par Philippe Laburthe-Tolra, Doyen honoraire de la Faculté des Sciences Humaines et Sociales de la Sorbonne (Paris V)

Les « Lumières », élaborées pour une bonne part en opposition à la révélation biblique, inclinaient à penser que la descendance d’un ancêtre commun ou monogénisme était mythique et que la diversité des races plaidait pour le polygénisme, c’est-à-dire pour la diversité d’origine des hommes (ce qui eût justifié leur inégalité).

De nos jours, l’anthropologie physique la plus agnostique établit le contraire : l’étude de l’ADN de l’homo sapiens sapiens prouve que sous ses phénotypes les plus divers (Pygmées, Chinois, Cafres, Suédois, etc.) l’homme actuel descend d’une souche commune qui remonterait à environ 100 000 ans.

De son côté, l’ethnologie a découvert de grandes analogies sous-jacentes à la disparité apparente des cultures, et réfuté les idées de primitivisme, mentalité pré-logique, etc.

L’écologie a montré d’une part l’intelligence des adaptations passées de l’homme au milieu, d’autre part l’actuelle responsabilité accrue de tous envers ce milieu en fonction à la fois de la pression démographique et du progrès des communications.

D’où l’urgence de construire la solidarité mondiale.

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Le Président : Nous abordons aujourd’hui notre sujet sous son aspect scientifique. Où en est la recherche sur l’unité du genre humain ? Que disent l’anthropologie, l’ethnologie, l’écologie ?

Encore fallait-il découvrir l’anthropologue et l’ethnologue. « Un nom s’impose à nous, nous a dit à l’époque Isabelle Mourral, c’est celui de Philippe Laburthe-Tolra. » Nous sommes alors allés à votre rencontre, Monsieur le Doyen, par la lecture d’abord, par l’entretien ensuite.
Vous êtes économe du temps de vos lecteurs. Ils savent dès les premières pages à quoi s’en tenir. Dans votre ouvrage fondamental Vers la Lumière ou le désir d’Ariel paru en 1999, celui-ci porte en sous-titre “À propos des Beti du Cameroun, sociologie de la conversion”. Et voici la phrase initiale : « Le propos du présent ouvrage est d’examiner la conversion religieuse ou idéologique à partir d’un cas, la conversion au catholicisme d’un groupe africain étudié à partir d’une paroisse particulière ». Dans Critique de la raison ethnologique paru en 98 : « Aller à l’essentiel qui consiste à distinguer ethnographie, ethnologie et anthropologie sociale, apprendre tout ce qu’on peut apprendre de l’Homme, rien de moins. » Dans École de Liberté, le dernier, paru en juillet 2001, « Je me propose, dites-vous, un discours en deux temps. D’abord l’histoire de l’éducation que j’ai reçue jusqu’à 17 ans, puis une réflexion sur les leçons à tirer de l’aventure. ». L’ethnologue, ici, se prend lui-même comme terrain d’étude.
Votre œuvre scientifique a pour cadre l’Afrique, le Cameroun. « Á travers le Cameroun, du sud au nord », « Initiation et sociétés secrètes au Cameroun », « Les Seigneurs de la forêt ». Vous publiez deux romans historiques de l’ancienne Afrique, « Le tombeau du Soleil, Chroniques Benzo », et « L’étendard du prophète, chronique seule ».

Mais, à l’origine, vous êtes agrégé de philosophie. Vous aviez observé cependant que la place de 1er au concours précédent avait fait que le lauréat avait été affecté au lycée de Brive-la-Gaillarde. Vous redoutiez de quitter Paris sauf à connaître le vaste monde, ce qui fut fait. Vous fûtes envoyé au Dahomey puis au Cameroun où vous avez dû vous reconvertir à l’ethnologie.
Cette première culture, la culture philosophique, imprègne les ouvrages que j’ai lus. Singulièrement Critique de la Raison ethnologique qui s’achève par une méditation sur le problème de l’identité et une sorte de dialogue intérieur entre « je » et « l’autre » ; dialogue qui vous élève au dialogue entre les peuples et à leur inter-compréhension, « cette espérance, dites-vous, de rencontre qui est l’objet de la Raison ethnologique ».
Votre livre le plus récent, Écoles de Liberté, est le récit de vos dix-sept premières années. Votre naissance dans cette bourgeoisie aisée du VIIe arrondissement que vous évoquez avec beaucoup d’objectivité et de sincérité, suivant des modes de vie qui permettraient à beaucoup d’entre nous d’évoquer leur propre enfance. Vos années d’école, depuis la 6e à l’école de La Rochefoucauld, chez les Frères des Écoles Chrétiennes rue Saint Dominique et le lycée Louis Le Grand. Vous avez été toujours un brillant élève qui, à seize ans, était bachelier philo.
C’est encore le philosophe qui tire les conclusions de son éducation. L’hommage que vous voulez rendre à vos maîtres, tant de l’Enseignement catholique que de l’Enseignement publique, c’est de vous avoir appris à exercer votre liberté suivant des bases qui – comme on dit dans la marine – « assureront » votre vie. Je lis cette citation à la page 127 : « En quoi consistent ces bases ? Tout d’abord en ce principe de la Récollection, c’est-à-dire du recueillement, du bilan intérieur, de la quête du plus profond de soi pour éclairer sa décision. Ce principe de sagesse stoïcienne qu’au début du XIIIe siècle le Concile étendit à tout le peuple de la chrétienté en l’obligeant à la Confession, donc à l’examen de conscience, a été caricaturé par les Organismes totalitaires sous le nom d’“autocritique” avec la différence que cette autocritique se fait en référence à des normes extrinsèques au sujet, celles du groupe et non par confrontation intime de soi à soi dans ce que Saint-Paul appelle “la liberté des enfants de Dieu”
Nous vous accueillons donc ce soir avec une grande satisfaction. En effet, vous auriez pu être l’un des communicants majeurs de notre programme de l’an dernier Repenser l’Éducation nationale, suivant les leçons que vous avez tirées de votre propre scolarité. Mais vous êtes le premier communicant de notre programme sur l’Unité du Genre humain.
Nous vous félicitons de cette polyvalence de compétences et, en même temps, nous rendons grâce à Mme Isabelle Mourral de vous avoir invité, ce qui est une nouvelle manière de l’associer à cette séance.

Philippe Laburthe-Tolra : Je suis tout à fait confus de ce que le Président vient de dire de moi. Heureusement il s’est un peu perdu dans la forêt tropicale de mes œuvres. Je n’ai pas toujours été un bon élève, j’ai été un très mauvais élève dans le début du secondaire. J’étais vraiment noyé à un moment. Peu importent les détails, je le remercie de tout ce qu’il a dit d’aimable et d’excessif et je vais passer au sujet.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, je remercie beaucoup l’A.E.S. de l’honneur qu’elle me fait de m’inviter à parler devant elle. Mais en même temps j’éprouve les limites de ma compétence car je suis resté ethnologue et j’aurais dû me contenter de faire le point de l’ethnologie actuelle. Mais, après tout, étant un peu philosophe, je me risque à suivre le conseil de l’ingénieur centralien Boris Vian « Soyez un spécialiste de tout ».
Étant homme, je me risquerai à parler aussi bien de l’état de la recherche actuelle en matière d’anthropologie physique que d’écologie.

