Par le Bernard Chauvois, Inspecteur général de l’Education nationale

Jean-Paul Guitton : Notre confère Jacques Arsac, actuellement indisponible, était tout désigné pour introduire la communication de ce jour et vous présenter son collègue, l’inspecteur général Chauvois. Jacques Arsac a en effet beaucoup contribué à la définition du thème d’année sur le travail. Il avait eu l’occasion, lorsque le conseil y travaillait de nous faire part de ses réflexions et de ses interrogations. Spécialiste de l’automatisation et de l’informatisation, il s’était interrogé souvent, nous avait-il confié, sur les incidences que pouvaient avoir ses propres recherches sur le travail, sur les qualifications, sur le marché de l’emploi… Au-delà de l’approche classique, à vrai dire un peu simpliste : l’automatisation supprime des emplois lorsque des tâches manuelles répétitives sont remplacées (avantageusement ?) par des machines, mais elle en crée par ailleurs, car il faut bien concevoir, fabriquer et entretenir les automates et autres ordinateurs ou machines intelligentes. C’est dire que la notion même de travail évolue, en tout cas dans les pays développés où les emplois du secteur tertiaire continuent de se développer, alors que les emplois primaires et secondaires continuent de régresser.
L’évolution scientifique et technique en effet déplace les emplois et transforme le travail lui-même. C’est pourquoi elle n’est pas sans conséquence non plus sur les qualifications et sur l’éducation elle-même. Pour nous en parler ce soir, Jacques Arsac nous a proposé de faire appel à monsieur Bernard Chauvois qui est inspecteur général honoraire de l’éducation nationale.

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Bernard Chauvois a commencé sa carrière à l’Ecole normale d’Auteuil, puis à l’ENSET de Cachan. Il est professeur certifié en 1959 et professeur agrégé des techniques économiques de gestion en 1966. Il exerce le métier de professeur dans différents établissements pendant une dizaine d’années. Il devient inspecteur pédagogique régional d’économie et de gestion, puis chargé de mission d’inspection générale, enfin inspecteur général de l’éducation nationale de 1986 à son admission à la retraite en 1999.
Parmi les missions qu’il a exercées à l’inspection générale, Bernard Chauvois a participé et présidé des jurys de concours de recrutement de professeurs dans plusieurs spécialités (économie et gestion, informatique et gestion, bureautique et communication administrative) ; il a vice-présidé le concours d’agrégation d’économie et gestion. Il a été chef de projet pour la création ou la rénovation de diplômes de BTS. Il a été responsable du département « sciences et techniques économiques » du CERPET (centre d’études pour la rénovation pédagogique de l’enseignement technique) et s’est alors occupé de stages de professeurs dans les entreprises, d’actions d’innovation pédagogique, de réunions d’études et d’actions de formation continue. Il a participé à des comités d’experts en normalisation pour l’informatique et la bureautique. Au titre de la coopération internationale il a enfin participé à de nombreuses missions d’accueil et de formation de missionnaires étrangers en France, ou de coopération à l’étranger pour l’enseignement technique, notamment au Québec et en Tunisie, et également dans le domaine de la normalisation internationale.
Ce résumé de sa carrière démontre combien Bernard Chauvois a suivi, pendant les quarante années qu’il a consacrées à l’enseignement technique, les évolutions techniques, les réformes ou les adaptations des qualifications, mais qu’il a également pu observer les relations entre le monde de l’éducation et le monde du travail et leurs transformations. Je veux en particulier souligner son action pour la création et la rénovation des diplômes de l’enseignement technique tertiaire (baccalauréats et brevets de technicien supérieur) ainsi que pour le développement des actions d’information et de formation des professeurs chargés de les mettre en place. Ses domaines d’intervention et d’expertise touchent tout spécialement à l’organisation et aux méthodes administratives, au secrétariat, à la bureautique et à l’informatique. Par les relations internationales, il a découvert d’autres facettes du domaine de l’enseignement et de celui des technologies de l’information et de la communication, notamment dans leurs aspects ergonomiques et culturels. Enfin les missions et actions transversales l’ont amené et l’amènent encore à travailler avec les inspections générales du secteur industriel et des enseignements généraux. Cette expérience très large au service de l’enseignement technique rend monsieur l’inspecteur général Chauvois particulièrement désigné pour traiter devant nous ce soir du travail, de l’éducation et de la qualification.

Bernard Chauvois : Je suis à la retraite depuis presque six ans. Néanmoins, grâce aux contacts que j’ai maintenus dans le cadre associatif, j’espère ne pas tenir devant vous un discours trop décalé par rapport à la réalité.

J’ai donc accepté, à la demande de Jacques Arsac, de venir vous parler d’un sujet qui correspond aux préoccupations qui ont été les miennes pendant la période de ma vie active et qui le demeurent dans le cadre de mes activités bénévoles de retraité. Ce qui caractérise les trois éléments de ce thème, au-delà de leur évidente relation, c’est leur caractère évolutif. La nature du travail change, les métiers évoluent, le système de formation en tient compte.

