par Jean-Paul Guitton, Ingénieur général de l’armement (C.R.), membre titulaire de l’A.E.S.

Pertinence de la question

Il était sans doute présomptueux de la part de l’Académie d’éducation et d’études sociales de vouloir traiter de la place de Dieu dans la cité. Parce que l’existence même de Dieu n’est plus communément admise dans notre société, il est difficile d’adopter un langage que puissent partager la majorité des Français. C’est pourquoi on se réfugie volontiers dans l’affirmation d’une laïcité dont s’est emparée la République, en oubliant que ce concept a une origine chrétienne certaine. Sur le plan des principes, les choses sont simples, pour ne pas dire bibliques : chacun dispose de la liberté de penser et de la liberté de pratiquer la religion de son choix ; l’État s’en porte même garant, sous réserve de ne pas troubler l’ordre public.

Si donc on suit le raisonnement de la laïcité, en réalité celui de la séparation des Églises et de l’État, objet de la fameuse loi de 1905, on évacue un peu rapidement la place de Dieu dans la cité. En effet la place de Dieu échoit aux religions, considérées comme des affaires privées. Quant à l’État il est neutre, et un peu comme Laplace avait répondu à l’empereur Napoléon qui lui avait reproché de parler de la Création sans même parler de l’existence de Dieu : « Sire, je n’avais pas besoin de cette hypothèse », la question de Dieu ne l’intéresse pas. Tout au moins dans une vision optimiste des choses. Les religions sont traitées par la République sur un plan apparent d’égalité, ce qui peut surprendre par exemple quand un représentant du bouddhisme est invité maintenant parmi les autorités religieuses dans les manifestations de la République, à la fois parce que le bouddhisme n’est peut-être pas à proprement parler une religion et parce que le poids du bouddhisme dans la société française est très faible.

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Sans refaire l’histoire des relations du temporel et du spirituel en France, et à cet égard l’exposé de Jean-François Chemain reste une référence capitale, il convient toutefois de noter qu’à peu près tout ce que l’on peut dire sur le sujet concerne essentiellement pour ne pas dire exclusivement le christianisme et d’abord le catholicisme. Sous diverses formes l’histoire de France a été marquée aux XVIIIe, XIXe et XXe siècles par un anticléricalisme plus ou moins virulent, en sorte que la laïcité française reste encore très antichrétienne plus souvent qu’elle n’est strictement neutre. Le développement de l’islam en France pose depuis une trentaine d’années des questions de plus en plus complexes que les règles de la laïcité ont bien du mal à résoudre. La laïcité française est faite pour le catholicisme, elle s’adapte très bien au protestantisme et au judaïsme, qui peuvent même s’en accommoder mieux que le catholicisme, mais avec l’islam il y a une difficulté majeure, puisqu’on a affaire à un complexe politico-religieux qui ne fait pas de distinction entre le domaine religieux et le domaine politique.

Ainsi donc l’existence d’une forte minorité de musulmans en France et notamment de musulmans qui mettent les lois de l’islam au-dessus des lois de la République, qu’ils considèrent comme des lois chrétiennes, amène assez naturellement à se poser la question de la place de Dieu dans la cité. Pour l’islam, Dieu a toute sa place dans la société et donc dans la cité. Les pays musulmans ont assez généralement l’islam pour religion d’État. En France les choses sont devenues plus subtiles : comme l’avait à juste titre noté le général de Gaulle, la République est laïque (c’est-à-dire neutre à l’égard des religions), mais la France est chrétienne ! Autrement dit toute son histoire est marquée par ses origines chrétiennes, il en reste des signes indubitables dans la littérature et les beaux-arts ainsi que dans les règles sociales (cependant en évolution très forte depuis quelques lustres). Pour les chrétiens Dieu a toute sa place dans la société, mais la laïcité républicaine tend à la restreindre, quand ce ne sont pas les citoyens qui font de l’autocensure en estimant, à tort, devoir garder leur Dieu pour eux, si l’on peut s’exprimer ainsi.

