par Philippe Laburthe-Tolra Doyen honoraire de la Faculté des Sciences Humaines et Sociales de la Sorbonne (Paris V)
par Michèle Vauthier Doctorante d’état en Littérature française

Philippe Laburthe-Tolra : Après les belles contributions rassemblées l’an dernier sur le thème « L’homme et la nature », notre Académie d’éducation et d’étude sociales concluait à la nécessité de s’interroger sur la nature de l’humain en lui-même. Nous devions donc en venir à nous demander : « Qu’est-ce que l’homme ? » reprenant l’interrogation du Psaume VIII devant la splendeur de l’univers : « Seigneur, qu’est-ce que le mortel que tu en gardes mémoire, le fils d’Adam que tu en prennes souci ? À peine le fis-tu moindre qu’un dieu, le couronnant de gloire et de splendeur, etc. (Ps VIII, versets 5-6) »

La première intervention, sur « L’homme et l’espèce humaine », fut fondamentale, de la part du professeur de médecine Didier Sicard, Président d’honneur du Comité Consultatif National d’Éthique. Celui-ci relève l’ambiguïté de ce vocable « éthique », qui sert de bouclier aussi bien qu’un certain nombre d’entités en « té », telles que Liberté, Egalité, etc. Elles dispensent de réfléchir hypocritement, en transférant à la société le soin de leur prise en charge. Ceci est pour l’éthique un sujet d’amertume et d’inquiétude, certes ; mais aussi d’espérance si l’on en revient à la vraie mission de l’éthique, celle plutôt de déstabiliser. Elle souligne en effet, au contraire du réductionnisme scientiste, de la volonté de puissance, ou de l’injonction de performance, ce sentiment de fragilité qui inaugure seul en chacun d’entre nous l’homme et l’espèce humaine, et nous incite alors à la générosité du partage.

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Conséquences : La leçon évangélique, c’est que le Christ ne se sauve pas seul, mais avec toute l’humanité. Plus on s’ouvre à l’autre et plus on l’accueille, plus on devient humain. En fonction de l’espérance chrétienne, on doit accepter sa propre mort, quoique le don de la vie demeure toujours à respecter, ce qui n’implique pas qu’il doive être l’objet d’acharnement thérapeutique, puisque la vraie vie est ailleurs.

La deuxième communication portait sur « l’animalité de l’homme ». Elle fut donnée par M. Jean-Marie Meyer, agrégé de philosophie, et gendre du Pr Lejeune, le généticien qui a découvert la trisomie, ou présence éventuelle d’un vingt-et-unième chromosome surnuméraire chez l’être humain, ce qui suffit à le rendre « mongolien ». C’était déjà montrer là notre part d’animalité.
Nous sommes certes dépendants, comme tout animal, d’un corps vivant et sensible. Toutefois s’y ajoute chez l’homme la possibilité de s’interroger sur soi-même, et de communiquer même au-delà de la parole, comme le prouve le langage que créent entre eux les sourds-muets.

L’homme comme animal communicant et rationnel exige une éthique : il crée le droit qui s’oppose au fait, conçoit la nécessité du respect, dépend d’une éducation qui l’épanouisse et le responsabilise.

Conséquences : La fragilité même de l’animal raisonnable qu’est l’homme montre l’importance capitale pour lui d’être élevé dans tous les sens du mot par sa communication avec le groupe – de la cellule familiale à la société globale, voire mondiale, en passant par les formations sociales intermédiaires.

La troisième communication, « Peut-on encore parler de sciences humaines ? » fut donnée par M. Jean-François Lambert, Maître de Conférences en neurosciences, spécialiste de psycho-physiologie à l’Université de Paris VIII, et président de l’Université inter-disciplinaire de Paris. Ce fut sans doute l’une des plus difficiles, avec une critique serrée du cognitivisme lequel se heurte à l’irréductibilité du sujet (cognitivisme que la seule phénoménologie du mathématicien Husserl suffit aussi à renverser). La sensibilité est la condition inaperçue de la science : je vis mon corps en même temps que je le suis ; en l’objectivant, je reste le sujet qui l’éprouve, et le fondement même de l’objectivité est l’esprit qui ne peut être jamais ni objectivé, ni quantifié : d’où l’incomplétude du sujet, son incertitude, qui l’ouvre à la révélation du sens. Les modernes avec Wittgenstein, Gödel, Heisenberg, ont constaté au cœur du réel l’indicible, l’indécidable, l’indéterminé, reflets d’une absence qui fait signe et renvoie au mystère du sujet.

Conséquences : Pour un chrétien, l’homme partage avec les animaux le fait d’avoir un corps et une âme (au sens d’Aristote : ce qui anime le corps) en tant qu’être de la nature. Mais l’être entier de l’homme est, comme le dit saint Paul aux Thessaloniciens (1 Th. V, 23) : « l’esprit, l’âme et le corps, à garder pour l’avènement de Notre Seigneur Jésus-Christ ». Le don de cet Esprit est ce qui fait la prééminence de l’homme par rapport aux animaux.

La quatrième communication s’enclenche aisément sur les précédentes, qui convergent quant à l’exigence d’une éthique comme caractéristique fondamentale de l’être humain. Mgr Michel Aupetit, vicaire général du diocèse de Paris, qui a jadis exercé douze ans comme médecin généraliste à Colombes, traite de l’éthique dans un cas particulier, mais central, « les frontières de la vie ». Tous les vivants se sacrifient pour la vie, la Valeur absolue. Mais l’homme moderne prétend lui imposer ses normes, utilitaires ou autres. Il veut méconnaître que la Vie, c’est Dieu qui se donne dans la gratuité de son Amour.

