Par Michel Boyancé, Philosophe et Enseignant français

Le Président : La formation de Michel Boyancé est philosophique ; il est docteur dans cette discipline de l’université Paris IV (Sorbonne). Il est également détenteur d’une licence canonique de l’université Pontificale Angelicum. Il a surtout une longue expérience et une grande pratique du monde de l’enseignement.

D’abord comme enseignant en classe terminale, ensuite comme chef d’établissement, en lycée professionnel dans un premier temps, en école, collège, lycée d’enseignement général dans un second, enfin, comme directeur diocésain de l’enseignement catholique.

Depuis 1999, il est doyen et directeur d’un établissement d’enseignant supérieur privé, les Facultés libres de philosophie et de psychologie ; dénomination la plus récente de cette institution réputée.

Cette fonction, qu’il occupe donc depuis 1999, est le résultat d’un choix courageux – ne sommes-nous pas ici pour parler de l’engagement ? – puisqu’à l’époque, la direction de l’Enseignement catholique parisien lui tendait les bras. Il a alors choisi, et il a bien choisi si je puis me permettre un commentaire personnel.

Il est aussi professeur associé à l’Institut catholique de Toulouse, ceci depuis 2011. Il y est membre d’une équipe de recherche, le laboratoire “histoire, théologie et religions”. Ses principaux thèmes de recherche au sein de cette équipe et au-delà bien sûr, sont l’éthique, fondamentale et appliquée, et la philosophie politique.

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Il est également membre du comité scientifique du pôle recherche « Famille et éducation » au collège des Bernardins.

Il est enfin auteur de nombreux articles et ouvrages dont je dois me résoudre à vous épargner le détail. Permettez-moi seulement de vous en préciser le thème récurrent que l’on y retrouve, l’ensemble de ses publications tournant autour des concepts de genre et de bien commun.
Cet aperçu de toutes les compétences et de toute l’expérience de Michel Boyancé justifiait, me semble-t-il, d’un point de vue personnel comme d’un point de vue professionnel, que nous le sollicitions pour nous aider à réfléchir sur l’engagement, en général, en matière d’éducation, en particulier.

Sa connaissance des Institutions académiques, son expérience de terrain, sa capacité d’analyse, de recul nous ont convaincus qu’il fallait l’inscrire dans notre programme académique.

Michel Boyancé : Pour éclairer le point de vue qui est le mien dans ce propos, je vais revenir rapidement sur mon parcours. Pour vous dire, non pas à quel titre je parle, mais à partir de quelle expérience je souhaite traiter la question de la liberté de l’enseignement supérieur ; question essentielle si l’on veut réellement former les jeunes.

J’ai eu deux temps dans mon parcours professionnel.

Un premier temps où, à l’occasion de ma formation, après mon doctorat, je me suis orienté plutôt vers la direction d’établissement donc vers la prise de responsabilités.

Je n’ai pas souhaité passer les concours d’enseignement. Je n’ai pas voulu donc m’engager dans un parcours d’enseignant de l’État. J’ai été, en premier lieu, enseignant sous contrat chez les Jésuites à Reims et par tempérament, par goût, j’ai souhaité prendre des responsabilités de direction d’établissement, notamment à Reims chez les Jésuites qui m’avaient rappelé et ensuite des responsabilités comme directeur diocésain.

Je me suis aperçu, à ce moment-là, qu’il y avait besoin de former les formateurs. Je vais vous donner une partie de mon expérience sur ce point.

Chez les Jésuites, avec qui j’ai bien travaillé, j’ai eu un très bon apprentissage de méthodes pédagogiques et éducatives, qui ont pratiquement disparu aujourd’hui, et qui, notamment à Reims, se manifestaient par le système dit des équipes.

Les Équipes à Reims, à Vannes et ailleurs, étaient une méthode pédagogique, une manière d’organiser l’enseignement au lycée, qui remontait aux années 1940-1950, inspirée par le Père Doncœur, et donc par le scoutisme. Au début des années 1980, en prenant ce poste de philosophie chez les Jésuites, j’ai travaillé la pédagogie et j’ai remarqué que les grandes congrégations religieuses : les Jésuites, les Dominicains, les Salésiens, avaient une production pédagogique, intellectuelle, importante. À l’époque, en lien avec tout ce réseau jésuite, – on voyait par exemple régulièrement le père Pardonnat qui était directeur de Sainte-Geneviève à Versailles, – il y avait une vraie pensée pédagogique éducative liée à une production de revues, d’articles, d’ouvrages en grand nombre.
Et puis, un peu plus tard, je me suis aperçu que, au lieu des collections de revues pédagogiques, dans les établissements le BO (Bulletin Officiel de L’Éducation Nationale) occupait de plus en plus de place. Chef d’établissement puis directeur diocésain, je me suis rendu compte que nos enseignants, nos éducateurs, les chefs d’établissement se sentaient davantage tenus par ce Bulletin Officiel de l’Éducation nationale que mû par un vrai souhait d’autonomie : liberté pédagogique d’inventer des solutions, nouvelles par définition, pour résoudre les problèmes éducatifs qui leur étaient posés.

Après quelques années comme directeur diocésain de Loire Atlantique, j’ai eu des contacts étroits avec le cardinal Lustiger pour envisager la direction diocésaine de Paris. Nous avons beaucoup échangé sur ces questions de pédagogie et de relations avec l’État. Mais dans le même temps, l’on me sollicitait pour prendre la direction de l’IPC en tant que doyen…
C’est le deuxième temps de mon expérience. J’ai trouvé que cela valait la peine de travailler à l’IPC pour la liberté de l’enseignement supérieur, établissement non confessionnel, laïc, faculté libre, structure moins sécurisante, surtout financièrement, que l’enseignement sous contrat rôdé avec la loi Debré, mais qui présentait pour moi, et qui présente toujours, un intérêt incontestable de formation et de diffusion d’une philosophie « réaliste ». C’est pour cela qu’après ces échanges importants avec le cardinal Lustiger, et avec son accord, j’ai choisi d’accepter la responsabilité de l’IPC.

En effet, la formation des jeunes ne s’arrête pas au bac et doit se prolonger après. Je vais développer ce point essentiel de ma deuxième expérience, et je vous en parlerai sous deux axes.

Le premier axe porte sur le développement de l’IPC qui maintenant compte à peu près trois cents étudiants, nombre tout à fait satisfaisant, compte tenu du projet et des matières enseignées, Philosophie (2/3 des étudiants) et Psychologie.

Depuis peu, nous montons des Équipes de recherche post-doctorales. Nous préparons déjà depuis 2002 aux Licences (diplômes nationaux sous jury rectoral), à des diplômes propres au niveau Master (avec des conventions), et nous devons nous positionner, à la demande de l’État, ce qui est une bonne opportunité, sur le domaine de la recherche. Cela nous permettra de former des jeunes en relation à une véritable recherche universitaire et d’être reconnu dans ce domaine.

Mais parallèlement à ce travail universitaire au niveau d’une faculté libre, j’ai, depuis quelques années, et c’est mon second axe, des mandats nationaux en tant que Président de l’Union Nationale des Facultés Libres, et, depuis une dizaine d’années, je suis membre d’un Comité ministériel qui suit très attentivement les différentes discussions politiques, administratives, réglementaires autour de l’enseignement supérieur privé et qui participe à la politique nationale sur ce sujet. Je vais vous parler de cette expérience et de ce domaine pour en dégager des considérations stratégiques pour la formation des jeunes.

