Par Madeleine de Jessey, Cofondatrice de Sens Commun
Hervé de Kerdrel : C’est un grand avantage pour l’académie d’accueillir aujourd’hui une toute jeune femme comme Madeleine de Jessey. Vous avez évidemment un âge que beaucoup ici pourraient vous envier, et je n’ai pas remonté les annales, mais vous êtes probablement la plus jeune de toutes nos communicantes.
Jeune, mais non moins talentueuse, et ces dernières années bien remplies peuvent en témoigner. Qu’on en juge !
Votre parcours académique est irréfutable : Louis le Grand, Ste Marie de Neuilly, vous êtes ancienne élève de l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm, enfin vous êtes agrégée de lettres classiques. Vous êtes actuellement doctorante à l’université de Paris-Sorbonne, et vous avez entrepris une thèse sur, je cite : « la Postérité du personnage biblique de Bethsabée dans la littérature et les arts ». Vous y enseignez la littérature française des derniers siècles.
Mais, vous allez bien au-delà. Forte des joutes d’idées exercées dans les couloirs de l’école Normale, vous vous engagez fortement dans la vie de la Cité, tout d’abord dans le cadre des manifestations pour tous, et décidez à l’issue de vous engager dans « Les veilleurs » avec un succès qui a dépassé toutes les espérances et la pérennité que nous connaissons à ce mouvement.
Vous en êtes l’un des visages les plus médiatiques et y participez activement, et on a pu même vous y voir en avril 2013 lire du Victor Hugo, cernée par des CRS.
Lire l'article complet
Vous ne vous arrêtez pas là, et décidez d’élargir à l’action politique directe votre capacité d’influence. Vous co-fondez « Sens Commun », jeune parti politique associé à l’UMP où vous assumez la fonction de Porte-parole. Parti récent, mais qui compte déjà de l’ordre de 8.000 adhérents, l’idée est d’adosser l’UMP avec les idées de la Manif pour tous. Vous souhaitez donner du fond au débat politique, y insuffler l’espérance et vous arrivez même à faire monter les trois candidats à la Présidence de l’UMP sur la même estrade l’un après l’autre pour les cuisiner sur le sort qu’ils réserveraient à la fameuse loi Taubira.
Vous développez pleinement la notion d’Entrisme (*). Dans ce sens, vous acceptez fin 2014 la proposition qui vous est faite par l’UMP (maintenant les Républicains) : vous intégrez le comité exécutif de ce parti et devenez même Secrétaire nationale en charge des programmes de Formation.
Vous représentez aujourd’hui la génération militante et engagée, catholique sans complexe, fière des valeurs séculaires de notre pays. Vous êtes donc désormais exposée et vos caricatures dans les médias ne manquent déjà pas : pour certains « bourgeoise pour tous qui veut noyauter l’UMP, ou VRP de la jeune droite catho à l’UMP », pour d’autres « en pointe du combat culturel, présents dans le débat intellectuel, à l’assaut du politique, ces nouveaux catholiques qui n’ont peur de rien ».
Alors, oui, aujourd’hui, l’académie est fière de vous donner la parole sur « le juste exercice du pouvoir ». Vous n’êtes pas mieux placée pour nous en parler, engagée au sein d’un des plus puissants parti politique français, et puis je n’oublierai pas sur ce thème, au côté de Bethsabée, vous côtoyez régulièrement le roi David, dont nous savons qu’il a exercé lui-même plus ou moins justement ses pouvoirs !
* : L’objectif est d’influer sur l’orientation et la puissance d’un courant d’idées au sein de l’organisation ciblée, dans le but de parvenir à infléchir la stratégie de l’ensemble de l’organisation.
Madeleine de Jessey : Je suis ravie d’être parmi vous, ravie et en même temps très embarrassée par le thème de cette communication. Embarrassée d’abord parce que je n’exerce pas le pouvoir, d’une part parce que je suis dans l’opposition, fort heureusement, et d’autre part parce que je n’ai pas de mandat politique, ne souhaitant pas en avoir tant que je n’ai pas terminé mes études.
J’ai vu autour de moi trop de jeunes gens sacrifier leurs études et sacrifier, je dirai, cette période fondamentale où l’on va poser les bases de sa vie pour une carrière politique qui s’effondre assez rapidement et je ne voulais pas suivre la même voie.
Et puis du haut de mes vingt-six ans, je pense que je ne suis pas grand-chose pour vous dire ce qu’est le pouvoir dans l’absolu, et plus encore ce que serait son juste exercice.
Je ne suis pas juriste : je serai donc bien incapable de vous faire un exposé sur les fondements du juste pouvoir, ou encore des contre-pouvoirs à mettre en place.
Je ne suis pas philosophe, je ne vous ferai donc pas un exposé de philosophie politique.
Alors, qui suis-je, en cette période où les gens angoissés d’identité sont assez prompts à dire ce qui ils sont : « Je suis Charlie » « Je suis Paris » ? Eh bien je ne suis qu’une modeste enseignante en Lettres. Je pourrai très volontiers vous faire un exposé sur “le motif du pouvoir et de ses abus” dans les Lettres persanes de Montesquieu à travers le personnage d’Usbeck mais je doute que vous soyez venus pour débattre de la chose – quoique le sujet soit fort intéressant par ailleurs – donc je me contenterai très humblement de porter la parole de Sens commun, de ses membres, car il se trouve que notre mouvement – et je dis bien notre mouvement car c’est un élan collectif – a été fondé il y a deux ans, précisément pour protester contre ce qui apparaissait à nos yeux comme un grave dévoiement du pouvoir politique.
En fait, c’est l’aspiration à rendre au pouvoir et à son exercice leurs justes vocations qui nous a poussés à descendre dans l’arène pour prendre le taureau par les cornes alors que nous en étions bien éloignés.
C’est donc surtout de cette intuition que je vais vous parler à travers la problématique à laquelle il m’a été demandé de réfléchir.
Tout d’abord il s’agit, je pense, de se poser la question de la vocation ou de la destination du pouvoir politique. Quelle est la fin que les politiques doivent viser dans l’exercice de leur pouvoir ? À cette question on répond, le plus souvent, en tout cas chez les catholiques : le bien commun.
C’est lorsque le pouvoir est orienté vers le bien commun c’est-à-dire le bien de la cité, le bien de tous, qu’il atteint sa finalité et qu’il trouve son bien-fondé.
Qu’est-ce que le bien commun ?
Le bien commun, je l’ai dit, c’est le bien de la cité, le bien civique. C’est ce qui permet d’atteindre, ce qu’on entend très souvent à l’heure actuelle, le “vivre ensemble”. Le fameux « vivre ensemble » qui donne très souvent l’impression d’une société dont l’idéal serait un idéal zen. “Nous allons bien vivre ensemble, nous allons être confortablement mis ensemble dans une même cité et nous allons nous sourire béatement, les uns aux autres. Notre objectif, c’est d’atteindre une sorte de confort personnel dans lequel on ne se gênerait pas mutuellement”.
En réalité le bien commun va au-delà de cette zen-attitude dans la cité. Il consiste au fond à rassembler les conditions qui permettront aux citoyens de s’épanouir, qui permettront à l’homme de devenir plus homme, plus humain, de développer l’humanité, son humanité, et donc de développer son être.
Et c’est grâce à ces conditions, grâce au bonheur collectif de la cité que l’individu pourra atteindre son bonheur propre. Parce que dans une cité organiquement constituée et vraiment solidaire, le bonheur du tout conduira au bonheur de chacun de ses membres.
Donc si l’on s’en tient à une définition plus précise, le bien commun, c’est l’ensemble des conditions sociales qui permettent à une personne d’atteindre mieux et plus facilement son plein épanouissement. Je ne peux m’épanouir qu’à la condition de vivre dans une société qui me permet de m’épanouir.
Nous avons décidé de fonder Sens commun – je l’ai dit, il y a deux ans – à un moment où, précisément, le pouvoir politique non seulement perdait de vue le bien commun mais, en plus, allait à l’encontre de ce bien commun.
C’était au moment du “mariage pour tous” (je déteste ce terme parce qu’il est très fallacieux), l’ouverture du mariage et de l’adoption. Hélas, beaucoup de Français – j’en suis encore étonnée – l’ignorent aujourd’hui : il s’agit bien d’une ouverture du mariage et de l’adoption aux couples du même sexe.