Conséquences : il convient de ne pas instrumentaliser la Vie, de ne jamais la subordonner à l’utilité ou aux intérêts humains, et d’y adorer toujours le don de Dieu, manifestation pour l’homme du mystère de l’Amour trinitaire.

La cinquième communication, « Être né de… » par M. Xavier Lacroix, Docteur en théologie et doyen honoraire de la Faculté de théologie de Lyon, précise et confirme, face aux ruptures actuelles en matière d’organisation familiale, l’utilité pour l’enfant de ne pas dissocier l’unité vitale du charnel, de l’affectif et du social dans sa filiation, de garder ainsi une généalogie claire, que n’abolit pas, mais que surplombe, la paternité divine, tout d’abord en matière d’origine naturelle (Psaume CXXXIX), puis redoublée par l’adoption consentie qu’instaure pour un chrétien la demande du baptême.

Conséquences : cette communication enchaîne avec la précédente : tout enfant est fils d’une femme et d’un homme, et les procédés artificiels qui altèrent cette réalité sont à proscrire. C’est au sein de notre famille élémentaire qu’il importe avant tout de faire régner l’amour, émanation et reflet de la Vie même de Dieu selon la Révélation.

La sixième communication, « Solitude et Communion », est donnée par M. Thibaud Collin, agrégé de philosophie, spécialiste en philosophie politique, professeur de classes préparatoires supérieures au Collège Stanislas ainsi qu’enseignant aux Facultés libres de Philosophie et de Psychologie. Difficultés de la communion : l’amour comme possession mène Proust à l’ennui ou à la légèreté, jusqu’à ce qu’il conçoive le projet de créer l’œuvre d’art. De même, un couple peut projeter l’enfant, mais à condition d’abord de ne pas renoncer au bonheur comme trivial, puis surtout d’attendre l’enfant comme un don, sans en faire un produit fabriqué. La dialectique de la communion suppose l’écoute, aussi bien que la solitude acceptée en colloque intime avec soi-même. On peut ici opposer Rousseau et la Genèse : pour le premier, la solitude est auto-suffisante, et le dialogue inaugure la chute, d’où le désarroi moderne ; dans la Bible, la solitude d’Adam, si souveraine qu’elle soit sur les animaux, est appel au corps sexué, qui seul permettra la communion du don total de soi, l’instauration de l’amour et de l’amitié ;

Conséquences : la communion n’est pas de l’ordre de la substance, mais de l’ordre de l’agir. Elle ne supprime pas l’unicité de la personne, la solitude métaphysique d’un être singulier et unique. Mais celui-ci doit à ses propres yeux devenir son meilleur ami, pour être prêt à accueillir l’autre, à aimer son prochain comme soi-même, à se réaliser ainsi comme « animal conjugal et politique » (Aristote) pour atteindre la plénitude de son humanité

La dernière communication, « Qu’est-ce que l’humanisme chrétien ? », fut donnée par le professeur Yves Semen, spécialiste de la sexualité telle que la concevait le pape Jean-Paul II. Celui-ci, alors cardinal Wojtyla, inspira au dernier Concile la formule qui, pour lui, résumait l’Évangile : « L’homme, seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même, ne s’accomplit pleinement que dans le don sincère de soi-même qu’est l’amour sponsal ». Cet amour, bien supérieur au simple dévouement, reflète l’Amour que révèle le Dieu chrétien dans l’Absolu de l’échange trinitaire. Grâce au dimorphisme sexuel, on l’a vu déjà, l’être humain peut et doit se réaliser pleinement dans un don de soi intégral, qui fait écho au don réciproque du Père et du Fils dans l’Esprit. Si bien qu’en dehors de cas comme celui de Maximilien Kolbe, qui s’immole en camp d’extermination au profit d’un père de famille, il n’y a pour le chrétien que deux vocations nettes : soit la consécration du mariage humain, soit la consécration de la virginité à Dieu, laquelle est également un véritable mariage.

Conséquences : Pour qui suit la pensée de l’évangéliste Jean, il est clair que cette anthropologie théologique nous conduit à nous méfier des logiques du « monde », qui est toujours stigmatisé dans les textes johanniques. Il faut renoncer à chercher à tout prix un concordisme immédiat avec les anthropologies scientifiques, cognitivistes, philosophiques ou autres.

La communication d’Yves Semen spécifie ainsi pour le Chrétien l’aspect très concret, charnel, de l’ouverture à autrui que la réflexion inaugurale de Didier Sicard donnait comme constituant la racine même de l’humanisation.

Michèle Vauthier : Lors de la première séance de notre Académie d’éducation et d’études sociales qui, tout au long de cette année, s’est penchée sur « Qu’est-ce que l’homme ? », le professeur Didier Sicard posait, entre autres, cette question : Pourquoi les Chrétiens sont-ils si communément perçus comme ceux qui sont « contre », comme ceux qui interdisent ?

Or tandis que cette année de réflexion s’achève, « notre pays est engagé dans des Etats Généraux de la bioéthique » – pour reprendre les termes de Mgr Vingt-Trois – et une soirée de prière consacrée à la Vie s’est déroulée dans la Cathédrale Notre-Dame de Paris. Cette concomitance des deux derniers événements m’apparaît de l’ordre du providentiel, voire du merveilleux – au sens vrai du terme de la chose qui se donne à voir et qui interpelle. En effet, l’espace choisi – la Cathédrale, cet édifice à la forme et à la fonction particulières – , loin d’être anodin, se dresse à la fois comme un signe au cœur du questionnement poursuivi tout au long de cette série de conférences de l’AES devant laquelle vous m’avez demandé de réagir et comme une réponse à ces critiques émises en forme d’accusation.