Dans un premier temps, je tenterai de montrer en quoi les emplois et les conditions d’exercice des métiers ont changé. L’exercice n’est pas facile quand on sait que le répertoire opérationnel des métiers et des emplois de l’ANPE , le ROME, comporte environ dix mille métiers et emplois. Ce qui est vrai dans un secteur ou un domaine d’activité ne l’est pas forcément dans les autres. Je passerai rapidement sur certaines activités relativement bien connues. J’insisterai sur d’autres, soit parce qu’elles sont l’objet de tensions, soit parce que leur évolution est caractéristique et que l’enseignement technique en a récemment tenu compte pour rénover le contenu des formations. On pourra ensuite chercher à repérer ce qui est largement transversal aux différents domaines d’activités.
Dans un second temps, j’essaierai de montrer comment le système éducatif a réagi à l’évolution des besoins et plus particulièrement comment s’est construit le dispositif de l’enseignement technique français et pourquoi celui-ci se différencie des dispositifs étrangers. Son originalité amène à parler de « l’exception française ». Des responsables étrangers sont venus l’observer pour s’inspirer éventuellement de ses structures, de ses méthodes pédagogiques et du dispositif de construction de ses diplômes. La formation initiale par la voie scolaire n’est pas la seule voie possible. La voie de l’apprentissage, chez un employeur, en alternance avec un enseignement dans un centre de formation (CFA) connaît un renouveau et un élargissement de ses domaines d’application. Elle prépare désormais souvent aux mêmes diplômes que la formation par la voie scolaire.
Dans une troisième partie, la procédure de création et de rénovation des diplômes sera évoquée et il sera question des conséquences des orientations prises au niveau européen. Les nouveaux dispositifs destinés à promouvoir la formation tout au long de la vie, à favoriser la circulation des hommes en cherchant à harmoniser les diplômes, à reconnaître les acquis de l’expérience remettent en cause le dispositif existant, notamment en déconnectant le mode de formation de la certification des qualifications.
Préalablement, afin de ne pas encombrer mon exposé par des considérations terminologiques je vous invite à examiner le document qui vous a été distribué et qui sera annexé au compte rendu, à propos des niveaux de formation et des appellations des diplômes professionnels.
En 1965, le Commissariat général au plan a mis au point une nomenclature des niveaux de diplôme, qui va de I à VI et qui était censée correspondre aux niveaux de qualification constatés sur le marché du travail. Le niveau VI devait correspondre à l’absence de qualification, le niveau I aux formations universitaires de plus haut niveau. Cette nomenclature, qui date un peu mais demeure utilisée par les spécialistes de la formation, n’est pas assez parlante pour le grand public, ce qui conduit souvent à lui substituer une échelle qui fait référence au nombre d’années d’études après de baccalauréat, tant pour les diplômes professionnels (écrits en italique dans le tableau) que pour les diplômes de formation générale.
On atteint le niveau II de qualification en ayant obtenu un diplôme préparé pendant trois ans au moins après le baccalauréat, le niveau III avec un diplôme préparé en deux ans après la baccalauréat (par exemple un BTS ou un DUT), le niveau IV avec un baccalauréat technologique ou professionnel, le niveau V quand on a choisi une voie qui ne prépare pas au baccalauréat mais qui permet d’obtenir un BEP ou un CAP. Les sigles que je viens d’utiliser sont explicités dans le document.
La référence au nombre d’années d’étude n’est en fait pas très satisfaisante dans une optique qui souhaite désormais pointer vers un niveau de qualification qui peut être atteint par des voies plus ou moins directes. C’est dans cette optique qu’au niveau universitaire on ne parle plus du dispositif 3, 5, 8 (sous-entendu années après le baccalauréat) mais du LMD (licence, master, doctorat).
Dans ce document vous trouverez également la liste des commissions professionnelles consultatives placées auprès du ministre de l’éducation nationale. Ces commissions sont chargées de préparer la création et la rénovation de tous les diplômes de l’enseignement technologique et professionnel. Y figurent aussi un document relatif à la terminologie des diplômes, grades, titres et certificats ainsi qu’une courte bibliographie.
Penchons nous tout d’abord sur la diversité du changement dans les emplois.
Rares sont les emplois dont le contenu n’a pas changé au cours des décennies écoulées, tant dans les grandes entreprises, les petites entreprises que dans les administrations. L’intensité de l’évolution est variable selon les activités, la dimension et la localisation des organisations concernées.
Les changements ont affecté l’ensemble des secteurs de l’économie, mais toute approche globale est dangereuse. Chaque secteur a ses spécificités, mais aussi chaque type d’activité, chaque région, chaque entreprise. La tendance globale peut parfois être contredite localement.
Traditionnellement on distingue trois secteurs : primaire, secondaire et tertiaire.
L’agriculture est l’élément essentiel du secteur primaire. Son évolution est bien connue : décroissance de ses effectifs, tout d’abord au profit du secteur secondaire, augmentation de la superficie des exploitations, modernisation, augmentation des rendements, nécessité de former les exploitants et les techniciens qui les assistent, essentiellement par des établissements relevant de ministère de l’agriculture.
La part de l’emploi industriel en France est structurellement moindre que dans des pays dont la population est comparables : la France possède huit cent mille emplois industriels de moins que l’Italie et l’Allemagne.
La baisse de l’emploi industriel en France a été forte, mais elle n’est cependant pas plus marquée que dans les autres pays développés.
Nous avons d’abord perdu des emplois à cause des progrès technologiques qui ont permis l’automatisation de la production. Aujourd’hui les causes sont essentiellement les délocalisations vers les pays à bas coûts de main-d’œuvre et les fermetures de sites consécutives aux décisions de rationalisation, souvent prises dans la foulée des concentrations d’entreprises.
Les qualifications de ceux qui sont mis en préretraite ou licenciés correspondent rarement aux besoins actuels des entreprises soucieuses d’innovation et de compétitivité. Les reconversions sont souvent difficiles et la faible mobilité géographique des intéressés ne leur permet pas de retrouver facilement un emploi.
Les budgets de formation des entreprises industrielles ont eu tendance à diminuer au cours de la dernière décennie et sont inférieurs à la moyenne européenne. L’effort de formation diminue nettement avec l’âge du salarié. En revanche, la formation initiale a beaucoup progressé depuis une vingtaine d’années. Le niveau de formation des jeunes salariés est plus élevé que la moyenne européenne car l’industrie française emploie de plus en plus de diplômés. À défaut d’être socialement réjouissantes pour les seniors, toutes ces caractéristiques sont plutôt économiquement cohérentes : l’évolution de l’emploi industriel placerait donc la France dans une position plus favorable que la plupart des pays de l’OCDE.
L’automatisation a en général diminué la pénibilité des efforts physiques, ce qui a permis d’ailleurs le recours à davantage de main-d’œuvre féminine dans des métiers qui lui étaient fermés, c’est-à-dire autres que le textile, le bobinage et le montage de petit matériel électrique.
De nouveaux métiers sont apparus et ont fait l’objet de la mise en place de nouvelles qualifications et de la création de nouveaux diplômes professionnels, notamment en électronique et en productique. La nouvelle organisation industrielle a vu diminuer le nombre de « petits chefs » (contremaîtres, chefs d’équipe…) ; elle a conduit à former et à recruter des ingénieurs de production, des techniciens supérieurs, des techniciens, des bacheliers professionnels. Certains diplômes de CAP et BEP ont disparu, d’autres ont dû être actualisés ou ont été créés. La conception assistée par ordinateur à remplacé les tables à dessin. Les emplois de maintenance et d’entretien se sont développés. Ceux des bureaux des études, des bureaux des méthodes, de la gestion de production, de la gestion des stocks se sont « tertiarisés ». Des ordinateurs en réseau ont envahi les locaux industriels.
La pénibilité physique a souvent diminué mais la charge mentale s’est accrue. Le raccourcissement de la ligne hiérarchique a permis de déconcentrer les prises de décisions opérationnelles et a alourdi la responsabilité de chacun. Tout ceci est assez largement connu mais il est un secteur qui l’est moins et sur lequel on peut s’attarder un instant : le bâtiment et les travaux publics.
Les métiers du bâtiment et des travaux publics sont considérés comme des métiers sous tension qui illustrent bien le paradoxe de la coexistence de deux millions et demi de chômeurs et de trois cent mille offres d’emploi non satisfaites.
Ce secteur vient de connaître une conjoncture exceptionnelle (six années de progrès constant de son activité) mais 2005 est une année de basculement : pour la première fois il y aura plus de sortants que d’entrants dans une profession qui emploie 1 700 000 personnes dont 1 300 000 salariés et un million relevant de convention collective ouvrière. Dans le BTP on estime les départs à 100 000 par an et les besoins annuels de recrutement à 160 000.
Le contexte est désormais celui du développement durable en matière de consommation d’énergie et de respect de l’environnement. Il y a donc lieu d’augmenter la qualité, la sécurité, la rentabilité, la compétitivité, de « payer » pour avoir la compétence, de s’inscrire dans la cadre de la loi du 6 mai 2004 sur la formation tout au long de la vie, de former et de recruter du personnel féminin.
La profession est soucieuse de la qualité de la formation initiale, de l’information et de la connaissance des métiers, de la promotion de toutes les voies de formation, tant en lycée professionnel du bâtiment qu’en apprentissage. Ces deux voies sont désormais perçues comme complémentaires.
La pénurie de maçons qualifiés et d’électriciens du bâtiment est particulièrement forte. Seules sept offres d’emploi sur 10 (en contrats à durée déterminée ou indéterminée ou en intérim) sont satisfaites. On recherche également des couvreurs, des plombiers, des spécialistes de la climatisation.
La décision, bien compréhensible par ailleurs, de faire disparaître le palier d’orientation vers des CAP préparés en trois ans à la fin de la classe de cinquième, puis ultérieurement de ne plus implanter de classes de 4e et 3e technologiques dans les lycées professionnels du bâtiment a eu comme effet pervers de contribuer à cette pénurie. Les préventions des jeunes et de leurs parents contre les métiers du bâtiment, sauf en cas de difficultés scolaires notoires, accentuent également cette pénurie.
L’éloignement des chantiers du domicile et les changements fréquents de l’implantation des chantiers ont contribué à aggraver de la pénurie. Les apprentis et les jeunes débutants ne disposent pas toujours d’un moyen de transport personnel. Il est rare qu’un moyen de transport collectif commode existe entre le domicile et les chantiers successifs et, lorsqu’il existe, les horaires de desserte ne correspondent pas bien aux besoins. Les salariés sont très volatils et sélectionnent les employeurs ou les missions d’intérim en fonction de leurs préférences immédiates.
Malgré la libre circulation des hommes au sein de l’Union européenne, le recours à la main-d’œuvre des autres pays de l’Union est modeste, car au-delà de la barrière des langues, les intéressés sont d’autant plus incités à rester au pays que les perspectives de rattrapage de niveau de vie y sont bonnes. L’immigration en provenance des autres continents est en principe tarie, sauf lorsqu’elle est illégale, mais l’emploi de clandestins est une solution risquée. Une autre solution est le recours à la sous-traitance de chantiers à des entreprises étrangères, par exemple polonaises ou turques, qui viennent en France avec leurs salariés le temps d’un contrat.
Il n’est pas seulement nécessaire d’améliorer la qualité de la formation, il y a lieu aussi de veiller à la qualité de l’accueil dans les entreprises, d’assurer un suivi de tous les jeunes formés dans ce secteur, d’éviter les « fuites ». Le taux de résiliation des contrats d’apprentissage est actuellement estimé à 20 % et mériterait d’être réduit. La profession recommande désormais aux entreprises de « chérir » les jeunes engagés dans le secteur et veiller à l’insertion professionnelle de 100 % de ceux-ci.
Le taux d’emploi de la population française en âge de travailler est globalement inférieur de 10 points au taux constaté aux États-Unis d’Amérique (61 contre 71 %). La cause essentielle de ce déficit est à chercher essentiellement dans le secteur tertiaire, principalement celui des services. Faire aussi bien que les États-Unis dans le secteur tertiaire pourrait signifier six millions d’emplois supplémentaires.
Le tertiaire recouvre essentiellement le commerce, l’hôtellerie-restauration, la santé et l’action sociale, la finance, la banque et l’assurance, la gestion immobilière, les transports, les administrations publiques et privées…). La majeure partie de ces emplois ne sont pas susceptibles de délocalisation (hormis les centres d’appel et l’édition). Dans ce secteur très hétérogène coexistent un fort taux de chômage et une pénurie de recrutement.
Les métiers du secteur des services où la pénurie est la plus criante sont ceux de la santé, des services à la personne et de l’hôtellerie-restauration.