I – Etat des lieux de l’enseignement supérieur privé en France
Sans vous assommer de considérations techniques, quel est l’état des lieux de ce qu’on appelle l’enseignement supérieur privé en France aujourd’hui ? Nous sommes dans une situation paradoxale par rapport au monde et à l’Europe puisque la France organise un enseignement soumis à ce qu’on appelle le monopole de la collation des grades, qui est aussi un monopole dominant sur les établissements, les emplois et la pédagogie qui mène à ces diplômes ou grades.

Nous allons faire un petit tour de certaines informations qui me semblent importantes pour réfléchir à la question, en sachant que, c’est le cas pour l’Académie de Paris, pour l’IPC modestement, et pour d’autres établissements, notre projet fondamental est – en tant que chrétien et en tant que laïc, c’est important de le souligner – de former des jeunes et des moins jeunes à l’enseignement social de l’Église, dans une démarche qui peut être théologique mais qui peut être aussi et surtout dans leurs ordres propres philosophique et scientifique.

Autrement dit, l’intuition fondamentale de la création des facultés libres dans les années 1960 (la FACO a été crée en 1967, l’IPC en 1969, la Fac’lib – qui n’existe plus – à peu près au même moment, l’Ircom, l’Ices et l’Icr sont venus plus tard dans les années 80), était de créer un réseau adossé à une Association de parents pour la promotion de l’enseignement supérieur libre dont les membres devaient, en tant que laïcs, universitaires, parents, professionnels, être au service de cet enseignement social de l’Église et de ses fondements anthropologiques et éthiques.

Bien sûr les établissements ont changé depuis mais cette intuition initiale reste la raison profonde de leur existence.

Assez récemment, depuis quatre ou cinq ans, l’enseignement privé a fait l’objet de beaucoup de rapports et de textes. Par exemple, il y a deux ans, un texte de l’Inspection générale de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur. J’ai été auditionné par les rédacteurs de ce gros rapport . Il y en a eu d’autres. En septembre 2016 est paru, à l’Assemblée Nationale, un bilan de la loi sur l’enseignement supérieur et la Recherche de juillet 2013, je vous en parlerai également.

Il s’agit donc d’un sujet sensible, d’actualité – un sujet assez politique, en fait – parce que l’enseignement supérieur privé, en France, est constitué d’une myriade d’établissements complexes que l’administration souhaite unifier et rationaliser. Il s’agit de faire en sorte que cette poussière d’établissements soit plus homogène et surtout soit davantage soumis aux missions de service public. Tout cela est animé de bonnes intentions, mais comme l’enfer en est pavé, il faut toujours être attentif.

Rapidement quelques chiffres et quelques éléments pour situer le sujet.
Dans les études récentes du Ministère , – la grande presse s’y intéresse peu, – on s’aperçoit que l’enseignement privé prend de plus en plus d’importance, en nombre, par rapport à l’enseignement public supérieur.
C’est ainsi que, si l’on prend l’évolution depuis 1990, le privé a augmenté de 89 % et le public de 4 %. Et le privé prend des parts de plus en plus importantes sur l’enseignement supérieur public.

Aujourd’hui, 436 000 étudiants sont en enseignement privé, ce qui représente à peu près 17 % des effectifs de l’enseignement public, tout compris, qui a, lui, autour de deux millions d’étudiants, tous systèmes confondus.

Cette évolution du privé comporte un aspect paradoxal car nous verrons que ce n’est pas une évolution favorable pour un véritable enseignement privé ou libre.

Dans les années qui viennent l’enseignement privé va sans doute augmenter encore, alors que la part du public s’est réduite au long de ces dernières années, elle est passée de 86 % à 81 %.

Cependant, il faut affiner cette évolution pour bien comprendre de quoi l’on parle. D’abord l’enseignement privé est très inégalement réparti selon les régions en raison, pour une part essentielle, de l’enseignement privé secondaire sous contrat dont la présence historique varie beaucoup d’une région à l’autre.

À Nantes, par exemple, 40 % des élèves étaient dans le privé et, en valeur absolue – c’est le plus gros diocèse de France – il y avait cent mille élèves, ce qui est assez considérable, alors qu’il y a des diocèses, des départements où il y a cinq mille ou dix mille élèves dans ce même privé.
Pour compléter mon propos, il faut surtout distinguer plusieurs sortes de privé.

Il existe tout d’abord une grosse partie de l’enseignement supérieur privé qui provient des classes de BTS – bac + 2 – dans les lycées privés sous contrat, et un peu dans le hors-contrat. Cette part comprend presque 20 % des effectifs du privé sur les 436 000 évoqués plus haut. N’oublions pas que le sous-contrat est financé par l’État à hauteur de presque 100 % du coût total de la formation.

Si l’on devait calculer le coût d’un établissement sous contrat, ce ne serait pas seulement ce que les familles donnent à l’établissement, pas seulement ce que la collectivité ou l’État verse comme frais de fonctionnement, il faudrait rajouter le salaire des enseignants. Ce sont des sommes considérables qui installent une énorme disparité dans le post-bac, voire, une discrimination.

La loi Debré a permis que l’enseignement catholique sous contrat, 95 % du privé, suive l’évolution de la masse des élèves pour garder à peu près le même pourcentage, c’est-à-dire entre 15 et 20 % des élèves. Cela explique que 15-20 % de l’enseignement privé sous contrat fasse partie de l’enseignement supérieur. Il faut aussi inclure, dans l’enseignement privé, les Classes Préparatoires aux Grandes Écoles. Dans les lycées sous contrat et hors contrat, il y a 18 000 élèves de CPGE (classes préparatoires), ce qui représente 4 % des 436 000.

C’est à peu près le même pourcentage, en classes préparatoires, qu’il y a vingt-cinq ans, mais en raison de l’augmentation du nombre d’étudiants, il y a beaucoup plus d’élèves en classe préparatoire. Je reviendrai sur ces classes préparatoires pour l’enseignement supérieur.

Ensuite, il y a tout un réseau, que vous connaissez bien, des écoles commerciales, consulaires pour la plupart mais pas uniquement. Et pour cet enseignement commercial, écoles de commerce, écoles de management, ESC, Consulaires, etc (par exemple l’EDHEC ou l’ESSEC), ce sont 130 000 élèves.

Il y a aussi des écoles d’ingénieurs privées, des écoles d’ingénieurs privées catholiques, les ICAM, les écoles d’agriculture, Purpan, ce sont 39 000 étudiants.

Et à noter enfin, un ensemble très hétéroclite mais tout à fait intéressant et significatif : les écoles de santé, écoles d’infirmières (25 000 étudiants), écoles à caractère social qui sont privées dans le sens où elles sont associatives mais dépendent de l’administration régionale de la Santé (39 000 étudiants) ; puis les écoles artistiques et culturelles (28 000 étudiants).

L’important à souligner est que le privé, en France est, à plus de 80 % – 90 %, constitué de formations professionnelles et techniques ou orientées essentiellement vers des écoles supérieures publiques, comme les CPGE.
Et j’en arrive aux 16 000 étudiants des Instituts catholiques et de nos établissements, sur le total indiqué de 436 000.