Nous éviterons ici un second rappel exhaustif des diverses interventions faites durant cette année et magnifiquement lues et reliées entre elles par Philippe Laburthe. Constatons seulement que chacun des intervenants, du lieu de compétence qui est le sien, a montré combien et comment se conjuguent communément aujourd’hui l’idolâtrie de la raison ( tels le rationalisme et le positivisme) et sa diabolisation, le sentiment de sa propre mort, de sa vulnérabilité et l’obsession de la maîtrise en tous domaines, le sentiment de puissance né de la technique (de l’efficacité) et le sentiment de fragilité qu’elle engendre, le culte du personnalisme et la tyrannie de la normalité. Le tout aboutissant à une alliance paradoxale et malheureuse de l’amertume avec l’espérance.

Aucune de ces interventions n’est demeurée prisonnière de ce dualisme, tant s’en faut. En réalité, chacune m’est apparue ouvrir sur un mystère ou sur un questionnement sous-jacent.

La distinction entre sciences humaines et sciences exactes comme celle entre biologie et conscience a été faite ici pour ouvrir, du point de vue épistémologique, sur l’éloge de principe d’incomplétude … d’un manque constitutif du sujet connaissant, d’une absence fondatrice » .

La même distinction s’est posée quand nous nous sommes interrogés sur « qu’est-ce que la vie ? », « qu’est-ce que naître ? », « qu’est-ce que la filiation ? ».

Il est ressorti de cette triple énonciation d’un même questionnement de fond que ce que nous appelons « naissance » et « filiation » ne sont pas seulement de l’ordre du biologique et du rationnel, mais se situent au-delà , que la vie n’est pas le vivant , que la vie s’exprime et se révèle dans un vivant (« S’il n’y a pas de vivant, on ne connaît pas la vie » ), que la vie ne peut donc être abordée en dissociant le corps et l’esprit, en dissociant l’âme et le corps. La dissociation introduit en effet la discontinuité et coupe le vivant de sa source .
En somme, il ressort de ces diverses réflexions que la vie de l’homme vivant est dans l’écart entre le corps et l’esprit, dans un temps que saint Augustin, après Plotin, nomme ailleurs « distension de l’esprit » (distentio … animi ) dans sa relation à l’origine.

Cette relation du vivant à sa source n’est pas à confondre avec une remontée spéculative de l’intelligence rationnelle vers l’origine, pas plus qu’elle n’est à confondre avec quelque performance que ce soit — les malades et les handicapés dans leur corps ou dans leur faculté de raisonner nous le montrent à leur manière, criante. Cette relation du vivant à sa source est de l’ordre de ce que Wittgenstein envisageait en parlant de « l’inexprimable », de l’indicible (rappelé ici par Jean-François Lambert). Ce qu’elle met en jeu, ce n’est pas d’abord le corps entendu comme corps biologique — une réalité devenue un concept quasi abstrait sous la poussée des progrès de la science et de la technicité —, mais l’homme dans sa CHAIR, un homme qui perçoit, qui sent, qui a du plaisir, qui souffre, qui aime, ou qui en a la capacité. Elle concerne l’agir de l’homme dans sa totalité — un homme avec toutes ses déficiences de performance mais dont le propre est d’avoir le souci de l’autre, pour reprendre l’expression de Levinas. Après Michel Henry, Xavier Lacroix insiste sur ce point essentiel qu’est la dimension charnelle différenciée du biologique. La chair, dit-il, est le contraire de l’anonyme. « La chair, c’est le corps vécu de l’intérieur, … le lieu où la vie se donne, se révèle à elle-même, … le lieu d’affection, d’auto-donation, d’auto-révélation de la vie en moi ».

On le voit bien, c’est cette dimension charnelle différenciée du biologique qui est le plus malade aujourd’hui. Les principes ne suffisent pas. Il nous faut sortir des catégories.

Il est donc urgent de repenser les mots « être », « vie », « individu, « sujet » et « personne » une demande déjà faite par le Cardinal Wojtyla lors des travaux de la Commission préparatoire au Concile, reprise dans Gaudium et Spes, et ici rappelée par Xavier Lacroix et Yves Semen. Il est nécessaire de ré-incarner ces termes, de les recharger de leur histoire pour les sauver du nominalisme ambiant, pour dépasser le conceptuel. Il est nécessaire d’aller au-delà des mots pour approcher ce qui fait l’unité de l’homme, pour retrouver sa finalité.

Il est même urgent de retourner à l’expérience sensible.

C’est précisément ce qui a été fait lors de cette soirée à Notre-Dame dont la perception sollicite nos sens, dans un ancrage théologique qui nous oblige à quelques rappels. C’est ce que nous ferons ici en considérant successivement les implications des caractères architecturaux de cette cathédrale également berceau de lumière orienté et temple nouveau.

Que l’on considère l’ensemble de l’édifice. Son volume s’offre à nous comme une projection géométrique du Christ sur la Croix. Les rosaces des deux bras du transept et du mur occidental y occupent l’emplacement des plaies aux mains et aux pieds du Crucifié, les lancettes du pourtour du chœur sont à l’emplacement de la couronne d’épines. L’ensemble s’élève comme une mise en image spatiale du Verbe de Dieu (Jn 1,1), du premier Vivant qu’est le Fils (Col. 1,15), « égal à Dieu et devenant semblable aux hommes et obéissant jusqu’à la mort sur une croix (Phil. 2, 6-8)

La Parole de Dieu en finalise l’orientation (au sens premier du terme).
L’espace est en effet dirigé vers Oriens, « le nom de l’homme qui bâtira le temple pour Yahvé », selon Zacharie , tandis que l’Occident marque le monde d’ici-bas aimé par Dieu et appelé à la conversion . Le Septentrion qui, dans l’Ecriture, est le lieu des frimas, des orages, des tentations et des maux décrits par Jérémie et Joël , est également celui du père qui attend l’enfant prodigue — suivant une lecture augustinienne que les clercs ont maintenue dans la tradition. Il est ici réservé à l’entrée du peuple de Dieu, tandis que le Midi marque la direction d’où le Seigneur vient pour rencontrer les pécheurs et les pauvres de cœur comme la Samaritaine. Heure de la Crucifixion, Midi dévoile la plénitude de la grâce.