Nous pouvons donc considérer qu’en l’état actuel de la situation des religions en France, la véritable question serait de redéfinir la place de Dieu dans la cité.

 

Les difficultés tenant au langage.

Parler de laïcité c’est s’exposer à quelques difficultés sémantiques. En effet, même si l’on trouve des définitions claires, notamment de la part de l’Observatoire de la Laïcité, qui précisent ce qu’il faut entendre par l’expression la république est laïque, et qui détaillent le contenu de la loi du 9 décembre 1905, on peut souhaiter faire quelques commentaires. Pourquoi parle-t-on de laïcité, terme qui est quasiment intraduisible dans les autres langues ? La loi est dite de séparation des Églises et de l’État, et elle-même n’emploie à aucun moment le terme de laïcité, qui était à vrai dire d’usage encore peu fréquent au début du XXe siècle.

Quelques termes peuvent être rapprochés du mot laïcité : sécularisation, neutralité, séparation, exclusion ou distinction. C’est en tout cas une notion relativement ambiguë.

Aux États-Unis on parle plutôt de sécularisation. Chez nous ce mot s’applique assez bien au processus qui a caractérisé l’évolution de l’école et des hôpitaux. Dans l’Ancien Régime ces deux domaines étaient exclusivement aux mains de l’Église, dont ils se sont progressivement soustraits. La société civile aurait pu s’organiser pour que l’éducation et la santé restent de sa responsabilité propre. Les circonstances ont fait que la sécularisation ne s’est pas arrêtée, sauf exception de l’école privée ou libre et des cliniques et hôpitaux privés. Une véritable étatisation est venue peser sur la majorité des établissements qui dès lors sont considérés comme laïcs. Des chartes de la laïcité récemment écrites en précisent le fonctionnement.

On fait généralement remonter la laïcité au distingo du Christ entre ce qui revient à César et ce qui revient à Dieu. C’est donc un principe de séparation, ou mieux, de distinction. Le terme de séparation, peut-être inspiré par le contexte de l’époque, paraît en effet relativement impropre. Il va un peu loin, alors que la distinction des domaines spirituel et temporel semble de bon sens. Dès lors une laïcité bien comprise implique neutralité et, peut-on le penser, bienveillance.

Pourquoi certains veulent-ils en faire une lecture plus dure, plus exclusive, plus intolérante ? Que l’on pense aux avatars de cet enseignant mis à pied pour avoir de façon répétée fait lire des extraits de la Bible à ses élèves ? Que l’on pense aux difficultés de telle ou telle association du domaine familial se voyant refuser une subvention communale au motif que son nom comporte l’adjectif catholique ?

Sans doute faudrait-il discuter du caractère confessionnel ou non de certaines institutions, de l’objet, cultuel ou culturel des associations. Quand il s’agit de l’exercice du culte, il est vrai que cela ne regarde pas l’État, encore que l’organisation de manifestations religieuses sur l’espace public, telles que des processions, puisse être soumise à des restrictions relatives à la sécurité. On aimerait savoir que la prière des musulmans dans certaines rues est davantage contrôlée que la présence de crèches de Noël, qui n’a rien de cultuel. La liberté d’expression paraît à cet égard diversement appréciée par les pouvoirs publics et les tribunaux.

Les différentes chartes de la laïcité qui voient le jour à l’instigation notamment de l’Observatoire de la laïcité sont en général rédigées avec le souci de la neutralité, correspondant à l’esprit de la loi. D’où vient-il alors que des incidents se produisent de plus en plus souvent, à l’école publique et surtout dans les hôpitaux ? Le moindre des paradoxes est d’ailleurs que le souci d’une plus grande neutralité est alors inspiré plus par la crainte des responsables de voir les familles (d’élèves ou de patients) réagir violemment, que par le respect des consciences. En sorte que la recherche d’une laïcité plus « tolérante » conduit immanquablement à une laïcité d’exclusion. Et pour être clair, les mesures prises depuis trente ans pour parer aux difficultés présentées par l’islam ou ceux qui s’en réclament, se traduisent par une intolérance grandissante de la République à l’égard du christianisme.

