Par Dominique Ponnau, Historien de l’art, conservateur général du patrimoine honoraire, directeur honoraire de l’École du Louvre

Une question aussi immense ne peut que laisser perplexe. À tenter de l’évoquer, on n’aura pas la naïveté de croire que l’on puisse l’approfondir. Tout au plus (mais ce n’est peut-être pas absolument rien), s’efforcera-t-on de délimiter quelque peu le champ de l’étude, et ce, à travers quelques interrogations auxquelles le conférencier se sait incapable de répondre, mais qui l’habitent, comme elles habitent peut-être nombre de possibles auditeurs. Par exemple celles-ci. De quelle culture parlons-nous ? De la culture classique fondatrice de la pensée européenne et aujourd’hui en perdition ? De l’intelligence des chefs d’oeuvre que cette culture a fait éclore, expressions insurpassables du génie humain, mais dont le sens est devenu, le plus souvent, indéchiffrable ? De la culture populaire ? (Mais, parmi nous, existe-t-il encore des peuples définissables ? S’interroger sur ce point relève-t-il d’un esprit étroit, « réactionnaire », ou d’un légitime désir de comprendre et d’aimer un peu mieux, un peu plus, le monde où nous vivons ?) De la culture scientifique, de nos jours si vertigineuse, parfois si périlleuse (mais le conférencier est devant elle comme « lou ravi » de la Crèche : émerveillé autant qu’ébahi !) ? De la « culture jeune » !… (mais le conférencier en ignore tout et ses oreilles en perçoivent douloureusement les échos, même un peu assourdis) ? De la « culture informatique », bien utile, certes, pour les nouveaux Mercures, mais dangereuse pour les nouveaux Icares, qui ne savent plus toujours que le soleil fait fondre la cire et qui célèbrent les épousailles de Vitesse et de Précipitation, aux dépens de « patience et longueur de temps » ? D’ailleurs, faut-il parler de la culture ou des cultures ? L’usage, ici, du singulier, n’est-il pas signe d’ignorance arrogante et superbe ? La substitution de « France-Musiques » à « France-Musique », et, sous peu, de « France-Cultures » à « France-Culture », n’est-elle pas un signe indubitable de respect du genre humain tout entier (si l’on ose encore employer cette expression trop…masculine) ? Et si, au contraire, le mot « culture » englobait toutes les cultures ? Horresco referens !…
Qu’on se rassure ! Il est bien clair, dans l’esprit du conférencier, que la question ne porte pas seulement sur la culture, mais sur l’espoir d’un rapprochement entre les hommes que la culture – et quelle culture ? – pourrait faciliter. Si, comme on l’a compris, il perçoit l’extrême difficulté du sujet, il a la plus vive conscience des responsabilités immenses pesant sur les épaules de ceux à qui cette question est, en définitive, posée : parents, enfants, professeurs, éducateurs, artistes, politiques, religieux, bref de toutes les catégories sociales composant notre humanité, et, à vrai dire, de notre humanité tout entière. Ce qu’il ose espérer c’est que sa parole hésitante soit un murmure porteur d’espoir.