Nous avons protesté. Nous avons manifesté. Et Sens commun est né de cette objection de conscience, de la volonté que cette objection de conscience ne soit pas seulement une opposition ponctuelle mais la lame de fond d’un élan politique nouveau qui se contenterait non pas d’opposer mais qui serait aussi une force de proposition, qui proposerait notamment une manière de sortir de la crise politique que nous vivons. Parce que, pour nous, le mariage et l’adoption pour les couples de même sexe n’étaient au fond que l’épiphénomène d’un malaise bien plus profond, d’une crise morale, d’une crise globale qui affecte par là même tous les pans de notre quotidien et de notre société. Elle se manifestait ici à travers une crise de la famille, une crise des repères et une crise qui était aussi politique dans ses modalités.
J’ai eu l’occasion, pour ma part, aux Veilleurs, de lire un ensemble de textes qui nous permettait, entre Veilleurs, de réfléchir à la question du pouvoir politique et de sa finalité.
Pourquoi évoquer une crise du politique à travers cet exemple de la loi Taubira ? Parce que cette loi n’avait plus pour finalité le bien de tous mais, par clientélisme, il s’agissait de donner satisfaction à un groupe particulier et à un groupe très réduit parce (le lobby LGBT). Pour satisfaire la revendication de ce groupe, on a remis en cause la définition du mariage, fondé sur l’altérité sexuelle. On a remis en cause la filiation, fondée elle aussi sur la reconnaissance de cette altérité des sexes dont découlent naturellement la fécondité et la parentalité. Surtout on a créé ce qu’Alain Finkelkraut appelle très justement « ce monstre » de la volonté qui est le droit à l’enfant.
Le pouvoir politique n’étant plus exercé justement, pour le bien commun, la loi par là-même devenait injuste car la légalité n’est légitime que si elle sert le bien commun. La loi n’est légitime que si elle œuvre à ce bien commun. Le pouvoir politique était exercé non plus pour servir le bien commun mais pour servir un bien communautariste.
Et derrière ce bien communautariste, en fait, le politique cherchait son bien propre. Si François Hollande a mis en œuvre le mariage pour tous, ce n’était pas ultimement pour satisfaire la communauté LGBT, mais pour satisfaire son bien propre c’est-à-dire pour asseoir son élection et éventuellement sa réélection. Par conséquent, le pouvoir politique non seulement ne visait plus le bien de tous, non seulement ne visait pas même le bien d’une communauté particulière, mais il œuvrait à son bien propre en vue de sa propre réélection.
Ce dévoiement est aujourd’hui calamiteux parce qu’il a des conséquences absolument gravissimes. D’abord il entraîne l’absence de vision politique sur le long terme puisque le gouvernant, dans l’exercice de son pouvoir, ne regarde pas plus loin que la prochaine réélection et va donc céder au vacarme des revendications ponctuelles, particulières, sans chercher à assurer l’avenir.
Ensuite, cet exercice du pouvoir conduit au clientélisme puisque l’homme politique va d’abord chercher à séduire les groupes qui seront susceptibles de voter pour lui. Typiquement : quand une église brûle, pourquoi François Hollande se déplacerait en personne puisque, de toutes façons, le vote catholique ne lui est pas acquis ?
Finalement on en vient à traiter le peuple français comme un ensemble bigarré d’électeurs auxquels il faut adapter son discours et l’on œuvre incidemment à la parcellisation et à la communautarisation du pays. La France n’est plus considérée comme un peuple, mais comme un ensemble d’électorats plus ou moins intéressants.
Et finalement ce pouvoir politique, parce qu’il sacrifie l’avenir, parce qu’il est court-termiste, parce qu’il manque de courage et parce qu’il satisfait les uns au détriment des autres, conduit à une défiance généralisée puisque pour beaucoup ce pouvoir va apparaître comme extrêmement impuissant : incapable de choix courageux, incapable de redresser la situation. C’est ainsi que l’abus de pouvoir – qui consiste à utiliser le pouvoir à ses fins propres – finit par saper le pouvoir, de manière très paradoxale.
Pourquoi avons-nous choisi comme nom “Sens commun” ? Précisément parce que, pour nous, l’urgence est de recréer en France une authentique communauté de destin. Et l’on ne parviendra à recréer cette communauté de destin que si l’on remet cette notion de ce qui nous est commun au cœur de la politique. Sens commun, c’est tracer un avenir, une direction commune, parce que c’est en visant au bien de tous qu’on parviendra à nouveau à transformer une somme d’individus en un peuple. Ce qui suppose le rejet radical de toute idéologie de classe (ce que les socialistes sont très souvent incapables de comprendre), ce qui suppose le rejet radical de toute forme de communautarisme, de toute forme de clientélisme et surtout de toute forme de corporatisme. Voilà le fondement de Sens commun : la volonté de restaurer cette notion de bien commun au cœur de la politique.
Mais, le juste exercice du pouvoir, ce n’est pas seulement l’exercice d’un pouvoir qui serait juste, parce que bien orienté, mais c’est aussi un pouvoir exercé avec justesse. Et c’est ce qui manque aujourd’hui. Le pouvoir est exercé avec justesse lorsqu’il est perçu comme un service. Le pouvoir doit être un service.
Et cette notion de service est au cœur de notre ADN, à Sens commun, puisque Sens commun est composé à 100 % de bénévoles, ce qui apporte (on l’oublie souvent) une certaine fraicheur. Et nous n’étions pas engagés en politique lorsque nous avons fondé Sens commun. Beaucoup disent : « Sens commun, c’est une opération de l’UMP pour récupérer les votes de la “Manif’ pour tous” ». Je tiens à dire que personne n’est venu nous chercher. Nous étions cinq. Sébastien Pillard, le président de Sens commun, était responsable de la “Manif’ pour tous” grand ouest. Marie-Fatima est une enfant adoptée d’origine éthiopienne donc ce sujet lui tenait à cœur. J’étais, pour moi-même, très engagée aux Veilleurs à ce moment-là.
Et, après la manif pour tous, nous nous sommes dit : il s’agit de transformer l’essai et de faire en sorte que les gens ne retournent pas chez eux comme s’il ne s’était rien passé.
Et je suis assez émerveillée, je dois le dire, quand je vois certains bénévoles de Sens commun qui dépensent une énergie extraordinaire ! La tranche d’âge qu’on touche prioritairement est la tranche d’âge 25-40 ans, en tout cas pour nos membres actifs. Ce sont souvent des personnes qui ont des familles très nombreuses et je l’observe notamment chez les femmes. Nous avons une proportion assez importante de femmes, on atteint presque la parité d’ailleurs, à Sens commun.
Quand je leur demande, à ces personnes-là qui ont un travail, qui sont parfois chefs d’entreprise, qui ont des enfants, beaucoup d’enfants, quand je leur demande pourquoi ils font cela, ils me répondent : parce que si la politique ne m’apporte rien à titre personnel, je veux plus tard pouvoir regarder mes enfants dans les yeux et leur dire : « Je me suis battu pur toi. Alors peut-être que l’avenir sera meilleur, peut-être qu’il ne sera pas meilleur, mais, au moins j’ai tout fait pour qu’il le soit, par amour pour toi et parce que je considère que la vie ne mérite pas d’être vécue si elle n’est pas vécue pour d’autres que soi et pour ceux aussi qui viendront après soi ».
En fait, on ne peut pas s’engager en politique si on n’est pas mû par un double amour. Un amour à la fois rétrospectif, c’est-à-dire une gratitude vis-à-vis du passé, vis-à-vis de ceux qui sont morts pour nous parfois, vis-à-vis de ceux qui nous ont transmis un formidable héritage, en tout cas en France, et surtout un amour prospectif, un amour pour les générations à venir.
En fait les hommes politiques devraient faire leur ce mot d’ordre de saint Jean-Baptiste (un mot d’ordre que j’aime beaucoup puisque je l’ai choisi le jour de ma promesse de guide) : « Il faut que je diminue pour qu’il grandisse » ou « il faut que je m’abaisse pour qu’il grandisse ».
Le ministre et même l’homme politique, mais le ministre étymologiquement parlant, est un serviteur, un domestique, un intermédiaire. Tout élu est le serviteur de la collectivité et doit la représenter. Et cette notion de service malheureusement est entrain de s’étioler alors même qu’elle devrait être replacée au cœur de la mission de l’homme politique.
De ces principes découlent un certain nombre de vertus à cultiver.
La première consiste à ne pas se couper de sa base.
Si nous avons fondé Sens commun, c’est parce que nous avions le sentiment que les ténors de l’UMP semblaient pour beaucoup coupés de leur base. Et, malheureusement, je trouve que pour beaucoup d’entre eux c’est encore le cas.
L‘idée était de fonder un élan citoyen qui allait porter les aspirations de la base jusqu’au sommet et mettre fin à ce divorce qu’on regrette très souvent entre le peuple et ce qu’on appelle les élites, du moins les élites politiques.