Dans l’enseignement universitaire libre, les Instituts catholiques et notre Fédération, ce que l’on appelle les Facultés libres, le rapport de forces est très inégal parce que les Universités Catholiques affichent 16 000 étudiants pour la préparation de diplômes d’État ; si on élargit un peu aux formations universitaires de type ecclésiastique, il y a 23-24 000 étudiants dans les Instituts catholiques ; alors que pour notre réseau (UNFL), qui comprend cinq facultés libres, il y a 2 500 étudiants.

Et par rapport aux 1 200 000 étudiants en université publique, vous voyez bien que le poids est extrêmement différent : l’enseignement universitaire, libre, en France, cela représente environ 2,5 %. Or n’oublions pas que si l’école transmet le savoir comme on le dit, le savoir est conçu et produit dans l’Université et les unités de recherche publiques.

C’est un problème, parce que le privé a suivi en fait le marché. En raison des évolutions réglementaires et législatives, il a trouvé un espace pour exister presque uniquement dans l’enseignement supérieur technique et professionnel.

Par contre, dans les domaines des sciences humaines et sociales (droit, sciences politiques, sciences économiques, histoire, philosophie, psychologie, etc.) et des sciences dures l’enseignement universitaire libre, en France, n’existe quasiment pas. Ailleurs en Europe : l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne, l’Angleterre bien sûr et la Belgique, etc., il y a presque égalité entre le réseau des universités catholiques, protestantes ou d’autres formes d’enseignement libre, et les universités dites publiques, sachant que la dichotomie public/privé est très différente de la manière dont la France pense et fait les choses. Le poids de l’administration publique qui y gère le système est très faible.

Il y a donc une présence de l’enseignement privé dans le champ technique et professionnel, et quasiment pas dans celui de l’enseignement universitaire.

Autre exemple, les Grandes Écoles, privées ou publiques, sont regroupées au sein d’une Fédération qu’on appelle la Conférence des Grandes Écoles (CGE). Celle-ci inclut par exemple, l’École Polytechnique, Normale sup et des « petites » Grandes Écoles privées à côté des Grandes Écoles publiques.

Cette Conférence des Grandes Écoles comprend 36 % d’écoles du privé. C’est à peu près, 135 000 – 200 000 étudiants donc 36 % du privé, qui se retrouvent dans les grandes écoles.

Ceci est tout à fait intéressant, car il y a, dans le même temps, un affaiblissement, un appauvrissement considérable de la liberté d’enseignement pour les formations plus générales.

L’université française reste – et c’est très bien, on ne peut pas critiquer cette mission – un service public d’éducation, mais il y a un côté paradoxal par rapport à ce qui se fait en Europe et dans le monde surtout sur les enjeux de formation.

Il me faut vous donner quelques indications supplémentaires sur la diplomation pour argumenter mon propos.

Comment sont diplômés tous ces étudiants, tous ces élèves ? Comment en France, – que l’on date de Napoléon Bonaparte ou que l’on date de la fin du XIXème siècle lors des grandes lois sur l’enseignement supérieur, – la diplomation s’organise-t-elle sur le plan législatif et réglementaire ?
Deux lois contradictoires, en quelque sorte, manifestent bien la culture française en ce domaine.

Première loi que vous connaissez bien, parce qu’elle est le fondement des facultés et des Instituts catholiques, la loi de 1875 relative à la liberté de l’enseignement supérieur, la loi Laboulaye, qui instaure un régime de déclaration d’ouverture.

En ce moment un débat parlementaire, toujours en cours, porte sur la modification, pour les écoles primaires, du régime de déclaration qui serait remplacé par un régime d’autorisation.

Le régime déclaratif est extrêmement intéressant parce que l’on déclare, puis l’on ouvre, on peut être éventuellement contrôlé a posteriori mais on s’adapte au terrain, on s’adapte aux besoins, on bénéficie d’une grande souplesse sans contrainte a priori.

Nous avons ouvert à l’IPC par exemple, une petite formation au concours d’éducateur. Nous n’avons eu à demander l’autorisation à personne. Nous avons rempli notre dossier de déclaration, nous avons fait un partenariat avec la Fondation d’Auteuil, et cela marche bien. S’il y a des problèmes nous nous adaptons, mais c’est très souple. Bien évidemment, nous sommes soumis au droit commun, aux règles d’hygiène et de sécurité, etc. Les critères de qualité sont la satisfaction des étudiants, des parents, des professionnels et les résultats aux concours d’entrée dans les écoles du travail social, écoles en majorité publiques.

Le régime de la déclaration, est vraiment la garantie d’une liberté d’initiative pour l’enseignement primaire, secondaire et supérieur. La CGE s’est d’ailleurs opposée à ce projet de suppression du régime déclaratif envisagé un temps pour le supérieur.

Deuxième loi, la loi de 1875 a été rapidement rectifiée par la loi du 18 mars 1880, qui renforce ce qui était présent déjà sous Napoléon Bonaparte, le principe du « monopole de la collation des grades ». Ce monopole conduit à deux conséquences.

1/ Interdiction aux établissements d’enseignement supérieur privé de délivrer eux-mêmes des diplômes d’État : baccalauréat, licence, maintenant master, doctorat.

2/ Le principe rappelé par la loi du 22 juillet 2013, à savoir l’interdiction pour tout établissement privé supérieur de prendre le nom d’université. Si vous regardez le site des « universités » catholiques, on les appelle maintenant Instituts.

Il est quand même peu croyable qu’en 2016, des universités catholiques, participant au réseau mondial de l’enseignement supérieur, n’aient pas le droit de s’appeler université en France. D’un côté, il y a liberté d’ouvrir des « facultés libres », mais sans diplômes reconnus et sans financement, de l’autre, des interdictions et contraintes d’un autre temps.

Cette évolution est pratiquement inchangée depuis 1875-1880. Il y a bien eu en 1919 une loi, dite loi Astier, qui a ouvert la possibilité d’un enseignement privé professionnel et technique. D’où la multiplication des écoles techniques professionnelles privées, face à l’empêchement d’avoir une université libre ou des facultés libres privées.

Cette loi Astier a donc permis la création d’une multitude d’écoles professionnelles, secondaires et supérieures et de Grandes écoles d’ingénieurs. Les ICAM, datent d’un peu plus longtemps, mais ils se sont développées grâce à cette loi. Et il existe un régime propre aux établissements techniques. Il y a eu en fait un aménagement du monopole de la collation des grades au profit de l’enseignement technique et professionnel par l’intermédiaire, par exemple, de la Commission des Titres d’Ingénieur, organisme non public, qui permet au Ministère d’habiliter les écoles à délivrer le grade de Master (rien n’existe cependant pour le niveau licence). Ce n’est pas au sens strict le diplôme de master, c’est l’habilitation à délivrer le grade, donc il y a un contrôle de l’État et en même temps, pour l’instant, une vraie possibilité de créativité au sein des écoles d’ingénieur.

Concernant l’enseignement universitaire, c’est beaucoup plus compliqué comme nous l’avons vu et plus restreint. Pour les facultés libres, concernant les diplômes, licence, master, doctorat, de l’enseignement universitaire non professionnel et non technique, il faut soit une convention avec une université publique, soit ce que l’on appelle un jury rectoral. La convention est très difficile à passer, il y a des refus. L’université publique a une vision du privé qui n’est pas très bonne (c’est un euphémisme), et se pose en tout état de cause la question de la concurrence. Peut-on passer une convention avec son concurrent ?
Cette situation fait qu’une « université » catholique ou une faculté libre, n’a pas la possibilité de délivrer un diplôme d’État, il faut qu’elle passe par le truchement d’une université publique, qui délivre le diplôme. Sur le diplôme lui-même, il n’y a pas le sceau “université catholique”, il y a le sceau de l’université publique qui passe convention.