 

Quelques certitudes anthropologiques

Si nous prenons l’exemple de la laïcité dans les milieux hospitaliers, l’insistance sur le caractère de stricte neutralité de l’attitude à avoir avec les patients peut conduire à des impasses humaines. La jeune aide-soignante qui s’occupe tous les jours de la même grand-mère dans un EHPAD public, doit-elle lui répondre lorsque cette dernière lui exprime quelques soucis d’ordre religieux ? Cela n’est pas fortuit. Les préoccupations d’ordre spirituel ne sont pas rares en fin de vie. Si donc les personnes qui sont les plus proches des patients doivent s’interdire de répondre à des questions sous prétexte qu’elles entreraient dans le domaine de la religion, alors notre système de santé devra sans doute réfléchir à sa vocation propre.

En effet les êtres humains ne sont pas que des corps. Lorsque les hôpitaux relevaient de l’Église, on faisait moins la distinction entre le soin du corps et le soin de l’âme, puisque l’on s’en remettait en dernier ressort au Créateur. La sécularisation a progressivement touché le système des hôpitaux et il est devenu rarissime sans doute que le médecin finisse par dire à la famille : « Je ne peux plus rien pour votre malade, … il n’y a plus que la prière ». Et ce n’est sans doute pas un hasard si se développent les soins palliatifs « à la française » (c’est-à-dire de la phase finale). Encore qu’il faille être perplexe au sujet de soins palliatifs qui répondent au souci de laïcité « à la française », c’est-à-dire excluant les secours d’une spiritualité et d’une religion.

Depuis les origines de l’humanité les hommes ont été confrontés aux grandes questions de leur existence : d’où venons-nous ? où allons-nous ? y a-t-il quelque chose après la mort ? Depuis environ cent-mille ans les hommes enterrent leurs morts. Ils ont progressivement organisé leurs sociétés et leurs cités avec une conscience plus ou moins développée de l’existence de divinités. Dans la plupart des civilisations on admet le principe d’une vie après la vie terrestre. Mais il a fallu sans doute attendre le judéo-christianisme pour parvenir au système théologico-philosophique le plus achevé et au monothéisme.

Très tôt les hommes ont eu conscience d’avoir à distinguer le profane et le sacré : le profane comme ce qui est dépourvu de caractère religieux, qui a trait au domaine humain, temporel, terrestre, et qui, au fond, n’a pas d’importance fondamentale ; le sacré, comme ce qui est inaccessible, indisponible, mis hors du monde normal, et qui peut être objet de dévotion et de peur, parce que naissant d’une tradition ethnique, mythologique, religieuse ou idéologique (c’est-à-dire non religieuse). À partir de là il était naturel qu’apparaissent les deux domaines, spirituel et temporel, dont la distinction n’a vraiment été faite qu’avec la réponse du Christ sur César et Dieu.

Un autre rappel doit alors être apporté à notre réflexion, c’est celui de la distinction  fort bien présentée par Jean-François Chemain entre le pouvoir et l’autorité. Évidemment les choses seraient simples si tout le monde admettait avec saint Paul (Rom, 13, 1) que « tout pouvoir vient de Dieu ». Et près de deux-mille ans d’histoire en Occident ont montré que, dans un monde où l’existence de Dieu n’était pas mise en cause, les conflits étaient fréquents entre le pape et l’empereur (ou le roi). Car, à l’origine, à Rome, l’empereur détenait en même temps le pouvoir temporel et l’autorité religieuse, étant lui-même considéré comme d’origine divine. Il en résulte encore aujourd’hui des tentations de l’empereur, du président, de vouloir organiser la religion (musulmane, par exemple) en instaurant un conseil représentatif ou en proposant d’assurer la formation des imams.