C’est un risque de coupure que j’observe et que j’ai pu observer depuis un an que je suis au sein du Comité exécutif des Républicains. J’observe que très souvent ces hommes politiques-là, Alain Juppé, Nicolas Sarkozy et François Fillon, vivent entourés de flatteurs, c’est-à-dire de personnes qui n’ont aucun intérêt à leur dire que leur intervention était mauvaise, que leur discours n’était pas bon, que leur intuition n’est pas bonne. Pourquoi ? Parce qu’ils ont peur de les indisposer. Ils ont peur d’être désagréables. Et s’ils sont désagréables, ils risquent de ne pas obtenir le poste auquel ils aspirent. Et très rapidement l’homme politique peut facilement vivre dans une tour de verre, très coupé de la réalité.
Voyez, la semaine dernière encore, on débattait de la déchéance de nationalité au Bureau politique des Républicains – on avait eu un précédent débat sur la question de l’assimilation – et Alain Juppé a pris la parole pour dire : « Écoutez, je trouve que ce débat est très loin des aspirations des Français. L’assimilation, les Français s’en contrefichent. ». Beaucoup considéraient que la question de l’identité – peut-être certains parmi vous le considèrent mais ce n’est pas ce que j’observe sur le terrain – n’intéressait pas les Français.
Pour moi, c’est symptomatique de cette incapacité à entendre et de cette tendance à s’enfermer très rapidement dans un vase-clos médiatico-politique pour finir par évoluer dans une sorte d’endogamie sociale, à faire de l’entre-soi et finalement à être complètement déphasé. Ne pas se couper de sa base suppose savoir entendre. Et malheureusement j’ai très souvent observé que les hommes politiques parlaient beaucoup plus qu’ils n’écoutaient. On en a eu une formidable illustration avec la visite de François Hollande chez cette fameuse Lucette où l’objectif n’était pas tant d’écouter que de se faire entendre, où l’objectif n’était pas tant de voir que de se montrer.
De cette notion de service, découle une autre vertu ou une autre règle à respecter qui est celle de la subsidiarité.
L’homme politique, s’il est serviteur, doit laisser une part d’initiatives à ceux qui sont en dessous de lui. Le principe de subsidiarité consiste à réserver uniquement à l’échelon supérieur ce que l’échelon inférieur saurait faire de manière moins efficace. L’homme politique, s’il veut faire grandir – sa vocation est de faire grandir les citoyens –, doit savoir déléguer, mais aussi responsabiliser. S’il ne délègue pas il ne responsabilisera pas les citoyens. Il les entretiendra dans une infantilisation permanente. Nous avons eu tendance, en France, en raison d’un jacobinisme exacerbé, à vouloir très souvent concentrer la responsabilité au moyen de structures très centralisées, ce qui aboutit en fait à une déresponsabilisation des acteurs et des citoyens.
Je vais prendre un exemple beaucoup plus concret à travers l’Éducation nationale.
L’Éducation nationale aujourd’hui c’est ce mammouth qui a voulu – pour éviter toute dérive, toute déviance à ses yeux ou aux yeux des pédagogues – enlever toute initiative aux acteurs locaux. Tant et si bien qu’aujourd’hui, dans un établissement, plus personne n’est responsable de la réussite ou de l’échec des élèves parce qu’on ne peut plus identifier les responsabilités. Et d’ailleurs ces responsabilités sont exercées par un ensemble de bureaucrates au sein de l’Éducation nationale qui sont parfaitement obscurs et surtout comptables de rien.
Premièrement : le chef d’établissement n’est pas responsable. Il ne choisit pas son équipe pédagogique. Il ne choisit pas ses méthodes pédagogiques. Il ne choisit pas vraiment les matières ni les horaires. Il ne choisit pas plus les salaires, il ne décide pas des grandes orientations de son budget.
Ensuite, les enseignants ne sont pas responsables puisqu’ils ne choisissent pas d’être mutés dans tel ou tel établissement. Ils ne décident pas de la méthode pédagogique de l’établissement dans lequel ils iront.
Et, enfin, les parents se conduisent, eux aussi, en consommateurs d’écoles puisqu’ils n’ont pas la liberté – en tout cas dans le public – de choisir l’établissement dans lequel ils scolariseront leurs enfants.
Et c’est cette approche de la subsidiarité qui parfois me distingue de certaines propositions qui vont être faites par le Front national et notamment par la tendance Philippot. Parce qu’on nous demande très souvent : quels sont vos liens avec le Front national ? En quoi vous vous distinguez du Front national ? Et sur cette approche de la subsidiarité, notamment en termes d’éducation, je ne suis pas du tout d’accord avec ce que propose le Front national. Je citerai, par exemple, Florian Philippot qui dit que l’urgence, c’est « de procéder à une recentralisation progressive de l’administration de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur, condition générale à la conduite d’un grand plan de redressement s’appliquant à l’ensemble du système », y compris donc l’université.
Je pense au contraire que il faut redonner une initiative aux acteurs locaux parce qu’ils sont plus à même de connaître les besoins des élèves auxquels ils font face et le type de population auquel ils sont confrontés. Il me semble que une initiative comme Espérance banlieue l’a tout à fait compris et qu’accroître davantage le poids des services centraux ne fera qu’empêcher ce genre d’initiative, en tout cas dans le public.
L’homme politique sait s’effacer, se retirer quand il le faut, « Sortez les sortants », c’est un peu l’idée.
Nous nous acheminons à l’heure actuelle sur une sorte de redite des élections présidentielles que nous avons vécues en 2012 et c’est un schéma qui est impensable dans plein d’autres pays et qui est assez unique en France. Cela suscite d’ailleurs certaines moqueries Outre-Manche et Outre-Atlantique.
Je pense, à ce titre, qu’on va vers une situation nettement plus saine parce que, non, tout n’empire pas avec le temps. Il y a cette fameuse loi sur le cumul des mandats qui entrera en vigueur en 2017 ; il est en effet plus que nécessaire de limiter le nombre de mandats simultanés. Malheureusement cette loi ne s’occupe pas du cumul des mandats successifs et je pense qu’il faut limiter ces mandats dans le temps pour que toutes les classes d’âge soient correctement représentées au pouvoir.
Enfin l’homme politique lorsqu’il ne l’utilise pas à des fins personnelles exerce avec justesse son pouvoir. C’est-à-dire : si le pouvoir est conçu comme un service alors le pouvoir n’est pas une fin en soi et pour soi.
Le juste exercice du pouvoir consiste donc dans un décentrement vis-à-vis de soi-même et c’est la raison pour laquelle il est urgent qu’il y ait beaucoup plus de catholiques et de chrétiens en politique. Parce que nous avons la chance d’être davantage décentrés ou du moins d’aspirer à un plus grand décentrement de nous-mêmes que les non-croyants ou d’autres religions. D’abord nous avons une vie spirituelle et nous mettons au cœur de cette vie non pas nous-mêmes, mais le Christ. Notre colonne vertébrale, c’est le Christ. Et le Christ lui-même, quand il est venu, est venu rendre témoignage non pas à lui-même, mais à son Père qui est dans les Cieux. C’est un exemple pour tous ceux qui souhaitent assumer une mission, un service au cœur de la cité.
Outre cette vertu du service, il y a celle de la décence.
Cette notion de décence commune revient souvent dans le discours de Sens commun. L’idée est la suivante : on ne peut bien exercer le pouvoir que si on sait l’incarner. Parce que si on ne l’incarne pas correctement, on le fragilise. On fragilise le pouvoir et la fonction présidentielle quand on ne sait pas se comporter en Président de la République.
Cette notion de décence vient du terme latin deceo, decet qui renvoie à la conduite de celui qui sait agir conformément à son rang et conformément à sa dignité. En fait c’est à la fois un sens du devoir et un sens de l’honneur. Et la décence commune renvoie à un ensemble de convenances qui vont me donner l’idée qu’il y a des choses qui se font et d’autres qui ne se font pas. Le politique aujourd’hui souffre d’une perte de cette notion de décence commune.