Dans le secteur de l’hôtellerie-restauration il y a pénurie de cuisiniers (de restaurant, de restauration d’entreprise ou hospitalière ou scolaire) ainsi que de serveurs de café et restaurant, ceci malgré l’existence d’un réseau très serré de lycées hôteliers et de centre de formation d’apprentis. Ce métier connaît une forte rotation. Les démissions, pour changer d’employeur ou carrément de métier, y sont fréquentes en raison des conditions de travail, de la difficulté à avoir une vie de famille normale en raison des horaires de travail. Pour bien y gagner sa vie il faut accepter la frénésie du « coup de feu » et souvent accepter de sortir des règles prévues par la législation du travail, ce qui peut conduire à l’épuisement physique. La perspective de devenir « patron » est motivante pour les plus compétents mais elle se heurte à des problèmes de financement et comporte des risques.
Les demandeurs d’emploi y sont souvent plus qualifiés que la moyenne de ceux qui ont un emploi. Les débutants se heurtent au problème de l’éloignement et du moyen de transport entre le domicile et lieu de travail. Comme pour les ouvriers du bâtiment, la desserte par les transports publics est inexistante ou s’arrête trop tôt dans la soirée. L’hébergement sur place est considéré comme un avantage en nature qui est déduit de la feuille de paie. L’hébergement dans les stations touristiques est problématique et freine le travail temporaire ou l’acceptation de stagiaires.
Dans les métiers de la santé et des services à la personne la pénurie d’infirmiers et de sages-femmes est bien connue. Ces métiers sont contraignants et ont des incidences importantes sur la vie familiale quand ils ne sont pas pratiqués sous la forme libérale. La promotion interne vers une fonction d’encadrement y est très limitée. La responsabilité personnelle y est lourde. Dans le secteur public les rémunérations sont conditionnées par celles des autres fonctionnaires et par conséquent par les impératifs budgétaires. Dans le secteur privé elles sont conditionnées par des impératifs de rentabilité.
Le système de formation et de certification n’est pas suffisamment productif. La promotion d’aide-soignant à infirmier est difficile en raison du niveau des exigences. Le recours à des personnels étrangers dans lesquels le système de formation a été moins malthusien a été nécessaire.
Le développement des services à la personne se heurte au manque de solvabilité de la demande. Les services ont un coût horaire charges comprises qui dépasse les moyens de la plupart des personnes qui en auraient besoin. Des bénévoles, la famille, des voisins, des personnes non déclarées et non formées interviennent. Des associations plus ou moins subventionnées ou des services communaux ou départementaux font face aux besoins les plus criants. En supposant que le besoin devienne davantage solvable, il n’est pas sûr que ces associations et organismes soient suffisants. Le recours à des entreprises, françaises ou étrangères, animées par la logique de la rentabilité paraît inéluctable bien que les associations voient cette perspective d’un très mauvais œil. Il en résulterait pourtant une meilleure professionnalisation des salariés grâce à un meilleur encadrement, à des obligations contractuelles claires, à des actions de formation plus organisées, à des perspectives de carrière.
Dans le tertiaire administratif, les métiers de la comptabilité et du secrétariat ont beaucoup évolué. Les CAP ont disparu, les BEP ne sont plus guère recherchés, sauf en milieu rural.
Les baccalauréats professionnels et les brevets de technicien supérieur sont désormais les diplômes requis pour des emplois qui ne sont plus des emplois d’exécution mais des emplois d’assistance, fortement « bureautisés » qui nécessitent une grande rigueur à propos des informations entrées dans des systèmes en réseau et une capacité d’initiative pour faire face aux situations non prévues.
Ceci peut être illustré par la citation de certains termes utilisés dans la grille d’évaluation de l’épreuve pratique sur un matériel de bureautique pour l’obtention d’un baccalauréat. Il est demandé aux examinateurs d’évaluer outre les savoirs et le savoir-faire opérationnel, la capacité de poser et résoudre des problèmes, de prendre du recul, l’autonomie, la rapidité, le souci de contrôler le résultat, de communiquer oralement. Cette dernière capacité implique de savoir décrire avec précision, rigueur, clarté, de commenter le résultat, d’avoir une capacité d’écoute, d’apporter des réponses pertinentes. La capacité relationnelle requiert la qualité de l’expression et de l’élocution, la maîtrise de sa timidité ou de son émotivité, la courtoisie, la conviction, la capacité d’argumenter et de conclure. On ne peut pas affirmer qu’au cours d’une épreuve pratique individuelle de moins d’une heure tout ceci puisse être repéré par l’examinateur mais on doit bien reconnaître qu’avec une telle grille celui-ci est incité à repérer chez le candidat l’acquisition des aptitudes requises pour l’exercice du métier.
Le secteur du commerce et de la distribution est un important gisement d’emplois. Les emplois de ce secteur ont fait l’objet d’études récentes au sein de la commission professionnelle consultative compétente. Ces études ont conduit à rénover plusieurs diplômes de ce secteur.
Les effectifs totaux de l’activité commerce (commerce de gros et de détail) étaient en l’an 2000 de 2 825 000, répartis en 2 475 000 salariés et 350 000 non salariés. Globalement, la croissance des effectifs dans ce secteur s’est poursuivie avec des différences sensibles selon le type de produit, les formes de commercialisation et la taille des unités commerciales.
De nombreux facteurs expliquent les mutations de la fonction commerciale dans son ensemble et du commerce en particulier. Parmi ceux ayant l’impact le plus fort sur l’organisation des entreprises, et donc sur l’emploi et les qualifications, on peut citer :
- le poids grandissant de la réglementation en matière d’urbanisme commercial, de droit de la consommation et de droit du travail ;
- les modifications substantielles du comportement et des attentes du consommateur, plus informé et plus exigeant, tant en terme de qualité et de variété des produits que de niveau des services attendus ;
- les nouvelles technologies modifiant sensiblement le rapport à l’information tant du point de vue du distributeur que du point de vue de l’acheteur ;
Trois types de structures émergent et dominent le marché :
- le magasin de type « commerce indépendant » dans lequel les vendeurs sont à profil généraliste et assument la totalité des tâches nécessaires au fonctionnement du point de vente, de la logistique des approvisionnements jusqu’à la vente, en passant par l’animation et la gestion courante ;
- la grande surface non spécialisée qui est conçue dans une perspective d’autonomie importante du client ; dans les hypermarchés l’organisation du travail est fondée sur le travail en équipe des personnels ;.parallèlement, il y a développement du contact clientèle au travers de la multiplication de services nouveaux et de la présence de vendeurs ; le supermarché quant à lui, d’une surface plus petite, maintient une organisation traditionnelle avec présence d’employés de libre service ( ELS), de caissiers, de chefs de rayon ;
- le commerce spécialisé intégré (lequel a largement supplanté le commerce indépendant) qui fonde son organisation sur la spécialisation, la profondeur de ses gammes de produits et la mise en place d’un certain nombre de services connexes (livraison, service après-vente, réparation).
La configuration commerciale des entreprises a des conséquences sur l’organisation du travail et sur les emplois.
La structure de vente traditionnelle se caractérise par une équipe réduite liée par de fortes relations interpersonnelles.
Dans une structure de type hiérarchique, il existe un certain formalisme des relations entre les manageurs et les vendeurs ainsi qu’une spécialisation des acteurs (l’ELS prépare, le vendeur accueille et sert, la caissière encaisse et le manageur organise).
L’organisation fonctionnelle se développe dans beaucoup d’entreprises commerciales qui ont redéfini leur structure avec pour objectif prioritaire la satisfaction du client afin de le fidéliser. Le client doit trouver dans les différents services les interlocuteurs capables de répondre à ses attentes. La démarche de gestion de la relation client modifie sensiblement les compétences et les qualifications attendues sur la surface de vente.
On assiste donc au retour du vendeur dans l’espace commercial, avec des tâches élargies. Les entreprises commerciales recherchent des salariés manifestant un comportement professionnel et un esprit de service réel afin de répondre aux exigences du client. Par ailleurs, elles demandent à leurs employés d’être capables de travailler en équipe, d’organiser leur activité sur la surface de vente en fonction des fluctuations de la fréquentation (moindre présence en périodes creuses, présence du maximum de vendeurs lors des périodes d’affluence) ou de ses aléas (réapprovisionnement urgent du rayon…). Enfin, les responsables apprécient que les vendeurs soient fonctionnellement mobiles en effectuant correctement des tâches différentes (vente, présentation et animation du rayon, tenue du poste « caisse »).
En l’espace de quelques années toutes les formations commerciales ont été rénovées, du BEP aux BTS. Le partage des mêmes lieux de travail et de formation rend nécessaire de clarifier le positionnement de chacun de ces diplômes de niveau V, IV et III.
Le BTS « management des unités commerciales », mis en application en septembre 2004, vise à former le premier niveau d’encadrement des équipes commerciales travaillant dans une unité commerciale. Le titulaire de ce diplôme a pour perspective de prendre la responsabilité de tout ou partie d’une unité commerciale. Il remplit les missions suivantes :
- management de l’unité commerciale,
- gestion de la relation avec la clientèle,
- gestion et animation de l’offre de produits et de services,
- recherche et exploitation de l’information nécessaire à l’activité commerciale.
Il doit ainsi exploiter en permanence les informations commerciales disponibles pour suivre et développer l’activité de l’unité commerciale. Au contact direct de la clientèle, il mène des actions pour l’attirer, l’accueillir et lui vendre les produits et des services répondant à ses attentes. Chargé des relations avec les fournisseurs, il veille à adapter en permanence l’offre commerciale en fonction de l’évolution du marché. Il assure l’équilibre d’exploitation et la gestion des ressources humaines de l’unité commerciale qu’il anime.
Aujourd’hui, les entreprises qui poursuivent le double objectif de vendre plus et de vendre mieux, mettent en place des stratégies commerciales qui visent à la fidélisation des clients qui se révèle plus rentable que la conquête de nouveaux clients.
La banalisation relative des produits conduit à une différenciation par les services. Les technologies de l’information et de la communication permettent de développer des gains de productivité dans la gestion de la relation client. Elles attendent donc de leurs vendeurs qu’ils possèdent les compétences qui leur permettent d’être des experts de cette relation, d’exécuter des tâches polyvalentes intégrant les technologies de l’information et de la communication et d’occuper indifféremment, en fonction de l’intensité de l’activité, plusieurs postes.
En outre, elles attachent une extrême importance au savoir-être et aux attitudes professionnelles : autonomie, adaptabilité, rapidité d’exécution, sens de l’opérationnel, capacité d’analyse, maturité professionnelle, capacité de travailler en équipe.
Dans la grande distribution, la première insertion s’effectue très souvent au niveau des postes d’employé libre-service et d’hôtesse de caisse.
En revanche, dans le commerce spécialisé, si la première insertion se situe au niveau du vendeur, l’emploi évolue plus facilement vers des postes à responsabilité. Globalement, les perspectives d’évolution sont non seulement liées au diplôme mais également à la taille du magasin et à l’investissement personnel du jeune. La mobilité géographique représente également un élément important dans l’évolution de la carrière.
Je terminerai ce rapide survol des emplois actuels par le secteur bancaire pour signaler que les banques préfèrent désormais recruter des jeunes ayant un profil de commercial de niveau III, plutôt que des jeunes de niveau V ou IV et des surdiplômés de niveau bac + 4 ou 5. Le profil des titulaires des BTS ou DUT commerciaux correspond mieux aux besoins des postes qui leur sont confiés et permet de leur ménager des évolutions de carrière.
Je vous propose maintenant de rechercher ce qui est transversal dans les causes des changements.
L’analyse des causes des changements montre qu’il serait superficiel de s’en tenir à l’automatisation, l’informatisation, la mondialisation, la désindustrialisation, la tertiarisation des emplois. Les changements trouvent leurs origines dans le contexte économique, technologique et sociologique.
À propos du contexte économique, pêle-mêle on peut retenir les idées suivantes :
- la libéralisation des échanges dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC),
- une nouvelle phase de la croissance mondiale fondée sur la connaissance et l’innovation,
- la volonté et la capacité de rattrapage des pays émergents en matière de technologies, de formation et de qualifications (notamment la Chine et l’Inde),
- la contradiction qu’il y a de faire coexister nos objectifs de croissance, d’emploi, de compétitivité la priorité que nous voulons donner au développement durable, à la santé, à la prévention des risques, ceci face à des pays émergents qui légitimement nous feront de plus en plus concurrence et n’ont pas intégré ces autres objectifs,
- des comportements sclérosés, des crispations fortes, une insuffisante perception de la réalité économique.
En France, la richesse produite par personne employée (productivité du travail) accumule un retard annuel moyen de 1,5 % par rapport au niveau constaté aux États-Unis. À ce rythme, nous serions trois fois plus pauvres que les américains en 2050 ! Il est courant d’accuser la loi sur les 35 heures alors que la préférence française pour le loisir préexistait à cette loi, laquelle n’a fait que l’accentuer.