Il est toujours tentant de confondre le pouvoir et l’autorité. Jean-François Chemain a pu noter qu’aujourd’hui, « on ne nous gouverne plus, on nous fait sans cesse la morale ». L’exercice du pouvoir est difficile et exigeant, et il est plus facile d’asséner des « vérités », souvent idéologiques, censées guider notre conduite. Cependant, le président Macron a bien pris soin de dire aux évêques dans son discours des Bernardins que le langage de l’Église (et donc son autorité) est attendu, mais qu’il n’a pas à être injonctif (ce qui serait une marque de pouvoir). Au fond on n’est pas très loin de Clémenceau qui ajoutait au « rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » : « et tout est à César ! »

Il y aurait aussi à apporter quelques commentaires sur la notion d’espace public. Prenons l’exemple des églises construites avant 1905. Elles appartiennent à l’État ou aux communes : ce sont donc des biens publics, en ce sens qu’elles appartiennent à la puissance publique, et la devise républicaine est souvent inscrite à leur fronton ; mais elles sont à la disposition d’affectataires privés qui sont les diocèses et les paroisses. Certains rectorats ont demandé à faire passer des épreuves du baccalauréat dans des établissements catholiques : fallait-il pour autant demander à ce que le crucifix fût ôté des salles de classe ? Non, car il s’agirait d’un excès de pouvoir. Ceci amène à évoquer la malheureuse affaire de la statue de Ploërmel. Une statue de Jean-Paul II surmontée d’une arche sur laquelle est dressée une croix est donnée à la commune de Ploërmel par l’artiste russo-géorgien Zourab Tsereteli. L’ensemble (13 tonnes, 7,5 m de haut) est placé le 9 décembre 2006 au centre d’un espace public de la ville. Le Conseil d’Etat, saisi par quelques habitants et par la Fédération morbihannaise de la libre-pensée ordonne le 25 octobre 2017 la suppression de la croix de l’espace public. Finalement, le diocèse de Vannes, pour restaurer la concorde et se mettre en conformité avec la loi, décide d’acquérir l’œuvre pour 20.000 € et d’acheter un terrain adjacent au collège catholique tout proche, d’en faire l’espace Saint Jean-Paul II et de faire déplacer la statue de 40 mètres au moyen d’une grue. Pour un coût total de 120.000 € financé par appels aux dons, la statue est désormais dans un lieu qui va être aménagé en « espace cultuel de recueillement et de prière dédié à saint Jean-Paul II » (Mgr Raymond Centène, La Croix 2 mars 2018). La justice française montre, dossier après dossier, croix après croix, qu’elle semble céder à la relecture radicale de la loi de 1905 imposée, contre le bon sens et l’histoire, par une toute petite minorité. En outre, il est permis de s’interroger sur le fait que la vue de la croix n’a pas disparu de l’espace public, puisque la statue est encore visible depuis le lieu qu’elle occupait auparavant, comme bien des croix visibles à l’entrée des villages ou des villes, en France et dans de nombreux pays. Flaubert aurait pu écrire cette histoire dans Bouvard et Pécuchet.

 

Quelques aspects contrastés

Certains imaginent que le respect du principe de laïcité de l’État impose de laïciser la société toute entière. D’autres invoquent la nécessité de mesures à prendre pour endiguer le terrorisme islamique et, dans une volonté d’égalité de traitement de toutes les religions, proposent de supprimer toute mention religieuse dans l’espace public. Mais à trop vouloir laïciser l’espace public et la culture, le risque est grand de couper la société française de son histoire, qui est chrétienne. A chasser le spirituel de la vie courante, on prive l’homme d’une partie de son identité. Les principes de la laïcité sont clairs : neutralité de l’État, liberté de conscience pour tout un chacun. Mais il y a deux lectures possibles et donc deux formes de laïcité, comme le rappelait opportunément Monseigneur Aupetit dans son interview au Monde du 12 janvier 2018 :

– celle de Jean-Louis Bianco (président de l’Observatoire de la Laïcité) et d’Emmanuel Macron, qui doit permettre à chacun de pratiquer sa religion – y compris dans l’espace public ;       
        – celle d’une religion assignée à la sphère privée, qui ne doit apparaître nulle part.          Il soulignait par ailleurs que les musulmans qui mettent leurs enfants dans une école catholique le font parce que, là, on peut « parler de Dieu ».