Exemple : Manuel Valls qui publie ses discours, les discours qu’il a prononcés après les attentats du 7 janvier et les discours prononcés après les attentats du 13 novembre. Donc refaire sa « com » politique à partir des drames que les gens ont pu vivre. Et puis on pourrait ajouter plus perfidement que, de toutes façons, ses discours n’ont pas été écrits par lui donc qu’il n’a pas vraiment à s’en glorifier…
Ensuite cette idée de décence commune devrait s’appliquer au rapport aux médias qui est à l’heure actuelle extrêmement malsain. Il n’est pas normal qu’un Président de la République participe à des émissions de télévision qui ne sont pas conformes à sa dignité. Et à vrai dire je pense et j’aimerais que le futur Président de la République ne se déplace pas sur des plateaux de télévision. Il y a eu la participation de François Hollande à certaines émissions où il était confronté à des Français lambda qui lui parlaient parfois de manière tout à fait désinvolte. Ou encore François Hollande qui se rend sur Canal + et qui donne l’impression de rendre visite aux copains. Que dire de Manuel Valls, qui va bientôt se rendre sur le plateau d’“On n’est pas couché”, une première pour un Premier ministre en activité.
La politique, à force d’être ainsi exposée sur les plateaux de télévision, du moins le politique, donne lieu à un divertissement. On parle d’ailleurs maintenant de infotainment c’est-à-dire un divertissement fondé sur la politique et sur l’information. On entre ainsi de plus en plus dans ce diktat de l’apparition télévisée et dans le règne de la politique-spectacle. Je pense qu’il est fondamental pour que le pouvoir politique retrouve sa juste mesure et sa justesse qu’il sorte de la tyrannie de cette politique-spectacle.
On n’incarne pas correctement le pouvoir politique, par ailleurs, quand on manque de sérieux et quand on fait preuve de désinvolture vis-à-vis de sa fonction. En cela, l’absentéisme doit être nettement plus sanctionné. Et c’est notamment vrai pour le Sénat et surtout l’Assemblée nationale. Il serait bon qu’il y ait une retenue sur l’indemnité parlementaire qui soit beaucoup plus importante qu’elle ne l’est actuellement et qui soit surtout effective.
Il y a la question du cumul des mandats. Vous ne pouvez correctement exercer votre fonction que si vous l’exercez à fond. Or il me semble très difficile d’être en même temps député et président de région, d’être en même temps sénateur et maire. Et je pense que la loi sur le cumul des mandats qui entrera en fonction en 2017 est une très bonne loi.
Nous sommes en France dans une situation unique en Europe, puisque la moitié des députés et des sénateurs exerce une autre fonction exécutive alors que ce taux est de 16 % en Italie, de 13 % en Grande-Bretagne, de 10 % en Allemagne. Contre 50 % en France. Cette situation est anormale.
Exercer sa fonction avec sérieux suppose de connaître aussi ses dossiers et d’être un minimum crédible. Le gouvernement actuel se caractérise par un amateurisme extrêmement important qui n’aide pas à crédibiliser le pouvoir politique et la parole politique.
Je prendrai l’exemple de la bourde de madame El Khomri, ministre du travail, devant Jean-Jacques Bourdin. La question de l’emploi, de la précarité de l’emploi, de la flexibilité de l’emploi et le dialogue social sont au cœur des préoccupations des Français. Et il semble être essentiel de nommer au ministère qui a la charge de ces sujets une personne à la fois compétente, efficace et crédible devant les différents acteurs de ce secteur-là.
Or plutôt que de fonder son choix sur cette nécessité criante, le gouvernement a préféré nommer une personne qui avait deux atouts inestimables : d’abord c’est une femme, et ensuite, une femme issue de la diversité : le jackpot ! Malheureusement, c’est aussi et surtout une femme qui ne connait pas l’entreprise et le monde du travail puisque elle a toujours été fonctionnaire, employée de la mairie de Paris.
Et puis est advenue la bourde devant Jean-Jacques Bourdin. Madame El Khomri vient présenter une réforme du code du travail et on lui demande combien de fois un CDD peut être renouvelé. Elle sèche, malheureusement ; alors que c’est une question basique pour ceux qui travaillent dans une entreprise.
On se rend compte aujourd’hui que la plupart des ministres ne sont finalement que les porte-paroles de leurs ministères et qu’ils ont été choisis pour leur image beaucoup plus que pour leur connaissance des dossiers. Et ils se livrent de manière comique à une sorte de jeu de chaises musicales qui donne l’impression malsaine que les ministres sont totalement interchangeables.
Je pense que le véritable changement – en tout cas, c’est ce que l’on pense à Sens commun – consisterait, pour le prochain gouvernement, à nommer, dans certains ministères non pas des professionnels de la politique ou des politiques purs, mais des personnes qui se seraient construites ailleurs qu’en politique et auraient exercé une profession en lien avec le ministère dont ils auraient la charge.
Cela présenterait un triple avantage.
D’abord ces hommes ou ces femmes ayant construit leur vie ailleurs que dans la politique pourraient aisément retourner à leurs activités antérieures après avoir exercé leur charge. Ils seraient donc moins obnubilés par leur maintien en fonction ou par leur réélection.
C’est une question qu’on me pose souvent : est-ce que tu n’as pas peur de déplaire à Nicolas Sarkosy quand tu prends la parole en Bureau politique pour lui dire que tout le monde dans le Var a voté pour Marion Maréchal-Le Pen et que Estrosi a été en-dessous de tout ? La réponse est : non. Parce que je me moque qu’il me renvoie dans la mesure où ma vie est ailleurs. Ma vie, je l’ai construite à travers mes études. Ma passion, c’est l’enseignement. Je n’ai pas peur de déplaire, je n’ai pas peur d’être limogée.
Et c’est finalement cette activité que vous avez ailleurs, c’est cette colonne vertébrale que vous avez acquise ailleurs que dans les couloirs d’un parti qui vous permet d’être « droits dans vos bottes » et surtout qui vous permet d’être libres et détachés de la fonction dont vous allez être investi.
Autre avantage : cela permettrait aux hommes politiques de faire preuve de plus de courage et d’être plus détachés de l’image qu’ils renverraient dans les médias.
Dernier avantage, ils seraient – parce qu’ils auraient été acteurs du secteur dont ils auraient la charge – davantage conscients des problématiques du secteur d’activité dans lequel ils doivent agir et s’avanceraient donc devant leurs interlocuteurs avec la crédibilité et l’autorité indispensables à la réussite de toute réforme.
En d’autres termes, je pense qu’il est urgent – et c’est la vocation de Sens commun – de « ré-injecter » de la société civile dans la sphère politique et donc de réconcilier les deux.
Et c’est d’ailleurs ce qu’a fait Trudeau au Canada puisque il a nommé un très grand nombre de ses ministres non pas parmi ses amis politiques ou d’autres élus mais parmi des praticiens.
Donc quand le pouvoir politique n’est pas juste, il sape ses propres fondements. Il devient illégitime, grotesque, dérisoire. Et ce n’est pas seulement grave pour le pouvoir politique en tant que tel, c’est grave pour toute forme d’autorité.
Balzac disait : « Le jour où on a coupé la tête du roi, on a coupé la tête à tous les pères de famille ». Je pense que, de la même manière, quand un homme politique n’incarne pas correctement sa fonction il porte atteinte à toute forme d’autorité. La médiocrité et le manque de dignité, le manque d’incarnation du pouvoir ébranle et frappe d’impuissance l’autorité en général dans notre pays.
Je terminerai en évoquant notre pouvoir à tous.
Quand on pense à « juste exercice du pouvoir », on pense tout de suite aux hommes politiques alors même que nous avons, nous aussi, parce que nous vivons dans une démocratie, parce que nous avons le droit de vote, nous avons un pouvoir qui est réel ou du moins qui devrait l’être.
Nous avons tendance aujourd’hui à blâmer les hommes politiques mais – et c’est l’intuition qui est au cœur de Sens commun – nous avons les dirigeants que nous méritons et il ne peut pas y avoir de responsabilité uniquement de la classe politique.
Si nous avons fondé Sens commun c’est parce que nous avons eu, à l’occasion des manifestations de 2013, une sorte d’électrochoc ou du moins une prise de conscience. Nous nous sommes rendus compte que si nous étions confrontés à la politique du pire, c’est parce que nous n’avions pas su suffisamment défendre la politique du meilleur. Parce que nous n’avions pas su être derrière les personnes courageuses qui s’étaient engagées pour nous et qui n’ont pas réussi à être suffisamment audibles et suffisamment visibles parce qu’elles n’ont pas pu compter sur notre soutien.
Nous nous sommes rendus compte en fait que nous avions depuis trop longtemps déserté le terrain de la politique et qu’il était peut-être temps de l’investir à nouveau.
On a pu voir une mobilisation très forte de la société civile lors de ces manifestations, mais un engagement parfois plus timoré des hommes politiques. D’où l’idée de mettre en place des relais plus efficaces au sein de la sphère politique.