L’écartèlement cruciforme du plan d’ensemble visualise ainsi et figure ( figura) non seulement le Supplicié au Golgotha mais encore l’embrassement des quatre points cardinaux en une représentation visuelle du point culminant de la christologie cosmique de saint Paul, du Christ premier né de toutes créatures, cause exemplaire, cause finale, principe de cohésion du cosmos, sagesse divine en personne travaillant au salut des hommes et mettant de l’ordre dans le cosmos comme dans le cœur des fidèles (I Cor. 8,6 ; Col. 1,15-20).

La lumière du soleil passant par ces orifices en poursuit le discours. Comme image de la lumière véritable antérieure à tout ordre dans la Création (Gn 1,3 ; Jn 1,1), elle nous tourne vers le mystère de l’essence des choses, immatérielle, vers la Sagesse de Dieu, dans l’exaltation de la Croix rédemptrice et elle se propose à nous comme une anticipation de la splendeur de l’Epouse des temps eschatologiques (Is. 60, 1-19), celle de la Jérusalem céleste.

Ce vaisseau de lumière n’est pas une invention humaine. Héritier du Temple de l’Ancienne Alliance, il est bâti à l’initiative de Dieu (Ex. 25-40 ; I Rs 5-6) qui en fait sa demeure identifiée à Jérusalem, la ville appelée à devenir la mère de toutes les nations (Ps. 122) par sa vocation de sainteté et de fidélité que les prophètes ne cessent de rappeler dans leurs exhortations à la conversion. L’avènement du Christ marque l’achèvement de ce qui était annoncé : la venue de Dieu parmi les hommes et l’offrande de sa vie à la Croix pour réconcilier l’humanité avec lui. Dorénavant, le temple de Dieu n’est plus en premier lieu un édifice de matériaux précieux (Rs 8, 10-13). Il est fondamentalement le sanctuaire du Christ, grand Roi et grand Prêtre d’une royauté qui « n’est pas de ce monde » , entendons : pas temporelle, qui est toute intérieure, qui est celle du pauvre , réalisée pleinement dans ce sacrifice unique ( charnel ) de la Croix , celle de l’Agneau , de la victime immolée qui se donne totalement pour l’humanité entière, par amour d’époux , et de la victime offerte incessamment dans le mystère de l’Eucharistie.
Aussi, cette croix de lumière et de pierre s’élève-t-elle comme la représentation symbolique de l’achèvement définitif de ce qui était annoncé .

Or par son baptême, tout Chrétien est participant du corps du Christ ( I Cor.12, 27, Eph 4 ; Rom. 12), temple de Dieu (I Cor. 3) , cité sainte, tabernacle largement déployé dans le monde de l’âme et de ses mouvements internes — pour reprendre une expression de saint Bernard —, corps pleinement charnel animé par le cœur. Aussi le vaisseau de lumière de la cathédrale cruciforme s’élance-t-il comme dévoilement et manifestation artistiques du consentement du cœur de l’homme au désir divin et de sa participation à la vie du cœur de Dieu, dans un cœur à cœur avec Dieu.

Comme œuvre artistique liturgique, à ce titre ancrée dans l’obéissance (c’est-à-dire l’écoute) de la parole de Dieu, la cathédrale est un lieu où l’acte de l’homme rencontre l’acte de Dieu. Elle est donc un dévoilement, dévoilement de Dieu, de Dieu en l’homme et de l’homme en Dieu . A l’image du Crucifié, elle est dévoilement du Christ, du Christ en l’homme et de l’homme en Christ ; elle nous rappelle que la vie est au-delà de toutes les catégories où on voudrait l’enfermer ici-bas.

La réaction chrétienne aux agissements touchant à l’homme et à la vie de l’homme ne saurait en justice être entendue comme une prise de position « contre ». Comme le montre tout particulièrement ce rassemblement dans la Cathédrale, elle est une manifestation de la soif de vie du Chrétien et de l’activité du cœur charnel de l’homme qui n’est pas seulement un organe physiologique où retentissent les émotions mais aussi l’« en dedans de l’homme », l’organe des sentiments, de la volonté, de l’intelligence, à la fois dans les racines contemplatives et l’expression réfléchie de celle-ci . Elle met en évidence le fait que seul le cœur peut me faire entrer dans l’action, me faire changer la réalité de manière qualitative.

Réponse au cri de l’enfant, réponse au cri du mourant, à celui de tout homme souffrant, et chaque fois réponse au cri de soif du Christ en Croix demandant un dépassement de soi et nous invitant à le suivre, dans l’Amour, car l’homme ne se réalise pas seulement par ses dimensions rationnelles mais par la Vie qui le dépasse.

Car Dieu n’a pas envoyé le Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. (Jn 3, 17).

A ceci tous connaîtront que vous êtes mes disciples si vous avez de l’amour les uns pour les autres. (Jn 13,35)

ÉCHANGE DE VUES

Le Président : Je ne veux pas commenter ces deux réflexions remarquables qui donnent envie de lire ou de relire les interventions, ravivent notre mémoire et constituent, avec leur complémentarité et leur touche personnelle, un apport conséquent au travail effectué dans le cadre de ce cycle.