I – L’unité physique du genre humain
L’Unité du genre humain, c’est d’abord celle de sa race, de son phylum génétique. Cette unité physique est-elle évidente ? Quand Aristote définit l’Homme comme “animal politique” – le sens exact de “politique” reste en débat – mais pas celui d’animal. L’Homme est bien un mammifère. Il se diffuse sous différentes espèces entre lesquelles existe la possibilité d’inter-fécondation et Aristote, déjà, remarque la similitude de l’Homme avec le singe. Le genre “Homme” n’est-il pas lui-même une spécification d’un ordre plus général, celui des primates supérieurs ?
La relation du singe-nu aux grands anthropoïdes, lesquels, je le rappelle ont été découverts bien après Aristote, c’est-à-dire le gorille, l’orang-outang etc., cette relation n’est-elle pas fraternelle et familiale ?
En tout cas, on peut retenir l’ancienneté de cette idée que l’Homme est proche parent du singe et dans les temps modernes elle est reprise voici 400 ans par un savant moine libertin, Vanini, qui, pour cette raison parmi d’autres, monte sur le bûcher à Toulouse en 1619. Les autres raisons c’est qu’il est accusé de magie et d’athéisme. L’athéisme est très clair, il faut bien l’avouer.
Les découvertes de races lointaines dont certaines vivent à l’état de nature et le rapprochement du paganisme antique avec les civilisations exotiques ; le développement de l’esprit critique, tous ces bouleversements de la Renaissance, les progrès des sciences physiques et naturelles amènent de plus en plus à remettre en cause le récit exposé dans la Genèse, le récit de la création d’Adam comme ancêtre unique, avec Ève, de toute l’Humanité, ainsi que la malédiction qui s’ensuit.
Ceux qu’on nomme “les philosophes des Lumières” étayent d’abord leur pensée dans une large mesure par opposition à la Révélation biblique. Au XVIIIe siècle une partie des gens éclairés inclinent donc à penser que la descendance d’un ancêtre commun, monogénisme, est mythique, et que la diversité des races plaide pour le polygénisme c’est-à-dire pour la diversité d’origine des Hommes. Il est logique, apparemment, de supposer que les quatre races humaines de la classification linéenne : la blanche, la noire, la jaune et la rouge, correspondant en gros aux quatre continents, Europe, Asie, Amérique, Afrique, ont chacune leurs propres ancêtres.
Certains intérêts sont à l’œuvre sous cette qualification. Si je ne suis pas le frère de l’Amérindien ou du nègre, je peux plus facilement justifier l’entreprise de le dominer ou de l’asservir, de le réduire en esclavage. Voltaire peut toucher sans scrupule les dividendes du commerce triangulaire.
Avec la croyance au progrès, et donc à l’évolution, on voit surgir la notion de race arriérée. Nos grands-pères mesuraient leur angle facial, indice du développement inégal de leur intelligence. Nos programmes de philosophie des années 50 parlaient encore de sociétés inférieures.
Au début du XIXe, l’Église de France elle-même a voulu cantonner les Pères du Saint-Esprit au service des Blancs, sous les Tropiques. On voit leur refondateur, le bienheureux Père Liebermann, voulant mettre les Pères du Saint-Esprit au service des Noirs, obligé dans les années 1840 d’expliquer à un évêque que la malédiction de Cham, si elle a jamais existé, est abolie par la Rédemption et le sacrifice du Christ. L’évêque de Tours, lui, disait : « Abandonnez-les à leur malédiction ! Il y a tellement à faire avec les Blancs sous les Tropiques, occupez-vous d’abord de vos frères de race. »
Cela dit, il faut bien convenir que les arguments pour convenir de l’unité de la race humaine dont on dispose à l’époque sont surtout théologiques et moraux. On le voit par une Conférence à Notre-Dame de ce contemporain exact de Liebermann, le Père Lacordaire, qui dans la ligne du catholicisme libéral et bien sûr de l’Évangile exalte la fraternité humaine en soulignant que si un seul dogme chrétien devait être préservé, ce serait bien celui de la création d’Adam comme Père de tous les Hommes.
Buffon, au siècle précédent, croyait, lui, à l’unité de la race humaine. Il attribuait sa diversification à l’environnement – c’était fort intelligent, je crois – mais en même temps, il le dit lui-même, il part de la Genèse : « je crois à cette unité parce qu’elle nous est affirmée ».
Au XIXe siècle, et même dans la première moitié du XXe, la probabilité que l’Homme descende d’une pluralité de souches paraît scientifiquement de loin la plus forte.
Or, ce qui est intéressant, c’est que de nos jours l’anthropologie physique la plus agnostique établit le contraire. Je me réfère à deux livres écrits en français, faciles à trouver, Yves Coppens Le singe, l’Afrique et l’Homme, 1983, déjà ancien et démodé parce que les découvertes s’accélèrent ; Langaney Les hommes, Armand Colin, 1988. Il y a eu un très bon numéro de la revue Le Point en février 1999 qui s’intitule astucieusement “L’Odyssée de l’espèce”.
L’étude de l’ADN de l’homo sapiens sapiens prouve que, sous ses phénotypes, ses apparences les plus diverses, l’Homme actuel descend d’une souche commune qui ne remonterait qu’à environ 100 000 ans. C’est la découverte de la femme et de l’enfant de Qafzeh en Israël par le Français Vandermersch. La découverte s’est faite en 1967, la datation seulement vingt-deux ans plus tard, datée de 92 000 ans ; c’est très peu. Je me permettrai de vous rappeler que les premiers hominiens remontent actuellement à plus de 3 millions d’années – Lucy, 3 millions 200 000 ; Abel, 3 millions 600 000, etc. Les plus anciens primates remontent, eux, à 70 millions d’années ; le premier mammifère à plus de 200 millions d’années ; les premiers vertébrés à plus de 500 millions d’années ; les premiers animaux à 1 milliard. Les premières traces de vie sont au-delà de 3 milliards 500 millions d’années.
Donc l’Homme est tout récent et d’ailleurs Teilhard de Chardin a opposé des transformations millénaires, la lenteur de l’évolution des animaux, aux rapides transformations des Hommes proches de nous. L’Homme est d’invention moderne, “invention” étant pris dans le sens étymologique de “découverte”, et, apparemment, étant donné nos différences d’ADN, nous ne descendons même pas de l’hominien le plus proche de nous, l’homo sapiens néanderthalis, l’homme de Néanderthal, qui pourtant paraît avoir vécu quelques 30 000 ans en compagnie de notre ancêtre sapiens sapiens, alias l’homme de Cromagnon. L’homme de Néanderthal a disparu sans descendance. On ne sait pas encore dans quelles circonstances. Est-ce que c’est l’homo sapiens qui l’a exterminé ? On ne sait pas. Ce qu’on croit savoir de nos ancêtres directs, c’est qu’ils étaient très cannibales. La viande de chasse était peut-être rare…
C’est dire à quel point nous sommes encore plus loin des autres brouillons de l’Homme que sont l’homo erectus et son prédécesseur l’homo habilis d’il y a 2 millions d’années ; pour ne rien dire des anthropoïdes qui précèdent et dont on découvre constamment de nouveaux fossiles, qui remettent en cause l’arborescence généalogique du genre homo et des primates en général.
Ces hommes ou préhominiens qui intéressent beaucoup la paléontologie sont des primates qui ne paraissent pas posséder les organes de la phonation. Ils ont sûrement des cris comme les singes et les mammifères, mais non un langage articulé.
N’étant pas spécialiste, je passe sur les découvertes qui, de la biotypologie à l’hémotypologie et à la génétique, donnent le détail de migrations et de métissages, en nous renseignant sur ce cocktail étonnant des types humains actuels qui a permis au Musée de l’Homme de sous-titrer son exposition sur ce sujet – Les races humaines – “Tous parents, tous différents”.
Aujourd’hui, alors que nous sommes devenus en relativement peu de temps si nombreux, il ne subsiste plus de doute sur la profonde unité animale du genre humain, même si chacun de nous est caractérisé dans son identité individuelle, comme vous l’avez bien dit, dans sa singularité par des traits physiques uniques qui sont les empreintes digitales et l’iris de l’œil. Cela permet d’identifier à coup sûr tous les hommes sauf s’il s’agit de jumeaux homozygotes.