Voilà bien qui nous ramène à notre sujet : quelle est donc la place de Dieu dans notre société ? Monseigneur Aupetit nous avertit : « aujourd’hui le tabou n’est plus le sexe, mais Dieu ». Car, au nom de la laïcité, on nous a progressivement amenés à évacuer Dieu non seulement de la sphère étatique, ce qui peut se comprendre, mais de la sphère publique, ce qui est beaucoup plus gênant. On ne peut pas parler de Dieu à l’école, … mais comment fait-on pour enseigner Pascal ou Racine, Bernanos ou Mauriac ? On ne peut pas parler de religion dans les hôpitaux ou dans les prisons, ce qui enlève beaucoup d’intérêt à la mission des visiteurs. Cette conception de la laïcité est très  étroite ; elle est à cent lieues de celle des États-Unis, État laïc, qui fait figurer sa devise sur les billets de banque : in God we trust.

 

Quelques questions incongrues

Il est en général convenu de considérer que la loi de 1905 est une bonne loi. Elle a contribué à l’époque à ramener la paix, mais il a tout de même fallu l’union sacrée de la Grande guerre et le travail considérable des aumôniers militaires dans les tranchées, et d’autre part le retour des congrégations pour que l’Église catholique accepte de s’en satisfaire. Car les débuts de la Troisième République ont été marqués par un anticléricalisme assez virulent. L’Église fait preuve de pragmatisme : quand les choses ne vont pas dans le sens qu’elle souhaiterait, elle s’accommode des situations vécues. Mais il ne faut pas s’y tromper, le ralliement en 1892, l’acceptation de la séparation dans les années vingt ne sont pas des blancs seings donnés à la République pour tout ce qu’elle peut imaginer ou proposer de plus idéologiquement pervers.

Reposons-nous donc la question : la loi de séparation est-elle une bonne loi ? Oui et non. Elle permet aux religions de vivre dans la sérénité, et notamment à la religion catholique, pour autant que les anticléricaux et libres penseurs ne réclament pas avec trop de véhémence la « déconfessionnalisation de l’État, de l’enseignement public, et de la société » comme le fait Jean-Michel Quillardet (président de l’Observatoire international de la laïcité contre les dérives communautaires), … qui confond probablement la France du XXIe siècle avec une république islamique aux mains des ayatollahs ! Les propos d’un Vincent Peillon, disciple de Ferdinand Buisson, et qui fut un temps ministre de l’Éducation nationale, ne manquent pas d’inquiéter, car ils prouvent qu’une révolution est toujours possible. L’histoire nous confirme en effet ce qu’avait annoncé Tocqueville, à savoir que la démocratie représentative a une certaine tendance à verser dans des pratiques totalitaires.

Le temps n’est pas si loin, 1984, où nous avons connu la plus sérieuse menace de nationalisation de l’école libre, c’est-à-dire de sa disparition. Le président Mitterrand a eu la sagesse de retirer le projet. Mais quand on voit comment a été traitée près de trente ans plus tard la question du mariage, on peut s’estimer inquiet.

La loi de 1905 est-elle une bonne loi ? La loi Debré est-elle une bonne loi ? Cette dernière a permis de sauver l’école libre, mais en la rendant dépendante de l’État qui assume la charge de la rémunération des maîtres. Et quand on connaît les velléités permanentes de l’État et de son administration de contrôler toutes les activités qui vivent du budget de l’État, la loi Debré porte en germe l’intégration des écoles confessionnelles sous contrat dans un grand Service de l’éducation, national donc laïc. Qui s’en inquiète, et qui le dit, par exemple dans l’épiscopat français ?