Ce que je propose maintenant, c’est que vous puissiez compléter, prolonger, affiner certains de ces propos ou d’autres que vous auriez retenus. L’idée n’est pas de faire du syncrétisme à l’occasion de ces conclusions mais, en nous appuyant bien entendu sur ces deux réflexions, sur ces deux expériences, sur ces deux sensibilités, de les compléter pour que nous puissions vraiment, dans nos annales, proposer plus que des pistes, des enseignements, des leçons dont chacun pourra tirer profit.

Le docteur Lafont pourrait ainsi nous proposer quelques pistes sur la notion de filiation.

Henri Lafont : J’ai peur de vous faire revenir sur terre. La question posée était : « Qu’est-ce que l’homme ? ». Une question gigantesque.

Et il me semble que deux communications répondaient particulièrement à la question. C’était celle de Xavier Lacroix et Yves Semen, Xavier Lacroix parlant de la filiation et Yves Semen de l’homme tel que le concevait le Concile – c’est-à-dire L’Humen Gentium qui a été énormément développée par Jean-Paul II.

Donc là nous avions deux réponses à la question, les autres conférences étant beaucoup plus discursives, apportant une inculturation importante et des notions soit générales, soit particulières et qui étaient fort intéressantes.
Je partage l’avis de monsieur Laburthe sur l’intérêt de la première conférence bien qu’elle nous ait paru un peu décousue, un peu fragmentaire, peut-être pas très construite…

Moi, j’ai été déçu finalement dans l’ensemble de ne pas voir porter sur l’humain ce qui est commun à tous les hommes, c’est : nous sommes tous des fils ou des filles.

Ça, c’est un caractère commun qui me paraît rassembler tout ce qui a été dit parce que, bien sûr, il y a le commencement, il y a l’origine, il y a le rôle des parents, il y a l’importance de la famille.

Par conséquent, je tourne autour de cette notion, j’en parle à quelques amis et finalement, c’est une notion d’autant plus importante (de voir l’homme comme fils) que, aujourd’hui, c’est sur la procréation que nos techniciens, nos savants, se penchent avec une ardeur un petit peu embarrassante.
Donc, c’est important de voir comment on considère le Fils. Qu’est-ce que le Fils ?

Alors, je vais vous donner quelques notions un peu disparates, un peu dispersées. Je ne vais pas traiter un sujet parce que nous avons déjà eu ces très importantes contributions.

Tout d’abord, si l’homme est un fils – or tout homme est un fils, nous sommes tous fils –, il y a peut-être une exception (mais ce n’en est pas une), c’est Adam parce que si le propre d’un fils c’est d’avoir un père et une mère, on peut dire que cela a manqué à Adam. Et c‘est probablement pour ça que dans la généalogie de Joseph dans l’évangile de saint Luc, cette généalogie qui remonte de Joseph à Adam, Adam est nommé “Fils de Dieu”. Donc, il est bien fils, mais pas à la façon dont nous concevons le fils.
Car si tout homme est un fils, ne peut-on pas dire que tout fils est un homme ?

Accepter cette réciproque, c’est une façon d’accepter le statut de l’embryon. Car si le fils est le fruit de la rencontre des gamètes, l’embryon est le fils du couple. Bien avant de devenir un homme accompli, il est déjà un fils.
Et l’année dernière, en réponse au Prix que lui donnait le Président Jean-Didier Lecaillon, ou plus exactement dans son livre, Sophie Lutz avait écrit : « 
On m’a proposé l’avortement parce que ma fille était dans un état cérébral tellement catastrophique que, on ne pouvait pas la garder ». Et elle a réagi parce qu’elle était sa mère, tout simplement. Cette réponse est très émouvante et ontologiquement très forte.

Donc, bien avant de devenir un homme accompli, il est déjà un fils. Dans le cas de la procréation médicalement assistée, le projet parental (expression qui me répugne un peu) s’est exprimé par le simple fait d’avoir mis des gamètes à la disposition du couple, à la disposition du laboratoire, ce qui ne veut pas dire que cette procréation ne soit pas sans défaut.

Mais, on le voit bien, le fils c’est celui qui résulte de la rencontre de ces gamètes.

Je ne reprends pas les distinctions très intéressantes de Xavier Lacroix sur l’origine et le commencement. Mais je voudrais quand même redire ce qu’il cite dans Claudel, dans Tobie et Sarah. Un homme qui ne soit pas “fils de”, est-ce pensable ? Quelle identité peut-il se construire et je cite Sarah : « Oui, il me semble qu’il ne serait pas complètement à moi, dit-elle en parlant de Tobie, si je ne remontais jusqu’à sa source, jusqu’à ce père aveugle, jusqu’à cette mère inconnue, jusqu’à cette mère qui est maintenant la mienne ».

Je crois que j’en ai dit assez. C’est l’essentiel de ce que je voulais dire si ce n’est que cette considération de l’homme comme fils prend une dimension considérable lorsque l’on voit les avatars de la filiation, dont vous nous avez parlé par conséquent je n’y reviens pas.

Mais l’enfant désiré : tout dépend de la qualité du désir. Et tout à l’heure quelqu’un a dit : « L’homme, c’est celui qui consent au désir de Dieu ».

Ce qui est important, c’est le consentement de l’homme au désir de Dieu.
J’aimerais qu’on réfléchisse sur cette situation de fils, sur ce concept de filiation, en pensant à tous ceux qui sont bouleversés parce qu’ils n’ont pas accès à leur origine. c’est un sujet d’une actualité extrêmement importante.

Père Jean-Christophe Chauvin : Ce que vous dites rejoint le très beau témoignage de la maman de Philippine à qui nous avons décerné le prix « Humanisme Chrétien » à l’automne 2008.