Les moins de 25 ans et les plus de 50 ans sont surtout les victimes du chômage. La résorption du chômage dépend essentiellement de la reprise de la croissance qui est fortement conditionnée par la conjoncture internationale.
Il est facile de déduire de ce contexte économique que les entreprises recherchent aujourd’hui des personnels faisant preuve de créativité, d’audace, du goût du risque et de l’action, ayant la capacité de supporter et de gérer les conflits.
Le contexte technologique est celui de l’informatisation de la société.
L’informatisation a commencé dans les entreprises, d’abord les grandes puis les autres. Timidement d’abord, puis ambitieusement elle a pénétré l’éducation (opération 58 lycées, opération informatique pour tous, l’opération 10 000 microordinateurs, actions de formation des enseignants, plans d’équipement successifs par l’État et les collectivités territoriales. Il a fallu négocier des licences avec les éditeurs pour l’utilisation des logiciels (licences dites mixtes car le ministère payait aux éditeurs une redevance importante afin de permettre aux établissements scolaires de se procurer les logiciels à un montant très inférieur à celui de leur prix public).
L’ensemble s’est déroulé dans une course permanente après l’évolution technologique, les choix et les acquisitions étant rapidement périmés. Avec le recul, ces choix ne doivent pas être regrettés car à chaque étape on a progressé. Attendre aurait freiné la formation des professeurs et encouragé les enseignants les plus réticents à « ne pas s’y mettre ».
L’accent n’est plus tellement mis aujourd’hui sur les logiciels mais plutôt sur l’accès à l’internet qui est le vecteur de nouvelles pratiques pédagogiques.
Parallèlement, l’informatique a colonisé la société, du fait de la baisse des coûts, de la publicité, du pouvoir d’achat des familles aisées, de l’équipement des cadres afin qu’ils soient en mesure de prolonger leurs journées de travail à domicile, de la demande des jeunes initiés à l’école mais frustrés à cause d’un accès insuffisant aux postes des laboratoires d’informatique de leur lycée.
Les utilisations pédagogiques de l’informatique ont beaucoup évolué et ont toujours été quelque peu conflictuelles.
Dans une première période on apprenait l’algorithmique et les langages de programmation. Les partisans du LSE en français s’opposaient aux tenant des langages en anglais tels que la BASIC.
Ultérieurement les enseignants formés à la programmation et à l’analyse d’applications n’ont pas été capables de produire des logiciels pédagogiques opérationnels, durables et commercialisables. Les éditeurs de logiciels pédagogiques, eux, ont su mettre sur le marché des logiciels conçus par de vrais professionnels mais qui ne correspondaient pas bien aux besoins de l’enseignement car ils visaient les besoins solvables, c’est-à-dire ceux perçus par les familles équipées.
Les appels d’offres pour des licences mixtes ont surtout bénéficié aux grands éditeurs de logiciels et de progiciels, à la grande satisfaction de l’enseignement technique qui avait un besoin impératif d’initier les élèves aux outils qu’ils rencontrent en entreprise lors des stages et de l’embauche.
Le conflit s’est ensuite déplacé entre les partisans du système d’exploitation Windows de Microsoft et des logiciels qui fonctionnent dans cet environnement et les partisans des logiciels qualifiés de « libres », fonctionnant avec le système d’exploitation Linux, beaucoup moins coûteux mais dont la mise à jour n’est pas toujours rapide et qui ne couvrent pas entièrement les besoins professionnels.
L’initiation aux texteurs et aux tableurs, aux suites bureautiques, aux moteurs de recherche sur la toile, à la messagerie électronique est devenue essentielle pour la formation, pour l’emploi, pour la vie familiale et les loisirs.
Le tout numérique et les progrès des télécommunications ont permis à l’informatique, à la téléphonie, à l’internet, à la photographie, à la vidéo de faite tache d’huile, d’interpénétrer les utilisations professionnelles, familiales, commerciales, éducatives et ludiques.
Certes tous les individus ne sont pas concernés au même titre et on évoque parfois la « fracture numérique ». Les statistiques sur le niveau d’équipement des ménages en ordinateurs, en téléphones portables, en abonnements aux services montrent que la fracture se résorbe.
L’inquiétude se manifeste toutefois à propos des effets pervers de cette pénétration : futilité ou même perversité de certaines utilisations, concurrence avec les activités culturelles traditionnelles, méfaits sur l’orthographe en raison du développement d’une écriture phonétique qui envahit les messages SMS, la messagerie instantanée, les blogues et même les courriels.
Le contexte sociologique est aussi une cause importante des changements constatés au niveau du travail
L’évolution du niveau de vie pendant les trente glorieuses a été accompagné d’une évolution culturelle et sociale. Ces évolutions ont fait évoluer les besoins des consommateurs en matière de nourriture, d’habillement, d’habitat, d’équipement des ménages, de loisirs. La pénurie de l’après-guerre a disparu.
Les biens et les services ont dû évoluer et cela n’a pas été sans conséquences sur les métiers de ceux qui les produisent et les commercialisent. Le consommateur est devenu exigeant et la concurrence a conduit les entreprises et des distributeurs à devenir très soucieux de leur image.
Les politiques ont eux-mêmes compris que les citoyens attendaient des administrations et des services publics un accueil et des prestations de qualité.
Tous les métiers, les emplois et même les « petits boulots » exigent désormais une composante « communication » dans la formation initiale et continue de ceux qui les exercent.
Dans les métiers où le contact avec la clientèle est essentiel, il est préférable que sociologiquement et culturellement il n’y ait pas un trop grand fossé entre le professionnel et le client. La compréhension mutuelle et la relation en sont facilitées.
Culture générale, savoirs et savoir-faire professionnels ne sont plus suffisants ; toute formation comporte désormais l’acquisition d’un savoir-être, de comportements et même d’un faire-savoir, notamment pour assurer sa propre réussite, par exemple pour la rédaction de son curriculum vitæ, un entretien d’embauche, la sollicitation d’une promotion ou d’un nouveau poste, la constitution d’un dossier en vue de la reconnaissance des acquis de l’expérience.
Je vous propose maintenant de mettre en évidence les caractéristiques transversales à la plupart des emplois
De l’examen des emplois qui ont été analysés ici et de celui du contexte économique, technologique et sociologique on peut tenter de mettre en évidence ce qui est transversal à de nombreux emplois d’aujourd’hui et qui conditionne la réussite professionnelle des individus qui les exercent :
- une formation générale correcte tant pour dominer les aspects technique de leur métier que pour communiquer avec leurs collègues qu’avec la clientèle,
- une formation économique et juridique qui permette d’éviter les erreurs de jugement et la mise en œuvre de leur responsabilité ou celle de leur employeur,
- l’absence de rejet des technologies de l’information et de la communication et plutôt une forte propension à y recourir,
- des qualités de communication favorisant le travail d’équipe, le contact avec les clients et les partenaires de l’entreprise, une forte disponibilité afin de faire face aux aléas et aux variations du volume d’activité.
Une récente étude a mis en évidence que les conditions de travail ont eu tendance à se dégrader au cours des dix dernières années, notamment au niveau des contraintes horaires, en raison du recours occasionnel au travail les jours fériés, du travail à exécuter dans l’urgence, du contact direct avec le public ou avec une clientèle de plus en plus exigeante. L’expression « travailler sous pression » est de plus en plus utilisée par les intéressés.
Les employeurs cherchent des salariés compétents, les clients apprécient des vendeurs et des artisans compétents. Mais qu’est-ce que la compétence ?
Ce terme, fréquemment employé mérite d’être défini. Sur son site l’ANPE la définit comme un ensemble de savoirs, savoir-faire et savoir-être qui sont manifestés dans l’exercice d’un emploi/métier, dans une situation d’activité donnée. Dans le ROME, on distingue compétences techniques de base, compétences associées et capacités liées à l’emploi.
On peut par conséquent avoir un métier, posséder un diplôme professionnel et ne pas être compétent dans une situation de travail particulière ; l’expérience ou une formation peuvent permettre de le devenir.
On peut ne pas posséder de métier, ne pas détenir de diplôme professionnel mais avoir acquis un compétence dans le cadre d’un emploi ou posséder un ensemble de savoirs, savoir-faire et savoir-être permettant d’être considéré comme suffisamment compétent pour se voir confier un emploi.
Je vous propose de rechercher comment les réformes du système éducatif et de la formation professionnelle ont tenu compte de ces évolutions afin de les accompagner et même de les anticiper.
En France, le système éducatif est réorganisé environ tous les quinze ans (réformes Berthouin, Fouchet, Haby, Jospin et probablement Fillon). Démocratisation de l’enseignement, volonté d’élévation généralisée du niveau de formation afin de faire face à la compétition internationale, ont inspiré ces diverses réformes. Les collèges ont été particulièrement concernés par les réformes successives avec la prolongation de la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans puis l’instauration du collège unique.
La formation professionnelle a également été modernisée à plusieurs reprises, particulièrement avec la création des baccalauréats professionnels à partir de 1985.
Tout récemment le Conseil européen des ministres de l’éducation vient encore de recommander le développement de l’enseignement professionnel en Europe.
L’objectif national désormais affiché est que tous les jeunes en formation soient professionnellement formés, ceci en relation avec les entreprises et le monde du travail.
Le scepticisme à propos de la possibilité de conduire 80 % d’une génération d’élèves au niveau baccalauréat, a notamment été manifesté par des enseignants confrontés à l’échec scolaire et par des parents soucieux d’éviter une trop forte hétérogénéité dans les classes. Ce scepticisme a été conforté par l’affirmation plus ou moins bien intentionnée qu’il existait une proportion non négligeable d’emplois ne nécessitant pas de qualification. Ce raisonnement n’est plus de mise actuellement d’autant que le pourcentage atteint est d’environ 70 %
Il existe désormais assez de recul pour se pencher sur l’histoire de l’enseignement technique.
À côté de la formation sous contrat d’apprentissage dans les entreprises, qui a ses caractéristiques propres et qui, jusqu’au début des années 90, concernait plutôt des métiers traditionnels où le « geste » était essentiel, la France a développé un modèle spécifique d’enseignement technique et professionnel original. Ce modèle se distingue par exemple du modèle allemand, appelé système dual, basé sur l’apprentissage dans les entreprises en alternance avec une formation théorique dans une école d’entreprise.
Le modèle français s’est développé en relation avec les mutations économiques et techniques dans un contexte d’essor de l’éducation depuis la fin du 19e siècle. Progressivement, l’État a pris en charge et structuré la formation qualifiante des ouvriers et employés. Des relations étroites avec le monde du travail ont été tissées, ce qui a assuré à l’enseignement technique une place prédominante puisqu’il a concerné beaucoup plus de jeunes que l’apprentissage en entreprise.
Ses relations avec les entreprises ont permis à l’enseignement technique de recourir à des pratiques pédagogiques originales.
Les formations de l’enseignement technique associent toujours sous un même toit, celui du lycée, dans le cadre d’un emploi du temps hebdomadaire, des enseignements généraux (français, langue vivante étrangère, mathématiques, histoire et géographie, arts, éducation physique et dans certaines spécialités des sciences, de l’initiation économique et juridique) et un enseignement professionnel qui comporte des cours théoriques et des activités pratiques en atelier ou en laboratoire.
Les formations ont toujours comporté des périodes de formation en entreprise, initialement sous forme de stages pendant le dernier trimestre de la formation, aujourd’hui sous forme de courtes périodes réparties au sein des deux années du cycle de formation. Est ainsi réalisée ce qu’on appelle l’alternance sous statut scolaire. Celle-ci s’est rapprochée de l’alternance dans la cadre des entreprises à la différence près que l’apprenti est lié à l’entreprise par un contrat d’apprentissage, qu’il reçoit une rémunération, que ses horaires sont ceux de l’entreprise et que ses congés durent seulement cinq semaines.
L’exception française s’explique à partir des choix fondateurs de notre enseignement technique, qui ont vu l’alliance de l’État et du patronat des industries modernes afin de mettre en place une formation professionnelle initiale massivement assurée par le système scolaire et appuyée sur des diplômes scolaires délivrés par l’État.
La pédagogie qui en a résulté a été appréciée par les entreprises qui ont longtemps été satisfaites des jeunes ainsi formés et a intéressé des visiteurs étrangers préoccupés par le manque d’adaptabilité des jeunes formés dans leur pays.
Depuis deux décennies ce type de formation a néanmoins fait l’objet de critiques sévères et pas toujours bien intentionnées. On lui a reproché des carences comportementales chez les jeunes diplômés et un défaut d’opérationnalité, notamment dans les PME et l’artisanat.
L’enseignement technique est également aujourd’hui dans une position de relative infériorité, en raison de la marginalisation des filières professionnelles et technologiques au sein du système éducatif.