Par exemple, l’université catholique de Paris, qui est quand même une grande institution, une vieille institution, qui souffre comme nous de toutes ces réalités y compris financières, n’a pas pu passer de convention à Paris pour la philosophie. Elle est allée chercher une convention à Poitiers il y a déjà presque vingt ans.

Devant ces difficultés, le législateur prévu la formule juridique du jury rectoral : le recteur d’Académie nomme un jury qui est chargé de vérifier que l’on respecte les maquettes ce qui nous permet de préparer un diplôme d’État. Sur le papier, l’IPC n’apparaît pas, c’est l’Académie de Paris qui délivre le diplôme au nom de l’État. Le jury rectoral est d’ailleurs périodiquement remis en question car c’est une souplesse qui garantit une réelle liberté pédagogique.

Tout cela a fortement contribué à limiter l’enseignement universitaire libre. Sans parler du financement, puisque actuellement les dotations de l’État représentent environ 15% des budgets, le reste étant financé par les parents et par des dons.
Il faut savoir par exemple, que le budget d’une école d’ingénieurs ou de commerce, pour les moins chères, est au minimum de 7 à 8 000 € par an ; pour les prépas, c’est de 15 à 20 000 € par an.

Pour les facultés libres, les instituts catholiques, on ne peut pas faire payer 10 000 € pour une licence d’histoire, de philosophie ou de psychologie, même si la qualité est remarquable, ce qui est une évidence dont personne ne doute. Il nous faut un budget « famille-scolarité » de 5 000 € maximum. Ce n’est pas avec cela qu’on fait vivre une faculté et que l’on fait de la recherche.

Les facultés catholiques ont trouvé un stratagème, quand l’État les empêche d’aller sur un terrain, elles ouvrent des formations avec des diplômes du Saint-Siège. L’Église institutionnelle a limité la casse, si je puis dire, en développant depuis très longtemps des formations profanes, laïques, par le biais de la diplomation du Saint-Siège. On peut avoir un diplôme canonique, une licence canonique en philosophie, en droit canon et dans le domaine des sciences sociales.

Mais cette possibilité n’est pas, bien sûr, celle des facultés libres non rattachées au Saint-Siège, non confessionnelles.

Il existe cinq facultés catholiques en France : Paris, Lille, Lyon, Angers et Toulouse. La plus importante étant celle de Lille, très solide grâce à son ancrage local, avec beaucoup d’écoles techniques, professionnelles, une faculté de médecine, etc. Le réseau de la région Nord-Pas-de-Calais a permis à cette faculté catholique de se développer dans des champs non professionnels, mais cela reste aussi limité par rapport aux universités publiques.

Nous sommes en discussion avec le gouvernement actuel et peut-être, nous l’espérons, avec le suivant… Mais cette avance est fragile, parce que c’est un sujet tabou en France, très peu médiatique et médiatisé. Certains savent que si l’on avait les moyens de diplomation et les moyens financiers, l’on se développerait très vite, et peut-être souhaite-t-on que nous ne nous développions pas trop.

II – Conséquence de cet état des lieux, sur le plan pédagogique
Il y a actuellement quatre fédérations : les écoles d’ingénieur « catholiques », avec la Fesic , une union de grandes écoles qui est privée et non-confessionnelle, l’UGEI , les Instituts catholiques, l’Udesca et notre petite Fédération UNFL . En tout, ces établissements représentent 80 000 étudiants.

Nous recevons une subvention du ministère depuis une bonne trentaine d’années. En 2010, nous avons obtenu un contrat, suivi d’une modification réglementaire qui a eu lieu en 2013, suite à un amendement porté par les principales Fédérations : création d’une qualification juridique d’établissement d‘enseignement privé d’intérêt général, à l’instar des hôpitaux et cliniques privés qui s’appellent Établissement hospitaliers privés d’intérêt général.

Ce statut d’intérêt général n’a cependant pas été suivi d’effets concernant la diplomation et le financement. Il y a le cadre juridique mais il n’y a pas eu de conséquences majeures dans ces domaines et, en même temps, ce cadre juridique est assez flou. On le remplit peu à peu et nous souhaiterions qu’on le remplisse, pas forcément en ayant plus d’argent mais en ayant plus de liberté, de capacité pédagogique spécifiques, voire la reconnaissance d’un véritable caractère propre.

Quelques points rapides sur les évolutions à venir.

Premièrement, il faut maintenir le régime de déclaration. Il est clair que si on passe à un régime d’autorisation, il va falloir préciser qui autorise, pourquoi, sur quels critères. Or la souplesse et l’innovation pédagogique demande la capacité d’ouvrir librement, quitte à être contrôlé et évalué a posteriori.

Deuxièmement, les établissements privés à but non lucratif demandant la qualification d’EESPIG sont soumis depuis quelques années aux évaluations de l’agence officielle d’évaluation, qu’on appelait l’AERES, qu’on appelle maintenant le Haut Conseil de l’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (HCERES).

Mais, selon quels critères va-t-on évaluer nos diplômes, nos formations, nos établissements ? Nous donner des notes pédagogiques ? La loi Debré contrôle les établissements sur des heures contractualisées par rapport au programme d’État : la vie extra-scolaire, la vie para-scolaire n’est pas de la compétence de l’État. Il faut bien sûr qu’il n’y ait pas de dérives sur le plan des mœurs, sur le plan de la loi, sur le plan du droit, mais l’État ne doit pas contrôler la pastorale par exemple.

Dans la loi de 2013 qui nous concerne, contrairement à la loi Debré, il n’est pas indiqué le respect d’un caractère propre. Cela me semble problématique.

C’est un vrai sujet à travailler dans les mois qui viennent, car, quand existe un flou juridique, il y a le risque de ne plus avoir la capacité d’initiatives originales, et d’être soumis à des textes qui valent pour tout l’enseignement supérieur, public et privé, à parité, c’est à dire sans véritable distinction.

Troisièmement, la question qui se pose pour le privé sous contrat, qui touche aussi le privé hors contrat, est celle de la concurrence ou de la complémentarité avec l’enseignement public.

Nous avons connu les grandes manifestations de 1984 pour l’école libre. En 1985, ce que l’on a appelé « les circulaires Chevènement », ont néanmoins fait basculer le privé vers une logique de restriction des moyens au détriment du besoin scolaire reconnu. Avant cela, quand les parents voulaient inscrire leurs enfants dans un établissement, l’administration donnait les moyens, parce qu’il y avait ce qu’on appelle « un besoin scolaire reconnu ». Depuis 1985, c’est l’administration qui décide des moyens à octroyer pour le fonctionnement et les ouvertures.
Ainsi, depuis 1984-85, l’enseignement privé est soumis à une règle tacite non écrite du 80/20 : 80 % pour le public, 20 % pour le privé. C’est l’administration rectorale ou ministérielle, qui décide : vous voulez ouvrir un BTS par exemple, vous ne l’ouvrirez pas parce qu’il y a en a assez dans le public.

Pour l’enseignement supérieur, quant à lui, on se heurte à un vrai problème qui vient aussi de cette logique de limitation des moyens. Si une faculté libre ouvre une formation, elle peut être concurrente d’une formation identique dans l’université publique. L’université publique ne va pas souhaiter faire une convention avec une formation qui lui est concurrente, ce que l’on peut comprendre. Le recteur d’Académie ne va pas souhaiter ouvrir une formation concurrente de ses universités publiques dont il est le chancelier.