C’est le Père Humbrecht qui use d’une expression qui me semble très juste : il dit que les catholiques ont tendance à être des « intermittents du réveil ». Ils se réveillent ponctuellement et puis se rendent compte que, finalement, c’est un peu trop tard. Et, quand la loi est passée, ils rentrent chez eux et puis ils vont se rendormir. Pour se réveiller à nouveau trop tard quand une nouvelle loi désastreuse arrivera. Il y a donc un manque d’anticipation et parfois quand l’anticipation est là il y a de toutes façons un manque de mobilisation.
Si vous voulez, on ne peut pas contrer une loi pernicieuse si on n’a pas préparé, des années en amont, l’opposition à cette loi.
Les catholiques ont tendance à se contenter d’un certain confort bourgeois. J’observe cependant, dans mon entourage, que les personnes de mon âge ont tendance à en sortir. Ce confort bourgeois qui consiste à dire, de toutes façons, ils sont tous pourris en politique ; aller en politique cela équivaut nécessairement à perdre son âme. C’est faux, je vous le garantis.
Effectivement, c’est vrai pour les personnes qui sont les plus sensibles au pouvoir. Et l’on touche là une des limites de la politique. Idéalement, il faudrait que la politique soit exercée par des personnes qui répugneraient à la politique.
L’autre problème c’est que ceux qui se battent le plus pour obtenir le pouvoir sont aussi ceux qui sont le plus séduits par le pouvoir.
À force de dire “tous pourris”, on est profondément injuste vis-à-vis de ces élus, majoritaires, qui sont extraordinaires, qui ont fait beaucoup de sacrifices pour se dévouer à leur communauté. Je pense notamment aux élus locaux.
J’ai été très étonnée quand je suis arrivée aux Républicains. J’étais sur la défensive. Je me disais : je vais être jetée dans le lac aux requins, cela va être terrible. Et j’ai été très surprise parce que les trois-quarts des personnes que j’ai rencontrées aux Républicains sont des personnes de bonne volonté, des personnes qui veulent bien faire, des personnes qui peuvent se tromper mais jamais par malveillance. Il y a toujours chez elle le désir de bien faire. Malheureusement ces personnes très souvent n’occupent pas le devant de la scène, alors que le quart restant bénéficie au contraire d’une bonne couverture médiatique.
Je pense que ce “tous pourris” est une mauvaise excuse qui au fond nous permet de ne pas nous engager à notre tour parce que s’engager, effectivement, ce n’est pas toujours très confortable.
Les catholiques sont frappés aussi par un autre syndrome qui est le syndrome du Don Quichotte ou d’Emma Bovary. Cela revient à dire : la réalité est sale, elle est sordide et de toutes façons la situation est déprimante. Donc je m’extrais de la politique, je m’extrais du quotidien et je m’extrais de mes devoirs civiques.
Non, la politique n’est pas nécessairement sale. Et quand on est chrétien, on est amoureux de l’Espérance. Il n’y a pas de raison que notre mission consistant à insuffler l’Espérance partout ne concerne pas aussi la sphère politique. Non, la sphère politique ne doit pas être le lieu concédé à la désespérance, au désespoir et à la dépression absolue.
Le pape François nous invite d’ailleurs à investir le terrain. Il dit : « Le catholique ne peut pas faire de la politique en restant à son balcon ».
Et c’est ce que nous avons voulu faire à Sens commun, endosser le maillot à notre tour et aller sur le terrain plutôt que de rester devant nos écrans de télévision à insulter l’arbitre ou les joueurs. Ce qui ne sert pas à grand-chose, vous avez pu le constater par vous-mêmes.
Très souvent aussi, je l’observe chez les catholiques et je l’ai observé quand j’ai annoncé mon projet de fonder Sens commun, les gens sont étonnamment défaitistes. Ils disent généralement : cela ne sert à rien, attendons que le système s’effondre. Je pense que ce raisonnement est mauvais parce que rien ne nous garantit, une fois le système effondré, que les personnes qui vont reprendre en main la politique ne seront pas pires que celles qui ont conduit à son effondrement.
Ce n’est certes pas sur le même terrain, mais c’est le même raisonnement qui a conduit la diplomatie française à une analyse erronée en ce qui concerne la Syrie. On a dit : il y a un « dictateur sanguinaire » en place qui a plusieurs milliers de morts sur la conscience. Comme un mouvement d’opposants se lève contre lui, ces gens qui s’opposent à lui sont nécessairement bons et meilleurs que ce tyran désigné. Et, progressivement, on s’est rendu compte qu’en réalité les trois-quarts de ces opposants étaient constitués de mouvements islamistes, qu’il s’agisse d’Al Quaïda ou de l’État islamique. Ce n’est pas parce que l’on s’oppose à un « tyran » que l’option politique que l’on propose ensuite est nécessairement meilleure.
De la même manière, ce n’est pas parce que la situation actuelle est au bord de l’effondrement que ceux qui reprendront ensuite le pouvoir mettront en place une meilleure politique.
À la limite, je comprends qu’on puisse souhaiter que le système s’effondre parce qu’on est arrivé à un tel état de paralysie qu’il faudrait donner un grand coup de pied dans la fourmilière et tout réorganiser, tout ré-agencer ensuite. Quand bien même cela serait, il faut préparer cette réorganisation. Et pour préparer cette réorganisation, il faut acquérir un minimum d’expérience et se frotter un tant soit peu à la chose politique.
Vous savez, un mouvement politique qui réussit ne se construit pas du jour au lendemain. Il met des années à se construire. C’est à force d’échouer qu’on finit par réussir. C’est à force d’essayer qu’on finit par réussir. Beaucoup de personnes me disent : mais qu’est-ce qui vous garantit que cela va réussir ? On est tout à fait conscient des probabilités de réussite et des probabilités d’échec. C’est une tentative, un pari.
Mais là où je vois déjà quelques réussites, c’est avec les élus que nous obtenus parmi les candidats que nous avons présentés, aux municipales, aux départementales et aux régionales. Et ils ont à leur actif certaines réalisations concrètes tout à fait encourageantes.
Je prendrai l’exemple de Caroline Carmantrand qui est élue à Asnières. Il se trouve qu’Asnières, c’est un peu notre laboratoire Sens commun, puisque huit élus de l’équipe municipale sont membres de Sens commun et que le maire voit notre mouvement d’un bon œil. Caroline à l’origine était dans le mouvement des Mères Veilleuses – les Veilleurs, version mamans. Caroline est mère de famille nombreuse. Elle n’avait jamais fait de politique de sa vie, elle était mère au foyer. Elle est allé voir le candidat des Républicains pour lui dire : « tu n’es qu’un pourri, de toutes façons tu ne mérites pas d’être élu. » – Il y avait eu certaines affaires judiciaires auparavant. – Et lui a répondu : « Caroline, j’ai besoin autour de moi de personnes qui me parlent franco comme tu le fais – parce qu’elle n’a pas sa langue dans sa poche – et je te propose d’intégrer mon équipe de campagne et ensuite d’être sur ma liste ». Elle accepte, tout en se disant « je vais être une caution et ensuite il va m’écarter après avoir été élu ». Elle est maintenant maire-adjointe à la famille et à la petite-enfance. Qu’a-t-elle fait depuis ? Parce qu’il ne suffit pas d’être élu, encore faut-il agir. Elle a d’abord mis en place un système de préparation au mariage civil, ce qui me paraît fondamental pour œuvrer à des familles plus durables, puisque les grandes situations de précarité aujourd’hui sont les trois-quarts du temps issues d’instabilité familiale, de conflits familiaux et parentaux. Ensuite elle a permis l’installation dans sa ville d’une école de la Fondation Espérance banlieue, le Cours Saint-Exupéry, qui fait des merveilles avec certains enfants des quartiers nord de la ville. Vous avez peut-être lu le reportage du Figaro Magazine sur cette école, qui était absolument magnifique.
Et puis Caroline Carmantrand s’est rapidement faite remarquer, précisément parce qu’elle n’a pas sa langue dans sa poche et que c’est quelqu’un de très pratique qui aime agir. Donc Valérie Pécresse lui a demandé d’être sur sa liste et elle va être bientôt être nommée à la Présidence de la Commission de la région Île-de-France sur la famille. Ce qui est absolument capital, quand on voit certaines brochures, certains manuels qui sont donnés aux enfants dès le primaire qui sont sordides. J’ai pu en voir quelques uns pendant la campagne des régionales. C’est édifiant.