Cette marginalisation peut être interprétée comme un effet pervers de l’extension de la scolarisation et de la durée des études qui a bloqué l’ascenseur social des ouvriers et techniciens en raison du développement des formations supérieures préparant aux fonctions d’encadrement.
De la conjonction de ces critiques et cette marginalisation de fait au sein du système éducatif, il a résulté des orientations de jeunes « malgré eux » vers des formations, dont certaines demeuraient pourtant porteuses et correspondaient mieux à leurs possibilités et talents que la poursuite d’études dans la voie générale.
Cette situation a conduit le ministère à tenter de revaloriser les enseignements technologiques et professionnels, d’abord en permettant aux élèves titulaires d’un diplôme de niveau V de préparer un diplôme de niveau IV, le baccalauréat professionnel puis de rapprocher la formation scolaire et l’apprentissage dans le cadre du « lycée des métiers ». Ce label a été accordé à des lycées dont la spécialisation professionnelle permet d’offrir, sous un même toit, dans une famille de métiers, par exemple le bâtiment ou l’hôtellerie, des formations :
- par la voie scolaire (du CAP au BTS, voire la licence professionnelle),
- par la voie de l’apprentissage, dans la cadre d’un CFA intégré au lycée ou bien d’une section d’apprentissage,
- par la voie de la formation continue, dans le cadre d’un groupement d’établissements ayant mutualisé leurs ressources (appelé Gréta),
- et qui soit susceptible de bénéficier d’une compétence pour intervenir dans la validation des acquis de l’expérience (VAE).
Le projet de loi d’orientation pour l’École, en cours de discussion, est toujours dans cette perspective d’élévation généralisée du niveau de formation et de qualification. L’objectif est de faire réussir tous les élèves, aux deux bouts de la chaîne éducative :
À un bout : passer de 15 % des jeunes sortant sans diplôme à 100 % sortant avec un diplôme de qualification professionnelle.
À l’autre bout : rattraper les pays les plus dynamiques dans lesquels le nombre de diplômés de l’enseignement supérieur est plus élevé : d’ici 10 ou 15 ans 50 % des jeunes titulaires d’un diplôme d’enseignement supérieur (du BTS ou DUT au doctorat).
Il y a aussi lieu d’adapter notre système éducatif à l’Europe (adoption du dispositif LMD – licence, master, doctorat – au niveau universitaire, mise au point de référentiels européens pour les diplômes professionnels).
Les points forts à retenir en faveur d’une meilleure formation professionnelle sont :
- un socle commun de connaissances que 100 % des jeunes devront acquérir, incluant les technologies de l’information et de la communication (TIC),
- un dispositif d’aide à la réussite pour ceux qui auront plus de mal que les autres à l’acquérir,
- la formation des élèves à l’orientation, qu’il faut organiser en proposant une vraie connaissance des métiers (c’est-à-dire ne pas se contenter de fournir de l’information), en agissant sur les représentations des parents, des enseignants, des jeunes qui hiérarchisent les métiers et sont l’objet d’attirances ou de répulsions. Le jeune intègre l’information qu’il reçoit, information qui est plus ou moins bonne, plus ou moins intéressée, selon qu’on veut l’attirer ou au contraire le réorienter parce qu’il est perçu comme gênant.
Le jeune a besoin de temps, ne doit pas attendre 18 ans pour s’interroger (ne pas être victime du « passe ton bac d’abord ! ». Les forums sur les métiers, les plaquettes et les cédéroms ne suffisent pas : l’information sur les métiers est insuffisante, il faudrait passer à la connaissance des métiers, pas tous bien sûr, mais au moins plusieurs. Ce n’est plus seulement le rôle du conseiller d’orientation, du professeur principal, de tel ou tel professeur plus ou moins bon conseiller
Ce devrait être une mission de l’ensemble du collège en liaison avec les professionnels, avec les petites et grandes entreprises du bassin d’emploi. Il existe en la matière un fort besoin de cohérence, voire de cohésion entre les intervenants.
Connaître les métiers ne suffit cependant pas ; le jeune doit aussi se connaître lui-même et connaître les filières de formation, tout en étant conscient que les établissements de formation ne diffusent pas toujours une information objective dans le cadre de leur stratégie de développement ou simplement de maintien de leur potentiel, voire de leur survie.
Logiquement la connaissance du métier devrait précéder la collecte d’informations sur les voies de formation pour s’y préparer.
La formation sous contrat d’apprentissage n’a pas été initialement en concurrence directe avec la formation professionnelle sous statut scolaire. Elle formait à des CAP et des brevets professionnels correspondant aux métiers pratiqués essentiellement dans l’artisanat et les services.
Parallèlement, dans les collèges d’enseignement technique, devenus depuis les lycées professionnels, on préparait plutôt à des CAP d’autres métiers de l’industrie et du secteur tertiaire administratif, que l’évolution technologique et organisationnelle avait rendus partiellement obsolètes.
Dans une première étape, la création des brevets d’études professionnelles (BEP), mieux adaptés à l’évolution technologique et visant davantage une famille de métiers que les CAP qui correspondaient à un métier traditionnel, a tenté d’y remédier. Le résultat n’a pas été au rendez-vous dans toutes les spécialités. L’orientation plutôt négative vers l’enseignement professionnel, en raison des difficultés scolaires rencontrées au collège a perduré pour un nombre d’élèves de plus en plus important.
La création des baccalauréats professionnels à partir de 1985, accompagnée d’un un gros effort de formation initiale et continue des professeurs ont permis aux lycées professionnels de retrouver leur performance. La perspective de préparer un baccalauréat après la réussite au BEP a permis à des élèves orientés par l’échec de trouver là une voie de réussite. Il convient d’être conscient que les difficultés scolaires constatées au collège correspondent à une période où le jeune vit mal sa condition d’adolescent ou est déstabilisé par des problèmes personnels ou familiaux. Le lycée professionnel et la préparation d’un baccalauréat professionnel ont permis a beaucoup de jeunes de trouver un nouvel élan. L’excellent travail des commissions professionnelles consultatives a permis aux employeurs de recruter des jeunes diplômés dont le profil et la disponibilité les ont agréablement surpris.
La persistance du chômage et les difficultés économiques des entreprises ont ultérieurement conduit l’État, les régions (devenues compétentes en matière de formation professionnelle), et les organisations patronales à préconiser le développement de l’apprentissage à l’étendre à d’autres niveaux de formation. Le baccalauréat professionnel, le BTS, et même certains diplômes universitaires peuvent désormais être préparés par des jeunes sous contrat d’apprentissage.
Le nombre d’apprentis a ainsi connu une forte progression entre 1995 et 2000 avant de se stabiliser à 360 000. L’effectif des apprentis progresse au niveaux IV, III et II alors qu’il continue à régresser au niveau V.
La loi de programmation pour la cohésion sociale fixe un objectif de 500 000 apprentis. Le projet de loi d’orientation pour l’avenir de l’École vise le doublement du nombre d’apprentis recevant leur formation générale et théorique en lycée professionnel.
Il n’y a cependant pas lieu de considérer la voie de l’apprentissage comme un remède miracle. En effet, il n’y a pas d’apprentissage possible si le candidat apprenti ne trouve pas d’entreprise pour signer avec lui un contrat.
Dans les activités traditionnelles ayant une culture de l’apprentissage et dans les activités où l’apprenti est amené à être en contact avec une clientèle, les maîtres d’apprentissage sont très attentifs à l’aspect et au comportement de l’individu. Les obèses, les jeunes issus de l’immigration, les impolis ont malheureusement moins de chances que d’autres de pouvoir signer un contrat.
Dans les activités qui n’avaient pas l’habitude d’accueillir des apprentis d’autres obstacles existent également, notamment la difficulté pour l’employeur de trouver parmi son personnel des tuteurs disposés à s’occuper des apprentis et suffisamment psychologues pour cela.
Une autre difficulté réside dans l’inadéquation qui existe souvent entre les activités de l’entreprise qui souhaite employer des apprentis et les activités prévues dans le référentiel du diplôme préparé. L’inadéquation est manifeste pour les jeunes qui aspirent à être apprentis cuisiniers ou employés de restaurant mais qui ont seulement trouvé un patron de pizzeria acceptant de les prendre en apprentissage.
Certains maîtres de stage souhaitent parfois se séparer avant la fin du contrat d’un apprenti qui ne leur a pas donné satisfaction. La formation du jeune est alors interrompue à un moment où il est difficile de trouver une autre solution pour lui. L’éducation nationale peut alors devenir un recours grâce à son réseau de grétas, surtout lorsqu’il existe un dispositif de formation appelé « centre permanent » dans lequel on peut entrer à tout moment de l’année. Le bilan de compétences effectué au moment de la prise en charge par le centre ainsi que des méthodes et des progressions pédagogiques individualisées permettent de « récupérer » le jeune en perdition.
J’ai indiqué que le ministère et ses partenaires ont fait en sorte que les diplômes professionnels suivent l’évolution des besoins des professions. Le moment est venu de présenter la procédure de création et de rénovation des diplômes
Des diplômes professionnels sont en permanence crées ou réformés. Leurs référentiels, véritables cahiers des charges pour la formation et la certification, sont élaborés et périodiquement actualisés en liaison avec les professionnels de la spécialité. Leur contenu doit aujourd’hui être complètement indépendant des voies d’accès au diplôme.
Les diplômes technologiques de professionnels sont élaborés au sein des commissions professionnelles consultatives (CPC). Il en existe 17 à l’éducation nationale et quelques unes dans les autres ministères ayant des compétences en matière de formation, (notamment ceux chargés de l’emploi et de l’agriculture). Chaque CPC comporte quatre collèges (des employeurs, des salariés, des pouvoirs publics, des personnes qualifiées telles que les syndicats d’enseignants, les fédérations de parents, les chambres de commerce et des chambres des métiers). Comme il existe plus de 600 diplômes, des sous-commissions et des groupes de travail, qui peuvent faire appel à l’expertise de professionnels et d’enseignants, préparent les projets.
Chaque diplôme est doublement défini par un référentiel des activités professionnelles et par un référentiel de certification. La certification se doit d’être totalement en phase avec les objectifs de formation.
Par exemple, pour la baccalauréat professionnel « Commerce », récemment rénové, le référentiel des activités professionnelles a permis de repérer cinq situations professionnelles distinctes :
- la préparation de l’offre
- la vente (principale et additionnelle)
- la gestion du rayon
- la gestion de l’unité commerciale
- l’animation et la promotion autour d’un produit ou d’une ligne de produits.
Ce repérage est également à la base de la procédure de validation des acquis de l’expérience (VAE).
Dans le cadre du référentiel de certification, à chaque situation professionnelle correspond un groupe de compétences, qu’elles soient opérationnelles ou qu’elles renvoient à l’adaptabilité (changement de métier, évolution, poursuite d’études).
Dans le respect de la réglementation en vigueur, la participation des professionnels à la certification est indispensable. Le lieu, le type et les critères d’évaluation sont prévus de façon à se situer au plus prêt des conditions d’acquisition et de mise en œuvre des compétences professionnelles.
La construction ou la rénovation d’une formation professionnelle « diplômante » se doit également d’induire une amélioration de la qualité de l’insertion professionnelle. La recherche d’adéquation immédiate entre les compétences acquises par le candidat et les attentes des entreprises constituent un des objectifs majeurs de toute rénovation. Tous les cinq ans, en principe, la CPC compétente est interrogée sur l’opportunité de rénover ou non le diplôme.
La loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 a remplacé le dispositif d’homologation des titres et diplômes de l’enseignement technologique par un dispositif unifié de certification professionnelle.
Nul ne peut se prétendre titulaire d’un diplôme ou titre à finalité professionnelle si celui-ci ne figure pas dans le répertoire national établi par la commission nationale de certification professionnelle, qui est placée auprès du Premier ministre.
Les approches de la certification ont été profondément modifiées, dans un paysage jusqu’alors structuré par les institutions chargées de la formation.
La certification n’est plus définie comme une sanction de la formation. Ceci est logique dans un système qui prévoit la possibilité de validation des acquis de l’expérience et qui appelle « formation tout au long de la vie » ce qui était jusqu’ici qualifié « formation continue des salariés ».
Auparavant, une Commission dite des titres et diplômes de l’enseignement technologique dressait la liste d’homologation des titres et diplômes acquis :
- par les voies scolaire et universitaire,
- par l’apprentissage,
- la formation professionnelle continue,
- la validation des acquis professionnels.
Désormais la Commission nationale de la certification professionnelle établit le Répertoire national de la certification professionnelle. Celui-ci rassemble :
- les diplômes et titres à finalité professionnelle délivrés au nom de l’État,
- les certificats de qualification professionnelle (CQP) figurant sur la liste établie par la commission paritaire nationale de l’emploi de la branche professionnelle concernée.