C’est donc un système assez bloquant. En fait, vous existez à condition que vous ne fassiez pas de l’ombre à l’enseignement public. Par exemple : si vous voulez faire une formation en sanscrit et s’il n’y en a pas dans la même Académie, vous pouvez l’ouvrir. Mais en philosophie, en psychologie, en histoire, en lettres, il y a largement de quoi utiliser les budgets publics, pourquoi ouvrir dans le privé ?

C’est un vrai sujet, à partir de quel moment ce qu’on appelle “la politique de site”, la carte des formations du public va-t-elle permettre une forme d’émulation, sans parler de concurrence, en laissant des initiatives au privé ? Cette forme d’émulation existe dans le système professionnel et technique puisque, à côté des Grandes Écoles publiques d’ingénieurs et de commerce, il y a des Grandes Écoles privées. Mais dans le domaine universitaire, c’est beaucoup plus sensible, et les ouvertures sont très limitées.

Quatrièmement, la question du caractère propre : il n’y a pas, effectivement, dans les textes récents de caractère propre pour le supérieur privé. Quelles en sont les conséquences pédagogiques et que peut-on faire ?

D’abord, il faut constater que le système français a délaissé l’université au profit de la filière Grandes Écoles. Depuis la fin du 18ème siècle, à chaque fois qu’il y a un besoin, on crée une Grande École. Il y a un besoin en sciences sociales, on crée l’École des Hautes Études en Sciences Sociales. Il y a un besoin dans le domaine historique, on crée l’École Pratique des Hautes Études. On crée des écoles à côté des universités.

Et l’on a créé un système d’intégration des Grandes Écoles publiques par la voie des classes préparatoires. Or les classes préparatoires ne correspondent pas à tous les jeunes. Il y a des jeunes qui développent leur potentiel un peu plus tard que l’âge de la classe préparatoire. On le sait tous en tant que pédagogues. Mais l’école privée sous contrat a ouvert beaucoup de classes préparatoires, il faut bien les remplir… Et à côté des classes préparatoires, il y a les BTS, entre les deux il n’y a pas grand chose de possible.

Le “pas grand-chose”, c’est ce que nous essayons de faire dans les Instituts catholiques et les Facultés libres. Le “pas grand-chose” l’est aussi parce que cela ne concerne qu’à peu près 2 % des effectifs étudiants en France.

Je pense que la nation en pâtit parce que les universités publiques, au niveau de la licence, ont un taux d’échec considérable. Et malgré tous les textes depuis quinze-vingt ans sur la licence, on n’arrive pas à se sortir de ce paradoxe, c’est très franco-français. Et c’est un vrai sujet pédagogique.
Il y a une bonne dizaine d’années, Claude Thélot avait été chargé d’organiser une grande concertation sur la France entière. J’avais travaillé sur le sujet et je lui avais posé la question suivante : « il y un taux d’échec en DEUG (à l’époque, c’était le DEUG) absolument considérable, c’est du gâchis. Comment peut-on faire pour éviter cela ? ». Il m’a été répondu : « non, cela, c’est le modèle français ». Je ne sais pas si tous les jeunes qui échouent sont satisfaits du modèle français… De ce fait, on est coincés entre les prépas, les BTS et les licences qui sont quant à elles un peu négligées, – pardon pour les universitaires – parce qu’on travaille beaucoup plus le suivi des étudiants au niveau master, doctorat, qu’au niveau licence. Il y a beaucoup trop d’étudiants dans certains cas.

Première remarque pédagogique : laissons donc l’initiative à l’enseignement public ou à l’enseignement privé de proposer des solutions pédagogiques qui s’adaptent aux différentes formes d’intelligence des jeunes. Une saine émulation n’est pas une concurrence néfaste. Je vois beaucoup d’étudiants, beaucoup de jeunes, qui sont en BTS parce qu’ils n’ont pas le niveau prépa. Il faut être sérieux ! Maintenant, il y a des passerelles entre le BTS et les Grandes Écoles, parce que le système D à la française fonctionne ; quand un système est bloqué, on fait tout le possible pour contourner le système. Mais dans le domaine des sciences humaines et sociales, vous avez des étudiants en fac qui ne travaillent pas, qui ne font rien, c’est du gâchis. Et puis il y a ceux qui sont en CPGE alors que ce n’est pas du tout leur forme d’intelligence, leur désir et leur compétence. Ils peuvent être en situation d’échec alors qu’ils ont un vrai potentiel, et on les décourage car ils ne se sentent pas au niveau.
Par exemple, nous avons développé dans notre réseau et c’est d’ailleurs un peu le système des Instituts catholiques, la notion d’école universitaire qui est très anglo-saxonne. L’ICES l’a déposée comme marque. L’université pourrait aussi développer un style d’école, mais cela, en France, c’est très difficile.

Deuxième remarque pédagogique : beaucoup de jeunes sont déçus de la formation supérieure parce que, de plus en plus, ils demandent à être nourris intérieurement.

Quand on fait des maths, quand on fait de la gestion, quand on fait de l’économie, de l’histoire, on apprend une discipline mais on voudrait aussi être nourri intérieurement. Et cette nourriture intérieure, doit faire partie d’un projet de qualité qui peut d’ailleurs être pastoral dans l’enseignement catholique, mais qui peut être aussi une ouverture à d’autres enseignements et qui demande un accompagnement des étudiants.
Je vois beaucoup d’étudiants qui viennent à l’IPC en cherchant à être nourris, pour ensuite faire des écoles de commerce et rejoindre le système officiel. Il y a des passerelles, pour ceux qui ont un bon niveau en philosophie, pour intégrer des Grandes Écoles.

Mais pour que ces jeunes soient formés correctement, il faut laisser aux équipes pédagogiques le soin de travailler les matières fondamentales, pour nourrir leur vie intérieure parce que vous le savez bien, entre 17 et 22 ans, le jeune est en construction. Et ce créneau de la formation intégrale est un peu abandonné. On se dit : jusqu’au bac, c’est très bien, mais après il faut une prépa, une fac ; la construction, la formation, c’est fini. Non, à cet âge ce n’est pas fini. Les psychologues le savent bien : l’adolescence se prolonge. Et, mon métier principal, qui est de m’occuper des jeunes jusqu’à 22-25 ans, me le montre clairement.

Troisième remarque pédagogique : les enseignants, pour faire carrière, – c’est récent et ce n’est pas un reproche, nous sommes tous tiraillés par cela – ont besoin de faire beaucoup de productions de recherche, de plus en plus de publications scientifiques dans des revues et cela les éloigne peu à peu des préoccupations de la païdeia, de la maïeutique, de l’accompagnement, ce qui pose un problème à terme de distorsion entre des enseignants d’un côté qui sont plus chercheurs qu’enseignants, et des enseignants d’un autre côté qui font moins de recherches et qui, par voie de conséquence, sont moins bien reconnus que ceux qui publient dans des revues prestigieuses.