Vous voyez, on arrive bien à des résultats tangibles et ce sont autant de jalons que l’on pose pour demain, autant d’expériences politiques qui s’acquièrent sur le terrain, de personnes qui était très éloignées et qui apportent une vraie fraicheur et un vrai renouveau dans la manière de faire de la politique. C’est petit, c’est à petite échelle. Oui, mais c’est à force de poser ces jalons qu’on parviendra à poser les fondements d’un édifice qui tiendra la route demain. Et par leur propre exemplarité, j’espère que ces élus Sens commun seront autant de relai du bon sens.
Nous avons enfin une fâcheuse tendance à refuser le compromis et à céder à l’écueil de l’entre-soi. Nous ne rejoignons généralement que les personnes qui pensent à cent pour cent comme nous, à croire que la politique doit nécessairement être le choix de la meilleure solution possible alors que la politique c’est très souvent le choix de la solution la moins pire. Tant et si bien que nous finissons par nous retirer dans nos salons, à nous retrouver entre personnes qui pensent bien, qui pensent exactement la même chose, c’est si confortable ! Or en agissant de la sorte, nous renonçons à la dimension missionnaire qui doit être la nôtre, qui doit être celle du politique : convaincre et chercher à persuader ceux qui ne pensent pas tout à fait comme nous. Prêcher des convertis n’a aucun intérêt.
Je terminerai avec l’idée qu’on ne parviendra à changer la politique que si l’on commence par se changer soi-même, par changer son rapport au politique et sa manière d’exercer son propre pouvoir politique.
Gandhi disait (dans un texte que l’on aimait lire aux Veilleurs) : « Sois toi-même le changement que tu veux voir advenir au monde ». Il faut moins attendre des politiques qu’ils changent que d’essayer de nous changer nous-mêmes, de nous investir en politique et d’être demain ceux qui murmureront à l’oreille des politiques, ceux qui auront les commandes de la politique.
Camus disait : « La vraie générosité envers l’avenir consiste à tout donner au présent ». C’est vraiment cette intuition qui nous guide à Sens commun et c’est en tout cas cette parole-là, entre autres inspirations, qui m’a conduite à m’engager à Sens commun et qui, je l’espère, conduira chacun à s’engager, pas nécessairement à Sens commun, mais en tout cas à s’engager pour le bien commun de la cité.
Échange de vues
Anne Duthilleul : J’avais une question sur la façon de préparer les gens de la société civile à entrer en politique. Il y a eu des exemples.
J’ai en tête celui de Francis Mer qui, après, a écrit un livre sur son expérience intitulé : « Vous, les politiques », parce qu’il ne s’est jamais vraiment senti intégré dans le sérail et que, du coup, il a ressenti assez vivement les limites que lui opposait sa propre administration dans son action.
Pour franchir ces obstacles, parce que ce sont des obstacles réels, car les politiques ne sont pas forcément uniquement “à la solde” de leur administration mais peuvent au contraire avoir beaucoup de difficultés à la mobiliser, à la faire avancer dans le sens qu’ils souhaitent, comment faire pour préparer des personnes qui sont extérieures à ces milieux politiques ou de la haute administration à pouvoir mettre en mouvement leur secteur ?
Madeleine de Jessey : Je dirai : partage d’expériences. Les plus belles formations politiques que j’ai eues, c’était au contact des élus de Sens commun qui ont fait quelques retours d’expériences et qui du coup nous apprennent, nous transmettent un vrai savoir-faire. C’est ce savoir-faire-là que l’on valorise.
Vous évoquiez les blocages de l’administration. C’est un blocage qu’on observe très bien dans l’Éducation nationale. On a fait, à Sens commun, une réunion sur l’éducation, on avait invité Gilles de Robien – l’ancien ministre de l’Éducation nationale qui avait, je crois que c’était en 2005, tenté de réformer les méthodes de lecture, de revenir à des méthodes de lectures syllabiques. – Il a fait alors, je pense, une erreur qui revient à dire : les méthodes de lecture syllabiques seront obligatoires et remplaceront les méthodes globales. C’est effectivement le but qu’il faut atteindre, mais il y est allé trop fort.
Nous avons une autre proposition qui est de laisser la liberté pédagogique aux enseignants et de faire ensuite un test national de déchiffrage en fin d’année. Si les résultas ne sont pas bons – et a priori avec la méthode globale, ils ne le seront pas – il s’agira alors de contraindre l’enseignant à revenir aux méthodes qui marchent. Et cela permettrait de sortir de l’idéologisation du débat à partir de critères plus objectifs.
Je reviens à l’Éducation nationale et au ministre qui disait : dès que je donnais une directive, c’est-à-dire dès que je mettais en place une mesure, les courroies de transmissions étaient tellement déformantes que le texte à l’arrivée n’avait plus rien à voir avec ce que j’avais écrit au départ.
On touche là à la question de la subsidiarité dont je parlais. C’est un poids excessif des services centraux, c’est une centralisation excessive qui conduit à une sorte de téléphone arabe où l’autorité se dilue, où les mesures se diluent.
Il y a aussi la gangrène – en tout cas dans l’Éducation nationale, mais également ailleurs – des syndicats. Pour faire en sorte que la Fonction publique soit plus efficace et parfois peut-être plus docile, il va falloir faire un grand ménage et réformer cette Fonction publique en faisant appel à un certain nombre de contractuels, ce qui permettrait de ne pas faire du statut de fonctionnaire un bien acquis qui ne rend pas comptable des résultats. Il s’agirait d’en faire un statut conditionné aussi par l’obtention de résultats. De toutes façons on n’échappera pas à une réforme en profondeur de la Fonction publique, à une diminution drastique du poids de ces services-là. Avec cette réforme on pourra viser à une plus grande efficacité des directives données.
Nicolas Aumonier : Merci beaucoup, chère camarade et collègue, de votre belle communication, toute empreinte d’un optimisme qui nous réveille !
Permettez-moi trois questions.
Même si vous avez dit que vous n’étiez pas une philosophe politique, il y a dans le Contrat social de Rousseau une dénonciation de l’inévitable distance qui s’installe avec le temps entre le représentant et ceux qu’il représente. La télévision n’est-elle pas le moyen de réduire cette distance lorsque nous voyons, à chaque événement tragique, le président de la République ou le ministre de l’Intérieur faire œuvre de présence ? Et le saucissonage de la parole politique en fonction des horaires télévisuels n’est-il pas le prix à payer pour la démocratie, tout comme l’illusoire conception utilitariste de l’agrégation des préférences individuelles ?
Ma seconde question porte sur l’Éducation nationale. Il m’a semblé comprendre que vous souhaitiez laisser le plus de pouvoir possible ou même tous les pouvoirs aux instances locales (chefs d’établissement, présidents d’université). Cela ne contredit-il pas le fait que les programmes sont nationaux ?
Un collègue m’a dit un jour : il y a quarante ans, à l’université, on se proposait pour être directeur d’UFR, c’était un service que l’on rendait à la communauté, aidé bien souvent par une seule personne administrative. Maintenant, il y a des campagnes pour tout, souvent sous des étiquettes syndicales dont les revendications sont difficilement compréhensibles, le monde universitaire est divisé et ce qui était un service est devenu un enjeu de pouvoir, un tremplin pour une éventuelle candidature à la présidence de son université, avec l’aide d’un personnel administratif devenu très nombreux. Il me semble que les jeux de pouvoir obscurcissent la mission même de l’université qui est de chercher et de transmettre le savoir. Peut-être faudrait-il à la fois plus de démocratie à l’université, puisque les taux de participation aux élections restent faibles, mais moins de politique, le champ du savoir demandant plus de liberté que celle que promeuvent la plupart des syndicats. Auriez-vous des mesures d’amélioration concrètes à proposer ?
Jean-Paul Guitton : Je complète l’intervention de Nicolas Aumonier sur la comédie télévisuelle.
Je pense que la télévision a contribué très négativement à l’intérêt pour la chose politique, par la dérision généralisée qui y règne (les Guignols, le Petit Journal, etc.). Un Fou du Roi a sa place dans une Cour de flatteurs, mais quand cela revient tous les jours à tout propos, cela ne convient plus. La dérision tous les jours, matin, midi et soir, ça tue l’intérêt pour la chose politique et le respect des politiques.
Madeleine de Jessey : Je vais commencer par répondre à la question du saucissonnage. Pour parliez de la comédie télévisuelle : certes, d’où la nécessité de réduire considérablement les prises de parole. Plus vos prises de paroles seront rares, plus elles seront pesées, mesurées, pensées et réfléchies, plus elles auront de l’impact. Inversement si vous parlez à tort et à travers à n’importe quelle occasion sans préparation aucune, alors votre parole sera diluée, mal fondée. Vous ne serez pas à l’abri de gaffes, de bévues à la télévision. Vos paroles seront d’autant plus impactantes et d’autant mieux préparées si elles sont plus rares, du coup plus réfléchies.
