-Wallon (1947). On peut se demander si ce ne sont pas les mêmes qui ont fait les différents plans. En réalité, ce ne sont pas les ministres, mais leur entourage et les syndicats, la FEN en particulier. Il y a une continuité remarquable et ce virus est toujours présent.

J’étais lié avec Alain Peyrefitte. Il a été marqué par les événements de mai 68 à un point que l’on peut difficilement imaginer. Lorsque je lui ai demandé pourquoi il avait refusé d’être le Premier ministre du Président Giscard, il a répondu : « c’est parce que je ne me suis jamais pardonné mon attitude de mai 68 car, à ce moment-là, j’aurais dû imposer au Préfet de police, qui l’avait refusé, d’évacuer la Sorbonne. Cela aurait pu changer le cours des événements ». Il est mort sans se l’être pardonné, je puis vous l’assurer.
Je voudrais vous poser une question sur le rôle des IUFM. N’est-ce pas cette formation qu’il faut modifier ?

Bernard Kuntz : Il y a un débat très fourni sur les IUFM. Les uns étant partisans de la destruction pure et simple et du remplacement par autre chose, les autres disant que la structure IUFM n’est pas obligatoirement à la source des dysfonctionnements que l’on a pu constater dans cette institution.

L’IUFM est issu de la loi Jospin. Cette institution a été mise en place pour contraindre les enseignants dans un moule, pour qu’ils soient conformes à l’idéologie ambiante, et pour les rendre malléables à la mort de la liberté pédagogique.
Il faut noter qu’il y a eu ensuite, peut-être une, certaine évolution et qu’il ne faut pas verser dans la caricature. Nous avons, au SNALC, des gens qui travaillent en IUFM et ne versent pas dans le pédagogisme.

Personnellement je ne pense pas qu’il soit utile de détruire l’institution pour mettre autre chose à la place. Je crois qu’il faut transformer l’institution en profondeur et surtout la rendre à l’université. Ce qui pèche dans l’IUFM c’est l’absence de connexion réelle entre l’université et la formation des maîtres. C’est quelque chose qui doit être fondamentalement repris. Ce qui gère l’IUFM c’est la science pédagogique, il faut revenir aux champs disciplinaires.

Gabriel Blancher : Si – ce qui me paraît excellent – l’école est centrée sur la transmission du savoir, ne serait-il pas normal et logique de réhabiliter la sélection ou, du moins, de ne plus la proscrire ?

Bernard Kuntz : Bien entendu. Dès l’instant où l’on est dans un moule unique, du moment que l’on n’offre aux élèves qu’un seul parcours, il est évident que la notion de sélection débouche sur l’exclusion. Puisqu’on a un seul parcours, si on sélectionne, on exclue.
Il est évident que dans un système diversifié où tout le monde pourrait suivre un parcours adapté à ses aptitudes, à ses goûts et à sa volonté, il conviendrait de mettre en place des procédures de sélection puisque la sélection est le moyen d’évaluer les gens et de révéler leur talent.
L’abandon du mot “sélection”, en faire un terme à proscrire, a été une erreur. Il faut réaffirmer tranquillement, face aux mandarins du politiquement correct, la nécessité de la sélection. C’est un concept tout à fait moderne et pas du tout ringard comme ils le disent.

Michel Berger : Dans votre livre, chaque fois que vous abordez les questions de décentralisation ou de déconcentration, vous semblez mettre beaucoup de réticence. On peut avoir l’impression que vous estimez que l’enseignement doit être totalement une affaire de l’Etat.
J’aimerais que vous précisiez cet aspect.

Bernard Kuntz : J’ai voulu traduire dans mon livre les réticences du SNALC et d’un grand nombre de nos collègues à cette notion-là. Je crois qu’il faut nuancer le propos.
Ce que nous contestons et ce que je conteste d’abord c’est l’idée trop fréquente à droite qu’il suffirait de décentraliser le système éducatif pour que, comme par miracle, tous les problèmes se résorbent. Nous pensons, nous, qu’il n’en serait rien.

Si l’on déconcentre ou si l’on décentralise le système tel qu’il fonctionne actuellement, on ne fera que déconcentrer et décentraliser les problèmes.
Il y avait récemment un homme politique qui me disait “mais enfin, il faut quand même bien lutter contre l’empire des syndicats !” Il s’est trouvé quelqu’un à côté de moi pour lui répondre : “décentralisez, vous verrez bien si vous n’avez plus les syndicats. Il ne faut pas s’imaginer qu’ils ne sont qu’au ministère, ils sont partout !” Ils sont surtout à la radio et à la télévision ; décentraliser ne servira à rien, sinon à amplifier leur pouvoir.
Ce que je conteste surtout dans mon dernier livre, c’est cette idée que la déconcentration soit LA réforme à accomplir en priorité.

On peut se poser la question de savoir si les structures ne seraient pas plus efficaces si l’on procédait davantage à l’application du principe de subsidiarité mais, à mon sens, ce ne saurait être qu’une réponse a posteriori. Il conviendrait d’abord de prendre ses responsabilités en termes de politique et de répondre d’abord à la crise. En quelque sorte, on ne transfère pas à d’autres instance la responsabilité de quelque chose qui ne fonctionne pas, c’est une escroquerie.