Beaucoup d’enseignants-chercheurs, chez nous, – à peu près quatre-vingts enseignants extérieurs, qui ont la gentillesse de prendre du temps pour nos étudiants, – disent que, depuis quelques années ce développement quantitatif de la recherche pose un problème pédagogique et finit par nuire à la qualité de la recherche et des publications.
Nous avons aussi, c’est l’inspiration de votre Académie et l’intuition fondatrice de beaucoup d’établissements, – la nécessité d’aider les jeunes à mener leur vie, les aider à réfléchir, les aider à penser et les aider à comprendre ce qu’est l’enseignement de la doctrine sociale de l’Église, pour cela il faut faire un vrai travail d’expertise des différentes sciences, des différents concepts, qui s’offrent à nous, que ce soit dans les sciences dures ou dans les sciences humaines et sociales.

Un chiffre est très révélateur : s’il y a en France 15 % d’élèves dans le privé primaire et secondaire, il y a 0% d’écoles doctorales privées. Toute la recherche doctorale et post-doctorale est publique, avec souvent des budgets considérables.

Je pense que nous risquons, si les choses n’évoluent pas, de continuer à appauvrir notre patrimoine intellectuel lié à toute cette tradition gréco-latine, judéo-chrétienne, et de politiser la recherche.

Certains chercheurs ne peuvent plus chercher parce qu’ils ne trouvent plus de directeur de thèse ou de laboratoire pour développer une recherche originale qui sorte des sentiers battus ou politiquement corrects.

Nous pouvons prendre un deuxième exemple, dans le domaine des sciences sociales. Les sciences de l’éducation font un travail extrêmement intéressant sur le plan pédagogique. Si je prends un ouvrage scientifique en sciences de l’éducation : À l’école des stéréotypes, comprendre et déconstruire. Dans ce travail universitaire, la pédagogie devient clairement une déconstruction des savoirs pour mieux construire son autonomie individuelle. C’est une thèse intéressante, mais qu’il faut discuter, approfondir. Or pour une production scientifique qui essaie de penser autrement, vous en avez neuf qui pensent la même chose. Il est très frappant de voir qu’en France les courants dominants sont, aux États-Unis par exemple, minoritaires. Les grandes universités à l’étranger ont une véritable autonomie de recherche.

En conclusion, nous avons beaucoup développé la liberté de l’enseignement privé dans ce qui rapporte, c’est-à-dire dans le commerce, la gestion, les sciences de l’ingénieur et sans doute pas assez dans le domaine généraliste universitaire qui est le socle de notre culture et qui est la source du savoir que l’école transmet.

Échange de vues

Jean-Pierre Lesage : D’une part, pourriez-vous préciser les délimitations de deux notions voisines que vous avez utilisées : « libre » (que vous avez, me semble-t-il associée, à la doctrine sociale de l’Église, au moins dans le cas de l’établissement que vous dirigez) et « privé ».
D’autre part, vous avez décrit les difficultés que rencontre l’enseignement supérieur libre, petit David face à l’immense Goliath que constitue l’enseignement public. On peut, en effet, rechercher des voies de solution dans un champ de contraintes très lourd, mais n’est-ce pas surtout l’enseignement public qui devrait être réformé ? Vous avez rappelé notamment les très préoccupants taux d’échec des étudiants de premier cycle dans le public.

Michel Boyancé : Sur les expressions “libre” et “privé”, je n’ai pas voulu vous assommer mais effectivement, je dirai que libre est plus large que privé.

Le « libre » concerne trois réalités : la liberté pour les élèves, les étudiants, et les familles de choisir leur établissement ; la liberté pour l’établissement d’avoir un parcours pédagogique propre, original voire religieux dans le cas de la pastorale ; la liberté pour les enseignants d’organiser leur enseignement et leur recherche. Depuis la loi Falloux de 1850, cela s’est installé peu à peu dans le paysage français et le Conseil constitutionnel l’a validé, avec les paradoxes que j’ai soulignés par rapport à des textes sur le monopole parce que s’il y a monopole, il n’y a plus de liberté. Nous sommes dans une contradiction juridique incontestable.

Vous allez me dire : la liberté dans une société de droit est une liberté encadrée. Mais c’est justement cet encadrement qui pose problème parce que dans certains textes, – je pense aux programmes du primaire, du secondaire, – ce n’est pas un encadrement pour que les choses ne débordent pas, ce sont des directives sur l’acte pédagogique devant la classe elle-même et son organisation.

Dans l’enseignement supérieur, cela commence à venir. Nous avons été évalués plusieurs fois par l’AERES il y a quelques années (agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur). Les experts de l’AERES pouvaient dire : « il y a un peu trop de métaphysique, pas assez de sociologie ; un peu trop de ceci, pas assez de cela, etc. »
Mais enfin, si les étudiants réussissent leur diplôme, s’ils ont des débouchés, qu’ils travaillent bien, on ne va pas aller regarder avec quelle méthode cela se fait… En plus, évidement, il risque d’y avoir des a priori idéologiques sur la question.

Donc la liberté, c’est la possibilité, selon un bon principe de subsidiarité, pour la personne humaine, de développer ses compétences, liberté soumise bien sûr à l’aide de l’État et au contrôle de l’État, donc dans un cadre que la nation définit. Alors qu’en France nous avons des contrôles à l’intérieur du cadre et sur les méthodes elles-mêmes. Il faut également souhaiter une liberté d’enseignement pour le public. Il faut que les critères d’enseignement et de recherche soient autant pour le public que pour le privé, tout en respectant les spécificités de chacun d’eux.

Précisons ce que l’on appelle “public” en France : c’est ce qui relève de la fonction publique, du service public ; le statut de fonctionnaire soumis au droit administratif, au droit public par rapport au droit privé.

Et, autre précision importante, dans le privé, il y a deux grandes parties (je n’en ai pas parlé mais cela fait partie du contexte) : le privé lucratif et le privé non-lucratif.

Des 436 000 étudiants dans le privé dont nous avons parlé, une grosse partie est dans le lucratif, avec des groupes étrangers, des fonds de pension qui achètent des écoles. L’État français, je crois qu’il a raison, voit cela avec un peu d’inquiétude et pour limiter ce privé lucratif, il va alors verrouiller tout le système…

Il existe donc le non-lucratif, l’associatif : les instituts catholiques, les écoles d’ingénieurs dont nous avons parlé ont ce statut associatif, comme les hôpitaux, les cliniques privées. L’associatif privé est aussi ambigu parce que vous pouvez faire du commerce avec une association. Moralement, ce n’est pas contradictoire d’avoir une faculté de philosophie à but lucratif ; c’est une question de gestion. La tradition de l’enseignement social de l’Église fait qu’un certain nombre de services des jeunes et de services de l’Église ne sont pas dans ce registre du lucratif, mais plutôt dans le registre de fondations, d’associations à but non-lucratif. L’enseignement et la recherche doivent se fonder sur une certaine gratuité.

À mon sens, l’Église catholique en tant qu’Institution et ceux qui veulent enseigner dans la fidélité à l’enseignement de l’Église doivent bénéficier d’un cadre de liberté et, en France, d’un statut privé.

Pourquoi est-ce que le privé est si canalisé, limité ? Parce que l’enseignement public craint la concurrence. Parce qu’en fait, il y a des problèmes colossaux dans l’enseignement public, qui ne se retrouvent pas dans les Grandes Écoles, chouchoutées, choyées, mais cela coûte 15 à 20 000 € par an et par étudiant à la nation, (les prépas ont à peu près le même coût) et représente un infime pourcentage des étudiants. Il y a donc des masses d’étudiants qui sont délaissées, et qui d’ailleurs ne devraient pas se trouver dans beaucoup de filières universitaires. Il y a beaucoup de gâchis dans notre système scolaire. Et vous avez raison, on ne peut pas traiter Goliath sans traiter David, ni traiter David sans traiter Goliath (ou le Mammouth).