À un moment de la vie de Philippine où sa maman réalisa qu’elle était presque « comme un légume », qu’elle n’avait aucun contact avec elle, qu’il n’y avait presqu’aucune réaction de sa part, sa maman qui est philosophe s’est mise à réfléchir, à chercher un sens à la vie de Philippine et elle a fini par dire simplement : « c’est ma fille, c’est notre fille », ça ne peut pas être un légume puisque c’est « notre fille » !… J’ai trouvé cette réaction de la maman extrêmement forte.

Et cela rejoint les intéressantes contributions que nous avons entendues ce soir : prendre la peine de réfléchir, le côté incontournable du domaine charnel… le don à l’autre, jusqu’au don sponsal où se rejoignent le cœur et le corps, le sens et la sensibilité.

Je repense aussi aux jeunes que vous évoquiez. Ils ont besoin de témoins, c’est-à-dire d’hommes et de femmes qui témoignent de ce que c’est que d’être homme.

Le Président : Je retiens de votre intervention qu’il faudrait, d’une manière ou d’une autre – c’est contenu dans ce qui a été publié, dans nos échanges –, que nous retenions bien cette idée qu’on est un homme parce qu’on est un fils ou une fille. Il faut que cela soit souligné et atteigne en particulier des jeunes. Il faut que cette importance du témoignage soit mise en avant.
Je crois que ce serait important que cela soit dit dans nos communications.

Francis Jacques : Pour limiter nos interventions le président, lui aussi dans son rôle, nous a recommandé d’appuyer, nuancer, prolonger.

Appuyer. J’appuie profondément la remarque de Laburthe disant : l’humanité existe à partir du moment où on a les preuves d’un dialogue entre les hommes. J’ai écrit deux livres sur le dialogue, vous pensez bien que je suis d’accord avec vous.

Prolonger. Du préfixe dia au préfixe inter. Je prolongerai la formule précédente en disant : ‘l’humanité existe à partir du moment où on a les preuves d’une interrogation entre les hommes. En fin de compte la seule preuve que l’on a que deux êtres se rencontrent, c’est qu’ils ont été capables de s’interroger ensemble.

Nuancer. Au fond, qu’est-ce que l’homme ? Précisons la différence anthropo¬logique. Mais voilà, la différence anthropologique est une affaire qui se joue à plusieurs. Aussi bien, le doyen Laburthe a commencé par citer la Bible comme en exergue de ses conclusions d’anthro¬pologue. Comme je le rappelais à la séance du 14 mai, consacrée à l’anthropologie chrétienne, il n’y a pas qu’une anthropologie, il y en a quatre qui devraient toujours être représentées dans notre assemblée. C’est une affaire de culture générale.
Il y a l’anthropologie scientifique qui va des sciences cognitives à l’ethnologie et aux sciences humaines sans doute. Elle n’objective pas seulement l’homme, elle voudrait bien occuper toute la place, en rejetant les autres approches dans le domaine vague du culturel ou du spirituel.

Mais il y une anthropologie la philosophique qui va de Socrate à Kierkegaard en passant par Wittgenstein, Descartes et Kant. Elle traite de l’homme non comme objet mais comme sujet libre et existant. Non plus l’homme comme problème mais comme question radicale. Cette anthropologie réflexive n’a pas la même allure, ni le même aloi.

Ajoutons l’anthropologie poétique, évoquée superbement par Michèle Vauthier, Cette fois c’est l’homme poète, musicien, peintre ou architecte de cathédrale, qui se veut créateur dans les arts du langage et les arts plastiques. Voici l’humain comme l’énigme d’un être à la fois sensible et intelligible. N’oublions pas ce que les anglo-saxons appellent les Humanities.

Et puis enfin, il y a l’anthropologie théologique. Quand la créature rencontre son Dieu, se tient devant lui, devient partenaire de son alliance. Il s’agit maintenant de l’homme en tant qu’il doit consentir, se convertir, acquiescer à la Parole. ‘Cur Deus homo ?’ (Pourquoi un Dieu qui se fait homme ?), soulevée par Saint Anselme est une question et même une question anthropologique. On doit la prendre en compte de quelque manière, à moins de nier l’existence de l’anthropologie théologique.

Quatre anthropologies, dont on prendra garde de ne pas mélanger les questions. Ainsi la question de Saint Anselme — pour ne pas parler de celle du Christ ‘et vous qui dites-vous que je suis, n’est pas une question scientifique sous la forme paradigmatique du problème. Ce n’est pas non plus une énigme, mais elle est d’ordre mystérial :une invitation à élucider un mystère, en reconnaissant qu’il n’est pas obscurcissant mais éclairant. Bien entendu, le mode d’interrogation et in fine le mode du pensable est radicalement différent. Il y aurait une faute à les confondre. Pire qu’une erreur, une faute.

On peut toujours les croiser, former un bel entrelacs anthropologique. Procéder même à une lecture continue. Cet exercice qui a été demandé, je précise, à Philippe Laburthe, était quand même une entreprise assez paradoxale, puisqu’il revenait à conjoindre ou à tisser une chaîne et une trame aussi différentes. Des trames aussi hétérogènes. J’aimerais recueillir son avis sur ce point.

Rémi Sentis : Dans son intervention, Xavier Lacroix nous a rappelé que l’homme se définit comme fils et a évoqué la difficulté d’être un fils dont le père ou la mère est anonyme.

Il nous a dit qu’il y avait deux problématiques différentes : la problématique de l’enfant qui est adopté après sa naissance et la problématique de l’enfant qu’on fait naître pour être adopté. Cette deuxième situation est tout à fait différente et c’est elle qui pose un grave problème ; en effet l’enfant dès qu’il grandira, percevra l’ambiguïté de la motivation des parents qui l’ont élevé.