Je souhaite de tout cœur que le prochain gouvernement, le prochain président de la République, imposent à leurs ministres de réduire leurs apparitions télévisées.
J’ai l’exemple de certains hommes politiques qui réussissent en politique sans chercher à faire tous les plateaux de télé et en parvenant à en refuser un certain nombre. D’ailleurs très souvent ces personnalités politiques-là sont aussi celles qui sont considérées comme les plus sages et ont rarement fait, voire jamais, de gaffes à la télévision.
La dérision généralisée, c’est vrai, ce que j’appellerai l’esprit Canal en fait. Un spectacle comme le grand journal sur Canal + ou même le supplément, – cela commence à marcher moins bien, le taux d’audience est de plus en plus faible. – Pour autant cela fait partie du jeu politique, que cela fait partie aussi de l’esprit français, l’esprit de la caricature.
Je prépare des cours sur l’Éducation sentimentale, donc je regardais toutes les caricatures de Louis-Philippe. Cela a toujours existé même en des temps où la censure était aussi assez forte. Cela fait partie de l’esprit français même si effectivement cela n’aide pas à prendre davantage en considération les hommes politiques. Mais il faut dire aussi que les hommes politiques tendent la joue à ce genre d’exercice et qu’ils se comportent parfois en caricatures d’eux-mêmes.
Ensuite la question de l’enseignement, je ne disais pas du tout de transmettre tout le pouvoir au local évidemment. Je pense qu’il est absolument nécessaire que les programmes soient toujours définis de manière nationale. Parce qu’il est nécessaire que les élèves sortent de l’école en ayant une culture commune, en ayant une sorte d’héritage commun et que l’école œuvre à une certaine unification du territoire. C’est là qu’on atteint en fait la distinction entre jacobinisme et nécessaire unification du territoire, parce que certains ont tendance à confondre les deux aujourd’hui, tout en disant qu’il faut responsabiliser les chefs d’établissement, rendre certaines initiatives aux enseignants, cela n’empêche pas qu’on s’en tienne à des programmes définis au niveau national qui sont une des conditions pour unifier un minimum, me semble-t-il, le territoire et surtout la nation.
Jean-Luc Bour : Madame, je vous remercie pour votre communication et en particulier je reviens sur votre phrase décrivant une situation paradoxale à savoir que ceux qui seront de bons politiques seront justement ceux qui ne font pas de politique ; cela montre l’étendue du débat.
L’exemple de Christine Lagarde qui était quand même professionnelle dans le domaine où elle était, montre bien qu’elle n’avait pas envie de prendre des coups.
Il faut vraiment être à la suite du Christ pour dire : j’y vais en sachant que c’est pour prendre des coups. Le premier quart des politiques dont vous n’avez pas trop parlé par pudeur sont ceux qui donnent des coups. Ils sont là pour prendre le pouvoir et pour donner des coups et en recevoir aussi, mais ce sont de bons boxeurs. Pour arriver au plus hautes marches du pouvoir il faut savoir encaisser.
Au niveau local, c’est différent ; on voit des communes qui n’ont pas assez de maires, qui n’ont pas de candidat pour être élus municipaux et encore moins pour être maire. On ressent bien qu’il y a bien une notion de service au niveau local.
Au niveau national, il y a de fortes ambitions individuelles et pour remettre le service au centre des choix il faut des alliés. Où est-ce que vous allez chercher vos alliés ? Parce que créer tout de zéro, c’est très, très long. Il peut y avoir un découragement. Pour aller très vite il faut avoir une dynamique .
Vous avez parlé du Canada. Est-ce que l’exemple du Canada peut être montré un petit peu plus en France en les faisant venir, en échangeant ?
J’avais en tête, en tant que chef d’entreprise, le mouvement « Nos citoyens » dont on a beaucoup entendu parler à leur création, moins maintenant. Ils ont eu quelques élus. Par contre en région IDF, ils n’en ont pas eu un seul. J’ai épluché les 240 noms de la liste de Valérie Pécresse, il n’y avait pas une seule fois la référence à Nos citoyens. Pourtant ils étaient, sans doute plus que d’autres, des professionnels du monde économique, ce qui est justement une des prérogatives des régions.
En tant que chefs d’entreprise, on a cherché comment permettre à des professionnels d’apporter leur contribution à la vie publique. Michelin a prôné dans l’entreprise un engagement dans la sphère politique. Dans d’autres entreprises comme la nôtre il y a un encouragement à ce que les salariés participent à la vie associative de manière indépendante de la vie de l’entreprise.
Par contre l’aller et retour entre public et privé est tout de suite considéré comme suspicieux par les politiques ou les administrations parce que cela génère un problème d’administration, et semble-t-il à leurs yeux un risque de conflit d’intérêt. Ainsi il y a beaucoup d’obstacles pour permettre ces échanges.
Madeleine de Jessey : Regardez le mouvement Nous citoyens, ils ont tout créé en partant de zéro. Justement, on a fait le choix de ne pas partir de zéro puisqu’on rentrait dans une famille ancienne, déjà constituée, qui avait ses propres relais, ses réseaux, ses fédérations déjà constitués.
Pour autant, la question s’est posée lorsque nous avons commencé à réfléchir à Sens Commun, en juin 2013. On s’est dit : est-ce qu’on part de zéro, est-ce qu’on fait un mouvement complètement autonome et donc en dehors des partis existants ? Et la réponse a très rapidement été non, parce qu’étant donné la gravité de la situation, l’urgence de la situation, il faut savoir faire preuve de pragmatisme et on voulait pouvoir s’appuyer sur une grande structure déjà existante. Et je pense que cette stratégie est en partie gagnante parce que nous n’aurions jamais eu des élus si on avait fait comme Nous citoyens. On aurait été un énième micro-parti qui aurait fait 0,2 % aux élections.
Pourtant Dieu sait si j’apprécie l’initiative de Nous citoyens ! Je pense que j’aurais sans doute pris ma carte à ce mouvement si je n’avais pas fondé Sens commun. Mais je pense aussi que cette stratégie, pour l’instant, je ne veux pas dire que plus tard elle ne le sera pas, mais je pense que pour l’instant ça n’est pas la bonne. Et pourquoi n’étaient-ils pas sur la liste de Valérie Pécresse ? Parce qu’ils veulent être non-partisans, en dehors des partis.
Deuxième point : les relais. On a des entrepreneurs amis et dans le monde intellectuel plusieurs relais. C’est plus ou moins officiel, officieux. Dans le monde politique, on est au sein d’un parti. Il y a au sein des Républicains des personnalités politiques qui sont plus proches de nous que d’autres. Il y a d’autres courants politiques, au sein des Républicains, qui sont parfois très proches de nous : la Droite sociale, le PCD, la Droite forte, … Si vous voulez, on n’est pas isolés et le but est de créer des amitiés bien au-delà de notre propre mouvement, pour pouvoir fédérer les énergies positives lorsque le moment sera venu… C’est le choix que nous avons fait.
Je serais ravie de parler avec vous de la question de faire participer davantage le secteur privé, des personnes du privé qui viennent à la vie politique, qui souffrent d’une certaine sous-représentation publique. Et à titre d’exemple : le président de Sens commun était chef d’entreprise dans le secteur portuaire et il a dû démissionner. Il était chef d’entreprise, de sa branche, mais il avait des supérieurs qui n’ont pas accepté qu’il ait, à côté, un engagement politique. C’est très compliqué et les passerelles sont très difficiles aujourd’hui. Et il faudrait rendre plus faciles encore des initiatives comme la vôtre et celle de Monsieur Pilard.
Françoise Seillier : Est-ce que vous ne pensez pas que le moment est venu maintenant d’aller vraiment tout à fait au fond des choses, d’aller au fondement même de la politique ? Je suis étonnée qu’on ne fasse pas plus cas dans nos milieux, politique de droite et milieu catholique surtout, du livre de monsieur Peillon sur La Révolution française n’est pas terminée. Parce que il faut aller à ce niveau-là… Avec le double défi de cette philosophie de la République française qui est celle de la Franc-Maçonnerie depuis la Révolution qui est en cours dans ses effets et que l’Éducation nationale utilise pour ses conceptions de l’homme. Comme l’avait dit Paul VI : « Pour nous catholiques, la religion du Dieu fait homme a vu se dresser contre elle la religion de l’homme qui se fait Dieu ». Nous avons exactement cela. Avec le défi de l’islam d’une part et du gouvernement de la laïcité d’autre part, est-ce que vous ne pensez pas qu’il est nécessaire de porter la réflexion à ce niveau-là ?