Nicolas Aumonier : Il me semble que l’une des difficultés de l’enseignement supérieur, public, c’est que les enseignants y sont très sévèrement sélectionnés pour un public entrant qui ne l’est pas – à quelques exceptions près -, ce qui pose un très gros problème d’adéquation.

Si je vous suis bien, vous craignez que le monopole étatique de la collation des grades ne condamne à brève échéance les établissements d’enseignement supérieur privé. Mais si l’un d’entre eux offre un enseignement et une recherche de très grande qualité, les étudiants ne pourront-ils y obtenir un diplôme privé peut-être plus reconnu qu’un diplôme d’Etat ?

Le Président : J’avais une remarque à faire, qui est complémentaire.
Avez-vous réfléchi dans une autre perspective : qu’il s’agisse du financement ou de la diplomation, vous avez évoqué, pour le dénoncer, le monopole ; n’y a-t-il pas une autre façon d’aborder la question ?

Le problème ne doit-il pas être pris dans l’autre sens : je crée une marque IPC, je crée un diplôme IPC dont je m’attache à assurer la réputation ; je n‘ai rien à faire d’un diplôme d’État. Mon énergie je la déploie vers les professionnels susceptibles d’embaucher ceux qui ont la formation IPC ? Bref, je défends la concurrence.

La difficulté, quand nous posons de cette façon la question, c’est peut-être que les entreprises privées n’accordent pas suffisamment d’intérêt à d’autres diplômes que le diplôme d’État. N’y aurait-il pas des réflexions et des actions à conduire à ce sujet ?

Pouvons-nous envisager d’avoir des diplômes d’État mais qui seraient concurrencés par des diplômes privés qui seraient des marques en tant que telles ? Est-ce que, finalement, s’agissant de Polytechnique par exemple, sa réputation n’est pas due au fait que c’est Polytechnique et non pas que c’est un diplôme d’ingénieur ?

Dans cette optique, l’IPC n’aurait pas besoin de la reconnaissance de l’État pour attribuer des diplômes qui sont suffisants par eux-mêmes pour garantir une bonne formation, celle dont ont besoin les employeurs.

Michel Boyancé : Premièrement, le monopole de la collation des grades. En fait c’est aussi un monopole pédagogique ; les lycées privés sont sous contrat pour le baccalauréat. Pour les classes préparatoires, c’est très contraignant. Les maquettes de licence sont aussi très contraignantes. L’on ne peut pas faire ce que l’on veut pour l’intérêt des étudiants. Nous essayons de travailler, à l’intérieur des maquettes imposées, des formules originales. Il y a à peu près 10 % des masters qui viennent du privé dont une majorité écrasante d’ingénieurs et de commerces. Mais, c’est assez impressionnant, il n’y a aucun doctorat privé. Les doctorats des Instituts catholiques sont des doctorats du Saint-Siège donc canoniques, voire en double habilitation, au mieux. Et, de plus en plus, pour être reconnu comme compétent en recherche il faut faire ce que l’on fait dans les écoles post-doctorales publiques. Cela nous bloque car nous ne pouvons ni ouvrir, ni financer de manière autonome, une recherche propre. Il y a vraiment un monopole culturel et intellectuel car n’oublions pas que si l’école transmet le savoir, celui-ci s’élabore dans la recherche post-doctorale.

Le diplôme d’État, en France, c’est le seul sésame ! D’abord l’administration a fait en sorte que les concours de la fonction publique soient réservés aux diplômés d’État, donc là, c’est bien verrouillé. Et puis il y a une culture franco-française du diplôme d’État franco-français. Vous avez des écoles comme HEC, l’ESSEC, des écoles d’ingénieur qui sont très reconnues, qui demandent néanmoins une reconnaissance et des diplômes d’État.

Donc vous avez raison, l’IPC est une formation exceptionnelle, extraordinaire et nous pourrions nous passer théoriquement des diplômes d’État, en pratique nous ne le pouvons pas.

Le président : Mais est-ce qu’il vaut mieux se battre avec énergie contre le monopole de la collation des grades ou est-ce qu’il vaudrait mieux se battre pour que les entreprises reconnaissent des diplômes privés ?

Michel Boyancé : Sur le diplôme d’État, j’ai répondu et je crois que c’est dommage mais c’est un fait que tout le monde le veut et l’accepte.
Deuxièmement, sur le plan financier, parlons des entreprises. En fait, nous avons ce que nous méritons. Ailleurs en Europe et surtout aux États-Unis, les mécènes financent les universités. Le mécénat fait partie de la vie, de la culture.

En France, vraiment, nous essayons, tout le monde essaie, les Instituts catholiques essaient aussi mais nous réussissons très peu à obtenir des financements privés, du mécénat. Les entreprises ne financent quasiment que des formations professionnelles dans une perspective strictement utilitaire à court terme.

En France, le mécénat est très surveillé par l’État, les syndicats, les entreprises, etc. Le mécénat est très présent pour les personnes handicapées, les jeunes de banlieues, les œuvres à caractère social. Pour l’enseignement supérieur, il est acquis que c’est l’État qui s’en occupe, il n’y a pas la culture du mécénat d’entreprise. De toutes façons les parents ne souhaitent qu’une chose, que leurs enfants fassent une prépa pour intégrer une Grande École publique. Résultat, il y a une liberté dans le primaire mais dans le supérieur, c’est l’école publique qui conserve le monopole, parce que les parents le demandent, même ceux qui militent pour l’école privée.

C’est culturel, c’est un problème de fond, de culture de masse française où l’on ne voit pas l’intérêt d’une liberté de l’enseignement supérieur puisque l’on cherche à faire une Grande école. C’est très bien par ailleurs. Il y a beaucoup de personnes, ici, qui ont fait, les Mines, Centrale, Normale sup, les Chartes, l’ENA, Sciences Po…

Science Po a été nationalisée en 1945. Avant elle était une Ecole libre des sciences politiques, fondée par des familles… Depuis il n’y a plus en France de formation sérieuse et libre en science politique ; il y a quelques filières dans les Instituts catholiques comme l’Ices. Cela devrait au moins nous porter à réfléchir…

Isabelle Callies : En fait, vous avez déjà répondu en partie à ma question. Justement, je voulais aborder la question des familles et de certaines pressions que peuvent subir parfois les jeunes, dans leur orientation, pour les études supérieures.

Je pense que ce n’est pas seulement une question de culture mais c’est aussi une question, pour reprendre une expression de notre pape François, de “mondanité”. En fait, on est en train de choisir l’enseignement supérieur en fonction de ce que pense le monde et pas forcément en fonction de ce qui est bon pour le jeune. On ne choisit plus la formation parce que c’est une bonne formation. On choisit une formation parce qu’elle offre un grand réseau, parce qu’elle offre en fait un titre et une bonne carte de visite.
Il me semble que le problème de la diplomation que vous avez évoqué est vraiment lié à ces mentalités qui sont très présentes, notamment dans le milieu catholique, avec des familles – que certains qualifieraient de « très bien sous tous rapports » – et qui pour autant ont une influence particulièrement paradoxale dans l’orientation de leurs enfants quand il s’agit de faire des études supérieures qui peuvent éventuellement servir la doctrine sociale de l’Église. Lorsqu’un jeune tend à choisir des études qui vont dans ce sens, qui sortent parfois des sentiers battus, trop souvent il ne trouve pas le soutien familial pour poursuivre dans cette voie.