Je crois qu’il faut surtout en rester à ce qu’a dit Xavier Lacroix et ne pas extrapoler rapidement, en particulier ne pas en faire une argumentation concernant l’accouchement sous X.

En ce qui concerne le malaise de certains enfants nés sous X, j’ai l’impression – étant concerné par le sujet – que cela ne concerne que certains enfants, et en général à l’âge adulte. Je crois savoir que c’est à l’âge adulte et non pas à l’adolescence.

Philippe Laburthe-Tolra : Attendez ! Je spécifie que Xavier Lacroix a lu le livre de Kermalvesen Né de spermatozoïde inconnu et que c’est un homme très jeune qui souffre.

Rémi Sentis : Oui, tout à fait. Mais c’est un homme. Ce n’est pas un gamin. Ce serait intéressant de savoir pourquoi c’est un homme (cela dit il est clair qu’à l’adolescence les enfants adoptés comme les autres peuvent faire de violentes crises de rejet des parents).

Michèle Vauthier : Je ne suis pas certaine que l’âge des questionnements et de la souffrance soit aussi tardif que le dit Rémi Sentis. Quelques témoignages personnels m’amèneraient au contraire à l’avancer.
En effet, je connais très bien un jeune garçon de seize ans qui sait avoir été adopté à l’âge de trois ans. Il ne cesse d’interroger ses parents, — sa maman en particulier — sur ses origines. Comme il est né sous X, ses parents adoptifs ne peuvent lui répondre autre chose que le fait qu’ils sont aussi démunis que lui. Cet adolescent continue pourtant à les poursuivre de ces mêmes questions en même temps qu’il ne cesse d’élaborer des bandes dessinées dont il confectionne le récit et les images depuis trois années déjà. Objectivement, le texte y est d’une qualité littéraire médiocre. Plus intéressants sont l’intrigue et le dessin. La première s’y déploie chaque fois complexe et douloureuse. Quant au dessin, de belle qualité technique, force est d’y constater l’extrême violence du graphisme qui révèle une grande souffrance.

Je connais également, par ailleurs, une autre adolescente, âgée de quinze ans, exactement dans ce même état de crise. Elle aussi est née sous X. Elle aussi est en perpétuelle souffrance et taraudée par la question de savoir qui sont ses parents biologiques. Jusqu’à présent, elle a cru pouvoir deviner que ces parents recherchés sont juifs. Et faute de pouvoir en savoir plus, elle s’est lancée dans l’étude de l’histoire du peuple Juif et dans celle de l’hébreu. A la côtoyer souvent, je puis dire que c’est cette quête qui la fait tenir.

De plus, cette jeune fille sculpte le bois. Les visages et les corps qu’elle façonne sont d’une force et d’un réalisme étonnants, d’une grande beauté, également animés de beaucoup de violence.

Ces deux adolescents adoptés, qui ne connaissent pas leurs « vrais parents », — plus précisément leurs parents biologiques — montrent que le malaise des enfants nés sous X peut apparaître bien avant l’âge adulte.

J’ajouterai autre chose qui me frappe chez ces deux jeunes, et qui rejoint mes quelques réflexions sur le choix de la Cathédrale comme lieu de prière pour la Vie. Comme je vous l’ai dit, l’un dessine, l’autre sculpte. Chez tous les deux, l’art est plus qu’un exutoire pour leur souffrance. Il est également le lieu privilégié où le plus profond de leur cœur s’exprime suivant un mode analogique — un mode dont l’homme a l’exclusivité dans le monde animal.

Sans le savoir, la jeune fille envoie un message plus saisissant encore car, dans son tourment, elle a découvert appartenir à un peuple. Dans le même temps, ce lien d’amitié qui se prépare avec Dieu n’ôte pas cette souffrance charnelle venant de l’ignorance de ceux qui l’ont procréée au tout premier instant de son histoire.

Bernard Martinage : Je suis sociologue de formation devenu sociogérontologue ensuite … Il se trouve, qu’en 1981, certains Elus nous avaient proposé de travailler à une étude portant sur les accouchements sous X (situations préférables à certains avortements) et les adoptions. Déjà, à l’époque, certains cénacles abordaient les prémices d’extension de cette proposition d’adoption en direction des couples homoparentaux.

Vous imaginez… ? Ne pouvait-on pas s’attendre à un coup de barre “ progressiste ”, peut être même démagogique, à la suite de la remise du rapport… Et se posait la question de savoir comment et par qui serait présenté ce travail ?

La fatigue physique du Président, le fait que personne sous son mandat ne décidât à sa place… le rapport lui est-il même parvenu ? Nul ne le peut dire. Quoiqu’il en soit il est resté en attente longtemps.

Ceci étant, tous les enfants que nous avions interrogés – je dis ‘enfants’ d’une manière ‘large’ – qui avaient autour de onze à quatorze ans, tous, sans exception, semblaient marqués par cette non paternité.

Il est toujours difficile, peut être encore davantage pour un garçon, de ne pas savoir qui est son Père ; de ne pas avoir de “modèle” à imiter… voire d’exécutoire.

Même dans les cas de bonnes “symbioses”, il peut arriver que l’“adopté” souhaite connaître son (voire ses) géniteur(s)… Comment se comporteront les trois parties en présence ?

Alors, est-ce parce que le problème de ne pas avoir de racines était chez eux prégnant.Ou est-ce parce que la société, et, y compris déjà, leurs petits camarades, leur refusent le droit d’être un enfant, un copain (comme tous les autres) ?