II – L’unité ethnologique
L’animal politique est « un ». Il est « un » en tant qu’animal, est-il « un » en tant que politique ?
D’après les hellénistes, il semble bien que la traduction moderne exacte de politikon quant Aristote définit l’Homme comme zoon politikon serait “social” plutôt que politique. L’Homme est un animal social. Les sociétés humaines en tant que telles montrent-elles des traits communs qui prouvent qu’elles sont unes en tant qu’humaines ? L’ethnologie, la science des peuples et des sociétés, qu’on appellerait plutôt maintenant l’anthropologie sociale, a effectué un parcours analogue à celui que nous venons de rappeler brièvement en ce qui concerne l’anthropologie physique. Les intérêts coloniaux remplaçaient les intérêts esclavagistes : ils ont amené ceux qui s’estiment les plus civilisés à ne discerner ailleurs, dans la différence des sociétés lointaines, que la bizarrerie ou l’infériorité.
Au XIXe siècle et au début du XXe, on pense qu’à côté de sociétés occidentales, évolutives et ouvertes au progrès, végètent de façon plus ou moins inférieures d’autres sociétés, très différentes, ignorant la plus part du temps l’écriture et les arts mécaniques, fusionnées en lignages, en tribus, c’est-à-dire incapables de former des États-Nations et surtout fondées sur la tradition, c’est-à-dire faisant du passé leur référence ; et par là donc immobiles, figées, étrangères au mouvement de l’Histoire et au changement. Ses membres sont victimes de la mentalité primitive, de la mentalité prélogique qui affirme – et cela rappellera sans doute des souvenirs à certains d’entre vous – que les Bororos sont en même temps des Araras, c’est-à-dire que des Amérindiens, des hommes, s’estiment en même temps être des perroquets, des non-hommes. Autrement dit ils affirment que A est non-A que l’Homme est en même temps non-Homme ; ce qui viole le principe d’identité, base de notre précieuse logique pour laquelle A est A. Cette confusion d’esprit, qui favorise en même temps la fusion de l’individu plus ou moins indistinct au sein du groupe, est à la base de croyances telles que le totémisme. Dans le totémisme, l’homme est effectivement en même temps son totem, c’est-à-dire l’animal de la société à laquelle il appartient et ces croyances caractérisent des religions locales, animistes, cosmobiologiques fondées sur le culte des ancêtres ou des esprits, et sur le cycle agraire lui-même fonction du rythme des saisons.
Cette religion primitive est longuement exposée, d’ailleurs avec l’arrière-pensée d’attaquer également les religions non primitives, dans une perspective évolutionniste à travers l’œuvre monumentale de l’écossais Frazer (1854-1941). Le cœur de cette œuvre c’est Le rameau d’or qui réalise une synthèse brillante de fragments de cultes antiques, de coutumes anciennes et modernes, de récits mythiques émanant de toutes les sociétés dites primitives. Ceci dans un style artiste qui explique pour beaucoup le succès de l’auteur, un style dont l’équivalent français serait celui du contemporain Huysmans. Sir James Frazer devient l’ethnologue le plus célèbre du XXe siècle. Il jouit d’une influence considérable, il inspire beaucoup d’écrivains. Par exemple, chez nous, Saint-John Perse se réfère à une ethnologie qui est celle de Frazer. Anabase et tous ces grands poèmes que j’aime beaucoup par ailleurs, délirent sur les thèmes présentés dans Le rameau d’or.
Le problème, c’est que les ethnologues de cette époque, tel en France, justement, l’inventeur de la mentalité primitive Levy-Bruhl, ne sont jamais sortis de chez eux. La femme de Frazer l’enfermait à double tour dans sa bibliothèque pour l’obliger à produire. Quand on lui a demandé un jour s’il avait rencontré l’un de ces sauvages sur lesquels il dissertait si compendieusement, il s’écria : « Dieu m’en garde ! »
Tout va changer au moment où des Britanniques comme Radcliffe-Browm et surtout l’anglo-polonais Malinowski séjournent longuement dans les lieu les plus isolés et pratiquent l’observation participante dans les îles les plus ignorées du Pacifique.
L’“observation participante” consiste d’abord à observer mais à participer aussi le plus possible à la vie des gens qu’on observe. Malinowski fait éclater les préjugés occidentaux au sujet de la mentalité primitive et aussi d’un mythe qui a longue vie puisqu’il est repris par les Africains eux-mêmes, le mythe du communautarisme : on est tellement fusionné que tout le monde s’occupe de chacun et chacun de tout le monde etc. On crée une sorte d’âge d’or imaginaire qui sert de repoussoir au modernisme. Les intégristes de tout genre savent se servir de ce mythe en mettant les difficultés modernes sur le dos de l’individualisme occidental. Malinowski fait observer que les Indigènes parmi lesquels il vit sont capables de se montrer dans les cadres sociaux qui sont les leurs parfaitement rationalistes et individualistes.
Linton, un peu plus tard Levi-Strauss vont montrer que le totémisme est avant tout un système classificatoire – comme il le reste ou le devient chez les scouts, on peut appartenir à la “Ronde de la Gazelle”, mais on sait bien qu’on n’est pas une gazelle ; le mot sert d’étiquette au groupe.
Dès les premiers livres de Levy-Bruhl se produisent des réactions disant que la mystique participative transcende le principe d’identité dans toutes les religions. La méthode de Levy-Bruhl qui consiste à rassembler en faveur d’une thèse énoncée a priori (celle de Frazer) des faits épars détachés de leur contexte est sévèrement critiquée. Il faut toujours comprendre les phénomènes dans leur contexte et la linguistique qui se développe nous met en présence de langues riches, créatives, ainsi que de grammaires fort élaborées parfois même chez les peuples sans écriture. Dans La pensée sauvage, Levi-Strauss détaille les systèmes scientifiques spontanés et complexes qui caractérisent ces sociétés de l’oralité. La science sauvage, (parce qu’il prend “sauvage” au sens étymologique sylvaticus, la science des gens de la brousse, de la forêt), est celle qui a su créer, au néolithique, l’infrastructure qui reste celle de notre vie quotidienne, c’est-à-dire la poterie, le tissage, l’agriculture, la métallurgie, la domestication des animaux, etc.
Les ethno-historiens, à partir du moment où l’on étudie l’histoire des sociétés, n’ont pas de peine à montrer que toute société change, que toute société a une histoire même si la perception du changement n’est pas la même. Il faut d’abord se rendre compte que le passé est source de légitimité, il l’a longtemps été chez nous. Il en est allé de même sous bien des rapports. Ceux d’entre vous qui ont une culture classique se rappellent à quel point Caton fustigeait les mœurs modernes et se référait ad mos majorum, les coutumes des Ancêtres – le Sénat romain est un Conseil des Anciens, tribal. On retrouve toujours cette référence à l’ancienneté comme base de la légitimité dans, par exemple, les sociétés à ordre où il y a une noblesse, une monarchie, etc.
Est-ce que la confiance faite au passé est une marque d’infériorité intellectuelle ? En soi, s’appuyer sur les certitudes de l’expérience passée est peut-être une attitude plus rationnelle que notre foi aveugle actuelle dans les vertus du changement qui entraîne une sorte de fébrilité de changer pour changer.
Dans la deuxième moitié du XXe siècle, les différences psycho-sociologiques qu’on avait cru remarquer entre les groupes humains s’amenuisent. Est-ce qu’on va trouver entre tous ces groupes un substrat commun qui fournirait une base objective à cette notion de nature humaine qui a servi de base ou de référence pendant des siècles aux morales universalistes ? Les choses ne sont pas si simples. Pourquoi ? Parce que les idéologies de la seconde moitié du XXe siècle se méfient de cette notion substantialiste de nature. Elles veulent que l’homme individuel comme l’homme social soient principalement, voire exclusivement, le produit d’une culture, d’une histoire, d’une fabrication plus ou moins artificielle qui l’oppose à la nature.
Ceci entraîne de multiples conséquences. C’est l’un des centres de la pensée complexe de Levi-Strauss qui repère dans l’universalité de l’interdit de l’inceste, propre à l’Homme et apparemment inconnu de l’animal, l’irruption de la règle comme origine de la sociabilité humaine et comme marque de ce qu’elle a de spécifique, à savoir l’échange des femmes – je ne peux pas épouser ma sœur, donc je vais la donner à quelqu’un d’autre, créant société avec cet autre qui va en échange me donner une sœur, une cousine, etc. Cela fait éclater la cellule restreinte de la famille étroite. A partir de là, ce qui caractérise les sociétés c’est l’échange, non seulement des femmes, mais des biens, et des mots. Le commerce sous le triple sens qu’il avait dans la langue classique : échange sexuel, échanges des biens et de la conversation.
À ce moment-là, si l’on ne veut pas jouer trop sur les termes qu’on emploie, cet interdit de l’inceste, du seul fait qu’il est un trait universel propre à l’Homme, n’est-il pas constitutif d’une quasi-nature humaine ? C’est cette nature que le savant ethnologue Roger Bastide tente de redéfinir dans un article où il s’oppose à Levi-Strauss en 1962, il essaie de le reprendre parce qu’il a du respect pour la grande intelligence de Levi-Strauss, mais en même temps il essaie de le dépasser. Cet article s’appelle La nature humaine, le point de vue du sociologue et de l’ethnologue.. Il montre que l’esprit humain structure dans toute société un système d’images et de valeurs qui inclue la science comme recherche du Vrai, la morale comme recherche du Bien, mais aussi les Institutions politiques, sociales, religieuses. Ce système, l’Homme tente de le transmettre, de le perpétuer ; mais, en même temps sa liberté demeure toujours insatisfaite, ce qui engendre un changement progressif des valeurs et donc l’Histoire. La transcendance de l’Homme, au sens sartrien, le fait qu’il se dépasse lui-même, s’exerce toujours pour donner par son activité symbolique du sens à ce qui lui est donné comme déjà constitué, et pour amener des changements, des transformations.
De ce point de vue, tous les types d’Homme et tous les types de sociétés humaines partagent exactement le même destin. Quelle que soit la disparité apparente des cultures, elles peuvent, elles doivent dialoguer au sujet de ce destin. Le langage, la traductabilité – bien entendu il y a de l’intraduisible partout mais il y a toujours du traduisible dans une langue -, le langage paraît être là aussi un des traits évidents de la nature humaine. C’est un sujet que Vercors avait traité dans Les animaux dénaturés. Je me rappelle cette formule d’un prêtre. On lui montre un singe, il ne sait pas si c’est un hybride d’Homme ou de singe, il s’écrie : « Parle et je te baptise ! » La possession du langage articulé est caractéristique de toutes les races humaines que nous connaissons jusqu’à présent et on n’en a retrouvé aucune qui en ait été dénuée.
Le problème du langage animal est un autre problème. Il suffit de voir un chien pour savoir qu’un chien est très intelligent, mais c’est autre chose.
Au cœur de cet échange de paroles, de biens, de relations sociales, d’institutions qui caractérisent l’Homme se trouve le mystère du don et du contre-don que Marcel Mauss avait déjà repéré comme à l’œuvre dans toutes les sociétés humaines dans son fameux Essai sur le don.
Au terme de notre recherche en ethnologie, nous retrouvons Linné. Dans son Système de la nature, après avoir noté comme species du genre homo les quatre races : europaeus albescens (l’Européen blanchâtre) ; americanus rubescens (l’Américain rougeâtre) ; asiaticus fuscus (l’Asiatique jaune) ; africanus niger (l’Africain noir), Linné leur attribue un unique caractère commun mis en accolade aux quatre races : alors qu’aux animaux il reconnaît à chaque espèce des caractères particuliers, une queue, des ongles, etc., pour l’Homme il met simplement cette formule : nosce te ipsum, connais-toi toi-même, gnoti seauton. Autrement dit ce qui caractérise ces quatre races c’est la conscience de soi, le pouvoir de réflexion et là réside bien, en effet, l’unité du genre humain.