La commission nationale de la certification (CNCP) a reçu les missions suivantes :
Œ Établir et actualiser le répertoire national
Veiller, en fonction de l’évolution des qualifications et de l’organisation du travail, au renouvellement et à l’adaptation des diplômes et des titres à finalité professionnelle
Ž Émettre des recommandations aux institutions qui délivrent des titres à finalité professionnelle et des certificats de qualification (CQP)
Signaler aux particuliers et aux entreprises les éventuelles correspondances (totales ou partielles) enregistrées dans le répertoire national ainsi qu’entre ces dernières et d’autres certifications, notamment européennes.
Contribuer aux travaux internationaux sur la transparence des qualifications.
La formation professionnelle ne peut plus en effet être purement nationale. La France s’est désormais engagée à travailler dans le cadre de l’Union européenne.
L’objectif visé par l’Europe est la construction d’un espace permettant la mobilité des personnes : mobilité des travailleurs et, cela va de pair, mobilité des étudiants, des élèves et des étudiants.
Dans les années 70 on a recherché des équivalences de diplômes, notamment de façon bilatérale avec l’Allemagne. Dans les années 80 on a recherché à mettre en évidence des correspondances. Depuis les années 90 on cherche à construire un cadre unique pour la transparence des qualifications.
Des processus européens ont été progressivement élaborés :
- Bologne 1999 : pour un espace européen de l’enseignement supérieur
- Lisbonne 2000 et Barcelone 2002 : des objectifs concrets à l’horizon 2010 (harmonisation des pratiques, développement de politiques communes en matière d’éducation et de formation professionnelle)
- Bruges 2001 : pour la formation tout au long de la vie
- Copenhague 2002 : déclaration pour le développement de la coopération en éducation et formation professionnelle.
Cette déclaration commune a défini un cadre unique pour la transparence des qualifications, intitulé Europass, qui prendra la forme d’un canevas de curriculum vitæ, en ligne sur l’internet, utilisable par toute personne. Elle a prévu le développement de principes communs de qualité en formation, afin d’augmenter l’employabilité, d’améliorer la cohérence entre la demande et l’offre de formation, de permettre un meilleur accès à l’éducation et à la formation tout au long de la vie, notamment pour les publics désavantagés. elle préconise la conception d’un systèmes de crédits européens en formation professionnelle, les ECVT, à l’instar du système des ECTS de l’enseignement supérieur.
Le processus de création de diplômes européens à référentiels communs est donc engagé. Bien que le système LMD ait péché en ignorant l’existence d’un niveau de qualification correspondant au besoin des entreprises européennes en techniciens supérieurs, des groupes travaillent actuellement sur un référentiel commun pour les techniciens supérieurs « responsable de l’hébergement », « logistique » et « commerce international ».
L’architecture commune du diplôme comporte une partie commune (le référentiel d’activités et de compétences, les objectifs de certification) et une seconde partie dite de subsidiarité qui reste de la compétence nationale (les contenus et objectifs de formation, l’organisation des enseignements, l’accès à la validation des acquis de l’expérience, les modalités et acteurs de la certification).
Le projet veut être un modèle de « professionnalisation durable », ce qui signifie que la qualification reconnue doit placer chaque personne en capacité de renouveler ses savoirs et savoir-faire, de se requalifier au fur et à mesure des mutations technologiques dans un monde qui change en permanence.
En conclusion, on peut affirmer que les réformes passées, actuelles et à venir, tant au niveau national qu’au niveau de l’Union européenne correspondent à la volonté d’élévation générale du niveau d’éducation et de formation et de qualification afin de contribuer à relever les défis économiques et sociaux.
Cette volonté est consensuelle car de bon sens mais la mise en œuvre des réformes se heurte encore au scepticisme, aux intérêts catégoriels, à la recherche de la rentabilité immédiate, au manque de culture économique et sociale de certains acteurs qui les empêche de percevoir où est l’intérêt général. Elle est aussi contrariée par la situation économique qui ne permet pas d’injecter les moyens qui pourraient être nécessaires à la réalisation des réformes en toute sérénité.