Tout cela a fait que nous avons donc rendu un rapport insistant sur le fait qu’il fallait être très prudent quant à accorder l’adoption ‘en veux-tu en voilà’ et plus encore “envisager la procréation ‘en vue de…’, pour bien des raisons, “humanistes” pour certains, “chrétiennes” pour d’autres, et parce que nous pressentions que ces messieurs pensaient ‘bien faire’ en proposant lois et décrets permettant que certaines femmes puissent porter un enfant pour le ‘donner’ à des couples, y compris homoparentaux.
Nous percevons aujourd’hui quelques parts d’aboutissements dans plusieurs propositions et autorisations législatives.

Le don de la vie est chose importante, c’est participer à la Création dans les limites fixées par Dieu Lui-même (il en va tout autant en ce qui touche à l’avortement et à l’euthanasie … Quel droit s’arroge-t’on pour décider une mort que depuis Monsieur Badinter on n’administre plus aux grands criminels ?) Alors, là, oui, peut-être vaudrait-il mieux sauver ces Enfants que l’on tue et proposer qu’ils soient adoptés par un Père et une Mère rencontrant, par exemple, des problèmes de fertilité.

D’un autre côté, quand ces enfants sont devenus adultes, Ne trouvera-t-on pas encore de ces situations qui perdurent et sont difficiles à franchir :
Doit-on se marier ? Doit-on reproduire ce qui a été fait pour nous ?
C’était les questions qu’ils posaient. Ce n’est pas nous qui les posions ou les suggérions et elles demeurent …

Qui a songé à la somme d’Amour qui doit régner au sein d’une Famille pour accueillir un “Adopté” ?

Jean-Paul Guitton : Ce qui me fait réagir, c’est l’expression qu’a employée Michèle Vauthier tout à l’heure : « il ne connaît pas ses vrais parents ».

Qu’est-ce que c’est que les vrais parents ? Parce que la filiation, certes, j’y crois… Je suis entièrement d’accord avec Henri Lafont : tout homme est fille ou fils de…

Cela me fait penser à la réflexion du Christ : « Qui est ma mère ? Qui sont mes frères ? »

C’est une question qui me turlupine. Je m’intéresse à la généalogie. Alors, effectivement, dans une logique, qui a été beaucoup accentuée dans ces dernières périodes, on a tendance à considérer qu’il y a un vrai père – qui est le père biologique – et la vraie mère qui est la mère biologique.

Mais de tout temps il y a eu des enfants adoptés. Et le droit français peut choquer mais au fond il est très juste. Vous savez qu’en cas d’adoption plénière, les parents biologiques sont rayés de l’état-civil. C’est peut-être un drame, mais finalement c’est assez juste parce que : qui est mon père… ?

Et là je renvoie à Pagnol et à César, à cette réflexion : « De mon petit qui est le père ? C’est celui qui aime, celui qui est chargé de l’éducation, qui s’est réveillé la nuit pour donner les biberons, etc. celui qui aime ».

Michèle Vauthier : Merci à Jean-Paul Guitton d’avoir rappelé cette réflexion de Pagnol autour de laquelle nous sommes tous ici d’accord.

Bernard Martinage : L‘exemple de la Sainte Famille et de la généalogie du Christ sont très intéressants. La généalogie du Christ passe par Saint Joseph.

Francis Jacques : Je vais répondre à la question pratique posée par le président Lecaillon, qui résume bien le débat : faut-il supprimer la possibilité d’accoucher sous X ou faut-il la favoriser

Il me semble que ce n’est pas vraiment une alternative parce qu’on est dans un désordre premier, un drame premier, comme il vient d’être noté. C’est comme pour le SIDA : le désordre ayant eu lieu, il faut bien soigner les sidaïques. Il y a des institutions et des communautés chrétiennes qui s’y emploient. Il n’a jamais été question, dans la parole de Benoît XVI, de ne pas les soigner. Se plaçant au niveau spirituel, le Pape a dit : « Ce n’est pas le meilleur moyen d’éviter le SIDA ». C’est en effet une autre question.

Je prends un exemple tout simple. Supposons que j’abandonne un vélo au coin de la rue pour qu’un ami puisse s’en servir. Une dame qui passe tombe sur le vélo, trébuche et se casse une jambe. C’est la conséquence d’un désordre premier. On traite un désordre et l’on remonte à un désordre premier. Cela ne signifie pas qu’en soi et pour soi, c’était la meilleure solution.
Donc : faut-il favoriser la possibilité, interdire la possibilité ?… Commencer par traiter le désordre.

Gilbert Ioos : Je suis parent adoptif, ayant le vif sentiment d’être le vrai père de nos enfants adoptés comme de nos enfants biologiques (sinon me diriez-vous que nos enfants adoptés sont de faux enfants ?) et échangeant, dans un groupe de parole, avec des parents adoptifs qui ont beaucoup de difficultés avec leurs enfants adolescents ou même plus grands.

Je peux faire état de la souffrance d’une fille qui ne sait rien de son passé avant son entrée en orphelinat, des questionnements d’un autre enfant qui a été abandonné à 7 ans et demi par une maman qu’il a connue, sa maman biologique, et qui a pu s’interroger sur « Qui sont mes parents aujourd’hui ? », d’une plus grande sérénité d’une troisième qui a été abandonnée à la naissance et très vite destinée à l’adoption. Trois situations très différentes au regard de la question sur la recherche des origines, et le « faux débat » sur la notion de « vrai parent ».

J’ai souvent été interpellé par une épître de st Paul : « Vous êtes des fils adoptifs, héritiers de Dieu et cohéritiers du Christ ». Nous sommes donc tous des enfants adoptifs, aimés gratuitement par Dieu le Père, un « vrai père » non ? Celui à qui nous disons : Abba ! De quoi réfléchir sur ce qui constitue la paternité…

Séance du 4 juin 2009