III – L’unité écologique
Il me reste peu de temps pour parler de l’écologie.
André Langaney ajoute au titre de son livre Les Hommes, les trois mots :passé, présent, et, en italique, conditionnel.
L’unité du genre humain se manifeste dans l’époque présente par un resserrement inouï dû au progrès des communications. Dès le début de 1920, un jeune chef camerounais écrit, au terme d’une envolée étonnante sur les acquis de l’histoire : « De nos jours, Edison supprime les distances, et l’humanité se trouve (…) unie par un embrassement étroit » (LT 1999- 271). C’est déjà l’idée teilhardienne de la constitution de la noosphère, de cet univers complexe qui, dans la pensée merveilleuse de Theilard, s’enroule comme une spirale autour de l’homme qui est son centre. Mais, au fur et à mesure que le genre humain occupe ainsi l’espace, en même temps que les communications se développent, la démographie devient galopante. Au fur et à mesure, le genre humain modifie l’espace et, avec le tournant que constitue l’emploi de la bombe atomique en 1944, l’homme se révèle nettement capable de ruiner la nature ou du moins le monde tel que nous le connaissons. Il faut reconnaître que, même si la terre explose, le monde tel que nous le connaissons disparaît ; mais la nature en elle-même subsisterait de toute façon. C’est en utilisant ses lois qu’on crée la bombe atomique, qu’on modifie le monde et on peut concevoir après tout que des milliards d’années pourraient s’écouler après l’Homme comme quelques milliards d’années se sont écoulés avant lui.
L’Homme s’aperçoit ainsi, tout d’un coup, à la fois de sa précarité sur la planète et de la responsabilité solidaire subséquente qu’il doit assumer. Il se rend compte que son avenir est devenu conditionnel, comme le dit si bien Langaney. En effet, par l’intensité brusquement accrue de son action, par la pression démographique, par les inventions de la science, par les pollutions, par les rejets dans l’atmosphère, les déchets industriels, les dangers d’accident, etc., l’Homme crève la couche d’ozone, crée le réchauffement de la planète, peut-être, engendre, ou libère en tout cas, comme une seconde nature, une néonature dont il ne maîtrise pas les effets, si tant est qu’il soit même en mesure de les prévoir. Je n’insiste pas. Après Séveso, après la catastrophe de Toulouse, ce n’est pas la peine d’insister lourdement.
En ce qui me concerne, je pense que l’Homme, comme négativité, a toujours été prédateur et ravageur. Il suffit d’observer les comportements traditionnels en Afrique et ailleurs. Le grand livre de Condominas s’appelle Nous avons mangé la forêt, cela se passe en Asie du sud-est. Par leur capacité immense les techniques modernes mettent à présent l’Homme violemment face à sa responsabilité et à sa liberté.
On voit les problèmes que pose la bioéthique et plus profondément on constate comment les machines nous divertissent, comment elles tuent le silence, l’intériorité, la vie spirituelle. Or c’est pourtant là que serait le plus urgent de pouvoir réfléchir pour constituer une éthique commune et édifier sur des bases fermes la solidarité mondiale. Mais, quand on veut simplement se mettre d’accord sur des éléments de cette solidarité, les États-Unis ne veulent pas signer. Il faut essayer de trouver dans la crise actuelle, comment se procurer un “supplément d’âme” disait Bergson.
Heureusement, c’est ce qui s’esquisse en particulier dans des institutions comme cette Académie. Cette unité du genre humain que nous avons constatée à l’origine c’est à nous maintenant de la maintenir, de la développer harmonieusement dans le futur.