Par exemple : l’histoire du mariage. Le mariage n’est pas une question de politique ! Il ne faut pas chercher à faire un référendum pour savoir si les Français sont pour le mariage. Ce n’est pas disponible à la politique ! Ce n’est pas du domaine des lois positives ! La politique, sauf à devenir une religion, a ses limites.
Roland Hureaux : Je donnerai mon sentiment sur certaines analyses que vous avez faites, d’un point de vue qui n’est pas contradictoire mais un peu décalé.
Nous avons suivi de très près, surtout à son commencement, la Manif’ pour tous. J’ai pas mal réfléchi et écrit à son sujet.
Je ne crois pas que le point de départ de la revendication du mariage homosexuel soit ni l’électoralisme, ni la démagogie. Le parti socialiste se porterait beaucoup mieux s’il n’avait pas pris cette initiative. Il n’aurait notamment pas perdu très largement la voix des banlieues musulmanes et je ne crois pas non plus que le LGBT soit un lobby au sens habituel du terme où vous dites que vous avez le lobby des notaires, vous avez le lobby des agriculteurs, des éleveurs, etc. qui défendent des intérêts.
Je crois qu’en politique il n’y a rien de plus sain que de défendre des intérêts. De défendre une idéologie c’est tout à fait différent. Une idéologie, c’est une vision du monde fausse que les gens vont pouvoir imposer grâce à la politique. Il n’y a rien de pire.
Quand vous avez lancé votre mouvement, « Sens commun », j’étais déjà persuadé que l’antidote de l’idéologie, c’est le sens commun. Dans la signification que lui donne Descartes quand il dit que c’est une qualité « très largement partagée puisque personne ne s’est jamais plein de ne pas en avoir ». Il s’avère qu’aujourd’hui il y a beaucoup de gens qui n’en ont pas. Or j’ai cru comprendre que vous donniez à ce mot une autre définition… Je pense que vous devriez insister sur le fait que le sens commun c’est véritablement l’ antithèse de l’idéologie. L’idéologie c’est ce qui nous (pardonnez-moi) vérole complètement : notre société, notre administration, nos médias, notre école.
J’accorde assez peu d’importance à la question de savoir s’il faut que les institutions soient centralisées ou décentralisées parce que, en général, quand on attaque la centralisation dite jacobine, en réalité on attaque l’idéologie portée par ces institutions centraliséees. L’idéologie est toujours prtée par un véhicule centralisé parce que, quand vous avez des idées contraires au bon sens, il vous faut les appliquer de toute force à partrir d’ un échelon central. Mais l’échelon central peut très bien porter des idées justes. Et inversement vous avez aujourd’hui des domaines qui sont entièrement décentralisés et qui portent des idéologies. Je pense aux FRAC qui sont les Fonds régionaux d’art contemporain et qui sont des vecteurs entièrement décentralisés ou en apparence décentralisés et qui portent toute l’aberration de l’art contemporain.
Il y a au moins trois domaines qui me paraissent totalement gangrénés par l’idéologie : la famille et la question du mariage, il y a la question de l’éducation fondée sur une méthode , prétendue scientifique mais qui est fausse et puis vous avez aussi le domaine de l’administration locale où le projet partagé aussi bien par la Droite que par la Gauche de suppression des petites communes s’apparente quelque part à la révolution totalitaire du type de celle qu’avait entrepris Staline quand il avait collectivisé les terres.
Madeleine de Jessey : Je vais juste répondre à la question précédente : est-ce qu’il ne faut pas aller plus au fond du problème ?
Si mais ce n’est pas notre rôle, ce n’est pas mon rôle parce que c’est aux intellectuels de la faire et ils le font d’ailleurs très bien en ce moment. On assiste à une sorte de révolution culturelle à l’heure actuelle, puisque ceux qui créent le débat, qui créent des idées nouvelles, qu’ils soient de droite ou de gauche, sont profondément réalistes et conservateurs : Onfray (même s j’étais très éloignée de lui au départ et puis je l’ai rejoint sur certains débats), Finkelkraut, Natacha Polony, François-Xavier Bellamy, Zemour aussi, je pourrai en parler. On a beaucoup de chance.
Cette révolution culturelle s’est produite et il faut qu’elle trouve maintenant son application dans le domaine politique puisque les mutations politiques adviennent toujours comme la conséquence des mutations culturelles. Cette mutation culturelle, elle est faite aujourd’hui, elle est entrain de se faire.
Maintenant il faut lui donner sa dimension politique et là c’est davantage notre rôle.
Ce sont ces intellectuels-là qui ont à aller au fondement – cela ne nous empêche pas d’y aller, bien évidemment – mais on s’appuiera sur leurs travaux.
Du coup, je ne suis pas très inquiète des écrits de monsieur Peillon parce que, pour moi, ils appartiennent au passé. Pour moi, ils sont dépassés. Et de toutes façons notre siècle sera religieux, qu’on le veuille ou non.
Les professeurs, oui, mais pour les années à venir, ces professeurs, finiront par partir à la retraite et j’observe dans ma génération que les gens sont beaucoup plus désidéologisés et beaucoup plus réalistes. Ils sont beaucoup plus dans l’approche d’une philosophie réaliste consistant à prendre la réalité telle qu’elle est. Et je pense d’ailleurs que c’est la grande force du Front national : ils savent très bien décrire la réalité et leurs constats sont souvent très bons même si je ne suis pas d’accord avec pas mal de solutions qu’ils proposent ensuite.
Quand vous dites que le mariage n’est pas du domaine des lois positives, je ne suis pas d’accord avec vous. Le mariage, d’un point de vue juridique, consiste à donner un cadre stable à des enfants. Et il est impératif que nous restions sur le terrain de la politique pour pouvoir nous adresser à tout le monde et pour pouvoir créer un élan national qui rassemble au-delà d’une conception religieuse.
Sens commun évidemment, je ne l’ai pas dit, mais le sens commun c’est ce qui s’oppose à l’approche idéologique. On a fondé Sens commun aussi au moment où Vincent Peillon disait qu’il fallait arracher l’enfant aux déterminismes parentaux, ou encore que l’Etat comptait s’appuyer sur la jeunesse pour changer les mentalités.
Il y a une approche idéologique qui est très claire chez certains membres du gouvernement, mais je pense que François Hollande est plus mû par le cynisme que par l’idéologie et que beaucoup à gauche le sont aussi plus mû par leur intérêt propre que par une idéologie à laquelle ils se raccrochent parce que elle leur serait profitable.
Et vous avez dit, cela n’a pas profité au parti socialiste, cette question du mariage pour tous, c’est vrai pour les banlieues, les quartiers sensibles mais, ils ne l’ont pas vu venir du tout. Nous avons une élue au Blanc-Mesnil, dans le 93 : après quatre-vingt-quatre ans de mairie communiste, la droite a gagné les élections municipales. Les socialistes n’ont rien vu venir. Ils ne se sont pas doutés une seule seconde que le mariage pour tous allait pouvoir jouer en leur défaveur.
Et la droite a remporté ces élections, notamment parce que nos élus de Sens commun ont axé (en tout cas pour les populations issues de la diversité) leur discours sur la théorie du Genre d’autant qu’au Blanc-Mesnil il y avait une école pilote théorie du Genre donc les parents et notamment les parents musulmans étaient très remontés.
Il y a ensuite la question de la différence entre le communautarisme et les corps intermédiaires. Une société repose sur un ensemble de corps intermédiaires : le corps des boulangers, le corps des enseignants, des branches de métier ou bien les jeunes, les vieux, que sais-je… Ce sont des corps intermédiaires.
En revanche d’autres ne s’érigent pas en corps intermédiaires mais en véritable communauté squi ne sont pas dans l’État mais s’opposent ou s’élèvent au-dessus de l’État et il me semble que le mouvement LGBT fait partie de ces mouvements communautaires et se distingue des corps intermédiaires et des lobbies qui ont toute leur légitimité et que vous évoquiez précédemment.
Merci pour votre intervention sur l’idéologie qui va de paire avec le centralisme. J’ai trouvé cela effectivement très vrai. Au sujet de la FRAC en revanche, je pense que c’est un organisme qui est très centralisé, en tout cas avec le ministère de la culture. C’est un ensemble de réseaux notamment les inspecteurs de la création qui vont définir quelles œuvres relèvent de la création et quelles œuvres ne méritent pas d’en relever et ne méritent donc pas d’être subventionnées. On voit que tout cela se fait à partir d’un petit organisme très centralisé…
Séance du 14 janvier 2016