ECHANGE DE VUES

Le Président : Je vous remercie de votre présentation très fine qui met bien en perspective la situation du travail ; cela est très précieux pour notre réflexion.

J’ai particulièrement apprécié la façon avec laquelle vous nous ouvrez à la dimension transversale de l’emploi. Je trouve également très pertinente votre explication de la dévalorisation de l’enseignement technique. Nous disposons ainsi d’une analyse des causes. Je souhaiterais maintenant, avec cet échange que nous pouvons avoir, que nous puissions réfléchir en considérant le futur : que faire, comment remédier à cette situation ? Puisque nous sommes une Académie d’“éducation” et d’“études sociales”, nous avons à cœur de mettre en perspective quelques solutions à propos des problèmes de société que nous étudions.

Chantal Lebatard : Je vais poser quelques questions qui me sont venues au fur et à mesure de votre exposé.

Vous nous avez dit, dès le départ, que les métiers changeaient et changeaient très vite. On a effectivement l’impression que l’Éducation nationale, et la formation aux métiers qu’elle dispense, passe son temps à essayer de courir derrière les métiers et leurs exigences. L’exemple le plus simple, c’est voir les équipements de nos lycées techniques par rapport aux équipements techniques utilisés dans les entreprises et le décalage généré. Avant que l’Éducation nationale ait fourni les lycées techniques avec les nouvelles machines, il s’est écoulé du temps et ces machines risquent d’être presque démodées, techniquement dépassées au moment où on les utilise dans l’enseignement

La question que je voulais poser c’est en fait, aujourd’hui, comment former des jeunes pour des métiers qui vont évoluer très vite et qui finalement ne sont pas ceux pour lesquels les formateurs ont été formés ou qu’ils ont exercé. Et donc, comment anticiper sur l’évolution des métiers ?

D’autre part, on nous dit que nos enfants ou les jeunes qui sont formés aujourd’hui seront amenés à changer de métiers plusieurs fois dans leur existence .On n’aura plus une carrière linéaire dans un seul métier. Comment anticiper sur l’évolution et les changements de ces métiers quand on essaie de former des acteurs dans les différents métiers et comment former le mieux possible nos jeunes à ces changements de métiers qu’ils connaîtront ?

J’ai une autre question. En France, on est quand même très attaché au diplôme et on reconnaît la qualification par le diplôme. D’autres pays opèrent autrement. Donc, nous, nous avons tendance, lorsqu’il faut changer les qualifications, à raisonner en termes de diplôme et à avoir aussi une espèce de course de diplôme pour essayer de correspondre aux qualifications exigées. D’où une question :jusqu’où peut-on promouvoir les filières professionnelles et quels types de diplômes doivent les reconnaître ? J’ai entendu dans l’enceinte à laquelle j’appartiens, au Conseil économique, des propositions pour orienter toutes les filières, y compris dans la liste que vous avez donnée, vers l’enseignement supérieur avec des diplômes, correspondants, les rendre complètes jusqu’à ce diplôme d’enseignement supérieur. Il y a peut-être des limites à cela. C’est en tout cas une question.