ECHANGE DE VUES

Le Président : En vous écoutant, nous avons été en même temps rassurés et inquiets.
Rassurés pourquoi ? L’unité du genre humain paraît une donnée acquise alors qu’elle était autrefois tellement discutée. Le monogénisme ne soulève plus de contestation. La notion de nature humaine est, elle même, confortée par cette preuve a contrario qu’est l’inceste.
D’où vient l’inquiétude ? De ces cultures, qui ont disparu les unes après les autres, cultures humaines faites par et pour les hommes. Mais la culture chrétienne est-elle assimilable à ces cultures disparues ? Peut-on penser que, quelle que soit l’évolution du monde, cette culture ne pourra pas disparaître par ce qu’elle exprime la présence de Dieu parmi nous ?

Philippe Laburthe-Tolra : Je vois deux questions dans ce que vous me dites.
1 – Comment se fait-il que des cultures disparaissent ?
2 – Le christianisme a-t-il des garanties supérieures aux autres cultures ?

1 – Pour la première question, bien entendu, il y a des cultures qui sont anéanties par la guerre, par la violence, par les implosions internes, par les révolutions. D’autres ont disparu, je pense aux cultures d’Amérique centrale ; on ne sait pas trop pourquoi. Elles sont mortes d’elles-mêmes. On peut peut-être dire que – et c’est ce qui m’inquiète quand je vois la société actuelle – certaines sociétés secrètent leur propre poison. On voit comment l’Empire romain tout d’un coup trouve que le métier de militaire n’a pas de prestige. Jules César était un grand général mais après, au IIIe-IVe siècle, il devient ridicule d’être militaire. On donne donc le métier de militaire aux pauvres Barbares qui veulent bien remplir cette fonction. Après, on s’étonne qu’un jour ils disent « c’est nous les patrons ».
Il y a des évolutions regrettables. Ce que l’on peut retenir de votre remarque c’est que, contrairement à ce que croyait Hegel, l’Histoire n’est pas unilinéaire. Il y a des tentatives qui n’aboutissent pas, de très belles civilisations qui se corrompent. « Nous autres civilisations savons maintenant que nous sommes mortelles ». Tout ce qu’on peut faire du point de vue de l’humanisme c’est d’en conserver tout ce que l’on peut. D’où l’importance du patrimoine, d’où le prix que l’on peut attacher – Levi-Strauss a une très belle page là-dessus – à l’harmonie qui peut exister dans les sociétés les plus perdues, les langues les plus rares ; c’est tout une vision du monde qui est perçue différemment par chaque groupe humain.

2 – Je ne sais pas s’il y a une civilisation chrétienne. Il y a le christianisme, il a informé différents courants. Ce qui m’intéresse, en tant que chrétien c’est la diversité de ces informations au sens étymologique du mot. C’est-à-dire comment il y a eu un christianisme latin, il y a eu un christianisme grec, éthiopien qui a survécu jusqu’à maintenant. Comment, dans les mêmes références dogmatiques, je me borne aux orthodoxes, je ne m’occupe pas des sectes encore que les nestoriens aient été jusqu’en Chine. Comment le christianisme a été vécu de façon très différente ; en Éthiopie, c’est admirable de voir l’iconostase grecque devenue une cloison circulaire à l’intérieur d’une case ronde. Cette case ronde ressemble à une grande case africaine et, dans l’église, il y a incorporation de toutes sortes de schémas. La dogmatique est pourtant exactement la même que pour nous autres.
Le problème de la perpétuation du christianisme est un problème religieux, pas civilisationnel. « Où irions-nous ? », c’est la parole de Pierre à Jésus, « c’est vous qui avez les paroles de la vie éternelle ».
C’est la Foi qui me fait dire ça, ce n’est pas du tout l’expérience, au contraire ! Vous voyez bien qu’il y a contre l’héritage chrétien, en France, un mouvement tout à fait sensible qui fait que, à la différence de pays voisins, nous n’avons pas voulu reconnaître cette composante dans notre patrimoine culturel.
Ce n’est pas la peine d’aller très loin pour trouver, parmi les jeunes à côté de nous, des hommes, des femmes complètement étrangers au christianisme. Du moins sont-ils, comme disait Nietzsche, habités par le cadavre des idées chrétiennes. La charité est devenu une espèce d’instinct de solidarité. On voit à l’expérience que, s’il n’est pas fondé profondément dans une vie spirituelle, cela ne dure pas. On veut bien avoir un bon mouvement, mais on ne s’engagera pas vraiment. Plus on affronte cette jeunesse déchristianisée, plus on se rend compte qu’il y a quelque besoin de consensus, de relations pacifiques avec les autres, mais tant que cela vous arrange, tant que l’individualisme y trouve son compte et l’autosatisfaction ou justification de soi.
Je crois que, d’une façon ou d’une autre, les valeurs chrétiennes subsisteront mais pas forcément au niveau de la macrosociété future.