Plus fondamentalement on pourrait poser benoîtement la question des « points non négociables » développée par le pape Benoît XVI en 2012. La laïcité française laisse-t-elle la place aux catholiques de refuser ce qui est inacceptable du point de vue de l’Église ? C’est bien là une des limites des lois de 1905 et de 1959. Laissent-elles la possibilité aux citoyens de choisir librement leur école, quand elles imposent de fait un régime qui n’est pas sans rappeler la dhimmitude ? Vous pouvez librement et à vos frais développer vos écoles, mais cela ne vous empêchera pas de payer l’école publique par vos impôts. Le régime du chèque scolaire serait beaucoup plus juste : quelles autorités ecclésiales le réclament ?

Il faudrait aussi parler du statut fait à l’enseignement supérieur libre, qui est honteusement discriminatoire. Il faudrait soulever la question de l’ouverture des commerces le dimanche et plus largement du travail dominical, question qui regarde la société toute entière, mais pour laquelle l’État est moteur, puisqu’il légifère : on n’a pas entendu très fortement la voix de l’Église catholique, dans un domaine où c’est maintenant le dieu « argent » qui dicte ses exigences, alors que celui du Décalogue a pourtant des choses à dire, … même si elles ne sont pas injonctives !

Il reste qu’à certains égards la présence d’un nombre grandissant de musulmans dans notre pays pourrait avoir des effets bénéfiques sur le sort réservé aux chrétiens par la république laïque. Nous avons cité le cas d’écoles catholiques qui accueillent des enfants musulmans, parce qu’on y parle de Dieu. Si l’on ne peut faire admettre aux citoyens qui se réclament de l’islam la nécessaire distinction entre le temporel et le spirituel, et si l’on veut avoir la paix, peut-être faudrait-il que la République finisse par reconnaître que Dieu a sa place dans la société et donc dans la cité : cela n’est d’ailleurs pas contraire à la lecture la plus objective et la plus dépassionnée du principe de laïcité, puisque neutralité n’a jamais voulu dire exclusion. Il ne s’agirait nullement de se soumettre à l’islam, mais de reconnaître avec lui et avec la plupart des civilisations, comme rappelé ci-dessus, que les hommes, et donc César, ont besoin de Dieu, qui a par conséquent sa place dans la cité.

 

En guise de conclusion

Une certaine conception de la laïcité – comme religion unique de la République – porte en elle les germes du totalitarisme. Si les membres d’une communauté politique ne cherchent plus ensemble le bien commun, le relativisme s’impose, et la communauté politique se dissout en communautarismes sectaires. La laïcité est bonne si elle permet la recherche d’une vérité commune, suicidaire si elle l’empêche. Du point de vue politique, toutes les religions ne se valent pas. Il serait temps d’en prendre collectivement conscience pour ne pas tomber dans un totalitarisme athée ou dans un totalitarisme religieux.

Un regard extérieur peut nous aider à poursuivre notre réflexion. Monseigneur Jeanbart, archevêque d’Alep, déclarait en novembre 2017 : « Votre laïcité est malade. Pourquoi n’acceptez-vous pas d’aimer ce que vous avez été ? » Si la laïcité à la française ne se porte pas très bien, tout espoir n’est cependant pas perdu, … pour Dieu. En effet le président Macron comprend que l’homme a besoin de transcendance. Il refuse « de demander aux croyants de vivre leur foi de façon modérée puisqu’elle est un absolu ».

Ainsi donc nous faut-il souhaiter ardemment que l’État donne raison à la fameuse prédiction d’André Malraux, formulée dans un texte intitulé L’homme et le fantôme (Cahier de l’Herne, 1982) : « Je pense que la tâche du prochain siècle, en face de la plus terrible menace qu’ait connue l’humanité, va être d’y réintégrer les dieux ». Que l’État accepte donc de faire une place à Dieu dans la cité, en toute neutralité et dans le respect des consciences, ce qui est le fondement de la loi de 1905. Mais peut-être faut-il moins parler de laïcité, qui va finalement de soi, et davantage de la place de Dieu dans la cité, qui est une question politique qui nous concerne tous.

 

                                                                       Jean-Paul Guitton