Bernard Chauvois : Je crois que la course à l’évolution technologique est bien menée au sein du ministère de l’éducation nationale depuis environ une vingtaine d’années. Je vous ai donné la liste des commissions professionnelles consultatives sur le document qui vous a été remis. Au sein de ces commissions, il existe quatre collèges : le collège des salariés, le collège des employeurs, le collège de l’administration et le collège des personnalités qualifiées. Progressivement, une méthode s’est instaurée, « on a appris à marcher en marchant ». Quand une commission professionnelle consultative a reconnu qu’il est nécessaire de créer ou de faire évoluer un diplôme, la première étape est de construire ce que l’on appelle « un référentiel des activités professionnelles ». La même démarche qui est aujourd’hui préconisée au niveau européen. On observe dans les entreprises, on consulte les représentants des employeurs et des salariés, on détermine quels sont les types d’activité et quelles qualités sont nécessaires pour chacun d’eux. Une fois que l’on a en quelque sorte dressé le cahier des charges, il devient possible de définir la manière dont on vérifiera si les objectifs sont atteints. C’est le rôle de ce que l’on appelle « référentiel de certification ». Le mot certification n’est pas seulement utilisé dans le domaine de la formation ; il l’est aussi dans le domaine de la qualité. où il est désormais habituel de recourir à des organismes de certification. Dans le domaine de la formation, le référentiel de certification comporte une liste précise de ce que l’on souhaite vérifier en vue de l’attribution d’un diplôme, lequel atteste qu’un individu possède une qualification.

Des garanties sont maintenant bien présentes, d’autant qu’il faut savoir qu’existe une obligation quinquennale, celle de poser à la Commission professionnelle consultative, la question de l’opportunité de rénover chaque diplôme. En général la réponse est qu’il doit être rénové ! Le suivi de l’évolution technologique est donc désormais bien prévu.

Votre deuxième question était relative à la poursuite de l’évolution technologique au niveau des équipements. Il ne faudrait pas que la difficulté à maintenir l’important parc informatique scolaire au rythme que l’évolution technologique soit perçue comme s’appliquant à tous les autres équipements. Nous connaissons un certain nombre de domaines, en particulier dans le domaine industriel et le domaine de l’hôtellerie, pour lesquels l’équipement des lycées est en avance sur l’équipement de l’artisanat et des PME, particulièrement en matière d’hygiène et de sécurité.

À titre d’exemple, le fait de placer des stagiaires chez les restaurateurs ou chez les hôteliers a amené ce secteur à progresser ; je ne parle évidemment pas du niveau supérieur de l’hôtellerie mais de l’hôtellerie courante. Un certain nombre restaurateurs ont modifié leurs pratiques parce que des stagiaires arrivaient en ayant été formés à des techniques et des outils que celui qui les accueillait et son personnel n’avaient jamais eu l’occasion d’apprendre. Ceci est aussi valable dans l’industrie car la petite entreprise ne songe pas toujours à se procurer certaines technologies nouvelles. Le fait que les jeunes aient été formés sur des outils récents les conduit à suggérer à l’employeur qu’il pourrait être mieux équipé, ce qui peut amener celui-ci à réaliser des investissements. L’examen du référentiel du diplôme peut également faire prendre conscience à l’employeur que pour être un bon lieu de formation, son entreprise se devrait d’investir dans certains outils ou bien de modifier ses pratiques.

Pour la formation aux technologies de pointe, la solution parfois adoptée a été d’organiser les séances d’atelier en dehors du lycée, dans une entreprise disposant de plages horaires sur certains matériels ou systèmes, non utilisés en permanence. Des groupes d’élèves se sont ainsi déplacés dans des centres dits de technologie avancée. Il ont pu ainsi se familiariser avec des technologies dont l’installation au lycée était impensable en raison de son coût. Il ne faut pas exagérer la fréquence d’une telle pratique, mais celle-ci est significative des bonnes relations qui existent entre l’enseignement technique et les entreprises.

Le Président : J’ai trois questions à vous poser. Je le fais en allant du niveau le plus précis et le plus ponctuel au niveau le plus large.

La première concerne le tableau que vous nous avez proposé : la nomenclature des diplômes. À la première lecture, j’ai été un peu surpris que l’on mélange dans le niveau 2 le bac + 3 et le bac + 4 et cela d’autant plus que – vous l’avez évoqué dans votre propos avec la réforme LMD : licence, master, doctorat -, désormais la césure est entre la licence (bac + 3) et le master (bac + 4 et 5). Ma question est donc la suivante : est-ce que cette nomenclature va être révisée ? Est-ce que l’on en profitera également pour réviser le niveau 1 (bac + 5), puisque dans la présentation actuelle nous devrions y retrouver ce qu’on appelle désormais master mais également le doctorat, c’est-à-dire le diplôme national le plus élevé ? Que l’on mette dans la même catégorie le master et le doctorat (bac + 8), peut paraître surprenant. Pardonnez-moi cette première question un peu technique, très particulière en tous les cas.

Bernard Chauvois : Je peux répondre tout de suite à cette première question parce que cela peut aller très vite. La nomenclature est ancienne. Il s’agit d’un tableau dont certains éléments perdurent par commodité mais qui mériteraient à l’évidence d’être actualisés. Je dois indiquer que j’ai pris la liberté de mettre à jour le contenu de la colonne de droite en raison des évolutions intervenues dans les noms de diplômes.

Le Président : Ma deuxième question est d’actualité.

Vous avez parlé de la pénurie dans certains secteurs. Ce qui m’est alors venu à l’esprit en vous écoutant, et vous avez vous-même évoqué cette hypothèse par la suite, c’est le recours à l’immigration. Quelles sont alors les idées ou les réflexions que vous pourriez nous livrer concernant la politique de quotas que certains évoquent aujourd’hui à ce sujet ? Vous semble-t-elle, du point de vue qui est le vôtre, adaptée et susceptible d’offrir un commencement de solution ?

Ma troisième question est la plus large. Elle concerne la notion de “métier”. Je reviens pour cela à cette idée très intéressante de transversabilité des emplois. Vous avez parlé des métiers. J’ai l’impression que cette notion de métier, qui suppose une diversité de formation, disparaît de plus en plus ; j’ai l’impression qu’on forme plus des gens à des techniques qu’à des métiers. Je voulais avoir votre réaction à ce propos.

Bernard Chauvois : Dans le domaine de l’immigration la question de l’instauration de quotas d’étrangers fait ces jours-ci l’objet d’un débat, tant en France qu’à l’étranger. Je vous renvoie à ce qu’en dit la presse quotidienne. A propos des prises de position des partis et des hommes politiques. On ne voit pas encore bien ce qui sera décidé. Il est vrai que l’instauration de quotas par métier et par origine géographique interpelle. Quand on a une vision un peu mondialiste des choses et notamment de la nécessité du développement, faire comme le pratiquent les entreprises et les organismes de recherche américains, c’est-à-dire de ponctionner les élites et les personnels qualifiés des autres pays, tant développés qu’en en voie de développement, est socialement et moralement contestable. En revanche, si on recherche à être économiquement efficace, à partir du moment où une pénurie est constatée, chercher à y remédier le plus rapidement possible est dans la logique du système.

Je lisais cet après-midi un article relatif à la position de certains responsables du bâtiment et des travaux publics, domaine dans lequel la pénurie a été évoquée au début de mon intervention. Il semblerait qu’une partie de la profession serait contre le recours à des quotas et préférerait que l’on arrive à recruter parmi les chômeurs plutôt que de faire venir de la main-d’œuvre étrangère. La barrière des langues est certes un obstacle au recrutement d’étrangers dans une profession qui veut promouvoir la sécurité et la qualité du travail. Le travail est plus facile à organiser avec des personnes parlant la même langue. Cette position est également socialement compréhensible. Voilà ce que je voulais dire sur les quotas puisque vous m’y avez invité. Je n’ai pas d’opinion personnelle tranchée, d’autant qu’il existe des villages africains dont l’essentiel des revenus provient des membres de la communauté qui ont émigré. Le problème posé est une question de société qui a des implications morales, économiques et politiques.

A propos de la notion de métier, je vous renvoie à la définition de ce qu’on appelle une compétence, qui me paraît une notion plus large et plus opérationnelle. J’ai dit que l’ANPE la définit comme un ensemble de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être qui sont manifestés dans l’exercice d’un emploi ou un métier, dans une situation d’activité donnée. Il y a des compétences techniques de base, il y a des compétences associées, il y a des capacités liées à l’emploi assuré.

Le métier est un en principe un terme qui est relatif à une occupation traditionnelle, manuelle ou mécanique : il y avait autrefois le charron, le tisserand, le cantonnier, etc. Aujourd’hui, beaucoup des métiers traditionnels ont disparu. Dans le secteur tertiaire, l’occupation pour laquelle on a été formé ou pour laquelle on est devenu compétent est plutôt qualifiée de profession, terme plus large que celui de métier et qui englobe ce dernier. Certains métiers subsistent : maçon, plombier, plâtrier, mais ceux qui les exercent ont souvent vu leurs fonctions s’élargir, ils sont devenus plus ou moins polyvalents, comme dans l’ensemble des professions (comptables, secrétaires, gestionnaires, vendeurs. Celui qui exerce un métier ou une profession, s’il souhaite évoluer au cours de sa vie professionnelle, ne doit pas rester cantonné dans ce métier ou cette profession. Il est préférable qu’il devienne compétent pour des métiers ou fonctions connexes et qu’il cherche à acquérir des responsabilités. Sans perdre son métier de base, il n’est performant, il ne devient compétent dans un certain nombre de situations que s’il sort du cadre strict de son métier ou de sa profession initiale. Le concept de formation tout au long de la vie devrait normalement l’y aider.