Mgr. René Coste : Monsieur le Doyen, j’ai été très intéressé par votre conférence.
Étant donné vos disciplines scientifiques, vous êtes certainement au courant d’un document de Pie XII qui, au moment de sa publication, avait fait beaucoup de bruit : son Encyclique Humani generis. Elle a fait l’objet de tirs d’artillerie de tous les côtés. Évidemment du côté des non-croyants, mais aussi du côté de beaucoup de chrétiens, parce que Pie XII soutenait la thèse du monogénisme avec les arguments qui étaient les siens. On n’avait pas encore découvert l’ADN. Si ce document paraissait maintenant, il ne serait pas attaqué comme il l’avait été à l’époque.
Bien entendu, je suis tout à fait d’accord avec vous, je suis convaincu, en tant que chrétien, que la Parole de Dieu est éternelle et que, jusqu’à la fin de l’Humanité, il y aura des Chrétiens. Mais, tout de même, il y a une parole troublante quelque part dans un des Évangiles synoptiques. « Quand le Fils de l’Homme reviendra trouvera-t-il la Foi sur la terre ? » Je crois que c’est une interrogation stimulante. Vous nous avez dit que l’avenir de l’humanité dépendait de nous, les êtres humains ; le christianisme dépend aussi des chrétiens, c’est certainement ce que le Seigneur voulait.
L’Église contemporaine donne des directives très fortes d’inculturation. Depuis quelques années, on a fait des efforts considérables d’inculturation chez les Indiens d’Amérique. Jean-Paul II y a particulièrement insisté. Vous avez cité quelques exemples historiques. L’Église a fait un premier effort d’inculturation considérable dans le monde gréco-romain. Ensuite, elle s’est attaquée aux “Barbares” et c’est peut-être sa plus grande réussite d’inculturation.
Il y en aurait une autre, dont nous ne savons plus grand chose, malheureusement, à cause des persécutions des Turcs ottomans. Toute cette entreprise nestorienne qui est allée jusqu’en Chine. Elle a été détruite totalement par les Mongols. Il y a eu un effort d’inculturation considérable. On n’en sait malheureusement trop peu, mais il ne faut pas l’oublier.
Vous avez parlé tout à l’heure des religions indigènes. Jacques Chirac, dans son beau discours à l’Unesco, parlait des “peuples premiers”. Je peux faire état d’une expérience qui, pour moi, a été très intéressante. J’ai été Président de Pax Christi France et, à ce titre là j’ai lancé le mouvement dans le domaine de l’écologie d’autant plus qu’un de mes principaux collaborateurs, M. Jean-Pierre Ribaut était, à l’époque, chef de la division de l’Environnement au Conseil de l’Europe. Nous avons organisé, notamment, cinq colloques qui se tenaient à Klinjenthal, dans le château de la Fondation Goethe. Nous avions des invités du monde entier, de toutes les grandes religions et des peuples indigènes (Amérique du Nord, Amérique du Sud, Arborigènes, Lapons, etc.) Il était du plus haut intérêt de voir comment ces peuples réagissaient par rapport à l’écologie, à partir de leurs pratiques et de leurs traditions spirituelles.

Jacques Arsac : Personnellement, je crois fondamentalement à la nécessité du concept de genre humain. La difficulté pour moi c’est de savoir comment on peut arriver à développer la conscience de cette unité dans tant de civilisations diverses qui ont trop tendance à se heurter. Le christianisme a joué un rôle important en nous disant que tous les hommes sont des frères.
Hors de ce christianisme, comment arriver à faire passer cette notion ? Quel statut peut-on lui donner ? Vous avez évoqué l’idée d’une nature humaine qui est rejetée. Sur quoi arriver à fonder, d’une manière générale, pour toutes les cultures, cette idée d’une unité du genre humain ?

Philippe Laburthe-Tolra : Levi-Strauss veut montrer dans l’interdit de l’inceste que c’est seulement l’origine de la société. C’est un fait politique et social, ce n’est pas un fait moral. Mais on peut dire que c’est en même temps la naissance d’une morale.
Il faut attendre que l’ethnologie soit développée pour voir ce qui surgit de commun dans toutes les sociétés.
Par exemple, le respect de la vérité se trouve partout. Ce qu’il faut dire c’est qu’il y a plusieurs genres de discours. On a le droit de mentir dans beaucoup de sociétés quand on est en état de dépendance, de sujétion. Chez les Beti du Cameroun, quand une petite fille naît, on lui dit « mens, mens toujours » parce que c’est la seule façon qu’elle a de se défendre contre les hommes. Les gens mentent, il y a des morales plus ou moins situationnistes dans toutes les sociétés, mais, derrière, il y a des moments où l’on dira la vérité, la parole forte. Cela existe dans toutes les sociétés. L’équivalent du serment chez nous, de l’examen de conscience devant l’Absolu, on peut trouver des traits partout.
Deuxième exemple : la fidélité en amitié. Je pense que c’est quelque chose qu’on trouverait dans toutes les cultures.
Ce qu’on a rejeté, c’était les leçons enseignées par l’humanisme gréco-latin qui n’est pas chrétien et qui apportait des valeurs que le christianisme connaissait par ailleurs ou pouvait reprendre à son compte.
On a dit que c’était trop « européano-centré ». Mais en réalité quand on voit se développer les observations de sociétés lointaines étranges, l’un des grands intérêts de l’ethnologie est de s’apercevoir qu’il y a des passerelles et des rencontres inattendues dans toutes sortes de domaines.
Voici un autre exemple actuel – il a été un des grands chevaux de bataille d’un professeur du Collège de France – c’est celui de la distinction. La distinction serait une pure création sophistique, bourgeoise… En réalité, dans toutes les sociétés, on trouve une façon distinguée d’agir, une façon délicate, raffinée d’agir qui s’oppose à une façon grossière et brutale. On trouve ça partout.
Cela m’a beaucoup frappé en parlant avec les vieux du Cameroun qui me disaient : « Remarquez comme ceux-ci sont esclaves dans leur comportement. Ils sont fils d’esclaves ». Personne n’était allé leur parler de morale bourgeoise…
Ces constantes-là, Bastide le dit dans son article sur la nature humaine, ne pourront être dégagées que quand on aura pu faire un inventaire assez exhaustif de toutes les sociétés.
Un autre exemple est l’universalité de l’attitude religieuse, c’est-à-dire l’idée que l’homme se sent lui-même limité ; et à partir de là, cette attitude prend toutes sortes de modalités. Il y a des primitifs, contrairement à ce qu’on dit certains, qui ont tout à fait le sens du Grand Dieu Unique. Le Père Schmidt l’avait remarqué depuis longtemps, il l’attribuait aux Pygmées, ce n’est pas tout à fait vrai. Mais reste la notion que l’homme est en relation avec des Puissances qui le dépassent et qu’il a intérêt à les respecter.
Le plus grand changement se manifeste plutôt quand on compare le monde qui passe, notre propre passé, à la vulgarité actuelle. Les Missionnaires qui sont arrivés au Cameroun avaient des points communs avec les vieillards qu’ils rencontraient. Ils avaient le sens des bonnes manières et un certain sens du sacré.
Ce sens des bonnes manières et ce sens du sacré n’existent plus chez les jeunes ou alors comme un contretype qu’il faut casser.
J’espère, pour l’avenir de l’Humanité que les valeurs dont je parle se maintiennent d’une manière ou d’une autre. On peut dire que, dans certains cas, ce n’est pas du tout visible si on fréquente certains milieux et certains jeunes gens.