Je pense, par exemple, aux écoles de commerce, aux nouvelles écoles de commerce qui proposent une formation très proche de la doctrine sociale de l’Église, qui souhaitent former de futurs chefs d’entreprise d’une grande qualité, etc. J’observe que dans beaucoup de familles, qui paradoxalement sont catholiques, on continue à privilégier des écoles qui forment des jeunes à rester dans le monde tel qu’on le connaît aujourd’hui.

Michel Boyancé  : Vous avez tout à fait raison. Il y a aussi une question d’offre et de demande. C’est-à-dire que l’offre étant pauvre, la demande est pauvre.

Mon expérience est qu’il y a deux réalités très importantes. D’abord le monopole de l’État fait que l’orientation est très administrative et figée et ne correspond pas à des formes d’intelligence qui peuvent réussir autrement.

On distingue aujourd’hui en psychologie cognitive huit formes d’intelligence : cela montre qu’il y a une certaine souplesse dans la manière d’apprendre, et qu’il devrait y avoir la même souplesse dans l’offre de formation.

Deuxième constat sur l’orientation ; je vois beaucoup de jeunes qui disent : « Je n’ai pas choisi mes études. Je suis bon, je vais là. Je ne suis pas bon, je vais ailleurs ». D’où la question de la « nourriture ». J’ai reçu, il n’y a pas longtemps, une jeune qui est à Sciences Po en deuxième année qui disait d’elle-même que la formation à Sciences Po est surfaite.

En effet, vous avez 20 000 étudiants sur l’ensemble des prépas, vous prenez dans une école les 300 meilleures notes au bac, l’école suivante prend les 300 meilleures qui suivent, et ainsi de suite, et vous pensez avoir une bonne école. Ce n’est pas une bonne école : c’est une école qui a de très bons élèves, encore faut-il que les cours les nourrissent et les forment.

On vit sur un acquis qui me semble devenir de la publicité mensongère.
Troisièmement, vous avez tout à fait raison, c’est une forme de mondanité. Alors, d’où cela vient-il ? Est-ce du fait que l’on s’est rallié au système ? Parce que c’est le système qui nous fait réussir et on préfère réussir qu’être hors système. Le système nous fait réussir en empêchant qu’on réussisse sur un autre registre que ce que le système veut qu’on fasse. Donc il y a une contradiction effectivement, en termes sociologiques et culturels. Et le monde catholique a déserté ce sujet.

Anne Duthilleul : J’avais une question sur le besoin de « nourriture » des élèves, et peut-être une suggestion, parce que vous avez parlé de concurrence ou de complémentarité. Et, si je puis me permettre un témoignage personnel, ce qui m’a beaucoup intéressée dans mes études supérieures, c’est que souvent les mathématiques rejoignaient la philosophie à un certain niveau. Donc avoir dans le même établissement et le même cursus une ouverture sur des sciences humaines, sociales et des sciences dures ou des enseignements commerciaux, politiques ou autres, ou encore la littérature, ça me paraît extrêmement riche.

Alors est-ce que cela ne peut pas être une voie aussi pour l’enseignement privé, puisque vous avez beaucoup d’enseignements professionnels, de donner cette « nourriture » philosophique qu’apporte l’IPC dans l’enseignement professionnel privé en permettant des échanges et des complémentarités entre vous dans l’enseignement privé ? Et puis peut-être proposer à des écoles commerciales des formations humaines, psychologiques ou philosophiques ou plus littéraires dans leur cursus, pour jouer sur la complémentarité ?

Michel Boyancé : Dans les écoles de commerce et dans les Grandes Écoles publiques d’ingénieurs, il y a de très bons professeurs de philosophie. La question c’est que, à un moment donné, pour avoir une vraie formation qui donne une influence sur la pensée, c’est un métier. On peut donner un complément à des jeunes ingénieurs, à des jeunes commerciaux ou autres mais il faut pouvoir aussi développer des compétences spécifiques en philosophie, en psychologie, en sociologie qui soient de niveau universitaire avec une certaine liberté de recherche et d’enseignement.

Ce que vous dites est très important. Beaucoup d’écoles, je pense à l’ESSEC, l’EDHEC, ont des programmes variés d’éthique. Les ICAM, animées par les jésuites, ont un vrai souci de formation humaine de leurs ingénieurs. Donc c’est possible.

Mais, encore une fois, le fait d’avoir 2 % d’étudiants en France dans des facultés universitaires libres est un chiffre qui pose problème.

Pierre de Lauzun : Vous avez fait allusion à l’Europe à plusieurs reprises. Qu’est-ce qui peut être attendu de ce côté-là ? Je parle de l’Europe juridique et politique, du fait que la matrice des traités est d’abord fondée sur la concurrence. Il y a une obsession de la concurrence qui est même parfois excessive. Dès lors il est stupéfiant qu’on tolère un monopole aberrant, qui en plus n’existe que dans un pays. C’est la première question.

Une deuxième question, liée à celle-là : quelles sont les possibilités d’utiliser des diplômes étrangers ? Le cas du Saint-Siège est très particulier, mais des diplômes britanniques, belges, italiens ou autres théoriquement pourraient être utilisables. Ce n’est pas évident, bien sûr il y a notamment le problème de la langue.

Michel Boyancé  : La réponse actuelle est juridique : l’enseignement et l’éducation sont de la compétence des États membres. Tous nos interlocuteurs européens disent qu’ils n’y toucheront pas…
En France, en raison de notre culture, l’on n’ose pas, même dans nos réseaux, créer un contentieux avec l’État sur ce sujet, parce qu’on craint le retour de manivelle.

Mais on le pourrait, il y a déjà eu des jurisprudences à la Cour européenne des Droits de l’homme sur la liberté de concurrence dans l’enseignement, y compris dans l’enseignement supérieur. Il y a déjà eu quelques arrêtés, quelques avis, sur le sujet qui sont intéressants.

Mais l’on n’ose pas pousser le contentieux parce que on a peur de perdre le peu de subventions reçues et les diplômes.

Donc l’État français a les compétences, l’Europe n’a pas les compétences concernant l’éducation.

Deuxièmement, pour les diplômes nous essayons de faire changer les choses mais c’est difficile en raison des mentalités dont nous avons parlé. Depuis dix à quinze ans, l’administration – je parle plus de l’administration que des ministres ou de leur cabinet – sentant le danger de la collation des grades par l’Europe ou par la mondialisation, renforce de plus en plus ce monopole en l’étendant comme nous l’avons vu.

Je prends un exemple, fin 2008, il y a eu un accord entre l’État français et le Saint-Siège. Début 2009, le ministère, Valérie Pécresse étant ministre, a publié un texte de l’administration, disant : « Le monopole reste intact ». Une association de libre-pensée a fait un recours devant le Conseil d’État.
En juin-juillet 2009, l’arrêt du Conseil d’État a stipulé que cela ne changeait rien à la collation des grades. Cet arrêt qui aurait pu faire reconnaître les diplômes du Saint-Siège par l’État français, a été complètement vidé de sa substance. Le Conseil d’État, voyant le flou, est allé dans le sens du monopole.

Séance du 1er décembre 2016