Gilbert Sibieude : La lecture des 27 points du projet de réforme de 67 de Peyrefitte, présente un grand intérêt, et je recommande à chacun de le lire. Je l’ai lu avec beaucoup d’intérêt. De même que les dialogues entre Pompidou, De Gaulle et Peyrefitte, Pompidou manifestant déjà toutes sortes de réserves que nous partageons aujourd’hui, trente ans après.
La question qui m’est venue à l’esprit est la suivante : quelles sont les racines de ce que préparait Peyrfitte, en 67, donc en période ante 68 ? Je me demande s’il n’y aurait pas une recherche à faire. Je rapproche ma question d’une remarque que m’a faite Monsieur Ernest Chenière, devenu célèbre après l’affaire du foulard de Creil en 1989 – le foulard islamique – qui fut député RPR, qui m’a dit en fin d’entretien : « Voyez-vous, cher Monsieur, l’école est une institution qui a été subvertie ».

Il me semble qu’il y a là un courant de pensée qui est très ancien, très profond. Peut-être aurions-nous intérêt à essayer de le creuser. Qu’en pensez-vous ?

Henri Hude : Est-ce que vous pensez, Monsieur, que le grand développement des moyens multimédias, le développement de l’internationalisation, le développement aussi de la législation internationale sont susceptibles de conduire à des changements significatifs affectant le mammouth ?
Je précise ma pensée. Vous savez que, par exemple, “Trinity College” vient d’ouvrir une annexe à Madrid et que, d’autre part, le développement de l’enseignement par correspondance ou par Internet est considérable, notamment aux Etats-Unis, au Canada, en Australie… dans tous les pays anglophones. Tous ces pays anglophones, par ailleurs, développent constamment aujourd’hui une stratégie dont on voit la réalisation puisque l’organisation mondiale du commerce vient d’inscrire l’enseignement et l’éducation dans la liste des services auxquels doit s’appliquer le principe de démantèlement des monopoles publics et la liberté des activités.
Devant de telles évolutions, comment vous situez-vous ?

Bernard Kuntz : Il faut se demander d’où provient cet étrange discours qui fit dire à un homme de droite, un des meilleurs, un des plus grands, des choses aussi éminemment influencées et perverties par la pensée de gauche. Il faut aller chercher dans l’idéologie. Je crois qu’il y eut tout un courant de transformation du marxisme dans la période 68, un peu avant, un peu après. Il faut aller chercher la naissance de cette idéologie-là dans les “révolutionnaires” de 68, je situe cela autour de Foucault, Deleuze, Lacan, Bourdieu mais aussi autour des situationnistes, autour de tout un courant gauchiste. Jean-Marie Benoist avait fort opportunément démontré qu’en réalité, le discours gauchiste type maoïste – j’en parle d’autant plus que je l’ai pratiqué ! – était un discours de métaphores. C’était de l’idéologie pure, un discours qui se développait dans la métaphore et qui avait une fonction de transformation du réel à partir d’une fonction métaphorique. Benoist analysait cela. “Marx est mort”…

Donc, je crois que c’est la prégnance de ces idées, qui se sont peu à peu répandues dans toute l’intelligentsia. Celle-ci a fini par enfermer la droite, dans un schéma de pensée dont nous ne sommes toujours pas sortis puisque l’Université tout entière a conduit les journalistes, la culture, l’ensemble de la production intellectuelle à sacrifier à ces dogmes-là.
La tâche qui nous est impartie dans ce cadre-là est une tâche de haute résistance parce qu’il s’agit non seulement de s’opposer à des pratiques structurelles politiques mais de s’opposer à l’idéologie. C’est pourquoi je parlais de combat : “ gagner le combat de la communication ” c’est aussi gagner le combat des idées et oser affirmer la nécessité d’une pensée, non de retour vers l’ancien, mais, si j’ose dire, de retour vers le futur…

Je ne crois pas qu’on puisse imaginer un instant que l’on mettra un pays, une nation, une institution à l’abri des évolutions de ce qu’on appelle, pas toujours de façon adéquate, la mondialisation.
L’éducation d’une manière ou d’une autre en sera de quelque façon affectée.

La généralisation d’Internet ne me semble pas devoir être combattue systématiquement. Henri Guitton avait coutume de dire que, bien utilisé, bien employé, ce pouvait être une révolution semblable à celle de l’imprimerie parce qu’après tout, cela peut permettre un accès illimité à la culture. Cela étant, je ne suis pas persuadé qu’Internet remplace le livre : j’ai beau être un adepte de la secte, quand j’ai véritablement besoin de faire une recherche j’ai plutôt tendance à aller chercher dans les livres. Internet a une autre fonction.
Quant à la libéralisation de l’éducation par mise à mort des monopoles d’État… Il est certain que le marché éducatif représente des quantités incroyables d’argent. En France, la gauche gère la MGEN, la MAIF… il s’agit déjà d’un empire financier. Le marché du CD-ROM, le marché éducatif est susceptible de dégager de prodigieux profits.
C’est en cela que je m’en réfère au combat républicain. Je crois qu’il y a un aspect républicain dans la volonté de soustraire l’éducation des jeunes à la logique du pur marché, faute de quoi on perd complètement ce qui fait une des spécificités de l’humain, c’est-à-dire le droit à la connaissance gratuite pour le développement et le perfectionnement de la personne.
Je crois même que combattre cette tendance-là, quitte, bien entendu, à accepter ses aspects positifs, c’est actuellement un devoir pour notre génération. Si nous succombions à cette idéologie-là, nous vendrions la Nation pieds et poings liés à des intérêts étrangers.

Le Président : Pourquoi êtes-vous « redoutable » comme le dit M. Allègre parlant de vous ?
Vous êtes redoutable, à mon avis, pour trois raisons :
La première c’est que vous êtes authentique, vous êtes comme vous êtes et c’est votre force.
Ensuite, vous êtes compétent et précis dans l’analyse. Ceux qui voudront bien lire votre livre, « Prof de droite ? », apprendront énormément.

Enfin, vous êtes courageux dans les conclusions.
Nous avons pris plaisir et intérêt à vous entendre.