Jean-Didier Lecaillon : Monsieur le Doyen, vous me pardonnerez de vous demander une précision après les profondes remarques qui ont été faites par mes prédécesseurs.
Cette précision concerne le dernier point que vous avez traité. Vous avez employé cette expression que l’Homme était prédateur et ravageur.
L’Homme a la charge non pas de conserver la terre mais de la soumettre et de la transformer. Or quand vous avez pris des exemples, vous avez pris ceux de l’évolution démographique. Vous avez plutôt fait référence à la thèse qui est dominante mais qui, à ma connaissance n’est pas la seule, la thèse malthusienne qui dénonce les évolutions démographiques comme, justement ravageuses et préjudiciables.
Nous disposons d’une autre thèse qui me semble au moins autant confirmée que la précédente et sans doute même plus, c’est la thèse de la pression créatrice, de la pression démographique créatrice. C’est justement parce qu’il y a croissance démographique, évolution démographique, que l’Homme, qui sait bien faire un certain nombre de choses, mais ne les fait que lorsqu’il est contraint de le faire, est en situation de se surpasser. Et je me demande si ces évolutions démographiques ne sont pas, au contraire, une source d’espérance parce qu’elles permettent d’améliorer la terre, de la soumettre.

Philippe Laburthe-Tolra : Vous avez raison, j’ai été trop bref.
Mon point de départ est pessimiste parce que je fais l’expérience du péché originel. Les hommes font le contraire de ce qui leur est donné naturellement. C’est l’histoire des peuples-nus. Les peuples-nus, vraiment nus, n’existent pas parce que les gens ou sont tatoués, ou sont circoncis, ils ont des coiffures… toujours quelque chose qui les distingue du pur animal. L’Homme est par là négativité.
Ce que j’ai voulu dire c’est que les hommes se sont conduits pendant des siècles sans souci de l’environnement mais non sans causer de grands dégâts ! En Afrique, la désertification est en grande partie anthropique, c’est-à-dire due à l’Homme, par la pratique des cultures itinérantes sur brûlis. Tout le plateau camerounais, volcanique, avec une terre excellente et un climat merveilleux, est désertifié parce que la méthode était de dévorer la forêt ; quand on fait des plantations dans un endroit nouvellement défriché, cela rapporte ; après, cela ne rapporte plus rien. La pêche et la chasse consistaient en une exploitation radicale. On entoure un endroit d’un filet, on prend tous les animaux. On fait un bief dans un ruisseau, on pêche tous les poissons, etc. Antérieurement, la religion traditionnelle, par je ne sais quel instinct, avait plus ou moins freiné ces pratiques parce qu’il y avait des périodes où le ruisseau était déclaré plus ou moins tabou et donc la faune se reproduisait. Tout cela a disparu. Même la religion traditionnelle n’empêchait pas le ravage dont j’ai parlé.
C’est de ce point de vue-là que je crois que l’Homme est naturellement prédateur.
Maintenant quand on s’en aperçoit, on peut profiter de cette excellente terre pour faire des cultures artificielles qui rendent énormément. Sur ce plateau de l’Adamaoua, on cultivait tout : des haricots verts, des fraises… qu’on envoyait au Gabon.
Qu’une sorte de pression démographique soit source d’invention, j’en suis certain, mais il y a des limites quand les gens meurent de faim. J’ai vécu aussi dans un pays de Sahel qui est le Burkina-Faso et là il y a quand même des problèmes. Le poids des troupeaux et de la population crée un équilibre tangent et l’intervention de l’homme a été catastrophique ; je veux dire celle de l’ingénieur occidental. C’est l’histoire de ce forage, un livre a été écrit d’un nommé Benoît de l’ORSTOM, le forage Christine On a fait un énorme forage dans cette zone sahélienne quasi désertique. Cela a été une catastrophe écologique extraordinaire parce que les bêtes qui avaient soif se précipitaient pour boire, ravageaient les plantations et préféraient mourir de faim que de s’éloigner de la source. il a fallu reboucher ce forage.
L’invention, oui. Je crois beaucoup, par exemple, à l’importance de la civilisation urbaine. Une densité d’esprit est nécessaire pour que la création se fasse, encore qu’il y ait des mystères parce que la ville d’Athènes était relativement peu peuplée et elle a été géniale. Même chose pour Kœnigsberg du temps de Kant, de Herder et des grands génies qui se sont retrouvés là-bas.
Je crois que c’est la qualité de la société autant que le nombre qui fera l’invention.

Paul Germain : Premièrement vous avez dit que le monogénisme est démontré. Je ne suis pas du tout spécialiste, mais j’aimerais savoir comment cela a été démontré. Ensuite, qu’est-ce que ça change ? Quelle est l’importance ?
Monogénisme ou plurigénisme, je ne vois vraiment pas comment le projet de cette Académie qui est de travailler sur l’Unité du genre humain s’en trouve affecté.
L’unité du genre humain aujourd’hui c’est une affaire de volonté. Il s’agit de l’instaurer dans l’ensemble des humains. Par le dialogue en particulier. De ce point de vue, notre confession catholique, avec le dialogue des religions commencé depuis 1986, joue un rôle tout à fait important.
J’ai lu le livre de René Girard, J’ai vu tomber Satan comme l’éclair, et j’ai été très frappé de sa vision sur la direction vers laquelle va le genre humain. Il propose le souci des pauvres et des faibles. Il faut lutter pour faire advenir l’unité du genre humain.
Que cela se soit passé comme vous le dites, je veux bien, mais cela ne change rien, c’est notre volonté qui sera décisive.

Philippe Laburthe-Tolra : Je me suis borné à ce qu’on m’a demandé. Je suis tout à fait de votre avis, mais là on se place sur un plan moral qui n’est pas le plan de la recherche scientifique.
Sur le plan scientifique, on pourra en reparler, je pourrai vous retrouver des références. Actuellement on en est à discuter pour savoir s’il n’y a pas vraiment un couple originel à l’origine de l’ADN de l’homo sapiens sapiens.

Janine Chanteur : Il me semble que le progrès moral ne peut pas sortir de rien. Il faut le fonder et savoir à qui il s’adresse, à quel genre d’humanité, à partir de quoi cette humanité s’est constituée.
Vous avez justement donné deux indications fort importantes. D’une part, vous avez parlé de l’unité biologique et d’autre part de cette unité culturelle à partir de l’interdit de l’inceste tel que Levi-Strauss le développe.
L’unité biologique, c’est très important de la connaître, cela coupe court à un certain nombre d’arguments sur le racisme notamment, mais ce n’est quand même pas à partir de la biologie qu’on peut définir l’être humain. Cela ne suffit pas.
Quant à la référence à Levi-Strauss, il n’est pas sorti d’un structuralisme qui est une autre forme du matérialisme.
Qu’est-ce qui pourrait nous permettre, à l’heure actuelle, de rechercher cette unité du genre humain, quel fondement pourrait-on lui donner qui nous permette de dire que, en dehors des faits – qui en tant que tels ne font pas sens, parce qu’un fait, c’est un fait, c’est tout, il n’implique aucune obligation – comment pourrions-nous travailler à l’unité du genre humain ? Où allons-nous puiser notre impulsion, et la légitimité de notre recherche ?
Je crois qu’il est très important de savoir ce que vous nous avez appris, mais est-ce qu’il n’y a pas encore un étage dans cette réflexion ?

Philippe Laburthe-Tolra : Je vous ferai remarquer que c’est la première d’une série de réflexions, de conférences. Je ne fais que résumer des éléments objectifs. Je ne dis pas que cela suffit. Il est nécessaire de faire le point.

Tugdual Derville : J’ai beaucoup apprécié votre intervention, Monsieur le Doyen, et je voudrais insister sur le petit mot que vous avez ajouté à la fin sur la vie intérieure, l’intériorité.
À titre personnel, j’ai expérimenté dans la rencontre avec un enfant très lourdement handicapé que c’était son humanité profonde, dans un silence absolu, qui m’avait émerveillé. Il était incapable de beaucoup de choses. Il ne pouvait pas parler, se dresser sur ses jambes. Il ne correspondait à aucun des critères qui sont généralement évoqués pour définir l’humanité. Or, quand nous regardons la société telle que vous l’avez si bien décrite, nous sommes alertés à propos du statut d’être humain refusé à certains ; par exemple lors des débats bioéthiques que vous avez évoqués. Aujourd’hui, on commence à parler « d’humanoïde », si tel ou tel homme était cloné ; certains récusent la qualité de personne humaine à celles qui ont des maladies génétiques. Il y a ainsi des débats, comme dans le mensuel la Recherche sur les personnes trisomiques : sont-elles véritablement humaines ? Ont-elles une dignité ? Et certains affirment que non.
C’est pourquoi la question de l’unité du genre humain se pose aujourd’hui de façon cruciale sur ces situations « limites ».
En approfondissant ce critère d’intériorité, sur lequel vous avez terminé, n’avons-nous pas une clé plus universelle encore que d’autres, qui nous permettrait de défendre ceux qui sont plus faibles et fragiles parce qu’ils n’ont pas l’intelligence ou la parole ?

Philippe Laburthe-Tolra : Cela répond à ce que Madame Chanteur demandait tout à l’heure.
Pour moi, ce qui est important dans le monde actuel, je pensais à des gens comme George Steiner, ce sont ceux qui tirent la sonnette d’alarme en disant des choses très concrètes. On ne peut pas trouver de silence dans une cité universitaire américaine, par exemple.
La morale pratique va se développer. C’est une des supériorités de l’Extrême-Orient ; les hommes d’affaire japonais peuvent aller se retirer dans un temple et n’ont pas de honte à le faire quelques jours.
J’ai vu utiliser les monastères en Europe surtout par des jeunes gens parfaitement athées qui cherchaient un coin tranquille pour préparer leur agrégation. Ce n’était pas vraiment pour se retrouver eux-mêmes, c’était pour trouver le succès.

Françoise Seillier : Ce qui nous frappe tous c’est la nécessité des différentes approches sur l’être humain. L’approche scientifique a sa grande pertinence, merci d’avoir fait le point de manière aussi claire devant nous. C’est quelque chose qui n’est pas assez connu des enfants, alors qu’à l’école cela pourrait être facilement transmis, que ce code génétique absolument propre à l’espèce humaine d’une part et d’autre part, le code génétique unique pour chacun d’entre nous.
Hélas, le terme de nature humaine fait problème dans la culture ou l’anti-culture contemporaine. On emploie des mots comme “invariant”.
Est-ce qu’on pourrait préciser que la grande différence entre l’espèce animale et l’espèce humaine, outre les rites funéraires qu’on ne retrouve pas chez les animaux, est la différence entre l’instinct et l’éducation ? C’est là, je crois, un point tout à fait capital. Vous avez soulevé le drame de la barbarie actuelle alors que les Barbares étaient des civilisés d’un autre type, est-ce qu’elle ne tient pas essentiellement à la perte dans une partie de l’humanité, nos sociétés dites développées, de cette évidence fondamentale : alors que le petit animal vient à la vie avec un comportement qu’il n’a pas besoin d’apprendre, le petit être humain, lui, ne peut pas, sans l’éducation, développer son humanité.

Philippe Laburthe-Tolra : Steiner dit justement que c’est un crime que de ne pas apprendre à un enfant tout ce qu’il est capable d’apprendre à l’âge où il est arrivé.
Je viens de me disputer avec l’institutrice de mon gamin qui a 7 ans parce que je lui ai dit : « Vous ne lui apprenez rien ». Elle me dit : « Monsieur, il faut avoir une tête bien faite plutôt que bien pleine ». Je lui ai dit : « Une tête bien vide n’est pas une tête bien faite ». Elle me dit : « En tout cas, si je lui apprenais ce que vous vous me demandez de faire, c’est-à-dire l’addition, la soustraction, tout simplement, je me ferais attraper par mon Inspecteur général ». Où allons-nous ?

Pierre Perrier : Je voudrais vous poser la question de l’audace. Au fond, il y a deux attitudes. Ou bien on cherche indéfiniment l’unité du genre humain, ou bien on fait le saut, on l’admet et, à ce moment-là, ce qui serait le plus intéressant, c’est de la caractériser par les endroits les plus lointains.
J’ai beaucoup aimé l’intervention sur les handicapés qui me paraît tellement claire qu’elle évite de rentrer dans la problématique occidentale sur le développement de l’enfant, ou le développement de l’homme – comme si l’homme avait à être développé ! Je suis tout à fait surpris, par exemple, que les expériences de Piaget aient été invalidées récemment pour montrer que le sens du vrai apparaît pratiquement dès qu’on peut le mesurer, ce qui est conforme à ce qu’on peut mesurer sur les handicapés.
D’autre part, je crois qu’il faut aller aux limites par rapport à l’Occident. Je suis un spécialiste des Nestoriens. Il n’y a pas d’hérésie chez les Nestoriens, il y a un problème majeur de dialogue entre l’Orient et la Chine et nous.
Donc, je pense, qu’il serait peut-être plus important d’avoir l’audace de redéfinir l’unité de l’Humanité à partir des cas les plus extrêmes, soit dans notre vie, de l’enfance à la mort, soit entre les civilisations les plus extrêmes pour nous. On peut parler des Amérindiens, des civilisations du nord de la Sibérie, ils sont très intéressants, ou de la Chine et cela nous donnerait des pistes pour converger, c’est-à-dire pour échanger.
Qu’est-ce qui a fait que nous n’avons pas pu échanger ?

Philippe Laburthe-Tolra : Je pense que vous n’avez plus qu’à faire ce travail qui est un beau programme ! très difficile …